Caroline Vu
Palawan<
Montréal, Pleine lune, 2017, 358 p., 27,95 $.
Se souvenir :
entre mémoire et imaginaire
Après Un été à Provincetown, Caroline Vu nous propose un nouveau récit
dont la trame relate une histoire d’introspection dont l’héroïne, qui est aussi
la narratrice, mène à bien la quête.
Hué, ancienne capitale impériale
du Vietnam. Kim, âgée de 15 ans, traverse une adolescence tumultueuse, les
rapports avec sa mère étant chicaniers. Une nuit, cette dernière la réveille et
elles quittent la ville sur la pointe des pieds en direction du village des
lépreux où les attend un vieil homme qui les amène sur la plage pour
s’embarquer sur un rafiot. Étonnée, Kim monte seule à bord craintive, mais d’apercevoir
tatie Hung et sa fille Titi, des voisines, la rassure. Que se passe-t-il durant
ce voyage dont elle n’a que des flashes qui l’effraient? Kim range cette question
dans sa mémoire avec les non-dits et les demi-vérités accumulés depuis la disparition
de son père à la chute du pays.
Palawan, le camp de réfugiés, est
un passage obligé devant mener en terre d’accueil d’Europe ou d’Amérique. Kim en
raconte la vie quotidienne et ses aléas, cette attente, toujours trop longue, étant
devenue un jeu où le rêve d’un avenir meilleur stimule l’imagination. Elle fait
la connaissance du Dr Jacques, un médecin français engagé dans la mission de
Médecins sans frontières, qui la reçoit lorsque la maladie la frappe durement;
plus tard, il lui demande de travailler comme interprète au dispensaire, car lui
et l’infirmière philippine ignorent le vietnamien.
C’est là que Kim rencontre un
agent d’immigration états-unien qui s’intéresse à sa situation. Or, c’est grâce
à cet homme et à un quiproquo sur son nom qu’elle est prise en charge par un
programme communautaire états-unien et qu’elle est reçue par Mary, sa famille
et la population de Derby, une petite ville du Connecticut. Le choc culturel entre
son éducation et son séjour dans le camp de réfugiés est grand. Elle est bouleversée
par une telle gratuité de sentiment et de sympathie. Surtout qu’elle peut lire
et étudier à volonté. Élève brillante et studieuse, ses succès scolaires lui
permettent de recevoir des bourses et de poursuivre ses études dans la
discipline de son choix. C’est ainsi qu’elle décide de faire médecine et elle demande
d’aller à l’Université McGill, au Canada.
Nous suivons Kim à Montréal
durant ses années d’études et de stages en compagnie de ses consœurs de
résidence venues des quatre coins du monde. À la même époque, elle se lie
d’amitié avec Claude, son « fantasme francophone », avec qui elle en
vient à s’installer. N’ayant pas vraiment pris de repos depuis son arrivée en
Amérique, sa directrice de stage lui conseille de faire une pause, car elle
donne des signes de surmenage. Kim et Claude décident alors de partir pour la
Californie. À L.A. où il y a une grande communauté vietnamienne, elle retrouve son
amie Titi et tatie Hung. C’est au cours d’une conversation avec cette dernière qu’elle
lui confie que sa mère l’avait chargé de veiller sur elle, mais elle refuse de
raconter ce qui est survenu durant la traversée malgré son insistance.
De retour à Montréal, la relation
de Kim et Claude s’étiole. Lorsqu’elle décide de retourner à Palawan, Claude
refuse de la suivre, espérant qu’elle règle ses comptes avec son passé qui mine
son existence et leur vie de couple.
Le camp de réfugiés est maintenant
un village où Kim, devenue médecin, rencontre les « damnés de la terre »,
surtout de nombreux enfants abandonnés. Les confidences que lui font des jeunes
femmes comblent un peu le vide de sa propre histoire.
Elle traverse ensuite, Hô Chi
Minh-Ville, le Saïgon de son enfance, en direction de Hué, sa ville natale. Elle
y retrouve monsieur Son, son professeur. Le sage vieillard a reçu les
confidences de tous et répond, sans l’épargner, à ses interrogations sur son
père, sa mère et tatie Hung. Sa mère, lui apprend-il, est hébergée dans une
maison de retraite et souffre de la maladie d’Alzheimer. Kim y accourt, mais sa
mère ne la reconnaît pas. Elle revient plusieurs fois à son chevet sans que le
contact s’effectue vraiment; elle lui dit comprendre pourquoi elle a été aussi
sévère avec ses enfants et qu’elle ne lui en veut pas.
Kim rentre en Amérique, en faisant
halte à Derby pour saluer Mary, celle qui fut plus qu’une mère adoptive. À
Montréal, elle renoue avec Claude.
Caroline Vu relate, dans une langue sans fard ni
exagération, la vie des victimes de la guerre du Vietnam, de ses horreurs, dont
le napalm sur la population et le massacre de civils à My Lai par les G.I., et
la vie dans un camp de réfugiés. Quelle différence y a-t-il entre la réalité et
le souvenir des témoins, sinon ce que l’imagination a échafaudé pour calmer ou
oublier sa douleur?
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