mercredi 25 octobre 2017

Jacques Boulerice
Dans ma voiturette d’enfant
Montréal, Fides, coll. « Carnets », 2017, 280 p., 22,95 $.

Des microcosmes à se réinventer

La carrière littéraire de Jacques Boulerice traverse, depuis quelques années, une période telle une urgence de dire et de le faire à l’aune de l’âge et des souvenirs passés, présents et ceux qu’on prépare avec grand soin pour la postérité des enfants et petits-enfants. À cela s’ajoute une chronique hebdomadaire dans Le Canada français (Haut-Richelieu), à mi-chemin entre le billet d’humeur et le récit de l’immédiat. C’est de cette atmosphère littéraire que se libèrent les 58 chroniques du carnet intitulé Dans ma voiturette d’enfant, son plus récent ouvrage.
Tout est ici affaire d’une écriture semblable au travail minutieusement attentif d’un horloger. Nous ne sommes pas au rayon de l’autoportrait où l’instantanéité prime, mais dans l’univers du plaisir de lire et de relire jusqu’à ce que la prose ne semble plus avoir d’aspérité qui brouillerait l’œil ou l’intelligence de la lectrice, du lecteur. Il y a, bien sûr, cette forme qui associe prose et poésie qui est le propre de l’écrivain Boulerice, mais elle va ici au-delà des échanges purement stylistiques en devenant un mode de penser ce qui est tracé sur la page ou l’écran, un mode de vivre la poésie jusqu’à ce qu’il guide la main qui écrit.




J’en prends pour exemple « Novembre et le bon usage de la paille », ce récit du temps qui s’arrête, un instant ou deux, pour ensuite mieux plonger en espérant une saison à venir, puis à répéter cette attente comme un mantra garant de lendemains.
Souvent, d’un billet ou d’un récit à l’autre, entre l’une ou l’autre des neuf « saisons » du recueil, je me suis demandé à quelle heure de la vie arrive la belle et bonne nostalgie, à l’opposé de la langueur et de la tristesse qu’elle évoque. Est-ce celle où, enfant, on se rend seul à l’école de l’abc et des 1-2-3? Ou quand un premier être cher décède? Lorsqu’on est obligé de faire un choix, le premier d’entre tous qui portera à conséquence? J’ignore quand la nostalgie débarque dans nos vies, mais il me semble que l’écrivain en a parsemé un grain ici, un autre là, à la volée, pour que le livre en compose un bouquet complexe comme peut l’être la vie.
J’avoue qu’en glanant au hasard un mot, une phrase, une figure toute littéraire ou une image empruntée à une réalité magnifiée, tous si présents dans ces récits, les premières paroles de La bohème, une chanson de Charles Aznavour à la mode en 1965, me sont revenues : « Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître ». Certes, on nous les sert tout le temps ces mots, et c’est là le drame, car il y aura toujours un avant, bien réel celui-là, faisant face à un présent approximatif et à un futur interrogatif qu’il faut connaître ou imaginer.
Les événements qui inspirent Jacques Boulerice, parfois de façon particulaire, sont bel et bien inscrits dans le temps et dans l’espace, un truisme en littérature trop souvent négligé par la critique. Le génie de l’auteur consiste alors à les propulser dans une éternité rassurante, même quand elle est tout en points d’interrogation. Je relis « Le dos large d’un parapluie » qui pourrait être une anecdote badine vite oubliée, je constate que le regard qu’y pose le poète en l’enclavant dans son univers transforme la banalité de ce non-événement en un microcosme que chaque lecteur peut réinventer à sa guise.

Dans ma voiturette d’enfant ne serait pas de l’authentique Boulerice sans quelques détours dans le giron familial, celui d’Urgel et d’Alice, sa mère et sa tante décédée à 105 ans, celui de ses fils et petits-enfants, sans oublier l’infatigable amoureuse. Comme je ne cesse de le répéter, l’écrivain qui fait passer des bribes de sa vie à la créativité de la fiction réincarne ces êtres dans une autre dimension, celle où on ne meurt jamais autrement que par l’oubli ou le silence du possible lectorat. Retardons-le en visitant les pages de cet authentique carnet.

mercredi 18 octobre 2017

Caroline Vu
Palawan<
Montréal, Pleine lune, 2017, 358 p., 27,95 $.

Se souvenir : entre mémoire et imaginaire

Après Un été à Provincetown, Caroline Vu nous propose un nouveau récit dont la trame relate une histoire d’introspection dont l’héroïne, qui est aussi la narratrice, mène à bien la quête.
Hué, ancienne capitale impériale du Vietnam. Kim, âgée de 15 ans, traverse une adolescence tumultueuse, les rapports avec sa mère étant chicaniers. Une nuit, cette dernière la réveille et elles quittent la ville sur la pointe des pieds en direction du village des lépreux où les attend un vieil homme qui les amène sur la plage pour s’embarquer sur un rafiot. Étonnée, Kim monte seule à bord craintive, mais d’apercevoir tatie Hung et sa fille Titi, des voisines, la rassure. Que se passe-t-il durant ce voyage dont elle n’a que des flashes qui l’effraient? Kim range cette question dans sa mémoire avec les non-dits et les demi-vérités accumulés depuis la disparition de son père à la chute du pays.




Palawan, le camp de réfugiés, est un passage obligé devant mener en terre d’accueil d’Europe ou d’Amérique. Kim en raconte la vie quotidienne et ses aléas, cette attente, toujours trop longue, étant devenue un jeu où le rêve d’un avenir meilleur stimule l’imagination. Elle fait la connaissance du Dr Jacques, un médecin français engagé dans la mission de Médecins sans frontières, qui la reçoit lorsque la maladie la frappe durement; plus tard, il lui demande de travailler comme interprète au dispensaire, car lui et l’infirmière philippine ignorent le vietnamien.
C’est là que Kim rencontre un agent d’immigration états-unien qui s’intéresse à sa situation. Or, c’est grâce à cet homme et à un quiproquo sur son nom qu’elle est prise en charge par un programme communautaire états-unien et qu’elle est reçue par Mary, sa famille et la population de Derby, une petite ville du Connecticut. Le choc culturel entre son éducation et son séjour dans le camp de réfugiés est grand. Elle est bouleversée par une telle gratuité de sentiment et de sympathie. Surtout qu’elle peut lire et étudier à volonté. Élève brillante et studieuse, ses succès scolaires lui permettent de recevoir des bourses et de poursuivre ses études dans la discipline de son choix. C’est ainsi qu’elle décide de faire médecine et elle demande d’aller à l’Université McGill, au Canada.
Nous suivons Kim à Montréal durant ses années d’études et de stages en compagnie de ses consœurs de résidence venues des quatre coins du monde. À la même époque, elle se lie d’amitié avec Claude, son « fantasme francophone », avec qui elle en vient à s’installer. N’ayant pas vraiment pris de repos depuis son arrivée en Amérique, sa directrice de stage lui conseille de faire une pause, car elle donne des signes de surmenage. Kim et Claude décident alors de partir pour la Californie. À L.A. où il y a une grande communauté vietnamienne, elle retrouve son amie Titi et tatie Hung. C’est au cours d’une conversation avec cette dernière qu’elle lui confie que sa mère l’avait chargé de veiller sur elle, mais elle refuse de raconter ce qui est survenu durant la traversée malgré son insistance.
De retour à Montréal, la relation de Kim et Claude s’étiole. Lorsqu’elle décide de retourner à Palawan, Claude refuse de la suivre, espérant qu’elle règle ses comptes avec son passé qui mine son existence et leur vie de couple.
Le camp de réfugiés est maintenant un village où Kim, devenue médecin, rencontre les « damnés de la terre », surtout de nombreux enfants abandonnés. Les confidences que lui font des jeunes femmes comblent un peu le vide de sa propre histoire.
Elle traverse ensuite, Hô Chi Minh-Ville, le Saïgon de son enfance, en direction de Hué, sa ville natale. Elle y retrouve monsieur Son, son professeur. Le sage vieillard a reçu les confidences de tous et répond, sans l’épargner, à ses interrogations sur son père, sa mère et tatie Hung. Sa mère, lui apprend-il, est hébergée dans une maison de retraite et souffre de la maladie d’Alzheimer. Kim y accourt, mais sa mère ne la reconnaît pas. Elle revient plusieurs fois à son chevet sans que le contact s’effectue vraiment; elle lui dit comprendre pourquoi elle a été aussi sévère avec ses enfants et qu’elle ne lui en veut pas.
Kim rentre en Amérique, en faisant halte à Derby pour saluer Mary, celle qui fut plus qu’une mère adoptive. À Montréal, elle renoue avec Claude.
Caroline Vu relate, dans une langue sans fard ni exagération, la vie des victimes de la guerre du Vietnam, de ses horreurs, dont le napalm sur la population et le massacre de civils à My Lai par les G.I., et la vie dans un camp de réfugiés. Quelle différence y a-t-il entre la réalité et le souvenir des témoins, sinon ce que l’imagination a échafaudé pour calmer ou oublier sa douleur?

mercredi 11 octobre 2017

Denis Duquet, Gabriel Gélinas, Marc Lachapelle et Daniel Melançon
Le Guide de l’auto 2018
Montréal, L’Homme, 2017, 720 p., 34,95 $.

L’ADN vroom, vroom, vroom

Mon père, décédé il y a 20 ans, m’a entre autres transmis le sens du devoir, le goût du travail bien fait et sa passion de l’automobile. Cette dernière ne m’a jamais quitté et je dis souvent qu’un voyage à l’étranger, c’est l’occasion de mettre à jour mon répertoire des plus récents modèles. Ici, c’est d’abord en me plongeant dans Le Guide de l’auto que je nourris mes rêves les plus fous, même en sachant que je n’ai plus l’ambition de les réaliser. Qu’importe!




Voilà donc que m’arrive Le Guide de l’auto 2018  et que je m’en suis fait un banquet pour assouvir mon appétit insatiable pour ces rutilantes qui font vroom, vroom, vroom. Comme le rappelle la couverture, l’annuel en est à sa 52e parution. J’avais donc 18 ans quand l’ouvrage est entré à la maison familiale pour ne jamais en ressortir, mon père les collectionnant.
Autrefois, une minuscule équipe autour de Jacques Duval préparait la recension des derniers modèles. Aujourd’hui, ce sont 12 spécialistes qui font ce travail, entre autres Jean-François Guay, mon collègue chroniqueur au Canada français dont nous pouvons lire les excellents articles semaine après semaine. Pour le commun des mortels, cela peut sembler trivial de se balader dans des véhicules de l’année, en changeant régulièrement de modèle et de marque, ou en participant à des rencontres de presse en Californie, en Allemagne ou ailleurs sur la planète. Ce ne l’est pas, j’en suis sûr, car il ne faut jamais perdre l’esprit critique et même l’affuter d’un essai à l’autre.
Ce qui m’étonne et me ravit chaque année, c’est tant la qualité des rubriques que celle de leur aspect visuel. Certes, il y a beaucoup de photos, essentielles aux amateurs ou aux futurs acquéreurs, mais il y a surtout des analyses avec juste ce qu’il faut d’observations critiques et des fiches techniques plus pointues pour satisfaire l’ensemble des lecteurs, les accompagnant parfois jusque chez les concessionnaires. J’ai souvenir qu’il a fallu du temps et du travail pour élaborer un modèle type de présentation, tout en gardant une marge de manœuvre pour tenir compte, d’une année à l’autre, de l’offre des manufacturiers, des tendances du marché et des goûts des consommateurs.
Il y 52 ans, on salivait à la seule pensée d’un gros cylindré et à la surabondance des chromes dont on les paraît. Aujourd’hui, le nombre d’usines à travers le monde a décuplé, tout comme l’offre de marques et de modèles. Pensons à tous ceux venus d’Asie et d’Europe, aux changements des goûts et des habitudes du côté des États-Unis et on constate qu’il y a place à des transformations et que l’avenir est prometteur.
Parmi les perspectives actuelles, il y a les hybrides, les tout électriques et les autonomes. En parcourant Le Guide de l’auto 2018, j’ai été attentif aux autos peu polluantes et les modèles offerts. Soyons vigilants, car le tout électrique n’est pas nécessairement synonyme de non-polluant selon la façon de produire l’électricité, l’hydroélectricité n’étant pas l’apanage de tous les pays.
Je peux aussi faire la liste des VUS à la mode et des nouveaux modèles sous-compacts qu’ils inspirent et qui ne cessent de se multiplier. On dit même que les fabricants qui offrent déjà des VUS rallieront les rangs en commercialisant bientôt leurs propres sous-compacts.
L’édition 2018 de ce livre de référence, qui n’est pas le seul publié au Québec, propose à nouveau des matchs comparatifs de véhicules de même famille. Ainsi, nous pouvons rêver à 4 sportives – dont la Nissan GT-R et Corvette Grand Sport –, à 7 hybrides rechargeables – dont les Ford Fusion et C-Max Energi –, et pas moins de 11 VUS compacts – dont la Mazda CX-5, la Hyundai Tucson et sa sœur la Kia Sportage.
Cette recension serait incomplète si je ne soulignais pas les pages consacrées à la Corvette, cette mythique auto sport états-unienne qui en est à sa 65e année d’existence.

Sur ce, bonne route!

jeudi 5 octobre 2017

Marie-Renée Lavoie
Autopsie d’une femme plate
Montréal, XYZ, 2017, 248 p., 24,95 $.

Non au clan des maudites folles

Il a suffi que Josée Bonneville, alors éditrice chez XYZ, s’intéresse à un premier roman et qu’elle l’amène, avec l’auteure, dans sa forme définitive pour que paraisse La petite et le vieux en 2010. Puis, Pierre Foglia, qui s’est toujours défendu d’être un critique mais en a dit grand bien, et la carrière littéraire de Marie-Renée Lavoie a démarré en trombe. Depuis, il y a eu Le syndrome de la vis (2012), un second roman, une incursion en littérature jeunesse avec 4 récits et bientôt un cinquième. Impressionnant? Nul doute, l’écrivaine n’a pas cessé d’imposer un style qui soit bien le sien.




Son nouveau livre, Autopsie d’une femme plate, raconte l’aventure aigre-douce de Diane, une femme de 48 ans que le père de leurs trois enfants vient de larguer pour les beaux yeux de la jeune Charlène. Ne condamnons pas trop vite un scénario archiconnu, usé à la corde, ce serait mal connaître le talent de l’auteure capable de rendre la bêtise humaine intéressante, voire intelligente.
Diane Delaunais, narratrice et laissée pour compte, peut se fier à Claudine, fidèle amie et collègue de travail, pour partager les tourments qui l’assaillent, ce qu’elle croit lorsque la réalité subit la distorsion de ses émotions. Par exemple, quand elle « pète les plombs », pour les mauvaises raisons, ou qu’elle fait le procès de son attitude présente et passée vis-à-vis  Jacques, l’époux en-allé. Le duo Diane et Claudine est criant de vérité, si bien que le drame de chacune verse aisément dans la satire avec une dose de méchanceté à la limite du ridicule.
Il faut savoir que Claudine, mariée à un prof de philo qui lui a préféré une étudiante, a la garde de leurs deux filles, Laurie et Adèle, en pleine crise d’adolescence. La semaine où elle les héberge est l’occasion de joutes verbales épiques. Toute la méchanceté, gratuite ou non, qui émerge des conflits parents-ados est mise en relief de façon caricaturale. Comment pourrait-il en être autrement dans la trame narrative de cette histoire?
Antoine, Alexandre et Charlotte, les enfants de Diane, sont de jeunes adultes pour qui elle se fait toujours du souci, ce qui est dans sa nature. Elle s’inquiète d’ailleurs de l’effet que le départ de Jacques aura sur sa relation avec eux. Et s’ils lui tournaient le dos? Quand l’inquiétude se transforme en peur, les pires scénarios sont redoutés.
Chacun des 21 chapitres du roman illustre un aspect des observations que la narratrice fait sur elle-même dans le contexte de sa rupture amoureuse, de son état de « platitude » qu’elle attribue à son aveuglement volontaire de la détérioration des liens qui l’unissaient à Jacques, accentuée par le départ des enfants. Cela donne lieu à des passages truculents par l’hyperréalisme du récit imaginé par l’auteure, vocabulaire « catholissime » en prime.
On a ainsi droit à quelques séances de démolition de mobilier, de trous percés dans les murs ou d’autres exutoires. Que dire de Blanche, son ex-belle-mère, qui vient lui faire la leçon ou du voisin retraité qui coupe le gazon le samedi et réveille tout le quartier? Sans oublier les dialogues animés et loufoques de Diane et Claudine réglant le sort du monde en échafaudant d’invraisemblables solutions, tout en éclusant vin ou de mousseux devenus leur « solution temporaire ».
Ceux que Diane aime lui offrent leur soutien, mais, un malheur n’arrivant jamais seul, deux événements l’obligent à sortir de la léthargie dans laquelle le départ de Jacques l’a fait plonger. Quels vilains tours va encore lui jouer le destin?

La littérature sait embellir la laideur du monde, faire du moindre drame une hilarante comédie humaine tout en mettant en perspective ce que l’égoïsme du temps présent nous refuse. Marie-Renée Lavoie l’a bien compris et elle utilise tout son talent et la maîtrise de son art pour attirer le lecteur et retenir son attention du début à la fin. Que demander de plus à une fiction, miroir grossissant de la réalité et dans la fulgurance de son expression?