Louis-Philippe Hébert
Le Roi jaune
édition du 50e anniversaire revue, corrigée et
augmentée, remasterisées, illustrations originales de Micheline Lanctôt
Saint-Sauveur-des-Monts, La Grenouillère, coll. « Livre
de poche », 2017, 394 p., 24,95 $.
Le laboratoire de
l’alchimiste
« On n’est jamais si bien
servi que par soi-même», selon l’adage. Or, peu d’écrivains québécois ont pris
les moyens pour lancer dans la troisième dimension – passé, présent, futur,
ici, ailleurs, nulle part confondus – une œuvre sinon qu’en format de poche. Et
je ne parle pas d’en rematricer le texte, fond et forme. C’est pourtant la
proposition que nous fait Louis-Philippe Hébert en ramenant Le Roi jaune, prose narrative parue en
1971, aux éditions du Jour dont il dirigeait la collection « Proses du
Jour », illustrée par Micheline Lanctôt, qui allait devenir l’année
suivante l’inoubliable Bernadette de Gilles Carle.
Le Roi jaune laissa sans voix la diaspora littéraire – collègues
écrivains, critiques reconnus, etc. – tant Hébert y fait sauter les barrières
imposés par les codes de l’écriture romanesque en réinventant systématiquement ce
qui était jusque-là considéré comme des incontournables: trame, narrateur,
personnages, actions, péripéties, chutes, etc. S’eut été un nouveau venu parmi
le foisonnement de jeunes auteurs du Jour, qu’on aurait levé le nez ou tourné
le dos à ce curieux recueil constitué de quatre récits, chacun comptant une
suite de plusieurs microcosmes comme autant de respirations, parfois longues
tantôt courtes, de personnages plus grands que l’imagination d’un lecteur
aguerri.
En lisant ce nouveau Roi soleil,
et ce n’est pas un euphémisme de dire ainsi, j’ai compris en quoi ce monstre
littéraire effrayait la faune lectrice: le propos et son organisation spatiotemporelle
étaient loin des préoccupations identitaires que distillaient proses et poésies
des années 1970 tout en cherchant à se distinguer des autres littératures
francophones. Le livre de L.-P. Hébert, autant que les illustrations de Mme
Lanctôt, étaient clairement révolutionnaires et représentaient une contestation
peu rassurante pour notre institution littéraire encore frileuse.
Quand je pense aux œuvres que
l’auteur et l’illustratrice ont créées depuis, lui en littérature et en micro-informatique,
elle au cinéma et en engagements sociaux, je comprends, enfin, ce que Le Roi jaune anticipait. En relisant
l’entrevue que Hébert a accordée à Robert Morency en 1978 et à Nicolas Tremblay
en 2003, j’ai cru y voir comme un arc dans le ciel de son univers, une urgence d’écrire
sans cesse actualisée et renouvelée.
C’est cependant l’étude de J.-P.
Vidal, « Le Roi jaune ou le rat des livres et la folle du logis » (Voix et Images, vol. 4, no 3, avril
1979) qui m’a révélé l’hyperbole littéraire qu’est ce livre. « Sans queue ni
tête l’histoire parce que la fiction est le produit d’un déboîtement perpétuel
de ses articulations signifiantes, articulations dont le jeu finit par capturer
ce qui les déclenche… Kaléidoscope, puzzle, mécanique ondulatoire, topologie:
c’est l’univers des anamorphoses [images déformées] que l’écriture en son
parcours fait surgir. »
Voyage initiatique que notre
visite au pays du Roi jaune, jumeau cosmique de Louis XIV venu de France et de
Navarre pour stigmatiser à jamais toutes les faces de leurs environnements, qui
nous livre, pieds et poings liés, l’entièreté de l’œuvre littéraire, et même
technologique, de l’écrivain Hébert.
Ne craignez surtout pas de
plonger dans la prose tumultueuse du Roi
jaune. Comme l’écrit J.-F. Chassay en préface de La manufacture des machines (XYZ éditeur, coll. « Romanichels
poche », 2001, pp. 10-11) : « Arrêtez-vous. Prenez le temps de
lire. Ne sautez aucun mot. Ralentissez. Vous aurez des surprises. Et c’est dans
pareils moments que la littérature joue pleinement son rôle. La formule de
Cioran trouve ici toute sa valeur: à quoi bon écrire pour dire exactement ce
qu’on avait à dire? Le texte déplace plutôt des phénomènes, les explique
autrement, les métamorphoses. »
Comme je l’écris souvent :
pour que je suive la carrière d’un écrivain d’un livre à l’autre, il doit me
surprendre à tout coup que ses mots et les univers qu’ils créent m’amènent ailleurs.
Aussi loin que Louis-Philippe Hébert et quelques autres parviennent à faire voyager
tout notre être.
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