Francis Leclerc
Pieds nus dans l’aube.
Du roman au grand écran, photos de Daniel Guy
Montréal, Fides, 2017, 132 p., 29,95 $.
Un film tiré d’un roman n’est
jamais autre chose que la lecture qu’en a faite le cinéaste. C’est aussi
différent que d’être lecteur et spectateur. Or, Francis Leclerc a choisi Pieds nus dans l’aube, premier roman de
son père Félix, paru en 1946, pour en faire du cinéma. C’était un défi
multiple, entre autres parce que le livre n’est pas un roman classique, mais
une suite de nouvelles qui décrivent une fresque poétique de la vie d’un enfant
en Mauricie.
Le réalisateur s’est associé avec
le conteur Fred Pellerin pour mettre en mots les personnages et les images
qu’il a choisies pour animer le récit. Il a aussi proposé à Daniel Guy, vieux
compagnon des plateaux de tournage, de documenter le tournage à sa guise. Cela
fut la genèse de Pieds nus dans l’aube :
du roman au grand écran.
Ce livre n’a rien de comparable
sur le rayon des beaux livres. Ni revue de tournage ni album souvenir, c’est un
ouvrage insaisissable comme le roman de Leclerc. On y trouve le récit de la
démarche artistique du cinéaste, les techniques de photographie utilisées par
Daniel Guy, une séquence de dialogues de Pellerin-Leclerc et une entrevue de ce
dernier avec P. Douville pour la Fabrique culturelle (https://www.lafabriqueculturelle.tv/).
Le texte du cinéaste nous fait
passer de l’autre côté du miroir, cette partie étamée de la démarche créative
entre littérature et cinéma. À cela s’ajoute en filigrane le rapport de
filiation entre Francis et son père Félix. Il y a là de la timidité et du
respect enveloppés de mille précautions tant l’émotion que j’ai ressentie est
grande. Cela est aussi perceptible dans l’extrait du scénario retenu pour le
livre.
Les photographies sont une
exposition de petits chefs-d’œuvre que le roman et des moments intangibles du
tournage ont inspirés à Daniel Guy. Nul besoin de longues explications quand on
lit «Le point de vue du photographe», le récit de cette aventure artistique
parallèle au film avec comme objectif d’illustrer le livre. J’ignorais la
technique des photos en sténopé (« petit trou dans la paroi d’une chambre
noire, servant d’objectif photographique »), mais j’ai vite compris que ce
procédé exigeait une lenteur à l’opposé du rythme d’un plateau de tournage.
Il a donc fallu que le
photographe ait recours à un plan B et multiplie les procédés pour capter la
lumière de ses mises en scène. Cette première étape, aussi laborieuse fût-elle,
ne l’a pas empêché de faire toutes les manipulations nécessaires au transfert des
images sur les supports appropriés. Puis, l’éditeur Fides a poursuivi ce
travail d’artisan en choisissant d’imprimer le livre sur du papier de grande
qualité, du «Roland Enviro Satin 160M». Le résultat est tout simplement
remarquable.
Un très beau livre, vous dis-je,
à la hauteur d’un des pères de la culture québécoise, Félix Leclerc.
Le petit livre bleu
(Bibliothèque québécoises, 2017) par Félix Leclerc. De Vaudreuil à l’Île
d’Orléans, Félix Leclerc a été par-dessus tout un grand écrivain dont les
œuvres chantées ont fait oublier ses contes, fables, romans, pièces de théâtre
et maximes. On se souvient de Pieds nus
dans l’aube, mais peu de Moi, mes
souliers qui en est, en quelque sorte, la suite, et dont Jean Giono signa
la préface. En 1961, il publie Le calepin
d’un flâneur chez Fides, son éditeur le plus important; il a ainsi réuni
des aphorismes qu’on étiqueta maximes à l’époque où les règles morales étaient
comme une ultime reconnaissance de la littérature des bien-pensants et des
curés. Puis paru, en 1979, Le petit livre
bleu ou Le nouveau calepin du même
flâneur. Ce livre revient sans avoir pris une ride, il semble même avoir vu
au-delà des contingences un peu de l’avenir du Québec.
Dernier calepin (Bibliothèque
québécoises, 2017) par Félix Leclerc. Publié quelques mois après le décès de
l’écrivain en 1988, cet ultime recueil d’aphorismes a des allures de testament
littéraire. En ouvrant ce livre, j’ai entendu « la voix violoncelle »
dont parle Nathalie Leclerc dans La voix
de mon père. J’y ai lu ces images brèves faites d’une écriture dont il
avait seul le savoir-faire, la tournure. J’ai pris plaisir à l’imaginer
interprétant les dialogues ou les monologues des saynètes éparpillées à travers
les pages du Dernier calepin. Cela
m’a rappelé que le barde aurait aimé qu’on se souvienne de lui comme un homme
de théâtre. Encore dans ce recueil, comme dans nombre de ses chansons, on constate
à quel point il a le sens du jeu, du duel entre le passé et le présent,
l’espoir et le chagrin. Je partage l’avis que ce calepin « est empreint
d’une certaine nostalgie » irrémédiable en vieillissant.
Réjean Ducharme
Le lactume, dessins inédits de l’auteur présenté par Rolf Puls
Montréal, Éditions du passage,
2017, 248 p., 44,95 $.
Puisque nous sommes au rayon de
ces livres-là, je vous invite à visiter le site des Éditions du passage pour y
admirer, Le Lactume, le dernier livre
du regretté Réjean Ducharme paru à titre posthume (http://www.editionsdupassage.com/fr/livre/nouveautes/104/le-lactume).
Présenté par Rolf Puls, l’éditeur québécois de Gallimard qui publia Ducharme, cet
album de dessins fut envoyé à Robert Massin, alors directeur artistique de
Gallimard, en 1966. Il était accompagné de la note suivante : « Veuillez
ne pas trouver insolent que je vous soumette ces dessins, je ne sais pas plus
dessiner qu’écrire. Seulement, est-ce qu’il ne suffit pas d’être de la race
humaine pour prétendre parler aux êtres humains? »
Pour les passionnés de l’œuvre de
Ducharme et les bibliophiles, je rappelle que Lanctôt éditeur a publié en 2004,
Tropoux des œuvres de la collection
Forget-Georgesco réalisées par l’écrivain sous son pseudonyme d’artiste visuel,
Roch Plante.
Tout est dit. Il ne reste qu’à
parcourir lentement ce musée de papier, scrutant ce cahier à colorier et les
notes qui les accompagnent.
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