Pedro Serrano
Pare-chocs. Essais d’autodéfense poétique, traduit de
l’espagnol par Emmanuelle Tremblay
Montréal, Noroît, coll. « Chemins de traverse », 2020,
216 p., 25 $ (papier), 17,99 $ (numérique).
La poésie par elle-même
Les pages de Pare-chocs. Essais
d’autodéfense poétique occupèrent mes dernières heures de lecture de 2020.
L’ouvrage de Pedro Serrano, écrivain et universitaire mexicain d’origine
montréalaise, traduit finement de l’espagnol par Emmanuelle Tremblay, n’est
rien de moins que remarquable.
J’aime marcher les « chemins de traverse », je l’ai déjà écrit, car ces essais publiés au Noroît stimulent « la pensée artistique en conviant poètes, écrivains et artiste à approfondir leur réflexion sur la création, la poésie ou l’art ». Ces livres me rappellent les « recours didactiques » où Miron nous amène dans l’âme de la langue et de la pensée d’où jaillit la poésie.
C’est donc dans cette collection que paraissent les 31 courts essais qui forment une mosaïque de réflexions, de points de vue d’où observer l’essence de la poésie et les perceptions que nous en avons. Étant pour moi une façon d’appréhender l’existence, voire un mode de vie, j’y ai observé d’autres horizons où trouver la poésie. Ainsi, en ce temps de pandémie, la poésie peut être salvatrice.
Faire la synthèse de ce livre? Je
n’en ai pas le talent surtout après l’épilogue de l’éditeur qui saisit l’essence
des images de la poésie que l’essayiste trace : « Le livre de Pedro
Serrano est une réflexion fertile et pleine d’imagination. Non seulement amuse-t-il
par ses propos, mais encore apprend-on sur la poésie des idées qui nous conduisent
à réfléchir pour nous-mêmes [et par nous-mêmes] ce que serait notre manuel d’autodéfense
de la poésie. » (4e de couverture)
Les essais brefs qui composent l’ouvrage
m’ont fait penser à un prisme à multiples faces, un hyperprisme, comme si l’auteur
voulait en saisir l’entièreté. Dans « Autorité et auctorialité », il
écrit : « Faire un choix en poésie ne laisse pas d’être arbitraire;
il s’agit toujours d’un acte empreint de subjectivité. Qu’il concerne un mot,
la composition d’un recueil ou une traduction, tout choix n’est pas seulement crucial.
Il est aussi le vecteur inusité d’un effet de senestrie. Les raisons ou les
pulsions qui nous poussent à opter pour ce mot-ci au détriment de ce mot-là,
pour tels poèmes plutôt que d’autres, découlent d’une somme disproportionnée de
motivations rationnelles et d’affinités, selon la tournure et les hasards du
moment. » (p. 41)
Ne cherchez pas le néologisme « senestrie ».
Selon l’usage qu’en fait l’auteur, ce mot se rapproche de l’expression
populaire « champ gauche », c’est-à-dire ce qui est « non-conventionnel ».
Quant à « auctorialité », un mot répertorié, Serrano précise : « L’auctorialité
ne se manifeste nulle part ailleurs que dans le corps du texte. Elle émane de
lui pour ériger l’auteur en lui, en non l’inverse. » (p. 42) Bref, l’auctorialité
c’est la signature littéraire de celle ou celui qui écrit le poème, ce qui fait
qu’on reconnaisse son empreinte.
Or, si le matériau et l’organisation
du poème marquent le territoire de l’autrice ou de l’auteur, ils deviennent ceux
du lecteur qui le découvre, se l’approprie et lui donne ainsi vie. Par exemple,
« L’hymne à l’amour » de Miron, lu ou entendu, devient vôtre dès que
vous l’associez ou l’intégrez à votre intimité ou même votre idéal.
Autre exemple de la puissante mobilité
de la poésie, ce qu’en dit T.S. Eliot (1888-1965) pour qui « la poésie doit
tendre à une impersonnalité à laquelle seuls les êtres dotés d’une personnalité
intense sont par ailleurs susceptibles de parvenir. » (p. 69) Serrano d’en
conclure plus loin qu’il faut « considérer la poésie dans son impersonnalité
faciliterait une meilleure compréhension de nous-mêmes par l’élargissement de
son spectre à des structures poétiques, dont on ne saurait autrement que faire,
ou à des expériences poétiques de prime abord non compatibles avec nos attentes. »
(p. 72)