mercredi 6 décembre 2017

Matthieu Simard
Ici, ailleurs
Québec, Alto, 2017, 128 p., 20,95 $.

L’agonie du lendemain

Depuis Échecs amoureux et autres niaiseries (Stanké, 2004), Matthieu Simard a fait paraître six romans, dont Ça sent la coupe porté à l’écran par Patrice Sauvé. L’univers qu’il a créé gravite autour de la vie de couple, des enjeux de la séduction à la constance du désir amoureux. Avec Ici, ailleurs (Alto, 2017), il va aux limites de ce lien affectif et de ses manifestations. Entrons dans cette histoire!
Marie et Simon, un couple mi-trentaine s’installe dans un village au destin tragique. Ainsi, la maison qu’ils ont achetée a une histoire qu’ils ignorent, comme nous les motifs qui les ont poussés à l’exil. Ces « pourquoi » auxquels ils ne cherchent pas vraiment de réponse deviendront malgré eux la quête de sens qu’ils n’ont d’autre choix que de mener.




N’eût été l’urgence que l’écriture de Simard suggère et le rythme qu’elle impose au récit, j’aurais mis le roman de côté, l’élément déclencheur me semblant traîner en longueur. J’ai heureusement compris à temps l’importance de cette lenteur assumée, essentielle à Marie et Simon comme aux autres personnages du récit.
Tous ont un destin qui affronte celui des autres, ce qu’on découvre petit à petit, et il ne peut en être autrement. Que ce soit Madeleine la restauratrice, Lyne la barmaid, Fisher le garagiste et homme à tout faire, l’épicier, les Lavoie ou Alice la sourde-muette, chacun vit dans sa bulle, incapable de communiquer avec les autres. Le paysage du village, le garage de Fisher, le bar, l’antenne cellulaire et la maison du vieux habitée par Marie et Simon sont comme une partition sur laquelle s’écrit l’histoire.
Marie et Simon se racontent, à tour de rôle. Ils partagent ainsi leur point de vue sur une situation de plus en plus dramatique qui met leur couple en péril. Pourquoi des urbains comme eux se sont-ils retranchés dans un petit village? « Nous nous sommes sauvés de la foule pour enterrer nos petites peines et cultiver nos grands espoirs dans la tranquillité rurale, mais nous avions oublié que c’est dans le désert que les bombes font le plus de bruit », de dire Marie.
Tout le monde connaît tout le monde et l’histoire de chacun dépend de celle des autres. Il y a là une consanguinité aux effets pervers que les villageois ne veulent pas partager avec des étrangers. Il y a, par exemple, l’impossible amour entre la restauratrice et l’épicier, lui qui a tout fait pour qu’elle s’intéresse à lui. Puis, Fisher, celui qui assaille Marie dès leur première rencontre au bar et sous les yeux sidérés de Simon, vit une solitude abyssale qui ne l’empêche pas de rendre service à tout un chacun. Quant à la famille Lavoie, elle vit en marge de ses concitoyens et son bonheur ruisselant donne des hauts le cœur à leur entourage; surtout qu’ils squattent souvent le parc du village frappé d’une malédiction. Quant à Alice, elle impose son silence pour se préserver des jugements et de la vindicte populaire que lui vaut un triste événement du passé.
Que font là Marie et Simon alors qu’ils portent le fardeau de leur propre peine? Leur exil aura sur eux l’effet d’un tourbillon qui emporte tout sur son passage. Ils n’ont d’autre choix que d’apprivoiser le décès Marguerite, leur fille, ce pourquoi ils ont fui la ville. C’est la tristesse du couple qui rapproche Alice de Simon, car la jeune femme comprend le vertige qu’il ressent au point de lui expliquer pourquoi on la croit sourde et muette.

Ici, ailleurs est, à mon avis, une œuvre de maturité, une histoire dont la trame a obligé Matthieu Simard de choisir et peser tous les mots, toutes les images de son discours littéraire afin qu’ils communiquent les faits, mais aussi l’état d’esprit de chacun des personnages. Le romancier les amène ainsi à développer une solidarité autour des malheurs communs, ce qui exclut Marie et Simon, les repoussant jusque dans les tranchées de la mort où git leur fille. Il ne pouvait en être autrement.

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