mercredi 26 janvier 2022

Iain Zaczek (dir.)

Toute l’histoire de l’art de la préhistoire à nos jours

Montréal, Hurtubise, 2021, 288 p. 34,95 $.

Œuvres immortelles au temps de l’éphémère

Mon premier ouvrage portant sur l’histoire de l’art fut l’édition de 1966 de History of art : A Survey of the Major Visual Arts from the Dawn of History to the Present Day, écrit par H. W Janson, une sommité à qui on reprocha plus tard sa misogynie, car son livre passe sous silence le travail des femmes artistes. J’en ai fait l’achat, en 1968, dans le cadre d’un cours sur ce sujet donné par le Père Maximilien Boucher csv, professeur d’art et lui-même un grand artiste. La particularité de l’enseignement de ce docte consistait à nous faire littéralement toucher aux différents moyens d’expression artistique en nous obligeant à réaliser un projet à chaque étape de son programme.

Par la suite, je me suis toujours intéressé aux monographies consacrées aux beaux-arts dans leur ensemble et à celles qui racontent la vie et l’œuvre d’artistes peintres, sculpteurs, architectes, designers et autres. Au fil des ans, des visites de musées, ici et en Europe, ou d’expositions thématiques, je me suis constitué une modeste collection qui me permet d’observer à volonté quelques-uns des chefs d’œuvres mondiaux.

Je dois ici préciser que j’ai horreur des visiteurs qui font un marathon à travers les salles d’un musée, photographiant à gauche et à droite des œuvres qu’ils oublieront dans leur cellulaire sans avoir profité du moment de grâce devant ces toiles ou ces sculptures. Pour moi, profiter pleinement des collections des grandes institutions muséales ou des expositions temporaires sont des moments de plénitude que je peux prolonger dans le calme domestique grâce aux remarquables monographies qu’on peut s’y procurer.

Le plus récent livre sur ce sujet inépuisable qui me soit parvenu s’intitule Toute l’histoire de l’art de la préhistoire à nos jours et il a été écrit sous la direction d’Iain Zaczek. Ce dernier est un historien de l’art Anglais et il a publié seul ou avec d’autres de nombreux livres. C’est d’ailleurs grâce à l’ouvrage Le grand livre de l’art (Gründ, 2007) écrit par David G. Wilkins auquel Zaczek a collaboré que j’ai connu son travail. Il y a d’ailleurs certaines similitudes entre les deux livres, celui dirigé par Wilkins proposant d’abord une chronologie de l’art, puis s’intéressant à 21 thèmes qui y sont associés; par exemple, l’art du portrait, la vie domestique, le corps, la ville, etc.

Ce qui distingue l’ouvrage paru chez Hurtubise, c’est qu’il privilégie l’ordre spatiotemporel, la chronologie générale. Cela permet une mise en contexte historique tant de la présence et des réalisations des artistes à leur époque que d’autres préoccupations dont l’arrivée de nouveaux matériaux marquant l’évolution des arts. Par exemple, l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris a rappelé le trajet historique que sa construction a emprunté au niveau des matériaux, des changements dans les façons de faire et de l’évolution constante des valeurs qui motivaient l’érection d’une telle église.

En introduction, Zaczek note qu’« aucun artiste ne peut totalement s’affranchir de son époque. L’œuvre d’art la plus ésotérique reste affectée, au moins en partie, par l’environnement dont elle est issue, même si l’artiste a fait de son mieux pour la séparer de la nature et de l’expérience humaine. » J’ajoute que cela s’applique tant aux œuvres elles-mêmes qu’à celles et ceux qui se les approprient en les regardant, les lisant, les écoutant et je ne sais quoi d’autre. On en revient toujours aux notions de temps et d’espace.

Toute l’histoire de l’art de la préhistoire à nos jours emploie deux coordonnées, celle de la chronologie et celle de l’esprit artistique qu’il a cours à chaque époque. Les détails sont précédés d’un survol historique relatant tant la dimension sociopolitique que les divers facteurs qui ont contribué aux créations artistiques et, il va de soi, chacune des ères est illustrée d’œuvres significatives. Je précise ici que ce qui est significatif en art, quelle qu’en soit l’expression, peut varier dans le temps, l’espace et les valeurs artistiques de chacun. Zaczek réussit assez bien à respecter une certaine unanimité de la critique artistique actuelle.

Cinq époques sont identifiées, présentées, discutées et abondamment illustrées. Il y a ainsi l’Antiquité et le Moyen âge (30 000 av. J.-C. à l’an 1400 de notre ère). En introduction à cette première époque, l’auteur écrit : « Les anciens n’auraient probablement pas été impressionnés par la plupart des formes d’art moderne. En effet, les notions d’expérimentation et d’expression individuelles leur auraient semblé très étranges, l’art étant avant tout fonctionnel dans la plupart des sociétés primitives. Il est produit dans un but précis et, bien souvent, lié à la religion. » Parmi les œuvres illustrant ces années, on retrouve les peintures rupestres de Chauvet en France; on peut aussi penser à la ville de Pompéi dont on n’a pas encore fini d’explorer les secrets. Je retiens aussi la toile quasi surréaliste de Jérôme Bosch « L’enfer » (vers1500).

Suit l’époque de la Renaissance et l’époque Baroque (1400 à 1700), la première évoquant un renouveau « des valeurs et des styles culturels dans l’Italie du XIVe siècle, qui s’étendra ensuite aux autres régions d’Europe. Parmi les artistes de cette ère, comment oublier les personnages atypiques de Giuseppe Arcimboldo, ceux de Brueghel l’Ancien ou encore du Français Nicolas Poussin et de Vermeer.

La troisième époque présentée est celle de l’époque du Rocco et du Néoclassicisme (1700 à 1800). La première fait référence à une surcharge dans le décor artistique en réaction au baroque alors que la seconde marque un retour modéré aux formes et sujets plus classiques. Je retiens l’Italien Canaletto et sa toile représentant la place Saint-Marc de Venise, et « La tribune des Offices » où Johan Zoffany évoque la collection du musée des Offices à Florence.

L’époque du Romantisme et au-delà (1800 à 1899) est décrite « comme un mouvement complexe, aux multiples facettes, qui fleurit un peu partout en Europe… Le romantisme se développe d’abord en réaction contre la clarté, la logique et l’ordre des Lumières et du mouvement néoclassique. » Parmi les représentants de ce siècle, je retiens Claude Monet et sa série de toiles représentant des nymphéas, et les mers tourmentées des toiles de Turner.

Nous arrivons enfin à l’ère Moderne (1900 à 2017). « La période précédant la Première Guerre mondiale est l’une des plus fertiles et des plus créatives de l’histoire de l’art, grâce notamment à la liberté nouvelle des peintres qui organisent leur propre exposition. » Les noms d’artistes célèbres s’accumulent ici, peut-être par leurs nombreuses œuvres remarquables, mais aussi par une originalité constamment renouvelée au fil des mouvements qu’ils instaurent ou auxquels ils se joignent. Je pense à Munch, Klimt, Picasso, Dali, Magritte, Hopper, Warhol ou Bansky

Toute l’histoire de l’art de la préhistoire à nos jours est à la fois une visite guidée d’un musée imaginaire où on peut admirer des œuvres devenues intemporelles par leur importance sur l’évolution de leur genre autant que celle des sociétés occidentales. Comme lors de toute visite de ce genre, l’auteur a choisi les œuvres illustrant son propos et ce doit être ainsi si on ne veut pas s’égarer dans un flot de toiles. C’est pourquoi il vaut mieux de consulter plusieurs ouvrages pour s’instruire et s’éduquer sur le merveilleux monde des beaux-arts.

mercredi 19 janvier 2022

Christian Guay-Poliquin

Les ombres filantes

Saguenay, La Peuplade, coll. « Roman », 2021, 344 p., 26,95 $.

Se fondre dans le paysage

L’écrivain Christian Guay-Poliquin aurait-il réussi à créer des récits dont la trame va au-delà de l’espace-temps et de tout ce qui l’encombre, incluant l’humain et son imparable instinct grégaire? Alors que paraît Les ombres filantes où renaît ce narrateur dont on suit le périple vers d’improbables destinations depuis Le fil des kilomètres (2013) et Le poids de la neige (2016), j’ai la nette impression d’être en apesanteur au-dessus d’un scénario qui se déroule sous mes yeux, ce qui me permet de mieux observer et de comprendre sa quête d’une quelconque pierre philosophale terrée à travers les éléments fondamentaux que sont l’air, le feu, l’eau, la terre.


Réglons une chose tout de suite : il n’est pas nécessaire d’avoir lu les romans précédents, chacun ayant ses propres repaires et ne partageant que le narrateur – appelons-le Christian –, sa parentèle, ses états d’âme et son état de santé. L’auteur fait les rappels nécessaires à la compréhension d’un détail de la fresque qu’il est en train de peindre sous nos yeux.

Les ombres filantes compte trois parties, chacune introduite par un préambule évoquant l’horizon du thème qui y sera développé. Il y a ainsi la forêt, la famille et le ciel. Le récit reposant sur une suite de mouvements tels ceux d’une pièce musicale, ils se comptent d’abord en heures, puis en jours et, enfin, en instants. Guay-Poliquin fait fuir la ligne d’horizon comme un peintre d’un coup de pinceau ou de spatule. Par exemple, quand le héros marche en forêt – laquelle est à mon avis un personnage en soi sans qui l’histoire serait impossible –, il peine à imaginer le bout de la route qu’il veut rejoindre, à se demander s’il le veut vraiment.

Le narrateur porte les séquelles d’une blessure au genou mal guérie, ce qui ralentit son pas. Il évite les sentiers ou les pistes carrossables fréquentés par ses semblables à l’endroit desquels il a développé une certaine misanthropie depuis qu’ils ont fui la ville après une panne majeure d’électricité qui perdure et épaissit le jour autant que la nuit, mais surtout qui assombrit ou fragilise la mince couche d’humanisme des êtres. Il s’embarrasse de peu lorsqu’il prend la route à destination du camp de pêche de sa famille où il a passé de beaux jours de son enfance et où il croit rejoindre ses oncles, ses tantes et leur progéniture : « Mis à part ma carte, ma boussole, ma bâche et mon sac de couchage, je ne traîne plus que de la nourriture et de l’eau. »

Les premières journées en forêt s’avèrent plus difficiles que prévu. Elles sont aussi l’occasion de faire un retour sur les années passées à réparer toutes sortes de véhicules moteurs si loin de sa petite enfance. Le troisième, ou était-ce le quatrième jour, alors qu’il fait les premiers pas incertains, la voix d’un enfant lui demande : « Pourquoi tu boites? » Il croit rêver, mais c’est bel et bien un garçon d’une douzaine d’années qui l’interroge.

Débute alors une quête qui ne faisait pas partie du scénario initial du marcheur solitaire, car, l’arrivée d’un compagnon improbable, qui se nomme Olio finirons-nous par apprendre, change ses plans plus d’une fois, l’impétuosité du gamin l’y obligeant.

Outre l’effort des kilomètres marchés quotidiennement, il y a la nature à observer jusque dans les moindres détails des arbres, des plantes, des roches, des plats, des vals ou des monts. Tout en lisant ce que l’environnement lui dicte, Christian tente d’en instruire son jeune compagnon. L’enfant n’est pas très réceptif, semblable à un jeune chien courant de tout bord tout côté, semant parfois l’inquiétude chez son aîné. Ce dernier a peu ou pas d’ascendant sur lui, c’est à peine s’il réussit à lui faire raconter d’où il vient et comment il s’est retrouvé seul en forêt. Même les confidences qu’Olio lui fait par bribes, certaines discordantes, le laissent perplexe. Quelle est la vérité, se demande-t-il?

Autant le paysage est luxuriant, autant les gens qu’ils rencontrent sont secs d’émotions comme si la fuite des villes leur avait arraché la conscience et le cœur. Olio perçoit instinctivement leur déshumanisation et n’hésite pas à mentir chaque fois que cela fait son affaire et, malgré tout, celle de son compagnon de route.

La description n’est pas une figure de style antédiluvienne et elle peut être aussi animée qu’au temps de Balzac ou Zola qui instruisaient leurs lecteurs de fragments de la vie en société qu’ils ignoraient. Guay-Poliquin, lui, fait de la description une figure technicolor lui permettant, notamment, de tenir ses lecteurs en haleine entre chaque péripétie durant lesquels le narrateur et l’enfant traverses de vastes espaces où la nature montre ses plus belles et ses plus arides faces, faisant halte uniquement lorsque nécessaire, notamment lorsqu’ils arrivent à ces îlots d’humains en débiscailles.

La deuxième partie du roman, intitulée « La famille », met en relief la fragilité de rapports entre les membres d’une même fratrie en temps de crise. Le narrateur n’a pas vu ses oncles, ses tantes, ses cousines et leurs enfants depuis longtemps. Ils ne comprennent pas ce que fait Olio dans la vie du neveu et ce dernier ne fait rien pour éclairer leur lanterne, surtout que l’enfant semble généralement faire à sa tête. On comprend que les mois passés isolés ne furent pas faciles à traverser, au point où un oncle a quitté le chalet, et qu’on appréhende l’hiver pourtant lointain.

Le séjour d’Olio et de Christian se déroule du 27 juin au 24 août. La vie quotidienne est organisée autour d’horaire hebdomadaire de travaux essentiels à la survie de cette microsociété, allant de la chasse, de la pêche, de la coupe de bois jusqu’à divers menus travaux selon des besoins occasionnels. La météo et le climat peuvent changer les plans rapidement, une règle que tous doivent respecter. Olio a de la difficulté à ce qu’on lui dicte ce qu’il peut et ne peut pas faire; généralement, il tourne le dos et fait à sa tête, trouvant souvent une explication tarabiscotée pour justifier son action.

La vie en société ne semble pas avoir manqué au narrateur. L’espoir des retrouvailles familiales en se souvenant du grand-père qui a bâti le chalet et des joyeuses vacances estivales d’autrefois tourne en inquiétudes de plus en plus troublantes à cause de conflits larvés et que les griefs s’accumulent jusqu’à tourner aux affrontements bien réels.

Jamais Olio et le narrateur ne s’intégreront vraiment à la communauté, allant d’accommodement en accommodement. Il faut un véritable affrontement, très rude physiquement et moralement, pour qu’ils soient mis au banc de la cellule familiale et que, faisant front commun – Olio et le narrateur s’entendant sur le fond du sujet de discorde –, ils décident de poursuivre leur route vers la côte, leur destination originale.

Un oncle allant aux ravitaillements les amène chez son ami Marchand, celui qui leur fournit l’essentiel en échange des fruits de leur chasse et de leur pêche. Le commerçant les accueille, leur fournit les denrées essentielles pour la suite de leur périple. L’oncle et Marchand leur indiquent sur la carte routière où passer de façon sécuritaire pour se rendre là où ils le souhaitent.

C’est là l’objet de la troisième partie du roman, intitulée « Le ciel ». Les liens entre le garçon et son compagnon, parvenu à percer un peu du mystère que l’enfant a d’abord voulu insondable, se resserrent. Les derniers moments de l’histoire sont faits de fragment de jour en fragment de jour. Le mode de déplacement développé pendant qu’ils étaient en forêt est revenu, à la différence qu’Olio s’éloigne moins fréquemment. Il suffit d’un seul écart pour provoquer un drame auquel le narrateur doit rapidement trouver une solution pour éviter le pire.

La vue d’un petit avion forcé d’amerrir s’avère la possibilité d’une aide inespérée. Christian offre à la pilote de réparer l’appareil à condition qu’elle les amène là où ils trouveront les soins que nécessite l’état de santé du gamin. La négociation se fait rapidement, les travaux mécaniques aussi. Nous voyons ensuite l’avion levé très lentement des eaux du lac comme s’il hésitait à laisser derrière une certaine lourdeur du passé. Après un temps de vol indéfini, le moteur toussote, puis se tait.

Les ombres filantes est à la hauteur des précédents romans de Christian Guay-Poliquin, c’est-à-dire la quête d’une existence qui soit au-delà du superficiel et des aléas improbables que la vie en société impose et dont nous sommes à la fois la cause et les victimes. La poésie avec laquelle l’écrivain nimbe toute l’histoire, comme la brume du matin aperçue quelques fois en forêt, n’a rien d’artificiel. Elle convient tout à fait aux différentes quêtes que le narrateur, et même celles de son compagnon d’infortune, poursuivent comme le yin et le yang de vies parallèles.

En ce début de 2022, l’histoire que ce récit nous fait vivre peut être mise en parallèle à celle que nous traversons depuis près de deux ans. Les combats contre un ennemi souvent incontrôlable que Christian et Olio mènent sont fait de petites victoires toujours à recommencer et d’espoirs jamais totalement assouvis. La liberté qu’évoque lumière au bout du tunnel n’est jamais atteinte parfaitement, mais ils ne perdent jamais de vue ses lueurs.

mercredi 12 janvier 2022

Mathieu Thomas

Ceux dont on ne redoute rien

Montréal, Québec Amérique, coll. « Littérature d’Amérique », 2021, 448 p., 29,95 $.

Voyager dans le temps et le contretemps

Imaginez deux routes parallèles. L’une raconte une histoire contemporaine. L’autre, une semblable sinon la même se déroulant au 19e siècle. Pourtant, il s’agit d’un seul et même récit. Celle d’autrefois est enchâssée dans celle d’aujourd’hui, une mise en abyme. L’une et l’autre s’appuient sur dire la « reconstruction historique fictive à partir d’un fait historique qui aurait eu des conséquences différentes si les circonstances avaient été autres », une uchronie.


Voilà la proposition que nous fait Ceux dont ne redoute de rien, premier roman de Mathieu Thomas. Cette rigueur stylistique va de pair avec les recherches historiques nécessaires au réalisme et à la vraisemblance du récit, alternant d’une époque à l’autre, de personnages ayant vécu jadis à des contemporains fictifs.

En toile de fond, le nationalisme québécois à la Louis-Joseph Papineau (1786-1871) voulant faire obstacle à la création de la Confédération canadienne et à celui évoqué par la fondation d’Option Nationale par Jean-Martin Aussant, le 31 octobre 2011. Pour relier e façon crédible ces deux événements, il y a la découverte inopinée de documents anciens par Édouard Martin et Sandrine Borel, chacun habitant un logement propriété d’une vieille dame peu amène.

Un jour, cette dernière frappe à leur porte pour qu’ils l’aident sur le champ à colmater une fuite d’eau à la cave. C’est durant cette opération, au milieu d’un fatras d’objets hétéroclites, qu’ils découvrent les documents, si bien dissimulés que personne ne doit connaître leur existence, et se les approprient. Ainsi débute le match entre hier et aujourd’hui, entre les recherches d’Édouard et Sandrine, et celles de Charles Sévigny en 1864.

Les fameux documents sont en piètre état, mais Édouard et Sandrine parviennent à les déchiffrer. Cela les amène dans une maison abandonnée, dans les Basses-Laurentides; sur place, ils trouvent d’autres documents dans la paroi d’un vieux foyer.

Pendant ce temps, un siècle plus tôt, nous entrons dans l’imprimerie de Médéric Lanctôt, fervent nationaliste et éditeur du journal L’Union nationale, où circulent ses amis patriotes pendant que son fidèle typographe, Cléophas, travaille malgré le constant va-et-vient. Un jour, le jeune Charles Sévigny vient offrir ses services. Lanctôt le prend à l’essai et le confie au typographe dont il devient l’apprenti.

J’imagine l’ampleur des recherches historiques auxquelles l’auteur s’est livré pour reconstituer le plus fidèlement possible ses personnages historiques. Je pense à Louis-Joseph Papineau, au cœur de la quête qu’entreprend le jeune Charles, mais aussi à Wilfrid Laurier et à d’autres qui ont joué un rôle important dans la mouvance nationaliste opposée à l’union du Haut et du Bas-Canada en une Confédération.

L’élément déclencheur de cette saga survient lorsqu’apparaissent les noms d’Alexis de Tocqueville et de Gustave de Beaumont. « En 1831, [ce dernier] fut chargé par le gouvernement d’aller étudier le système pénitentiaire américain. Il embarqua sur le vaisseau Le Havre avec son ami Alexis de Tocqueville, dont il écrivait à son père : " Il est évident que nos destinées sont et seront toujours communes." Ils passèrent dix mois aux États-Unis. » Or, et c’est là le nœud du roman, les deux Français auraient rencontré secrètement Papineau à Montréal, à la demande de Lamarque, un ancien général de l’Empire désireux de soutenir la montée du nationalisme canadien que la France a abandonné aux mains des Anglais.

Cette rencontre a-t-elle vraiment eu lieu? Les recherches que font le jeune Sévigny à l’époque ainsi qu’Édouard et Sandrine maintenant visent à confirmer ou infirmer l’événement. Chaque volet de ce diptyque respecte la contemporanéité de Charles, ses amis et sa famille, ainsi que celle d’Édouard, ses amis et Sandrine. Chacune des époques raconte le mouvement nationaliste qui a cours, ses heures de gloire et ses déceptions, mais aussi le renouvellement constant du militantisme qui fait renaître tous les espoirs.

Les événements permettront à Charles Sévigny de se rapprocher de son père qui, même devenu aphasique, parvient à lui léguer d’importants documents, alors que les recherches menées par Édouard et ses amis non seulement conforteront leur nationalisme, mais resserreront les liens entre Sandrine et lui.

Et si les découvertes d’un siècle à l’autre étaient les mêmes ou même vraies? Chose certaine, les tribulations et les péripéties dont nous sommes témoins sont habilement racontées et méritent à l’auteur de Ceux dont ne redoute de rien tous les éloges auxquelles son ouvrage a droit.

mercredi 5 janvier 2022

Robert Bernier

Clair-obscur : biographie de Tex Lecor

Montréal, Québec Amérique, 2012, 288 p., 39,95 $.

Allumer les réverbères de l’imaginaire II

Le temps des Fêtes de mon enfance se terminait le 6 janvier, jour de l’Épiphanie ou de la fête des Rois, rappelant la visite des mages Melchior, Balthazar et Gaspard à l’enfant naissant pour lui rendre hommage. À la collation ou au repas, il était coutume de manger la galette des Rois dans laquelle on dissimulait une fève pour que celle ou celui qui la trouvait devienne reine ou roi du jour. En 2022, étant tous en circonvolutions fuyant les frères virus, je vous propose deux beaux livres tant par leur vestimentaire coloré et leur design tout en détail que par la découverte d’univers parfois dans le lointain de notre quotidien, dans des ailleurs dépourvus du poids de l’espace-temps. Cette semaine, accueillez Paul Tex Lecor et Sylvain Daignault.


 Mon épiphanie par-devers Paul Tex Lecor fut jadis la découverte de ses toiles et les émotions qu’elles ont suscitées chez moi. J’anticipais d’avoir en mains Clair-obscur : biographie de Tex Lecor, d’autant plus que c’est l’historien de l’art québécois, Robert Bernier, qui en est le guide.

Paul Tex Lecor est entré dans la vie de nombreux Québécois, d’abord par sa musique de chansonnier distinct de toute la colonie des années 1960, puis par les nombreuses émissions de radio où il s’est révélé un amuseur public de grand talent capable de tirer un sourire, sinon un rire franc, aux plus ennuyeux des gens.

L’univers du parolier Lecor était à mille lieues de ma vie d’ado, semblable à ceux de Claude Dubois. Je pense à « Rue Sainte-Famille » : « Autour de toi / Démolitions, boulevards et boîte à savon / Su’l prétexte d’avancement… » (217) Le biographe a retenu une dizaine de chansons et les a insérées dans son récit selon le thème ou la mise en contexte appropriée.

Avant cette vie sous les projecteurs des médias, le biographe décrit l’ancrage le plus important de Lecor : sa famille. Il y a Henri-Paul Lecorre, son père, son héros et sa Rosalie – lisez et vous apprendrez qui elle est –; sa mère Rose-de-Lima; son frère Jean-Claude et sa sœur Louisette. Notez au passage l’orthographe d’origine du patronyme : Lecorre. Puis, il y a Louise, Loulou, sa seule compagne et leurs trois enfants.

Je ne reviens pas sur sa carrière publique évoquée plus haut, convaincu que le récit qui en est fait rappellera à plusieurs de bons moments de rigolade comme Tex et ses compagnons savaient en créer.

J’ai souligné plus haut les toiles du peintre Lecor et le fait que ce soit Robert Bernier qui signe cette biographie. Le lien est simple : ce dernier a signé plusieurs monographies de peintres québécois, dont Jean-Paul Riopelle : des visions d’Amérique (1997), La peinture au Québec depuis les années 1960 : les frontières imprévisibles (2002) et Miyuki Tanobe (2004). Il a aussi collaboré à Paul Tex Lecor : mon monde pour vous (2013), un album illustré de nombreuses œuvres du peintre.

Or, il s’agit ici d’une biographie plus près de l’album de photos de famille et d’éphémérides glanées au fils des ans d’une vie et d’une carrière qui sont tout sauf ennuyeuses. Bernier en profite pour faire la part belle à la carrière de peintre de Paul Lecor pour qui la pratique de cet art était « une passion qui ne s’éteindra jamais ».

Paul Lecor est entré à l’École des beaux-arts de Montréal en septembre 1951, en même temps qu’Armand Vaillancourt. C’était l’époque du « grand chambardement en peinture », celle de Borduas et du manifeste Refus global (1948). Pourtant, le peintre Lecor était plutôt du côté de « l’école de Henri Julien » (1852-1908), cet artiste dont les toiles s’avèrent une suite de fresques relatant de façon hyperréaliste la vie québécoise au 19e siècle. Les reproductions de toiles de Julien et de Lecor illustrent bien cette filiation. Scrutez les œuvres picturales choisies pour illustrer le livre, particulièrement sa dernière partie, et vous verrez sans aucun doute l’influence de l’aîné sur son cadet. Soyez aussi attentifs aux pages consacrées à « l’art de lire des tableaux », voire de toute autre œuvre d’art, Robert Bernier y donne de précieux conseils pour quiconque s’intéresse à ce vaste sujet et souhaite baliser sa façon d’appréhender l’esthétique d’une peinture.

Chose certaine, la vie de Paul Tex Lecor est tout sauf banale, ce que sa biographie illustre.


Sylvain Daignault

Québec insolite

Saint-Constant, Broquet, 2021, 184 p., 29,95 $.

C’est arrivé chez nous

Je termine ce périple sur la route qui nous amena à la nouvelle année par un chemin de traverse pour le moins distrayant proposé par Sylvain Daignault. Ce dernier nous invitant à découvrir le Québec insolite.


« Saviez-vous qu’on corps momifié a déjà été exposé à la vue de tous durant plusieurs décennies à l’Université de Montréal? Que Maurice Duplessis a déjà accusé les communistes d’avoir fait exploser un pont? Que le premier service organisé de livraison de nourriture par un restaurant a été inventé par une chaîne de rôtisseries bien connue? Qu’un espion allemand plutôt maladroit a débarqué en Gaspésie en 1942? Ou encore qu’un bombardier s’est écrasé sur le quartier Griffintown en 1944?

Que dire également de l’épidémie de vols de cadavres qui secoue tout le Québec au 19e siècle ? Ou de ces employés d’une usine de Longueuil qui ont travaillé dans le plus grand secret sur le train d’atterrissage du module lunaire américain?

Du village disparu de Hochelaga à la construction du REM au cœur du centre-ville de Montréal en passant par une bière de microbrasserie qui fait changer un règlement de la Régie des alcools, des courses et des jeux du Québec, Québec insolite fait découvrir des événements surprenants de l’histoire du Québec.

Certains ont déjà fait les manchettes, fait parler d’eux, suscité des débats. D’autres au contraire n’ont eu droit qu’à un entrefilet dans un journal avant de disparaître dans les limbes de l’oubli pour toujours. Enfin, certains de ces événements sont restés dans l’ombre, cachés, à l’abri du moindre regard.

Ce livre grand format abondamment illustré propose de revenir de façon plaisante et instructive sur quelques-uns de ces événements méconnus ou oubliés. Rédigées dans un style dynamique, certaines de ces histoires vous feront sourire. D’autres au contraire vous donneront froid dans le dos! »

Bonne et heureuse année à toutes et tous!