mercredi 25 janvier 2023

Au pays des livres de table à café

Je vous propose trois biographies et un ouvrage traitant de traditions dignes d’appartenir au patrimoine immatériel de l’humanité. Pourquoi ces récits résumant la vie de personnalité, sinon parce que je les considère comme des individus ayant marqué leur domaine respectif et celui de leurs contemporains. Quant aux savoir-faire, il faut les rappeler et les mettre en pratique.


Claude Raymond et Marc Robitaille

Frenchie : l’histoire de Claude Raymond

Montréal, Hurtubise, 2022, 320 p., 29,95 $.

Il en va ainsi de Claude Raymond, un illustre parmi les illustres. À lire Frenchie : l’histoire de Claude Raymond, autobiographie écrite avec la collaboration de Marc Robitaille, je comprends la pleine mesure de ce grand sportif et philanthrope dont la Fondation portant son nom célèbre cette année son 50e anniversaire.

« Les amateurs de sports québécois se souviennent de Claude Raymond comme commentateur des matchs des Expos à la télévision et à la radio, un rôle qu’il a joué pendant près de 30 ans. Mais c’est d’abord son parcours comme lanceur de relève pendant 17 ans dans des ligues professionnelles de baseball (dont 12 dans les ligues majeures) que l’histoire retiendra de lui.

Dès son arrivée en 1955, à 17 ans, à un premier camp de recrues en Géorgie jusqu’à son dernier match avec les Expos en 1971, Frenchie – comme on l’appelait au sud de la frontière – s’est avéré un des plus solides releveurs de sa génération, se taillant même une place dans l’équipe d’Étoiles de la Ligue nationale en 1966.

Comment un jeune Québécois unilingue francophone, issu d’une petite ville de la rive sud de Montréal, a-t-il réussi à faire sa place aussi longtemps parmi les meilleurs joueurs de baseball des trois Amériques ? La réponse tient dans ce récit où passion et résilience finissent par venir à bout des nombreux obstacles qui accompagnent toujours les plus grands accomplissements. Une histoire qui suscitera la surprise et l’admiration du lecteur tout en le faisant sourire plus d’une fois.

Une vie bien menée comme celle-là est une chose rare, précieuse. Et nous avons la chance qu’elle nous soit aujourd’hui racontée par celui-là même qui l’a vécue. »

MarcLaurendeau avec la collaboration de Pierre Huet

Marc Laurendeau : du rire cynique au regard journalistique

Montréal, La Presse, 2022, 368 p., 34,95 $.

L’ouvrage nous rappelle, entre autres, l’époque où tout pouvait se dire presque sans réserve. En effet, « c’est au sein du quatuor humoristique Les Cyniques, fondé avec trois camarades d’université, début des années 1960, qu’il se fait connaître du public.

Après onze ans de succès au sein du groupe à l’humour corrosif et anticlérical, il tourne le dos à la scène et entreprend une carrière en journalisme, à la radio, en presse écrite et à la télévision. Éditorialiste en chef au quotidien Montréal-Matin et chroniqueur à La Presse, il collabore aussi à diverses émissions de télé, à TVA et à Télé-Québec.

Pour plusieurs, il restera la voix de la revue de presse du matin à la radio. Pendant vingt-deux ans, sur les ondes de Radio-Canada, d’abord avec Joël Le Bigot puis avec René Homier-Roy, il a résumé les opinions de la presse mondiale sur les grands enjeux de l’actualité.​

Marc Laurendeau s’est ensuite lancé dans la conception et la scénarisation de grands documentaires (radio, télé et balados). Il enseigne toujours le journalisme à l’Université de Montréal et intervient régulièrement à titre d’analyste dans les médias, souvent à propos d’enjeux de politique internationale. »

Enfin, je rappelle que la regretté comédienne Amulette Garneau est la sœur de M. Laurendeau.


Stéphane Lépine (dir.)

Michelle Rossignol : soleil obligatoire

Montréal, Somme toute, 2022, 224 p., 34,95 $.

Ce livre est fait de nombreux témoignages sur la femme exceptionnelle fut Michelle Rossignol qu’a rassemblés Stéphane Lépine.

« Michelle Rossignol "la jeune femme, la comédienne, la citoyenne, la fervente, la battante, la visionnaire, la metteure en scène, l’amie, la féministe, la généreuse, la pédagogue, la muse, l’engagée, la critique, la québécoise, la lectrice, la passionnée, la solidaire, l’inquiète, la directrice, l’exigeante, la blessée, la glorieuse, la familière, l’importante". Cette citation de Robert Blondin qui ouvre ce livre au sous-titre emprunté à Réjean Ducharme, en donne le ton et la saveur.

Au fil de ces pages parsemées de photographies magnifiques, de ces témoignages émouvants de ceux et celles qui ont connu, côtoyé la grande actrice – de Roland Lepage à Denise Filiatrault, de feu André Brassard à feu Michel Garneau, de Robert Lalonde à Marcel Sabourin, en passant par Michel Tremblay, Évelyne de la Chenelière, son frère Serge Rossignol, son conjoint Jacques Desmarais et tant d’autres –, se dessine le portrait d’une femme complexe, forte, rassembleuse, d’une icône de la dramaturgie québécoise. Michelle Rossignol nous a quittés en 2020. Ce livre de Stéphane Lépine veut contribuer à garder bien vivante sa mémoire. »

En terminant, je me rappelle de l’époque où elle a embauché des professionnels de diverses disciplines pour créer une pièce de théâtre parmi lesquels Jean-Claude Germain et Victor-Lévy Beaulieu. Ce dernier a écrit, à sa demande, la pièce Sophie et Léon destinée à une classe de finissants de l’École nationale de théâtre du Canada dont elle était alors directrice d’exercices. Cette œuvre dramatique fut jouée au Caveau théâtre des Trois-Pistoles avec Mme Rossignol et Jacques Godin dans les rôles titres, en juillet 1992. Soulignons qu’elle a fait aussi fait la mise en scène de Ma Corriveau, une autre pièce de VLB, toujours à l’École nationale de théâtre du Canada, en 1973. Enfin, rappelons qu’elle a inspiré le personnage de la Grande Rousse, récurrent dans d’autres œuvres de Victor-Lévy Beaulieu.

 

Eugénie Emond

Savoir faire : histoires, outils et sagesse de nos grands-parents

Montréal, Cardinal / BESIDE, 2022, 282 p., 49,95 $.

Je termine avec un ouvrage d’Eugénie Emond dont les sujets mériteraient, sans exception, à être associés au patrimoine immatériel de l’humanité. En effet, des « gestes mille fois répétés, de précieux conseils, une sagesse ancrée dans le présent, Savoir faire recense les connaissances de grands-parents qui ont le potentiel insoupçonné d’outiller pour la suite. Ce beau-livre, imagé par des photographies documentaires et des illustrations vives et graphiques, est beaucoup plus qu’un guide pratique, il est une main tendue entre les générations.

Des cours urbaines aux vastes campagnes du Québec, de l’Ontario et des Maritimes, la journaliste primée et détentrice d’une maîtrise en gérontologie, Eugénie Emond part à la rencontre d’aînées et d’aînés qui lui transmettent une partie de leur savoir.

L’ouvrage propose 20 portraits fascinants, touchants et colorés qui enseignent au passage comment aiguiser un couteau, corder du bois, coudre une courtepointe, fabriquer un savon de pays et bien plus encore. Il donne une voix à une génération qui a tant à partager. »

mercredi 18 janvier 2023

Marc Séguin

Un homme et ses chiens

Montréal, Leméac, 2022, 168 p., 21,95 $.

L’art de vivre : rêver juste

Je vous ai entretenus de tous les livres que l’artiste multidisciplinaire Marc Séguin a fait paraître. De La foi du braconnier (2009) à Jenny Sauro (2020), il a publié cinq romans rapidement réédités en format de poche par Bibliothèque québécoise, un indice de leur intérêt littéraire et de la popularité de ces histoires. S’ajoutent à ces récits un recueil de poésie et un autre de chroniques, sans oublier L’atelier (2021), un journal de bord illustrant le quotidien de son travail d’artiste peintre.

Où son imaginaire allait-il nous amener dans les pages d’Un homme et ses chiens? J’allais spontanément écrire dans l’univers du peintre Jean-Paul Riopelle, la moitié du récit se déroulant sur l’île aux Naufrages, pareille à l’Île-aux-Oies où Séguin a ses quartiers de chasse, une île jointe par les battures à L’Isle-aux-Grues où Riopelle vécut les dernières années de sa vie et réalisa cette suite remarquable de toiles évoquant les voyageuses saisonnières. N’allons pas trop vite, nous reviendrons à Montmagny.

L’homme du titre sera toujours l’homme, sans nom comme l’enfant qu’il fut et l’adulte que son enfance lui a appris à être grâce à l’éducation que sa mère lui a donnée, un apprentissage s’appuyant sur l’art d’observer, d’apprécier et de s’engager en respectant la parole donnée. Toute une femme que cette infirmière élevant seule son fils en lui donnant des valeurs qui le marqueront à jamais et auxquelles il fera souvent référence. Malgré cela, l’absence du père laissa quelques traces, moins cependant que lorsque sa mère lui apprit la chimère du père Noël.

Pour que l’enfant se responsabilise, elle accepte qu’il garde un chien errant, Mujo, le premier d’une fratrie à laquelle l’enfant sera aussi fidèle qu’elle le sera à son égard. C’est d’ailleurs par le langage des animaux que l’enfant devenu homme communiquera avec son entourage, celui de son enfance comme celui des chasseurs qu’il guidera plus tard. Ce sera aussi le respect que les femmes dont il se croira amoureux porteront à ses compagnons qui encadreront la durée de leur compagnonnage.

Si l’homme est sans nom, il en va autrement pour ses chiens. Il y a eu Mujo, le chien perdu de son enfance qui devint son confident, témoin de ses colères et des misères que ses camarades faisaient subir au petit rouquin qu’il était. Puis, il y eut Solo, une chienne braque allemand qui l’accompagna durant ses années à guider les chasseurs sur l’île d’Anticosti; puisqu’on y chassait du gros gibier, Solo savait repérer leur quartier comme de retrouver un mâle blessé qu’il fallait achever selon la règle non écrite qu’imposait son maître. Il choisit Easter, un labrador de la lignée Chesapeake retrievers, qui n’avait pas peur de se jeter à l’eau pour ramener les oiseaux abattus; Easter sera l’animal peut-être le plus près du guide, surtout le plus dépendant de lui. Il y eut aussi Goose, le chien mâle d’Henry, son mentor de l’île aux Naufrages. Enfin, sa dernière compagne de chasse fut Belle, née de l’accouplement d’Easter et de Goose.

Pourquoi les chiens tiennent-ils une telle place dans l’univers de l’homme? Sûrement parce qu’ils étaient ses confidents et que leur affection ou dépendance à son égard était sans condition.

Ses compagnes éphémères sont aussi nommées. Pour lui, l’amour est une quête impossible et il ne parvient jamais à trouver la compagne idéale à ses yeux comme à ses engagements. Enfant, ses camarades lui imposèrent une des leurs, Jeanne, car la rumeur voulait qu’elle ait le béguin pour lui. Ce dernier ne comprenait pas ce dont ses amis parlaient, car il avait déjà, à cet âge, d’autres préoccupations qu’il jugeait plus importantes. Au temps présent du roman, sa compagne se prénomme Élisabeth, elle est journaliste. Comme d’autres, elle aura peine à comprendre le caractère impétueux de l’homme et ses humeurs changeantes qui lui faisaient préférer la vie sauvage à la vie urbaine. La femme qui partagera sa vie durant la majeure partie du roman se nomme Clara Sauvage; elle est une écrivaine connue. La vie de cette dernière s’accommode mieux de la personnalité de l’homme et de ses élans amoureux à son retour de plusieurs mois dans la nature. Leurs échanges épistolaires, durant ces séjours au loin, alimentaient son inspiration littéraire presque autant que les mois passés en ville.

La dernière amoureuse de l’homme se nomme Marie Chase Cadieux, elle est avocate environnementaliste, mais aussi la fille d’Henry, son mentor; j’y reviendrai.

Enfin, deux autres femmes illustrent la bienveillance de l’homme : Maryanne, une itinérante, et Lou Princesse Fils-Aimé, une infirmière d’origine haïtienne.

Quant à Henry Chase Cadieux, son mentor, son identité ressemble à une appellation contrôlée dans l’univers que l’homme recréait en lui et autour de lui, jour après jour. L’homme reste un étranger pour la plupart des personnes près de son ressenti et de son vécu. C’est aux étrangers qu’il guidait « qu’il en révélait un peu plus, il demeurait un mystère pour ses proches. Et une énigme pour l’amoureuse. Pour chaque amoureuse. » (30)

L’univers de l’homme nous est révélé alors qu’il devient guide de chasse à Anticosti après un nième échec amoureux. « Adulte, sur un littoral de l’île d’Anticosti, il allait constater en souriant que la marée haute devant lui voulait dire qu’elle était basse ailleurs. L’amour n’échapperait pas à ce calcul. Parfois une somme, plus tard, une différence. L’homme allait renoncer tôt à comprendre le désarroi amoureux et faire de son mieux pour la suite. » (15)

Le métier de guide de chasse convient à sa nature profonde, c’est-à-dire son besoin de la nature qui lui permettait de vivre avec les éléments et leurs diverses façons d’interagir sur la faune et la flore, certaines réglées au quart de tour, d’autres imprévisibles. Six mois en ville pour calmer la colère sourde qui rôde constamment en son for intérieur depuis l’enfance; à cette époque, il évacuait son courroux en assemblant patiemment des modèles réduits qu’il détruisait ensuite sans pitié. Six mois en ville qui lui suffisent pour calmer l’instinct grégaire de l’être humain qui maintient une vie sociale minimum dont l’amour, ou ce qu’on appelle ainsi, est essentiel.

Ces mois d’ensauvagement : « L’homme aimait boire [du Ricard ou Jack Daniel’s] : c’était ainsi plus facile de trouver les clés et d’ouvrir ses portes secrètes, ça apaisait les craintes d’y découvrir trop de miroirs. Et ça donnait pour un temps, accès à certaines vérités essentielles. Comme celles des vieux qui, dans leurs derniers soupirs, racontent qu’à la fin il n’aura été question que d’amour. Eux aussi sont victimes d’un siècle inquiet. » (33)

Je fais mien l’accroche en quatrième de couverture qui décrit bien le roman : « Le personnage de cette fable entretient avec le réel et les êtres qu’il aime des rapports incertains, parfois difficiles, souvent rageurs. Ado et jeune homme, il aura joué le jeu de l’amour sans trop y croire, mais tout en voulant bien y croire. Plus vieux, avec des compagnes tenaces et lucides, il tentera encore de faire le bout de chemin nécessaire malgré l’artifice actuel des conventions affectives : engagement, secrets, partage. »

« Mais impossible pour cet homme de résister, six mois par année, à l’appel du grand air – il travaille comme guide de chasse sur l’île d’Anticosti, puis sur l’île aux Naufrages, là où l’eau du fleuve devient salée. À l’appel cruel, aussi, des bêtes qui meurent – cerfs, et oies en grand nombre –, dans un cérémonial de sacrifice millénaire. À l’appel, surtout, de ses fidèles chiens, ses confidents; modèles, en quelque sorte, de sa nature première, animale. Dans des situations tour à tour urbaines et insulaires, au Sud comme au Nord, les forces de création et de destruction, de vie et de mort, d’union et de rupture se chamaillent en lui, sans jamais s’apaiser. Avec comme ligne d’horizon la fin du monde annoncée d’une planète inquiète. L’amour peut-il encore exister quand on sait qu’on va s’éteindre? »

Le décès d’Henry marque un tournant majeur de l’existence de l’homme, comme si ce faux père lui léguait une certaine sagesse. C’est lors de cet événement charnière que l’homme quitte Clara Sauvage, retourne de guider la chasse aux oiseaux et qu’émerge un amour, presque imaginaire ou fantasmagorique avec Marie, la fille cadette d’Henry. Cet amour idéal, Marc Séguin en a fait une quête si hors de l’ordinaire pour les deux doucement amoureux que son issu sera un coup de tonnerre sur le destin d’elle et lui. Comment dire autrement?

J’avoue avoir été chaviré par la trame narrative d’Un homme et ses chiens et ses péripéties. Chaviré surtout par la richesse de la narration que le romancier a confiée à une voix hors champ, une voix qui décrit aussi bien qu’elle imagine les divers enchaînements du récit. Ravi d’abord et avant de la richesse de l’écriture de Marc Séguin qui, outre qu’il s’agit bien d’un roman, fait de son livre une véritable œuvre littéraire en ayant recours à toutes les variations langagières et stylistiques que son propos exige. Bref, il faut s’offrir cette lecture comme un immense privilège qui nous est offert.

mercredi 11 janvier 2023

Marie-Renée Lavoie

Boires et déboires d’une déchicaneuse

Montréal, XYZ, 2022, 256 p., 24,95 $.

Quelques solutions temporaires plus tard…

La grande littérature n’a pas toujours besoin de drames démesurés alimentés par des personnages de haute classe ou de basse vilenie. À se demander si elle en a vraiment besoin, la vie quotidienne n’étant pas toujours un long fleuve tranquille. À preuve, Autopsie d’une femme plate (2017) et Diane demande un recomptage (2020), deux histoires truculentes racontées par Marie-Renée Lavoie dans lesquelles Diane Delaunais, sa progéniture et son ex, et Claudine Poulin et ses filles, déroulent sous nos yeux les aventures de femmes qui sont tout sauf plates.

Jamais deux sans trois et voilà Boires et déboires d’une déchicaneuse, un roman palpitant. Nous y retrouvons les mêmes protagonistes auxquels s’ajoutent des voisins et de nombreux collègues de travail. Diane, on s’en souvient, a été remercié pour cause de restructuration et a trouvé un poste temporaire dans un service de garde en milieu scolaire. La période estivale arrivée, son amie Claudine – toujours copropriétaire du duplex qu’elles partagent et dirigeante des ressources humaines de l’entreprise qui a remercié Diane – est aux prises avec un grave problème : encore, diminuer le personnel pour réduire les coûts et, surtout, faire une place au gendre de monsieur Johnson, le grand-patron.

Claudine en a plein les bras avec son boulot quotidien et elle offre à Diane un contrat temporaire pour venir à son secours. « Mandat de six semaines seulement, les boss veulent que le ménage soit fait avant l’automne… C’est pas des affaires compliquées, juste de chicanes normales, du monde qui s’haïssent, qui se plantent des couteaux dans le dos… » (11) Titre de la fonction : chargée de la "synergie des équipes professionnelles et numériques".

Le spectacle, mettant en vedette Diane et quelques membres du personnel de l’entreprise, peut commencer. Je remarque daredare que la présentation de celles et ceux qu’elle rencontre est faite à la façon d’un bref CV. Par exemple, « Jean-Jean, dit Johnny – 51 ans, moto de route, motomarine, vêtements de moto, modèles réduits de moto, filles sur des motos… » (15) ou « Carole – 52 ans, tutoriels de coiffure, couchers de soleil, Céline Dion, chats dans des boîtes, confitures maison, fougère en tissu… »

Le travail de Diane et celui de Claudine, devenue sa patronne, déborde sur leur amitié et leurs habitudes de copropriétaires. Même si elles s’imposent de ne pas parler travail à la maison, il leur arrive de confondre métier et repos, pour notre plus grand plaisir d’ailleurs. C’est dans leurs fréquentes conversations qu’elles ont recours aux « solutions temporaires », c’est-à-dire boire un coup ou deux.

Il en va de même lorsqu’on retrouve les trois enfants de Diane – Charlotte étudiante en médecine vétérinaire, mère Theresa de la cause animalière, son compagnon Dominique (Doum pour les intimes); Alexandre, en Angleterre; Antoine, geek en informatique, et sa compagne Malika.

Claudine n’a plus qu’Adèle sous son toit, une ado âgée de seize ans qu’elle nomme affectueusement la « petite baveuse » ou, mieux, la « petit' crisse ». La chère Adèle s’amuse à jouer la mouche du coche, l’empêcheuse de tourner en rond des deux maisonnées; les joutes verbales et ses actions, aussi imaginatives que vengeresses, agrémentent le récit.

Pour compléter l’environnement du duplex, la romancière a imaginé des voisins de ruelle qu’elle a prénommés les Ostimans. Si, Diane et Claudine ont jadis semblé lever le nez sur ces buveurs de « petites frettes », il a suffi que Fiouze – le chiot cardiaque que Charlotte a confié à sa mère – se prenne la tête dans le décor de l’escalier et qu’un Ostimans le sauve pour qu’il tombe dans leurs bonnes grâces.

Il y a aussi Madeleine, une dame âgée à laquelle Diane est venue en aide dans une précédente aventure et qu’elle visite régulièrement dans le RPA qu’elle habite. Or, Madeleine est en perte d’autonomie, ce qui oblige Diane à s’intéresser à cette situation et à être compatissante. Les scènes mettant en présence les deux femmes sont émouvantes et s’inscrivent dans les perspectives sociales que l’ensemble du roman met en relief. L’humour, c’est connu, est une voie royale pour de telles discussions littéraires.

Revenons au bureau. Diane profite de son titre faussement associé au numérique pour rencontrer Étienne et Dylan, les informaticiens de la boîte logés au sous-sol de l’édifice. Elle les traite aux petits oignons, consciente qu’elle n’a pas les autorisations appropriées pour faire les demandes qu’elle leur adresse. Les échanges qui suivront cette première visite et ce que chacun des protagonistes en retirera est un clin d’œil à la nébuleuse numérique, avec un bref arrêt sur les réseaux sociaux et à une mystérieuse influence sur la société où ils travaillent.

Toute la distribution gravitant autour de l’univers de Diane, de Claudine et de certains membres du personnel de la société qui les embauche participe à l’évolution de la trame narrative de diverses façons, tantôt risibles aux éclats, tantôt humainement tristes. Comme on disait jadis : où il y a homme, il y a hommerie. C’est le regard que jette Marie-Renée Lavoie sur celles et ceux qui animent le récit qu’elle imagine qui concilie difficultés de vivre, multiples quiproquos et sentiments de tous les niveaux qui font de Boires et déboires d’une déchicaneuse une histoire caricaturale d’une réalité hélas trop fréquente lorsqu’on doit réduire les effectifs dans le cadre d’une restructuration.

Les solutions à divers problèmes que Diane observe dans le cadre de la mission qu’on lui a confiée sont pour le moins imaginatives. Je pense, par exemple à Fernand, l’homme à tout faire de l’entreprise qui part à la retraite et qu’on ne veut pas remplacer. Diane considère son travail indispensable pour tous et elle invite Lydia, la fille très compétente de la quincaillerie qui l’a souvent dépannée, à postuler. Que dire de son tour de passe-passe pour faciliter la vie des deux informaticiens, sinon qu’il suffit parfois de peu pour préserver la bonne entente.

Marie-Renée Lavoie m’a à nouveau fait passer de bons moments grâce au microcosme qu’elle anime à travers ses personnages et les aventures, parfois rocambolesques, qu’elle leur fait vivre. Il y a quelque chose de très actuel dans l’ensemble du récit comme si nous assistions, béats, au spectacle de la condition humaine de ce millénaire. Cela sans prêchiprêcha, sinon qu’il y a plus de solutions que de problèmes.