mercredi 27 décembre 2017

Meilleurs vœux à toutes et tous.
Que 2018 soit à la hauteur de vos attentes!
De retour le mercredi 10 janvier pour vous entretenir de Michel Dallaire, de l'idée à l'objet (du passage, 2017).

mercredi 20 décembre 2017

Francis Leclerc
Pieds nus dans l’aube. Du roman au grand écran, photos de Daniel Guy
Montréal, Fides, 2017, 132 p., 29,95 $.

 Quand l’adolescence déjoue l’enfance

Un film tiré d’un roman n’est jamais autre chose que la lecture qu’en a faite le cinéaste. C’est aussi différent que d’être lecteur et spectateur. Or, Francis Leclerc a choisi Pieds nus dans l’aube, premier roman de son père Félix, paru en 1946, pour en faire du cinéma. C’était un défi multiple, entre autres parce que le livre n’est pas un roman classique, mais une suite de nouvelles qui décrivent une fresque poétique de la vie d’un enfant en Mauricie.
Le réalisateur s’est associé avec le conteur Fred Pellerin pour mettre en mots les personnages et les images qu’il a choisies pour animer le récit. Il a aussi proposé à Daniel Guy, vieux compagnon des plateaux de tournage, de documenter le tournage à sa guise. Cela fut la genèse de Pieds nus dans l’aube : du roman au grand écran.


Ce livre n’a rien de comparable sur le rayon des beaux livres. Ni revue de tournage ni album souvenir, c’est un ouvrage insaisissable comme le roman de Leclerc. On y trouve le récit de la démarche artistique du cinéaste, les techniques de photographie utilisées par Daniel Guy, une séquence de dialogues de Pellerin-Leclerc et une entrevue de ce dernier avec P. Douville pour la Fabrique culturelle (https://www.lafabriqueculturelle.tv/).
Le texte du cinéaste nous fait passer de l’autre côté du miroir, cette partie étamée de la démarche créative entre littérature et cinéma. À cela s’ajoute en filigrane le rapport de filiation entre Francis et son père Félix. Il y a là de la timidité et du respect enveloppés de mille précautions tant l’émotion que j’ai ressentie est grande. Cela est aussi perceptible dans l’extrait du scénario retenu pour le livre.
Les photographies sont une exposition de petits chefs-d’œuvre que le roman et des moments intangibles du tournage ont inspirés à Daniel Guy. Nul besoin de longues explications quand on lit «Le point de vue du photographe», le récit de cette aventure artistique parallèle au film avec comme objectif d’illustrer le livre. J’ignorais la technique des photos en sténopé (« petit trou dans la paroi d’une chambre noire, servant d’objectif photographique »), mais j’ai vite compris que ce procédé exigeait une lenteur à l’opposé du rythme d’un plateau de tournage.
Il a donc fallu que le photographe ait recours à un plan B et multiplie les procédés pour capter la lumière de ses mises en scène. Cette première étape, aussi laborieuse fût-elle, ne l’a pas empêché de faire toutes les manipulations nécessaires au transfert des images sur les supports appropriés. Puis, l’éditeur Fides a poursuivi ce travail d’artisan en choisissant d’imprimer le livre sur du papier de grande qualité, du «Roland Enviro Satin 160M». Le résultat est tout simplement remarquable.
Un très beau livre, vous dis-je, à la hauteur d’un des pères de la culture québécoise, Félix Leclerc.




Le petit livre bleu (Bibliothèque québécoises, 2017) par Félix Leclerc. De Vaudreuil à l’Île d’Orléans, Félix Leclerc a été par-dessus tout un grand écrivain dont les œuvres chantées ont fait oublier ses contes, fables, romans, pièces de théâtre et maximes. On se souvient de Pieds nus dans l’aube, mais peu de Moi, mes souliers qui en est, en quelque sorte, la suite, et dont Jean Giono signa la préface. En 1961, il publie Le calepin d’un flâneur chez Fides, son éditeur le plus important; il a ainsi réuni des aphorismes qu’on étiqueta maximes à l’époque où les règles morales étaient comme une ultime reconnaissance de la littérature des bien-pensants et des curés. Puis paru, en 1979, Le petit livre bleu ou Le nouveau calepin du même flâneur. Ce livre revient sans avoir pris une ride, il semble même avoir vu au-delà des contingences un peu de l’avenir du Québec.





Dernier calepin (Bibliothèque québécoises, 2017) par Félix Leclerc. Publié quelques mois après le décès de l’écrivain en 1988, cet ultime recueil d’aphorismes a des allures de testament littéraire. En ouvrant ce livre, j’ai entendu « la voix violoncelle » dont parle Nathalie Leclerc dans La voix de mon père. J’y ai lu ces images brèves faites d’une écriture dont il avait seul le savoir-faire, la tournure. J’ai pris plaisir à l’imaginer interprétant les dialogues ou les monologues des saynètes éparpillées à travers les pages du Dernier calepin. Cela m’a rappelé que le barde aurait aimé qu’on se souvienne de lui comme un homme de théâtre. Encore dans ce recueil, comme dans nombre de ses chansons, on constate à quel point il a le sens du jeu, du duel entre le passé et le présent, l’espoir et le chagrin. Je partage l’avis que ce calepin « est empreint d’une certaine nostalgie » irrémédiable en vieillissant.


Réjean Ducharme
Le lactume, dessins inédits de l’auteur présenté par Rolf Puls
Montréal, Éditions du passage, 2017, 248 p., 44,95 $.
Puisque nous sommes au rayon de ces livres-là, je vous invite à visiter le site des Éditions du passage pour y admirer, Le Lactume, le dernier livre du regretté Réjean Ducharme paru à titre posthume (http://www.editionsdupassage.com/fr/livre/nouveautes/104/le-lactume). Présenté par Rolf Puls, l’éditeur québécois de Gallimard qui publia Ducharme, cet album de dessins fut envoyé à Robert Massin, alors directeur artistique de Gallimard, en 1966. Il était accompagné de la note suivante : « Veuillez ne pas trouver insolent que je vous soumette ces dessins, je ne sais pas plus dessiner qu’écrire. Seulement, est-ce qu’il ne suffit pas d’être de la race humaine pour prétendre parler aux êtres humains? »
Pour les passionnés de l’œuvre de Ducharme et les bibliophiles, je rappelle que Lanctôt éditeur a publié en 2004, Tropoux des œuvres de la collection Forget-Georgesco réalisées par l’écrivain sous son pseudonyme d’artiste visuel, Roch Plante.
Tout est dit. Il ne reste qu’à parcourir lentement ce musée de papier, scrutant ce cahier à colorier et les notes qui les accompagnent.

mercredi 13 décembre 2017

Philippe Lavalette
Petite Madeleine
Montréal, Marchand de feuilles, 2017, 168 p., 23,95 $.

Comment faire son cinéma

Le cinéaste conçoit, scénarise, puis réalise un récit en trois dimensions. Philippe Lavalette est cinéaste et, en écrivant Petite Madeleine, il a animé l’histoire d’une lignée de femmes au destin tragique et aux aventures teintées des couleurs du temps passé.
Il y a d’abord Madeleine Fargeau, modèle de Modigliani (1884-1920). Le 4 janvier 1909, une de ses amies accouche d’une enfant qu’elle ne veut, ni ne peut garder. Madeleine conduit le nouveau-né à l’Assistance publique qui lui attribue son nom à elle.




À peine sevrée, on place bébé Fargeau chez les Tissier, jardiniers du château Devay. La vie chez ces gens est acceptable, surtout que Madeleine doit fréquenter l’école jusqu’à l’âge de 13 ans. Survient la guerre 14-18. Des recruteurs à la recherche de main-d’œuvre pour les bourgeois lui proposent de monter sur Paris. Elle refuse nette, préférant travailler sur une autre ferme de la région.
Les choses sont différentes chez les Denizieu où elle trouve Basile, un garçon de son âge dont la présence fait émerger des émotions qu’elle ignorait. Il veut la marier et qu’ils aient des enfants, ce qu’elle croit impossible. Arrive Roger Levasseur avec qui « elle connaît le premier vertige amoureux ». Enceinte, elle doit quitter les Denizieu et retourner chez les Tissier qui la reçoivent comme si elle était leur propre fille.
Philippe Lavalette a inséré, dans la trame, des lettres imaginaires adressées à Madeleine dans lesquelles il fait le lien entre sa propre vie et ce qu’il sait d’elle. Ces passages ressemblent à un monologue que l’écrivain dédie à sa grand-mère dont il a fini par retrouver la trace à travers un dédale de non-dits et de secrets de famille.
Revenons aux Tissier. Vieillis, ils n’ont plus l’énergie d’accompagner Madeleine, jeune maman. Survient le décès d’Émilie Courot qui laisse dans le deuil Paul, son jeune mari. On les présente et, les six mois de deuil passés, ils se marient, Paul reconnaissant Jeannine l’enfant née hors mariage.
Le couple a deux autres filles, Geneviève et Rolande. Jeannine « sera la seule à rompre sans équivoque le pacte de loyauté transmis de mère en fille » en refusant d’avoir à son tour un enfant de père inconnu. La guerre 39-45 arrive, Paul est envoyé dans une usine de munitions qu’il fuit avant qu’une bombe lui barre la route.
Jeannine « travaille à une chaîne de montage de téléphone noir à roulette », à Paris. Heureuse et libre, elle fait partie d’un club de marche et, lors d’une sortie, elle rencontre Jacques, tombe sous son charme et devient enceinte. Pas question d’être mère célibataire à son tour, elle traîne son compagnon à la mairie où ils s’épousent.
Rolande et Geneviève habitent toujours la maison familiale. La lettre d’un notaire fait croire à Madeleine qu’un bienfaiteur souhaite que Geneviève poursuive des études supérieures à ses frais. La veuve accepte ignorant que des proxénètes ont repéré sa fille et qu’elle deviendra vite la préférée des playboys de bonne famille. Quant à Rolande, aussi établie à Paris, elle veut améliorer son sort et profite de ses jours de congé pour suivre des cours de dactylographie. Après quoi « elle décroche sans difficulté un poste de dactylo dans un cabinet d’ingénieurs ». C’est sa façon de tourner le dos à son milieu, une décision qu’elle scelle en épousant un de ses patrons sans inviter les siens.
L’histoire se termine au MoMA de New York où la fille du romancier et son compagnon admirent Nu couché au coussin bleu, une toile de Modigliani dont la vraie Madeleine Fargeau fut le modèle. La jeune femme, prise d’un malaise soudain, comprend qu’elle est enceinte, continuant ainsi la tradition familiale.

Un roman est une œuvre en deux dimensions, celle de l’écrivain et celle du lecteur. Plus ces deux pôles se rapprochent, plus la fiction rejoint la réalité. Cela se produit avec Petite Madeleine grâce à la contextualisation du récit qu’apporte l’expérience cinématographique de Philippe Lavalette. Son roman n’est pas un scénario, mais une histoire animée par des techniques littéraires et d’autres, propres au cinéma.

mercredi 6 décembre 2017

Matthieu Simard
Ici, ailleurs
Québec, Alto, 2017, 128 p., 20,95 $.

L’agonie du lendemain

Depuis Échecs amoureux et autres niaiseries (Stanké, 2004), Matthieu Simard a fait paraître six romans, dont Ça sent la coupe porté à l’écran par Patrice Sauvé. L’univers qu’il a créé gravite autour de la vie de couple, des enjeux de la séduction à la constance du désir amoureux. Avec Ici, ailleurs (Alto, 2017), il va aux limites de ce lien affectif et de ses manifestations. Entrons dans cette histoire!
Marie et Simon, un couple mi-trentaine s’installe dans un village au destin tragique. Ainsi, la maison qu’ils ont achetée a une histoire qu’ils ignorent, comme nous les motifs qui les ont poussés à l’exil. Ces « pourquoi » auxquels ils ne cherchent pas vraiment de réponse deviendront malgré eux la quête de sens qu’ils n’ont d’autre choix que de mener.




N’eût été l’urgence que l’écriture de Simard suggère et le rythme qu’elle impose au récit, j’aurais mis le roman de côté, l’élément déclencheur me semblant traîner en longueur. J’ai heureusement compris à temps l’importance de cette lenteur assumée, essentielle à Marie et Simon comme aux autres personnages du récit.
Tous ont un destin qui affronte celui des autres, ce qu’on découvre petit à petit, et il ne peut en être autrement. Que ce soit Madeleine la restauratrice, Lyne la barmaid, Fisher le garagiste et homme à tout faire, l’épicier, les Lavoie ou Alice la sourde-muette, chacun vit dans sa bulle, incapable de communiquer avec les autres. Le paysage du village, le garage de Fisher, le bar, l’antenne cellulaire et la maison du vieux habitée par Marie et Simon sont comme une partition sur laquelle s’écrit l’histoire.
Marie et Simon se racontent, à tour de rôle. Ils partagent ainsi leur point de vue sur une situation de plus en plus dramatique qui met leur couple en péril. Pourquoi des urbains comme eux se sont-ils retranchés dans un petit village? « Nous nous sommes sauvés de la foule pour enterrer nos petites peines et cultiver nos grands espoirs dans la tranquillité rurale, mais nous avions oublié que c’est dans le désert que les bombes font le plus de bruit », de dire Marie.
Tout le monde connaît tout le monde et l’histoire de chacun dépend de celle des autres. Il y a là une consanguinité aux effets pervers que les villageois ne veulent pas partager avec des étrangers. Il y a, par exemple, l’impossible amour entre la restauratrice et l’épicier, lui qui a tout fait pour qu’elle s’intéresse à lui. Puis, Fisher, celui qui assaille Marie dès leur première rencontre au bar et sous les yeux sidérés de Simon, vit une solitude abyssale qui ne l’empêche pas de rendre service à tout un chacun. Quant à la famille Lavoie, elle vit en marge de ses concitoyens et son bonheur ruisselant donne des hauts le cœur à leur entourage; surtout qu’ils squattent souvent le parc du village frappé d’une malédiction. Quant à Alice, elle impose son silence pour se préserver des jugements et de la vindicte populaire que lui vaut un triste événement du passé.
Que font là Marie et Simon alors qu’ils portent le fardeau de leur propre peine? Leur exil aura sur eux l’effet d’un tourbillon qui emporte tout sur son passage. Ils n’ont d’autre choix que d’apprivoiser le décès Marguerite, leur fille, ce pourquoi ils ont fui la ville. C’est la tristesse du couple qui rapproche Alice de Simon, car la jeune femme comprend le vertige qu’il ressent au point de lui expliquer pourquoi on la croit sourde et muette.

Ici, ailleurs est, à mon avis, une œuvre de maturité, une histoire dont la trame a obligé Matthieu Simard de choisir et peser tous les mots, toutes les images de son discours littéraire afin qu’ils communiquent les faits, mais aussi l’état d’esprit de chacun des personnages. Le romancier les amène ainsi à développer une solidarité autour des malheurs communs, ce qui exclut Marie et Simon, les repoussant jusque dans les tranchées de la mort où git leur fille. Il ne pouvait en être autrement.

mercredi 29 novembre 2017

Hugo Meunier
Infiltrer Hugo Meunier : enquête sur la vie des vedettes québécoises
Montréal, Lux, 2017, 208 p., 19,95 $.

Couvrez cette vérité, je ne saurais la voir

L’autobiographie est un genre littéraire connu depuis Montaigne, écrivain français du 16e, mais surtout depuis les Confessions (1782) de J.-J. Rousseau. Le sujet de cette forme d’essai est l’auteur lui-même qui relate, en ordre chronologique, les événements choisis de sa vie. Remise au goût du jour, cette forme de récit peut être considérée comme une suite d’autoportraits dont l’ensemble constitue une fresque, plus ou moins vaste, mettant en relief l’existence de l’auteur ou, du moins, ce qu’il veut bien en dire.




Étant de la vieille école, je crois que l’autobiographie est plus près des mémoires que du journal personnel. Je suis donc toujours étonné qu’une « vedette » montante ou sur le déclin s’adonne à une telle écriture, même en ayant recours à un quelconque scribe. C’est pourquoi j’étais curieux d’Infiltrer Hugo Meunier : enquête sur la vie des vedettes québécoises, désireux de voir ce que ce journaliste d’enquête, dont le passage remarqué dans l’univers raëlien et dans celui de la chaîne Wal-Mart, a retenu du culte du vedettariat qu’encourage l’autobiographie.
Le projet de Meunier consiste à demander conseil à des auteurs ou des éditeurs de tels livres, à lire quelques-uns des «classiques» du genre, et d’écrire sa propre histoire au fur et à mesure de son enquête.
Pourquoi écrire sa vie quand on a la jeune trentaine et qu’on vole, parfois haut parfois bas, au firmament d’un minuscule « star-system » comme le nôtre? L’élément déclencheur d’un tel projet varie selon l’événement ayant fait la une des journaux spécialisés –grossesse, accident d’auto, séparation, maladie grave, etc. – à moins que ce ne soit la défection du public qui vous trouve ringard.
Ces raisons, et bien d’autres, tirent leur origine de la peopolisation de notre relation collective avec les acteurs de la vie publique – culturelle, politique ou autres – que nous voulons le plus près possible de notre propre modèle d’existence. Le mot «populaire» résume bien ce concept tout en évoquant le caractère populiste de l’autobiographie. Il n’en demeure pas moins que le récit de l’intimité, intellectuelle ou autre, d’un lofteur ou d’une Voix de vingt ans risque d’être mince et que l’intérêt qu’il suscite tient à un geste d’éclat ou à une obscure machination dont le public veut tout savoir.
Parmi les « autobiographées » que l’essayiste a rencontrées, les propos de Marie-Claude Savard semblent fort juste, car la journaliste animatrice est d’un naturel déconcertant, c’est-à-dire avec juste assez de fard pour préserver son indépendance. N’ayons pas la naïveté de croire que l’auteur d’une autobiographie dit la vérité, toute la vérité. Du moment où un individu est à la fois le sujet et le narrateur d’un tel récit, sa réalité devient notre fiction.
Rappelons-nous que l’œuvre de Michel Tremblay compte plusieurs personnages venus directement de son enfance et, qu’en passant du souvenir à la réalité d’un roman ou d’une pièce de théâtre, ils ont traversé le miroir de la fiction. Alors, quand il s’agit de raconter sa propre existence en s’appuyant sur un événement spécifique ou sur une période de temps trouble – je pense ici à Maxim Martin et l’ère de ses dépendances –, rien n’empêche d’adapter la réalité au message que l’on veut communiquer ou à l’image de soi qu’on veut projeter.

Hugo Meunier a bien compris les leçons qu’on lui a données et il a choisi le ton badin pour raconter quelques pages de sa propre histoire. Ce faisant, il fait à nouveau la preuve que les gens heureux n’ont pas d’histoire. Ou si peu.

mercredi 22 novembre 2017

Normand Cazelais
Montréal, ma ville
Montréal, Fides, coll. « Les yeux ouverts », 2017, 248 p., 26,95 $.


Notre Métropole

Si le moindre bourg a une monographie racontant son histoire, imaginez une métropole? Comme toutes les grandes villes, Montréal est le sujet de nombreux ouvrages, du guide urbain aux beaux livres illustrant en photos ou aquarelles ses sites incontournables. Le 375e de la fondation de Ville-Marie fut l’occasion de nouveaux titres, dont Montréal, ma ville du géographe et écrivain montréalais Normand Cazelais.
Guide sélectif d’espaces, de lieux, de personnages ou d’épopées, il s’agit d’un livre de référence permettant de mieux connaître Montréal, tant pour ses résidents qu’aux visiteurs. Pour reprendre une expression à la mode, je range ce volume sous l’onglet des hybrides littéraires.




Dans ce énième ouvrage, le prolifique auteur nous fait découvrir ce qui distingue la ville des autres grandes agglomérations nord-américaines. Il a ainsi rassemblé l’abondante matière autour de cinq thèmes: la nature, l’Histoire et les quartiers, le patrimoine, les artères et les moyens de transport, les arts, la culture et les loisirs.
Pour nous qui habitons en périphérie de la Métropole, nous savons qu’elle est une île, les bulletins de circulation nous le rappelant matin et soir. Au cœur de la cité, il y a le Mont-Royal, «le poumon de la ville». Pour nous de la Montérégie, il toujours étonnant de considérer cette chaîne de montagnes comme de simples collines, ce que nous rappelle pertinemment le géographe. C’est sans parler de l’incomparable fleuve Saint-Laurent. La nature occupe toujours une place privilégiée dans ce grand centre urbain et, outre la montagne, on y trouve de nombreux parcs, dont le parc Lafontaine et le parc des îles.
Incontournable sujet, c’est, bien sûr, la fondation de la ville par Maisonneuve et Jeanne Mance, la transformation de son territoire en quartiers, sans oublier la difficile époque des annexions. Du côté de la politique municipale, on pense parfois que trois maires ont fait cette ville: Camilien Houde, Jean Drapeau et… Denis Coderre. D’autres premiers magistrats se sont aussi distingués dont Viger, McGill, Beaugrand et Doré.
Que dire du patrimoine montréalais dont font partie certains édifices, certaines bâtisses, sinon que plusieurs sont des réussites architecturales trop souvent oubliées. On pense à cette «place pour lire l’Histoire, « le Vieux-Montréal », mais on doit aussi regarder différemment les casernes d’incendie qui ne sont pas de simples garages.
Normand Cazelais nous invite aussi à faire une halte devant une dizaine de « lieux particuliers » ou de remarquer certains détails architecturaux dont les escaliers extérieurs, les silos à grain ou la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours. Les plus âgés se souviendront des magasins de la rue Sainte-Catherine: Morgan’s, Eaton’s, Simpson, Birks et, dans l’est, Dupuis Frères.
Qui dit Métropole évoque aussi de grandes artères et des moyens de transport, des sujets toujours d’actualité. Encore ici, le géographe Cazelais met au service des lecteurs ses vastes connaissances, non seulement en rappelant l’origine de certaines rues ou de leur toponymie, mais aussi des moyens de transport mis au service de la population au fil des décennies.
Enfin, il va de soi que Montréal, ma ville traite de l’importance des arts, de la culture et des loisirs que la ville leur accorde. De ses nombreux musées au club de hockey – le CH mythique – du pamphlet Refus global de 1948 aux festivals d’été et d’hiver, Montréal est toujours en ébullition.

En refermant le livre, j’ai compris le sens du « ma ville »: Normand Cazelais communique sa passion de la Métropole en soulignant ce qui, de la cité, lui tient à cœur.

mercredi 15 novembre 2017

Louis-Philippe Hébert
Le Roi jaune
édition du 50e anniversaire revue, corrigée et augmentée, remasterisées, illustrations originales de Micheline Lanctôt
Saint-Sauveur-des-Monts, La Grenouillère, coll. « Livre de poche », 2017, 394 p., 24,95 $.

Le laboratoire de l’alchimiste

« On n’est jamais si bien servi que par soi-même», selon l’adage. Or, peu d’écrivains québécois ont pris les moyens pour lancer dans la troisième dimension – passé, présent, futur, ici, ailleurs, nulle part confondus – une œuvre sinon qu’en format de poche. Et je ne parle pas d’en rematricer le texte, fond et forme. C’est pourtant la proposition que nous fait Louis-Philippe Hébert en ramenant Le Roi jaune, prose narrative parue en 1971, aux éditions du Jour dont il dirigeait la collection « Proses du Jour », illustrée par Micheline Lanctôt, qui allait devenir l’année suivante l’inoubliable Bernadette de Gilles Carle.




Le Roi jaune laissa sans voix la diaspora littéraire – collègues écrivains, critiques reconnus, etc. – tant Hébert y fait sauter les barrières imposés par les codes de l’écriture romanesque en réinventant systématiquement ce qui était jusque-là considéré comme des incontournables: trame, narrateur, personnages, actions, péripéties, chutes, etc. S’eut été un nouveau venu parmi le foisonnement de jeunes auteurs du Jour, qu’on aurait levé le nez ou tourné le dos à ce curieux recueil constitué de quatre récits, chacun comptant une suite de plusieurs microcosmes comme autant de respirations, parfois longues tantôt courtes, de personnages plus grands que l’imagination d’un lecteur aguerri.
En lisant ce nouveau Roi soleil, et ce n’est pas un euphémisme de dire ainsi, j’ai compris en quoi ce monstre littéraire effrayait la faune lectrice: le propos et son organisation spatiotemporelle étaient loin des préoccupations identitaires que distillaient proses et poésies des années 1970 tout en cherchant à se distinguer des autres littératures francophones. Le livre de L.-P. Hébert, autant que les illustrations de Mme Lanctôt, étaient clairement révolutionnaires et représentaient une contestation peu rassurante pour notre institution littéraire encore frileuse.
Quand je pense aux œuvres que l’auteur et l’illustratrice ont créées depuis, lui en littérature et en micro-informatique, elle au cinéma et en engagements sociaux, je comprends, enfin, ce que Le Roi jaune anticipait. En relisant l’entrevue que Hébert a accordée à Robert Morency en 1978 et à Nicolas Tremblay en 2003, j’ai cru y voir comme un arc dans le ciel de son univers, une urgence d’écrire sans cesse actualisée et renouvelée.
C’est cependant l’étude de J.-P. Vidal, « Le Roi jaune ou le rat des livres et la folle du logis » (Voix et Images, vol. 4, no 3, avril 1979) qui m’a révélé l’hyperbole littéraire qu’est ce livre. « Sans queue ni tête l’histoire parce que la fiction est le produit d’un déboîtement perpétuel de ses articulations signifiantes, articulations dont le jeu finit par capturer ce qui les déclenche… Kaléidoscope, puzzle, mécanique ondulatoire, topologie: c’est l’univers des anamorphoses [images déformées] que l’écriture en son parcours fait surgir. »
Voyage initiatique que notre visite au pays du Roi jaune, jumeau cosmique de Louis XIV venu de France et de Navarre pour stigmatiser à jamais toutes les faces de leurs environnements, qui nous livre, pieds et poings liés, l’entièreté de l’œuvre littéraire, et même technologique, de l’écrivain Hébert.
Ne craignez surtout pas de plonger dans la prose tumultueuse du Roi jaune. Comme l’écrit J.-F. Chassay en préface de La manufacture des machines (XYZ éditeur, coll. « Romanichels poche », 2001, pp. 10-11) : « Arrêtez-vous. Prenez le temps de lire. Ne sautez aucun mot. Ralentissez. Vous aurez des surprises. Et c’est dans pareils moments que la littérature joue pleinement son rôle. La formule de Cioran trouve ici toute sa valeur: à quoi bon écrire pour dire exactement ce qu’on avait à dire? Le texte déplace plutôt des phénomènes, les explique autrement, les métamorphoses. »

Comme je l’écris souvent : pour que je suive la carrière d’un écrivain d’un livre à l’autre, il doit me surprendre à tout coup que ses mots et les univers qu’ils créent m’amènent ailleurs. Aussi loin que Louis-Philippe Hébert et quelques autres parviennent à faire voyager tout notre être.

mercredi 8 novembre 2017

Aki Shimazaki
Fuki-no-tô
Montréal/Arles, Leméac/Actes Sud, 2017, 152 p., 18,95 $.

Entre lui et elle

L’écrivaine Aki Shimazaki devait être une élève attentive, rigoureuse, méthodique. Ses bonnes habitudes se sont entre autres traduites par l’écriture d’un nouveau roman à fréquence métronomique. Elle semble ainsi s’être fabriqué un cadre de référence littéraire, tout aussi bien organisé, dans lequel elle installe quelques personnages dont l’histoire gravite autour d’une ou deux situations conflictuelles que chacun tente de résoudre à sa façon avec un souci d’autrui, entre les bons et mauvais choix.
Fuki-no-tô, quatrième livre de la suite « L’Ombre du chardon » entreprise avec la parution d’Azami en 2014, remet en scène Atsuko Mori. Cette femme dans la quarantaine, épouse du journaliste Mitsuo Kawano et mère de deux ados, travaille sur la terre que lui a léguée son père et où elle est venue s’installer avec sa famille. Quitter Nagoya concordait avec la décision de Mitsuo de fonder sa propre revue, mais aussi de laisser tomber Mitsuko, une ancienne consœur du temps de ses études devenue sa maîtresse.




Tout va pour le mieux pour Atsuko, tant dans sa famille qu’au travail. Son entreprise agricole connaît une telle croissance qu’elle doit trouver de l’aide. En réponse à une offre d’emploi, elle reçoit Fukiko Enju. L’entrevue se déroule rondement, mais deux choses la dérangent : le peu d’expérience de cette femme mariée à un banquier et sa ressemblance avec une personne qu’elle croit connaître, mais dont elle ne parvient pas à se souvenir. Malgré cela, l’agricultrice engage Fukiko, car sa formation en administration et sa passion du jardinage sont des atouts.
Rapidement, les deux femmes harmonisent leur talent et deviennent très productives. Lorsqu’Atsuko présente son employée à sa famille comme à ses clients, les hommes soulignent unanimement sa grande beauté, ce que note aussi sa mère qui en profite pour lui rappeler, une fois de plus, qu’elle devrait être plus attentive à sa coiffure et aux vêtements qu’elle porte.
Un jour, Fukiko Enju lève le voile sur ce qui semble inquiéter Atsuko : oui, elles se connaissent puisqu’elles ont été amies au cours de leur dernière année au lycée. Fukiko eut un coup de foudre pour Atsuko, sans le lui dire. Leur relation fut surtout épistolaire, Fukiko ayant proposé d’écrire dans un cahier, à tour de rôle, un journal relatant leurs impressions et leurs sentiments. Puis, Fukiko était disparue de l’environnement de son amie aussi vite qu’elle y était entrée. Plus tard, Atsuko apprit qu’elle était mariée et avait eu un enfant.
Les retrouvailles permettaient à chacune de ranimer les sentiments qu’elles n’avaient pu ou su exprimer. À l’époque, chacune s’interrogeait sur son orientation sexuelle, sans parvenir à y répondre. Pour Atsuko, le suicide d’une cousine lesbienne dont la compagne avait exigé que leur relation soit connue de tous l’avait convaincu de réprimer ses sentiments. Quant à Fukiko, les sérieuses divergences d’opinion avec ses parents avaient créé un faussé impossible à combler, ce qu’une grossesse non désirée avait permis d’aplanir en l’obligeant de se marier et de quitter la maison familiale.
Les deux femmes découvrent, jour après jour, le sentiment amoureux qui ne les a jamais quittées, mais que le passage de la vie a éludé sans qu’elles sachent pourquoi. Deux événements vont cependant leur permettre de pousser plus loin leur quête affective. D’une part, Fukiko divorce de son mari et reprend son patronyme de Yada. D’autre part, Atsuko décide d’offrir un voyage à son mari sans les enfants, devenus assez vieux et responsables pour s’occuper d’eux-mêmes quelques jours.
Le voyage aura bien lieu, mais sans Mitsuo, retenu à Nagoya pour recevoir un prix de journalisme. Fukiko accompagnera donc Atsuko et ce sera pour elles l’occasion de pousser plus loin leur relation amoureuse. À compter de ces quelques jours loin du quotidien, les rapports entre les deux femmes changent, surtout que Fukiko a surpris son amie en lui faisant lire le cahier de leur adolescence qu’elle avait conservé et dans lequel toutes deux constatent qu’elles s’aimaient déjà à cette époque, sans savoir comment l’exprimer, l’homosexualité étant généralement mal vue de la société nipponne.
Au retour du voyage, les deux amies sont devenues de véritables amantes, profitant de la moindre occasion pour partager leur intimité. Cependant, Atsuko s’en veut de ne pas avouer sa relation à son époux, lui qui avait quitté sa maîtresse dès qu’elle avait appris cette relation. Une décision d’affaires vient à sa rescousse: décidant d’effectuer des travaux majeurs sur sa terre, elle doit contracter un emprunt à la banque, mais son époux et son amoureuse lui proposent de l’appuyer financièrement.
Atsuko décide alors d’écrire à son mari pour lui raconter ce qui lui arrive, ce passé qui l’a rejoint et qu’elle ne peut ignorer. Oui, il est un mari et un père extraordinaire, mais ce qu’elle ressentait pour lui était sa façon de détourner la réalité et de répondre au souhait de ses parents d’un amour hétérosexuel. Même s’il avait tourné la page d’un premier amour avec une camarade d’autrefois, elle découvrait une suite d’affects enfouis en elle et, contrairement à lui, elle ne pouvait quitter Fukiko.

Il n’est jamais simple, même pour une écrivaine d’expérience, de traduire les secrets ou les mystères de l’âme humaine dans une société qui les conditionnent malgré elle. Ce jardin secret, ancré ici sans jeu de mots à la trame du récit, ne laisse pas facilement éclore les sentiments qui germent en ses terres. Or, Aki Shimazaki y parvient avec une infinie délicatesse dans les mots et l’action qu’elle souffle aux personnages de Fuki-no-tô.

mercredi 1 novembre 2017

David Dorais
Que peut la critique littéraire?
Québec, L’instant même, coll. « Trajectoire », 2017, 132 p. 16,95 $.

De l’utilité du critique

Que peut la critique littéraire? : voilà l’essai de David Dorais publié à la rentrée et dont le sujet m’a nécessairement interpelé. L’auteur y dresse un constat de la situation actuelle du monde de la critique au Québec et suggère ce qu’elle pourrait être.
Ce livre me fut un prétexte pour relire des pages de Théorie de l’art et des genres littéraires (Édition de l’École, 1965) de Suberville qui est ma première et ultime référence en matière de concepts théoriques de la littérature; de l’Histoire de la littérature québécoise (Boréal, 2007) de Biron, Dumont, Nardout-Lafarge, le plus récent et le plus complet panorama de ce qui s’écrit chez nous; de Métier critique : pour une vitalité de la critique culturelle (Septentrion, 2014) de Voyer-Léger; et de quelques articles glanés au fil des ans portant sur cette vaste question.




David Dorais, décline-t-on en quatrième de couverture, détient un doctorat en langue et littérature, et il a enseigné au cégep et à l’université. Il a publié des nouvelles, un roman et des critiques littéraires. Avec un tel bagage, je m’attendais naïvement à une étude qui développe un point de vue novateur sur une discipline mal connue. J’ai plutôt trouvé un guide basique d’analyse littéraire s’appuyant sur quelques généralités ou, pire, sur des exemples restrictifs.
Réglons une chose dès maintenant : selon la typologie classique des genres littéraires, la critique littéraire est une forme d’essai dont elle respecte les règles en les adaptant au moyen de la communiquer. Un article dans un média grand public peut être aussi valable que celui publié dans une revue spécialisée sur le même sujet, mais leur niveau de discours est différent comme le serait l’échange entre un médecin et un pharmacien sur un médicament, et entre l’un ou l’autre et un patient sur le même remède.
L’essayiste Dorais présente d’abord ses observations sur « la critique de proximité » qu’il considère comme le mal récurrent de la critique littéraire actuelle au Québec. Il explique ce concept en décrivant ses « quatre caractéristiques » : réalisme, émotion, thématique et optimisme. Cela se résume à dire qu’il n’y a chez nous qu’un genre de livres, des fictions narratives (romans, nouvelles, récits, etc.) qui racontent du vrai, qui suscitent et entretiennent les émotions tout en évitant d’aborder des thèmes exigeant de la réflexion, et dont la trame dégage ipso facto un sentiment de joie de vivre.
Quelle belle unanimité des critiques ce serait qui souffrent de consanguinité avec l’institution littéraire au grand complet!
Comment alors, dans ce lamentable état des lieux, redorer le blason de la critique littéraire? David Dorais explore deux pistes pouvant permettre de se sortir de ce marasme, de cette gangue : l’analyse du style et l’étude de l’imaginaire de l’auteur dans son œuvre. C’est ce qu’on appelle, plus modestement, l’abc de l’analyse littéraire, laquelle s’intéresse au fond et à la forme du texte, ce qui permet, entre autres, de « distinguer un texte littéraire des autres » en étudiant l’originalité et la pertinence de sa littérarité.
L’essayiste a certes raison de souligner que la critique journalistique actuelle s’intéresse plus au livre qu’à la démarche de l’auteur et, parfois, plus à l’écrivain qu’à son œuvre. On se soucie peu ou pas du lexique et de la grammaire, des impératifs que doivent respecter les littéraires. Il en va de même pour le génie créatif qui leur permet d’imaginer des univers, d’y faire vivre des personnages, ici ou ailleurs, hier ou demain, et de rendre leurs tribulations intéressantes au plus haut point. Qui peut être contre de tels parangons de vertu?
Là où je ne partage pas l’opinion de l’auteur, c’est lorsqu’il écrit « que parler de style revient plus ou moins à parler de grammaire. » Comme je le répète depuis des lustres : le style, c’est la personnalité littéraire que l’écrivain s’est créé un livre à la fois. Il arrive parfois que cette empreinte soit rapidement identifiable, je pense ici à Réjean Ducharme, mais cela est très rare. Je suis d’avis qu’il en va du style d’un écrivain de celui du peintre ou du musicien dont on reconnaît sur-le-champ la personnalité du coup de pinceau ou de l’harmonie.

Tout de l’étude de Que peut la critique littéraire? n’est pas faux, mais la grille d’analyse et le style que devrait épouser la critique selon David Dorais me semblent d’un dogmatisme suranné. Notre littérature traverse une période faste, et il va de soi que l’utilité et la manière de faire de la critique littéraire sont remises en question. À cela s’ajoute le désengagement de la presse écrite à son endroit sur lequel je pourrais épiloguer. C’est d’ailleurs pourquoi je me considère privilégié d’avoir un vaste espace dans un des hebdomadaires les plus prestigieux du Québec où parler de notre littérature sans autre contrainte que le respect du code d’éthique de la presse québécoise.

mercredi 25 octobre 2017

Jacques Boulerice
Dans ma voiturette d’enfant
Montréal, Fides, coll. « Carnets », 2017, 280 p., 22,95 $.

Des microcosmes à se réinventer

La carrière littéraire de Jacques Boulerice traverse, depuis quelques années, une période telle une urgence de dire et de le faire à l’aune de l’âge et des souvenirs passés, présents et ceux qu’on prépare avec grand soin pour la postérité des enfants et petits-enfants. À cela s’ajoute une chronique hebdomadaire dans Le Canada français (Haut-Richelieu), à mi-chemin entre le billet d’humeur et le récit de l’immédiat. C’est de cette atmosphère littéraire que se libèrent les 58 chroniques du carnet intitulé Dans ma voiturette d’enfant, son plus récent ouvrage.
Tout est ici affaire d’une écriture semblable au travail minutieusement attentif d’un horloger. Nous ne sommes pas au rayon de l’autoportrait où l’instantanéité prime, mais dans l’univers du plaisir de lire et de relire jusqu’à ce que la prose ne semble plus avoir d’aspérité qui brouillerait l’œil ou l’intelligence de la lectrice, du lecteur. Il y a, bien sûr, cette forme qui associe prose et poésie qui est le propre de l’écrivain Boulerice, mais elle va ici au-delà des échanges purement stylistiques en devenant un mode de penser ce qui est tracé sur la page ou l’écran, un mode de vivre la poésie jusqu’à ce qu’il guide la main qui écrit.




J’en prends pour exemple « Novembre et le bon usage de la paille », ce récit du temps qui s’arrête, un instant ou deux, pour ensuite mieux plonger en espérant une saison à venir, puis à répéter cette attente comme un mantra garant de lendemains.
Souvent, d’un billet ou d’un récit à l’autre, entre l’une ou l’autre des neuf « saisons » du recueil, je me suis demandé à quelle heure de la vie arrive la belle et bonne nostalgie, à l’opposé de la langueur et de la tristesse qu’elle évoque. Est-ce celle où, enfant, on se rend seul à l’école de l’abc et des 1-2-3? Ou quand un premier être cher décède? Lorsqu’on est obligé de faire un choix, le premier d’entre tous qui portera à conséquence? J’ignore quand la nostalgie débarque dans nos vies, mais il me semble que l’écrivain en a parsemé un grain ici, un autre là, à la volée, pour que le livre en compose un bouquet complexe comme peut l’être la vie.
J’avoue qu’en glanant au hasard un mot, une phrase, une figure toute littéraire ou une image empruntée à une réalité magnifiée, tous si présents dans ces récits, les premières paroles de La bohème, une chanson de Charles Aznavour à la mode en 1965, me sont revenues : « Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître ». Certes, on nous les sert tout le temps ces mots, et c’est là le drame, car il y aura toujours un avant, bien réel celui-là, faisant face à un présent approximatif et à un futur interrogatif qu’il faut connaître ou imaginer.
Les événements qui inspirent Jacques Boulerice, parfois de façon particulaire, sont bel et bien inscrits dans le temps et dans l’espace, un truisme en littérature trop souvent négligé par la critique. Le génie de l’auteur consiste alors à les propulser dans une éternité rassurante, même quand elle est tout en points d’interrogation. Je relis « Le dos large d’un parapluie » qui pourrait être une anecdote badine vite oubliée, je constate que le regard qu’y pose le poète en l’enclavant dans son univers transforme la banalité de ce non-événement en un microcosme que chaque lecteur peut réinventer à sa guise.

Dans ma voiturette d’enfant ne serait pas de l’authentique Boulerice sans quelques détours dans le giron familial, celui d’Urgel et d’Alice, sa mère et sa tante décédée à 105 ans, celui de ses fils et petits-enfants, sans oublier l’infatigable amoureuse. Comme je ne cesse de le répéter, l’écrivain qui fait passer des bribes de sa vie à la créativité de la fiction réincarne ces êtres dans une autre dimension, celle où on ne meurt jamais autrement que par l’oubli ou le silence du possible lectorat. Retardons-le en visitant les pages de cet authentique carnet.

mercredi 18 octobre 2017

Caroline Vu
Palawan<
Montréal, Pleine lune, 2017, 358 p., 27,95 $.

Se souvenir : entre mémoire et imaginaire

Après Un été à Provincetown, Caroline Vu nous propose un nouveau récit dont la trame relate une histoire d’introspection dont l’héroïne, qui est aussi la narratrice, mène à bien la quête.
Hué, ancienne capitale impériale du Vietnam. Kim, âgée de 15 ans, traverse une adolescence tumultueuse, les rapports avec sa mère étant chicaniers. Une nuit, cette dernière la réveille et elles quittent la ville sur la pointe des pieds en direction du village des lépreux où les attend un vieil homme qui les amène sur la plage pour s’embarquer sur un rafiot. Étonnée, Kim monte seule à bord craintive, mais d’apercevoir tatie Hung et sa fille Titi, des voisines, la rassure. Que se passe-t-il durant ce voyage dont elle n’a que des flashes qui l’effraient? Kim range cette question dans sa mémoire avec les non-dits et les demi-vérités accumulés depuis la disparition de son père à la chute du pays.




Palawan, le camp de réfugiés, est un passage obligé devant mener en terre d’accueil d’Europe ou d’Amérique. Kim en raconte la vie quotidienne et ses aléas, cette attente, toujours trop longue, étant devenue un jeu où le rêve d’un avenir meilleur stimule l’imagination. Elle fait la connaissance du Dr Jacques, un médecin français engagé dans la mission de Médecins sans frontières, qui la reçoit lorsque la maladie la frappe durement; plus tard, il lui demande de travailler comme interprète au dispensaire, car lui et l’infirmière philippine ignorent le vietnamien.
C’est là que Kim rencontre un agent d’immigration états-unien qui s’intéresse à sa situation. Or, c’est grâce à cet homme et à un quiproquo sur son nom qu’elle est prise en charge par un programme communautaire états-unien et qu’elle est reçue par Mary, sa famille et la population de Derby, une petite ville du Connecticut. Le choc culturel entre son éducation et son séjour dans le camp de réfugiés est grand. Elle est bouleversée par une telle gratuité de sentiment et de sympathie. Surtout qu’elle peut lire et étudier à volonté. Élève brillante et studieuse, ses succès scolaires lui permettent de recevoir des bourses et de poursuivre ses études dans la discipline de son choix. C’est ainsi qu’elle décide de faire médecine et elle demande d’aller à l’Université McGill, au Canada.
Nous suivons Kim à Montréal durant ses années d’études et de stages en compagnie de ses consœurs de résidence venues des quatre coins du monde. À la même époque, elle se lie d’amitié avec Claude, son « fantasme francophone », avec qui elle en vient à s’installer. N’ayant pas vraiment pris de repos depuis son arrivée en Amérique, sa directrice de stage lui conseille de faire une pause, car elle donne des signes de surmenage. Kim et Claude décident alors de partir pour la Californie. À L.A. où il y a une grande communauté vietnamienne, elle retrouve son amie Titi et tatie Hung. C’est au cours d’une conversation avec cette dernière qu’elle lui confie que sa mère l’avait chargé de veiller sur elle, mais elle refuse de raconter ce qui est survenu durant la traversée malgré son insistance.
De retour à Montréal, la relation de Kim et Claude s’étiole. Lorsqu’elle décide de retourner à Palawan, Claude refuse de la suivre, espérant qu’elle règle ses comptes avec son passé qui mine son existence et leur vie de couple.
Le camp de réfugiés est maintenant un village où Kim, devenue médecin, rencontre les « damnés de la terre », surtout de nombreux enfants abandonnés. Les confidences que lui font des jeunes femmes comblent un peu le vide de sa propre histoire.
Elle traverse ensuite, Hô Chi Minh-Ville, le Saïgon de son enfance, en direction de Hué, sa ville natale. Elle y retrouve monsieur Son, son professeur. Le sage vieillard a reçu les confidences de tous et répond, sans l’épargner, à ses interrogations sur son père, sa mère et tatie Hung. Sa mère, lui apprend-il, est hébergée dans une maison de retraite et souffre de la maladie d’Alzheimer. Kim y accourt, mais sa mère ne la reconnaît pas. Elle revient plusieurs fois à son chevet sans que le contact s’effectue vraiment; elle lui dit comprendre pourquoi elle a été aussi sévère avec ses enfants et qu’elle ne lui en veut pas.
Kim rentre en Amérique, en faisant halte à Derby pour saluer Mary, celle qui fut plus qu’une mère adoptive. À Montréal, elle renoue avec Claude.
Caroline Vu relate, dans une langue sans fard ni exagération, la vie des victimes de la guerre du Vietnam, de ses horreurs, dont le napalm sur la population et le massacre de civils à My Lai par les G.I., et la vie dans un camp de réfugiés. Quelle différence y a-t-il entre la réalité et le souvenir des témoins, sinon ce que l’imagination a échafaudé pour calmer ou oublier sa douleur?

mercredi 11 octobre 2017

Denis Duquet, Gabriel Gélinas, Marc Lachapelle et Daniel Melançon
Le Guide de l’auto 2018
Montréal, L’Homme, 2017, 720 p., 34,95 $.

L’ADN vroom, vroom, vroom

Mon père, décédé il y a 20 ans, m’a entre autres transmis le sens du devoir, le goût du travail bien fait et sa passion de l’automobile. Cette dernière ne m’a jamais quitté et je dis souvent qu’un voyage à l’étranger, c’est l’occasion de mettre à jour mon répertoire des plus récents modèles. Ici, c’est d’abord en me plongeant dans Le Guide de l’auto que je nourris mes rêves les plus fous, même en sachant que je n’ai plus l’ambition de les réaliser. Qu’importe!




Voilà donc que m’arrive Le Guide de l’auto 2018  et que je m’en suis fait un banquet pour assouvir mon appétit insatiable pour ces rutilantes qui font vroom, vroom, vroom. Comme le rappelle la couverture, l’annuel en est à sa 52e parution. J’avais donc 18 ans quand l’ouvrage est entré à la maison familiale pour ne jamais en ressortir, mon père les collectionnant.
Autrefois, une minuscule équipe autour de Jacques Duval préparait la recension des derniers modèles. Aujourd’hui, ce sont 12 spécialistes qui font ce travail, entre autres Jean-François Guay, mon collègue chroniqueur au Canada français dont nous pouvons lire les excellents articles semaine après semaine. Pour le commun des mortels, cela peut sembler trivial de se balader dans des véhicules de l’année, en changeant régulièrement de modèle et de marque, ou en participant à des rencontres de presse en Californie, en Allemagne ou ailleurs sur la planète. Ce ne l’est pas, j’en suis sûr, car il ne faut jamais perdre l’esprit critique et même l’affuter d’un essai à l’autre.
Ce qui m’étonne et me ravit chaque année, c’est tant la qualité des rubriques que celle de leur aspect visuel. Certes, il y a beaucoup de photos, essentielles aux amateurs ou aux futurs acquéreurs, mais il y a surtout des analyses avec juste ce qu’il faut d’observations critiques et des fiches techniques plus pointues pour satisfaire l’ensemble des lecteurs, les accompagnant parfois jusque chez les concessionnaires. J’ai souvenir qu’il a fallu du temps et du travail pour élaborer un modèle type de présentation, tout en gardant une marge de manœuvre pour tenir compte, d’une année à l’autre, de l’offre des manufacturiers, des tendances du marché et des goûts des consommateurs.
Il y 52 ans, on salivait à la seule pensée d’un gros cylindré et à la surabondance des chromes dont on les paraît. Aujourd’hui, le nombre d’usines à travers le monde a décuplé, tout comme l’offre de marques et de modèles. Pensons à tous ceux venus d’Asie et d’Europe, aux changements des goûts et des habitudes du côté des États-Unis et on constate qu’il y a place à des transformations et que l’avenir est prometteur.
Parmi les perspectives actuelles, il y a les hybrides, les tout électriques et les autonomes. En parcourant Le Guide de l’auto 2018, j’ai été attentif aux autos peu polluantes et les modèles offerts. Soyons vigilants, car le tout électrique n’est pas nécessairement synonyme de non-polluant selon la façon de produire l’électricité, l’hydroélectricité n’étant pas l’apanage de tous les pays.
Je peux aussi faire la liste des VUS à la mode et des nouveaux modèles sous-compacts qu’ils inspirent et qui ne cessent de se multiplier. On dit même que les fabricants qui offrent déjà des VUS rallieront les rangs en commercialisant bientôt leurs propres sous-compacts.
L’édition 2018 de ce livre de référence, qui n’est pas le seul publié au Québec, propose à nouveau des matchs comparatifs de véhicules de même famille. Ainsi, nous pouvons rêver à 4 sportives – dont la Nissan GT-R et Corvette Grand Sport –, à 7 hybrides rechargeables – dont les Ford Fusion et C-Max Energi –, et pas moins de 11 VUS compacts – dont la Mazda CX-5, la Hyundai Tucson et sa sœur la Kia Sportage.
Cette recension serait incomplète si je ne soulignais pas les pages consacrées à la Corvette, cette mythique auto sport états-unienne qui en est à sa 65e année d’existence.

Sur ce, bonne route!

jeudi 5 octobre 2017

Marie-Renée Lavoie
Autopsie d’une femme plate
Montréal, XYZ, 2017, 248 p., 24,95 $.

Non au clan des maudites folles

Il a suffi que Josée Bonneville, alors éditrice chez XYZ, s’intéresse à un premier roman et qu’elle l’amène, avec l’auteure, dans sa forme définitive pour que paraisse La petite et le vieux en 2010. Puis, Pierre Foglia, qui s’est toujours défendu d’être un critique mais en a dit grand bien, et la carrière littéraire de Marie-Renée Lavoie a démarré en trombe. Depuis, il y a eu Le syndrome de la vis (2012), un second roman, une incursion en littérature jeunesse avec 4 récits et bientôt un cinquième. Impressionnant? Nul doute, l’écrivaine n’a pas cessé d’imposer un style qui soit bien le sien.




Son nouveau livre, Autopsie d’une femme plate, raconte l’aventure aigre-douce de Diane, une femme de 48 ans que le père de leurs trois enfants vient de larguer pour les beaux yeux de la jeune Charlène. Ne condamnons pas trop vite un scénario archiconnu, usé à la corde, ce serait mal connaître le talent de l’auteure capable de rendre la bêtise humaine intéressante, voire intelligente.
Diane Delaunais, narratrice et laissée pour compte, peut se fier à Claudine, fidèle amie et collègue de travail, pour partager les tourments qui l’assaillent, ce qu’elle croit lorsque la réalité subit la distorsion de ses émotions. Par exemple, quand elle « pète les plombs », pour les mauvaises raisons, ou qu’elle fait le procès de son attitude présente et passée vis-à-vis  Jacques, l’époux en-allé. Le duo Diane et Claudine est criant de vérité, si bien que le drame de chacune verse aisément dans la satire avec une dose de méchanceté à la limite du ridicule.
Il faut savoir que Claudine, mariée à un prof de philo qui lui a préféré une étudiante, a la garde de leurs deux filles, Laurie et Adèle, en pleine crise d’adolescence. La semaine où elle les héberge est l’occasion de joutes verbales épiques. Toute la méchanceté, gratuite ou non, qui émerge des conflits parents-ados est mise en relief de façon caricaturale. Comment pourrait-il en être autrement dans la trame narrative de cette histoire?
Antoine, Alexandre et Charlotte, les enfants de Diane, sont de jeunes adultes pour qui elle se fait toujours du souci, ce qui est dans sa nature. Elle s’inquiète d’ailleurs de l’effet que le départ de Jacques aura sur sa relation avec eux. Et s’ils lui tournaient le dos? Quand l’inquiétude se transforme en peur, les pires scénarios sont redoutés.
Chacun des 21 chapitres du roman illustre un aspect des observations que la narratrice fait sur elle-même dans le contexte de sa rupture amoureuse, de son état de « platitude » qu’elle attribue à son aveuglement volontaire de la détérioration des liens qui l’unissaient à Jacques, accentuée par le départ des enfants. Cela donne lieu à des passages truculents par l’hyperréalisme du récit imaginé par l’auteure, vocabulaire « catholissime » en prime.
On a ainsi droit à quelques séances de démolition de mobilier, de trous percés dans les murs ou d’autres exutoires. Que dire de Blanche, son ex-belle-mère, qui vient lui faire la leçon ou du voisin retraité qui coupe le gazon le samedi et réveille tout le quartier? Sans oublier les dialogues animés et loufoques de Diane et Claudine réglant le sort du monde en échafaudant d’invraisemblables solutions, tout en éclusant vin ou de mousseux devenus leur « solution temporaire ».
Ceux que Diane aime lui offrent leur soutien, mais, un malheur n’arrivant jamais seul, deux événements l’obligent à sortir de la léthargie dans laquelle le départ de Jacques l’a fait plonger. Quels vilains tours va encore lui jouer le destin?

La littérature sait embellir la laideur du monde, faire du moindre drame une hilarante comédie humaine tout en mettant en perspective ce que l’égoïsme du temps présent nous refuse. Marie-Renée Lavoie l’a bien compris et elle utilise tout son talent et la maîtrise de son art pour attirer le lecteur et retenir son attention du début à la fin. Que demander de plus à une fiction, miroir grossissant de la réalité et dans la fulgurance de son expression?

mercredi 27 septembre 2017

Michel Laurin
La littérature québécoise en 30 secondes
Montréal, Hurtubise, coll. « En 30 secondes », 2017, 160 p., 22,95 $.

Hier, aujourd’hui et peut-être demain

Depuis le Manuel d’histoire de la littérature canadienne-française de l’abbé Camille Baillargeon (1870-1943) en passant par l’Histoire de la littérature française du Québec en trois tomes, un collectif dirigé par Pierre de Grandpré paru en 1967 et 1969, jusqu’à la récente Histoire de la littérature québécoise (Boréal, 2007) de Biron, Dumont et Nardout-Lafarge, tout de notre histoire littéraire me passionne. Au point où je me suis mis à la recherche des plus anciens ouvrages sur le sujet dont certains enrichissent les ouvrages de référence que je consulte très régulièrement. Vous comprendrez alors que c’est dans cet état d’esprit que j’ai reçu La littérature québécoise en 30 secondes (Hurtubise, 2017) du professeur Michel Laurin.




Connaissant bien la collection «… en 30 secondes» pour avoir recensé plusieurs de ses titres, j’étais curieux du ton que l’auteur allait adopter pour guider ses choix éditoriaux, surtout qu’il est seul à réaliser ce projet, alors que les autres ouvrages sont généralement le fruit d’un travail collectif dirigé par un spécialiste en la matière.
Après une première lecture faite en tant qu’observateur de notre littérature depuis plus d’un demi-siècle, je suis revenu sur les 62 articles qui composent le livre en m’imaginant dans la peau d’un lecteur francophone étranger à notre culture ou non. Je rêvais ainsi de voir l’ouvrage en vitrine de la Librairie du Québec à Paris, attirant la curiosité des passants. Cette relecture attentive m’a offert une tout autre perspective.
Nicolas Dickner, un écrivain de la génération des 30-40 ans au talent récompensé, signe la préface où il note avec perspicacité que « Depuis les écrits de la Nouvelle-France jusqu’aux tournois de slam, notre littérature semble avoir eu la faculté de se réinventer de génération en génération, comme si chaque époque n’était pas l’écho persistant de la précédente, mais constituait plutôt une période distincte, neuve. » Voilà, je crois, une observation d’ordre sociologique qui s’applique à d’autres domaines de notre culture, le Québec ayant souvent fait des volte-face spectaculaires au cours de son histoire. Pensons seulement à l’omnipotence de l’Église catholique réduite presque à rien en une décennie.
L’auteur Laurin a organisé le riche corpus en six époques : les écrits de la Nouvelle-France (1534-1760); la gestation de la littérature canadienne-française (1760-1900); l’utopie de la terre revue et corrigée (1900-1945); la littérature affranchit de sa tutelle (1945-1960); le pays littéraire (1960-1980); une littérature postnationale (depuis 1980).
Pour chaque période, comme le veut la collection, il a choisi une ou un auteur dont il rappelle les temps forts de la carrière tout en faisant un bref commentaire critique de l’œuvre. Il a ainsi choisi de mentionner Marie de l’Incarnation, Arthur Buies, Émile Nelligan, Anne Hébert, Jacques Ferron, Marie-Claire Blais, Jacques Poulin et Dany Laferrière. Certes, d’autres écrivains auraient pu faire partie de ce palmarès, mais, dans l’esprit de la didactique du livre, je comprends que M. Laurin ait élu ceux-ci.
J’aurais toutefois aimé qu’il précise ce qui marque le passage de la littérature canadienne-française à la littérature québécoise, tout en rappelant que les auteurs francophones hors Québec sont nombreux et qu’ils sont parvenus à se créer un espace éditorial, une institution littéraire qui leur est propre.
Cela dit, le lecteur étranger qui connaît peu ou prou la littérature québécoise trouvera dans ce «… 30 secondes» un panorama juste de notre histoire littéraire. Il pourra prendre en note le nom des auteurs dont les ouvrages sont susceptibles de l’intéresser. Il pourra aussi parfaire ses connaissances en consultant la brève liste des références bibliographiques et les différents index du livre (noms propres, œuvres, magazines et journaux, personnages). Encore là, les choix de l’auteur se défendent, mais je crois quelques ouvrages généraux auraient mérité d’y figurer, dont le titre de plus d’anthologies.

Ne reste qu’à souhaiter que La littérature québécoise en 30 secondes soit non seulement largement diffusé, mais qu’il soit bien accueilli ici et ailleurs en francophonie.

mercredi 20 septembre 2017

Lise Demers
Gueusaille
Montréal, Sémaphore, 2017, 204 p., 20,99 $.

Il n’y a pas de petits plaisirs

Est-il possible qu’une fiction, parue il y a près de 20 ans, n’ait pas pris une ride, l’âme humaine ne vieillissant pas aussi rapidement que le corps qui la transporte? Ce fut-là ma première impression en lisant Gueusaille, un roman de Lise Demers paru en 1999 chez Lanctôt, une impression devenue une certitude au fur et à mesure du déroulement de l’action et des péripéties.




Au cœur de ce récit, deux femmes au destin tragique : Olga, une immigrée russe, et Denise, une Québécoise. Elles se croisent alors qu’elles font la manche dans un coin d’une ville, suggérant que leur existence a un jour coulé à pic tel un bateau qui chavire. Elles ont en commun d’être libres, ou d’en donner l’illusion. Cependant, l’une n’est pas recluse dans l’isolement d’une clocharde, n’a pas peur d’affronter quiconque s’en prend à elle, car elle s’est créé sa propre société. L’autre, Denise, vit en solitaire et fuit ses semblables sans être véritablement misanthrope. Bref, chacune vit sa réclusion selon sa personnalité, laquelle est révélée du page à l’autre du roman.
La leader, c’est Olga, à la fois mystérieuse et urbaine, qui fait de la récupération dans les rebuts et chez des restaurateurs devenus ses amis. Elle sait mettre à profit son travail qu’elle considère comme un véritable emploi, un mode de vie honorable contraire de la mendicité.
C’est plus compliqué pour Denise. Elle est toujours sur le qui-vive, et elle fuit à la moindre contrariété. Malgré tout, elle se laisse apprivoiser par Olga avec qui elle s’associe pour faire fructifier leurs trouvailles parmi ce qui leur est offert au gré de leur quête quotidienne.
À ce drôle de couple se joint le clan des Russes que fréquente Olga. Il y a aussi le philosophe, un SDF avec lequel elle aime discuter dans son squat, un homme de grande culture que la bêtise humaine a rendu solitaire. Il y a aussi François, un autre écorché qui vit dans sa vieille auto et qui voudrait bien venir en aide aux deux femmes.
Toute cette smala dont chacun des membres est, à sa façon, un archétype du genre humain, avance à pas discordants, donnant parfois l’impression d’être sur le point d’imploser et, d’autrefois, soulignant le meilleur de l’humanisme des êtres.
De la rencontre d’Olga et Denise, des liens qu’elles tissent entre elles, en passant par les rencontres auxquelles Olga oblige Denise pour la sortir d’un isolement total dans lequel elle s’est murée, de la venue de François dans la vie des deux femmes et du compagnonnage que les trois pratiqueront dans un projet de mobilier recyclé, des amitiés d’Olga et de leur rapport avec Denise, de la camaraderie de François avec elles à l’affection qui se développe entre lui et Denise : voilà qui résume la trame de Gueusaille.
L’équilibre fragile de cette famille bancale est mis en péril par la mort d’Olga dans des circonstances tragiques et l’arrivée de l’inspecteur Arsenault. Spécialiste des incendies criminels, le policier est un personnage aussi mystérieux qu’Olga, Denise et leurs camarades dont on découvre, en filigrane des péripéties, les aléas de la vie qui ont mené le policier là où il en est.
Gueusaille est plus que le récit d’un drame psychosocial mettant en scène des écorchés. Ce roman est une analyse de ce qui a mené à la dérive de ces gens et de la façon dont chacun, chacune finit par s’en tirer. Il y a des moments drôles et d’autres plus tristes, mais toujours cette bataille individuelle pour protéger une liberté chèrement acquise, par choix, par obligation ou par déraillement incontrôlable.

Lise Demers a eu raison de rééditer ce livre, car il n’a rien perdu de ses qualités narratives qui en font un roman dans la grande tradition du genre. Quant à l’acuité sociale de la trame, elle est criante de vérité, hélas toujours la même sinon pire pour les laissés-pour-compte qui sont de plus en plus nombreux.

mercredi 13 septembre 2017

Danielle Dubé et Nicole Houde
Entre toi et moi, haïkus
Montréal, Pleine lune, 2017, 100 p., 20 $.

Le haïku, un art de vivre

Deux auteures décident un jour de mettre leur amitié, leur talent et leur art en commun, au service de la poésie que l’air du temps leur inspire. Une seule règle, à respecter, sans vraie contrainte, celle du haïku, ce « petit poème japonais dont les premier et troisième vers ont cinq syllabes et le deuxième sept ». Leur collaboration a ainsi pris la forme du recueil intitulé Entre toi et moi.




Danielle Dubé raconte, dans le prologue, l’origine du projet alors qu’elle et Nicole Houde avaient « besoin d’une pause » après avoir terminé l’écriture d’un ouvrage. Il a suffi de voir un monarque « comme mort » sur le sable, que D.D. lui redonne son envol tout en douceur pour qu’un « éclat de soie jaune ocellée de noir dans l’azur » et que surgisse un premier poème. « Peu à peu, le haïku est devenu pour nous deux un art de vivre, une façon de demeurer attentives, de libérer un regard souvent absorbé par la pensée, la réflexion ou l’écriture d’un roman. »
Ce mode de vie, c’est une façon d’appréhender des fragments du quotidien et de les traduire par une forme molle de poésie, comme les montres de Dali, d’où surgit toute l’ampleur du moment. C’est là, à mon avis, où éclate la poésie grâce à la simplicité et la puissance des mots choisis pour toutes les avenues que suggère leur évocation.
Puisque les deux poètes habitent, l’une au Lac-Saint-Jean l’autre à Montréal — « J’avais pour toi un lac. Tu avais pour moi un jardin, une corde à linge » —, elles s’inventent des rencontres, mais composent aussi à distance, d’une saison à l’autre. De tenir ainsi compte de quatre espaces temporels de la nature me semble idéal, car ce ne sont pas que les grands traits qui marquent le visage de la terre de janvier à décembre que leurs haïkus saisissent, mais aussi – j’allais écrire surtout – la lumière du jour que souvent seul l’œil attentif du poète peut saisir, mieux que toute autre image complaisante.
Les auteures nous font partager leur voyage saisonnier en commençant par le printemps espéré, cette renaissance de la nature si importante pour nous, parce qu’attendue dans la froidure de mars et les relents de l’hiver. C’est alors que Nicole Houde remarque « une corneille bouge / sur le faîte d’une épinette / soleil noir du midi », pendant que Danielle Dubé respire le « magnolia en fleurs / tremblant sous la brise / un parfum du ciel ».
Cette dernière, l’été venu, note qu’« au matin / mon ombre me précède / le soir, elle me poursuit », alors que son amie, de « retour à Montréal / ma main se pose sur le dictionnaire usé / mon vieil ami », observe « sur la nappe orangée / la tête renversée de mon chat / on dirait une fleur noire ». Ce sont de bons exemples de poésie, cet art par excellence des mots, dont le regard posé sur ce qui peut sembler banal transforme en images singulières.
Lorsque passe l’automne, toujours trop bref, Danielle Dubé évoque qu’un « matin de brume / ciel et mer se confondent / nous également » et Nicole Houde, qu’« un vieil homme passe / derrière un treillis / puzzle des arrière-cours ». Puis, l’hiver s’amène « au bord du lac / de grands nénuphars glacés / œuvre du froid » que l’une ressent et que les « trottoirs menaçants / les vieillards avancent / à petits pas » passent sous les yeux de l’autre.
Nicole Houde est décédée en février 2016, avant la parution d’Entre toi et moi que son amie a menée à terme, y ajoutant quatre encres acryliques de Carol Lebel, poète et peintre qui lui a donné « le goût du petit genre [celui du haïku] pour traduire l’immuable, le fugitif », dont les couleurs magnifient le sens des saisons.

Ce recueil évoque pour moi Vivaldi et ses quatre saisons dont chacun des mouvements est un hymne au rythme immuable de la vie ou qu’on voudrait parfois ainsi.

mercredi 6 septembre 2017

Alain Rey
L’amour du français : contre les puristes et autres censeurs de la langue
Denoël, 2007
Points, coll. « Le goût des mots », 2009, 320 p., 14,50 $

Au-delà des frontières

Le 29 avril dernier, j’assistais à une rencontre d’écrivains français et québécois ayant participé à l’aventure d’Une incorrigible passion (Fide, 2016), un essai collectif mené de main de maître par Jo Ann Champagne. L’événement s’est déroulé à la Libraire du Québec à Paris, au 30 Gay-Lussac, non loin du Panthéon et des Jardins du Luxembourg. Les invités racontaient, à tour de rôle, l’importance du livre dans leur vie personnelle et professionnelle, résumant ainsi leur point de vue exprimé dans le collectif.




Parmi eux, il y avait Alain Rey – prononcé Rè –, le père du dictionnaire Robert contemporain, mais aussi d’un nombre impressionnant d’ouvrages traitant de la langue française et d’autres sujets connexes. Né le 30 août 1928, l’honnête homme n’a rien perdu de sa verve et son flot verbal est tout sauf ennuyant. Si bien que je n’ai pu quitter la librairie sans me procurer L’amour du français : contre les puristes et autres censeurs de la langue, histoire de mettre en contexte ses interventions aussi pertinentes qu’à-propos et de pérenniser cette rencontre.
Comment résumer l’histoire de la langue française, de ses origines à nos jours, présentée sous le regard acéré et amusé de l’un des plus éminents linguistes et lexicographes du 20e siècle, sinon qu’en retenant ce passage : « Il nous semble parfois que les sociétés riches, industrielles, dramatisent à l’excès leurs problèmes, parlant de "crise" ou prévoyant même la mort prochaine de la langue, alors qu’il ne s’agit que d’un ajustement nécessaire, normal, évolutif et toujours à reprendre. »
On comprend ainsi qu’il est normal qu’une langue, ici le français, utilisée par un nombre relatif de locuteurs soit en mouvement constant et surtout qu’elle soit capable de s’adapter aux réalités vécues par ceux-ci. C’est quand ce mouvement cesse qu’elle s’étiole, parfois jusqu’à ce que mort s’ensuive. Inquiétons-nous, par exemple, de la réduction du pourcentage de citoyens dont le français n’est pas la langue maternelle ou pour qui elle n’est pas la première source de communication.
Or, la langue française a depuis ses origines – très bien racontées par A. Rey dont on apprécie la vastitude de l’érudition page après page – vit une véritable quadrature du cercle: être la même à l’oral qu’à l’écrit. J’ajoute à ce dilemme : elle doit aussi être « identique » partout sur la planète où se trouvent ses locuteurs. La difficulté n’est pas tant le vocabulaire, les mots, mais leur organisation des locutions aux idiomes, voire à la grammaire.
Lorsque le Richelieu créa l’Académie française en 1634 sous Louis XIII, la langue française n’était pas alors au même stade d’implantation sur tout le territoire français. C’est ce qui a fait dire à Jean-Claude Germain que c’est au Québec que le français n’a pas eu d’autre choix que de s’implanter avec l’arrivée des colons. Or, l’Académie a évolué sans perdre de vue sa mission de «standardiser» l’usage de la langue, entre autres par son dictionnaire, le premier paru en 1694 et le neuvième étant en préparation depuis des lustres. Ne devrait-elle pas se «moderniser» en tenant compte des réalités territoriales différentes d’un pays à l’autre où le français est la langue maternelle, sinon officielle?
Cette lecture et ce que j’y ai appris me fut une véritable épiphanie, une «prise de conscience soudaine et lumineuse de la nature profonde» de la bien nommée langue maternelle et de l’importance qu’elle a sur ma vie quotidienne, personnelle et professionnelle.

L’amour du français: contre les puristes et autres censeurs de la langue, j’en conviens, n’est pas un livre de chevet, mais la rigueur de l’étude ne doit pas rebuter ni freiner notre lecture. On peut poursuivre ce voyage initiatique en parcourant À mots découverts et Encore des mots à découvrir, d’inspirantes capsules linguistiques tirées d’une émission radio quotidienne tenue par Alain Rey au début des années 2000.