Danielle Dubé et Nicole Houde
Entre toi et moi,
haïkus
Montréal, Pleine lune, 2017, 100 p., 20 $.
Le haïku, un art de
vivre
Deux auteures décident un jour de
mettre leur amitié, leur talent et leur art en commun, au service de la poésie
que l’air du temps leur inspire. Une seule règle, à respecter, sans vraie contrainte,
celle du haïku, ce « petit poème japonais dont les premier et troisième
vers ont cinq syllabes et le deuxième sept ». Leur collaboration a ainsi pris
la forme du recueil intitulé Entre toi et
moi.
Danielle Dubé raconte, dans le
prologue, l’origine du projet alors qu’elle et Nicole Houde avaient « besoin
d’une pause » après avoir terminé l’écriture d’un ouvrage. Il a suffi de
voir un monarque « comme mort » sur le sable, que D.D. lui redonne
son envol tout en douceur pour qu’un « éclat de soie jaune ocellée de noir
dans l’azur » et que surgisse un premier poème. « Peu à peu, le haïku
est devenu pour nous deux un art de vivre, une façon de demeurer attentives, de
libérer un regard souvent absorbé par la pensée, la réflexion ou l’écriture
d’un roman. »
Ce mode de vie, c’est une façon
d’appréhender des fragments du quotidien et de les traduire par une forme molle
de poésie, comme les montres de Dali, d’où surgit toute l’ampleur du moment.
C’est là, à mon avis, où éclate la poésie grâce à la simplicité et la puissance
des mots choisis pour toutes les avenues que suggère leur évocation.
Puisque les deux poètes habitent,
l’une au Lac-Saint-Jean l’autre à Montréal — « J’avais pour toi un lac. Tu
avais pour moi un jardin, une corde à linge » —, elles s’inventent des
rencontres, mais composent aussi à distance, d’une saison à l’autre. De tenir
ainsi compte de quatre espaces temporels de la nature me semble idéal, car ce
ne sont pas que les grands traits qui marquent le visage de la terre de janvier
à décembre que leurs haïkus saisissent, mais aussi – j’allais écrire surtout –
la lumière du jour que souvent seul l’œil attentif du poète peut saisir, mieux
que toute autre image complaisante.
Les auteures nous font partager
leur voyage saisonnier en commençant par le printemps espéré, cette renaissance
de la nature si importante pour nous, parce qu’attendue dans la froidure de
mars et les relents de l’hiver. C’est alors que Nicole Houde remarque « une
corneille bouge / sur le faîte d’une épinette / soleil noir
du midi », pendant que Danielle Dubé respire le « magnolia en
fleurs / tremblant sous la brise / un parfum du ciel ».
Cette dernière, l’été venu, note
qu’« au matin / mon ombre me précède / le soir, elle
me poursuit », alors que son amie, de « retour à
Montréal / ma main se pose sur le dictionnaire usé / mon
vieil ami », observe « sur la nappe orangée / la tête
renversée de mon chat / on dirait une fleur noire ». Ce sont de
bons exemples de poésie, cet art par excellence des mots, dont le regard posé
sur ce qui peut sembler banal transforme en images singulières.
Lorsque passe l’automne, toujours
trop bref, Danielle Dubé évoque qu’un « matin de brume / ciel et
mer se confondent / nous également » et Nicole Houde, qu’« un
vieil homme passe / derrière un treillis / puzzle des
arrière-cours ». Puis, l’hiver s’amène « au bord du
lac / de grands nénuphars glacés / œuvre du froid »
que l’une ressent et que les « trottoirs menaçants / les
vieillards avancent / à petits pas » passent sous les yeux de
l’autre.
Nicole Houde est décédée en
février 2016, avant la parution d’Entre
toi et moi que son amie a menée à terme, y ajoutant quatre encres
acryliques de Carol Lebel, poète et peintre qui lui a donné « le goût du petit
genre [celui du haïku] pour traduire l’immuable, le fugitif », dont les
couleurs magnifient le sens des saisons.
Ce recueil évoque pour moi
Vivaldi et ses quatre saisons dont chacun des mouvements est un hymne au rythme
immuable de la vie ou qu’on voudrait parfois ainsi.
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