mercredi 25 avril 2018


L’encyclopédie du 21e siècle : tout connaître …en 30 secondes

J’ai recensé la majorité des essais de la collection …en 30 secondes que publie Hurtubise depuis juin 2011. La quarantaine d’ouvrages parus à ce jour constitue une bibliothèque des connaissances actuelles sur chacun des sujets abordés. Éditée par Ivy Press au Royaume-Uni, traduite ici ou en France, cette encyclopédie brosse une fresque des savoirs aussi bien sur l’énergie et la génétique, que sur la Grèce antique, la musique classique ou l’univers de Shakespeare. Je profite de la parution récente de trois nouveaux ouvrages pour souligner l’importance de telles introductions à des univers parfois très loin de nos intérêts habituels.



John Flower
Paris en 30 secondes
Montréal, Hurtubise, coll. « En 30 secondes », 2018, 162 p., 22,95 $.
Je vous propose d’abord un tour de Paris en 30 secondes, un travail d’équipe dirigé par John Flower, car la majorité des livres de la collection sont le résultat d’un travail d’équipe. À travers les pages de ce Paris, on découvre « 50 lieux, événements et personnages incontournables qui ont façonné la Ville lumière ». L’ouvrage s’intéresse à sept aspects de la ville : son histoire, ses quartiers, la Seine et les espaces verts, ses marchés publics, l’importance de l’Art et de l’architecture, ses musées et les autres loisirs disponibles, les alentours de Paris. Chacune de ces sections consacre deux pages à un personnage ayant marqué la ville, de Balzac à Louis XIV, de Guimard à Sarah Bernhardt, de Rodin à Toulouse-Lautrec, en passant par le baron Haussmann.
La formule est toujours la même, d’un livre à l’autre : une entrée principale sur le sujet, un aspect ensuite détaillé, une brève présentant un ou des personnages importants, et quelques références bibliographiques complètent le tout.
Tant de livres sont consacrés à Paris qu’on peut se demander quelle est la particularité de celui-ci. Je suis d’avis qu’il en propose un bref tour d’horizon en s’arrêtant sur des lieux et des personnages incontournables. Il s’adresse autant à ceux qui rêvent d’y aller qu’aux gens comme moi qui veulent se souvenir de l’éclat de la Ville lumière même après plusieurs séjours.

Boyle, David
Les grandes inventions en 30 secondes
Montréal, Hurtubise, coll. « En 30 secondes », 2018, 160 p., 22,95 $.
La seconde nouveauté s’intitule Les grandes inventions en 30 secondes. David Boyle y rend compte de « 50 inventions qui ont changé le monde, de la boussole au téléphone intelligent », en passant par le plastique, le moteur à combustion interne, le microscope, la calculatrice ou la réfrigération. Ce livre rappelle qu’il y a eu des époques, certaines récentes, où les populations ne disposaient pas de certains outils ou de remèdes pour faciliter leur existence.
Les domaines abordés dans l’ouvrage sont : les matériaux, la construction et l’ingénierie, le transport et la localisation, la médecine et la santé, les communications, l’économie et l’énergie, la vie quotidienne. J’ai eu un grand plaisir à naviguer d’un sujet à l’autre, toujours étonné de savoir et de comprendre les origines de certaines inventions parfois très étonnantes. Si la recherche fondamentale occupe une place importante, le hasard a parfois été l’étincelle qui a fait jaillir l’idée d’un nouveau concept.

Brian Clegg
Énergie en 30 secondes
Montréal, Hurtubise, coll. « En 30 secondes », 2018, 160 p., 22,95 $.
Enfin, je vous invite à lire Énergie en 30 secondes, un sujet qui mérite de nous intéresser comme individu, mais aussi comme société. Traduit au Québec par Michèle Morin, l’ouvrage de l’équipe de Brian Clegg me semble une introduction basique sur 50 sujets relatifs à l’énergie réunis ainsi : les notions essentielles, dont les principales sources d’énergie, l’énergie naturelle, le stockage d’énergie, la transmission de l’énergie, la conversion énergétique, l’énergie verte, l’énergie et l’entropie (mesure de désordre dans un système). Les sujets abordés sont pointus, mais les explications données en permettent la compréhension si on est attentif.
La collection …en 30 secondes nous ouvre des portes du savoir en proposant des aide-mémoires rappelant l’essentiel de chacune des champs de connaissance abordés. À nous d’y entrer.

mercredi 18 avril 2018


Frédérick Lavoie
Avant l’après : voyages à Cuba avec George Orwell
Chicoutimi, La Peuplade, 2018, 448 p., 27,95 $.

Tout inclus, avez-vous dit!

Le titre de cette chronique évoque l’éloignement du quotidien, sans autre préoccupation que laisser passer le temps, sans même observer la population et les lieux, sans partager leur histoire et leur culture. Qu’en est-il d’un « tout inclus » dont on profite autrement que dans la seule oisiveté?
L’idée du « tout inclus » de Frédérick Lavoie, journaliste pigiste dont on a pu lire au Allers simples, aventures journalistiques en post-soviétie (2012) et Ukraine à fragmentation (2015), s’entend autrement. Il s’installe chez l’habitant pour vivre au même rythme que lui avec, en poche, une feuille de route noircie de questions auxquelles il cherche des interlocuteurs capables de satisfaire sa curiosité de « tout inclure » dans sa quête sociopolitique et sociologique.
Impossible ici de ne pas dire un mot d’À table avec l’ennemi, une suite de six émissions diffusées sur les ondes de TV5 où Lavoie, en compagnie du chef Charles-Antoine Crête, réunit, autour d’un repas élaboré en respectant les traditions des vis-à-vis, des gens qui ressentent plus une aversion qu’une amitié opposant les uns les autres. Il fut ainsi question de la guerre civile colombienne, du Fatah contre le Hamas, de la frontière américano-mexicaine, du génocide rwandais 20 ans plus tard, de la révolte au Chiapas et des affrontements des Tamouls contre les Cinghalais au Sri Lanka. Pour tout dire, il fallait avoir du cran pour ainsi réunir autour d’une table des frères ennemis.




Frédérick Lavoie a récemment publié Avant l’après : voyage à Cuba avec George Orwell (La Peuplade, 2018), un ouvrage qui, comme ses livres précédents, tient du récit et de l’essai. Cette fusion des genres facilite la compréhension de sujets qui, autrement, pourraient sembler complexes. Ici, l’auteur s’intéresse à la société et à la politique cubaine de l’ère Castro, mais surtout de la fin du régime révolutionnaire.
Que vient faire l’écrivain anglais George Orwell dans cette recherche? Lavoie utilise trois textes de cet auteur –les récits de politique-fiction La ferme des animaux (1945) et, surtout, 1984 (1949), et un bref essai Pourquoi j’écris (1946) – comme points de référence pour lui permettre d’observer jusqu’où le régime dictatorial a assoupli son pouvoir en permettant la publication d’œuvres critiques d’une dictature.
Le journaliste effectue trois voyages à La Havane, entre février 2016 et février 2017, après avoir lu que 1984 allait être réédité dans une nouvelle traduction cubaine. « Mais qui donc a autorisé la parution d’une telle hérésie sociopolitique », s’est-il demandé?
Habitué aux dédales administratifs de l’ancienne URSS, Lavoie voyage comme touriste et s’installe chez la mère d’un ami afin d’éviter tout soupçon sur le véritable but de ses séjours et d’avoir les coudées franches pour mener son enquête. C’est le récit de ses séjours, des gens qu’il a côtoyés, des habitudes qu’il a prises, des observations et des analyses qu’il a pu faire des transformations du pouvoir politique des Castro qu’il raconte de façon détaillée. Rien ne semble échapper à sa vigilance au grand bénéfice du lecteur ou de quiconque s’intéresse à la politique internationale.
Si Cuba n’est qu’une île de passage pour plusieurs d’entre nous, c’est que ses politiciens sont parvenus à se faire oublier et à banaliser les conditions de vie de la population cubaine. C’est cet écran de fumée masquant les rigueurs politiques que repousse la démarche du journaliste qui fait ainsi voir ce qu’un séjour « tout inclus » cache ou que les villégiateurs ne veulent surtout pas voir. Or, les gens que fréquente Lavoie sont des intellectuels hautement politisés qui sont en mesure d’estimer les rigueurs du pouvoir, même les plus subtiles. Cela justifie amplement qu’« avant l’après » du titre suggère que ce livre trace une fresque vivante de cet entre-deux politique.
Ultime tentation de l’auteur : lire un extrait de son livre, en public à Cuba, pour « transgresser une limite non écrite, mais évidente, à la liberté d’expression sur l’île afin de mieux souligner son existence. » Surtout, Frédérick Lavoie tente « d’encapsuler le présent [cubain] pour un usage futur », alors que ce pays traverse une période charnière de son histoire. C’est aussi un arrêt sur image d’une autre chute du communisme dont il a déjà été témoin.
Ce voyage, en compagnie de George Orwell, pour observer l’Avant l’après du castrisme, se lit comme un roman d’aventure, à la différence que nous sommes dans la réalité du Big Brother de 1984 plus vivante que jamais.

mercredi 11 avril 2018


Mélanie Grégoire
Les quatre saisons de votre potager
Montréal, Québec Amérique, 2018, 200 p., 29,95 $.

Dépendre un peu de soi l’été durant et même après

Il fut une époque où, de la mi-mars à la mi-avril, plusieurs ouvrages traitant de jardinage ou d’horticulture s’accumulaient sur de ma table de travail. Plus fidèles qu’une hirondelle, ces guides proposaient diverses méthodes de culture maraîchère, des semis aux fines herbes, suggérant parfois des recettes d’un autre temps. En 2018, l’ouvrage de Mélanie Grégoire, Les quatre saisons de votre potager, m’est parvenu. Quel ouvrage!




Jugement hâtif, direz-vous? Non, c’est le commentaire élogieux de Marie, mon épouse, qui a grandi entre deux plants de tomate et de basilic. Et d’ajouter: « Avec ce guide, même toi qui n’as pas le pouce vert tu saurais faire un potager et, qui sait, le réussir ».
D’entrée de jeu, l’organisation des informations proposées dans l’ouvrage est on ne peut plus claire : la raison d’être d’un potager et les préparatifs requis, ce qu’exige un potager de mars à octobre et les surprises de la période hivernale. À cela s’ajoute trois annexes portant sur les ravageurs et les maladies susceptibles de nuire à votre culture, une carte de la date moyenne du dernier gel printanier et une autre, du dernier gel automnal.
La question initiale est déterminante : pourquoi faire un potager? En une page, l’auteure répertorie pas moins de huit bonnes raisons de se lancer dans cette aventure: le simple plaisir, en faire un projet familial, pour économiser, pour cultiver sans pesticides et avoir un meilleur contrôle sur la qualité des produits, pour la saveur et la valeur nutritive de la production, pour une certaine fierté personnelle ou familiale et, enfin, pour apprendre à diminuer le gaspillage. Si cela semble un programme chargé, c’est que tous les aspects positifs du jardinage ont été pris en considération, ce qui n’engage pas tous les jardiniers.
Faire un potager est un travail sérieux, même s’il est entrepris de façon ludique. Il faut donc planifier son organisation avant de se lancer dans l’aventure. Cela commence par le temps qu’on veut y consacrer chaque jour ou chaque semaine, ce qui détermine un peu la production qu’on souhaite atteindre. Un potager pour nourrir une seule personne est différent que pour une famille de six. De là, il faut considérer ce qu’on veut y faire pousser et l’espace physique que ces plantations requièrent ou qu’on peut leur consacrer, allant des pots sur la galerie au potager en carrés ou surélevé, voire en pleine terre.
Fera-t-on ses propres semis ou achèterons-nous les plants préparés chez les maraîchers le temps venu? Les pages du mois de mars expliquent comment cultiver ses semis, étape par étape. Je dois dire ici que les nombreuses illustrations qui accompagnent les propositions du guide sont d’une très grande qualité, tant un niveau de ce qu’elles représentent que de leur aspect purement artistique.
Avant de mettre nos mains en pleine terre, il faut évidemment consulter la carte nous informant de la date moyenne du dernier gel printanier. Si la Montérégie est avantagée, ce n’est d’ailleurs pas pour rien que ce vaste territoire soit considéré comme le jardin potager du Québec, il faut quand même considérer la fragilité à la température de certaines plantations.
Il ne faut pas non plus croire qu’une fois semé le potager ira tout seul. Il requiert un entretien au jour le jour, ne serait-ce que pour suivre l’évolution de chacune des plantations et leur fournir les soins appropriés. On peut aussi renouveler certaines plantations en cours de saison et même en faire de nouvelles dont la maturité est plus rapide ou plus tardive.
Avec Les quatre saisons de votre potager, Mélanie Grégoire communique très bien sa passion de s’impliquer dans la culture d’un potager à une époque où la nature reprend ses droits et rappelle nos devoirs à son égard.

mercredi 4 avril 2018


Xue Yiwei
Les gens de Shenzhen, traduit du mandarin par Michèle Plomer
Montréal, Marchand de feuilles, 2017, 224 p., 19,95 $.

Shenzhenner ou immigrer chez soi

J’étais curieux de lire Xue Yiwei, écrivain sino-Montréalais, pour mettre à jour ma connaissance littéraire de la Chine. C’est Michèle Plomer qui a proposé à l’auteur de dix-huit ouvrages de traduire Les gens de Shenzhen, un recueil des dix nouvelles, plusieurs se déroulant à Shenzhen, une municipalité de plus de 7 millions d’habitants regroupant la plus jeune population du pays.




« La fille de la campagne » a d’abord retenu mon attention. L’histoire se déroule à bord d’un train Toronto-Montréal emprunté régulièrement par la fille du titre. Ce jour-là, un Asiatique est son voisin de banquette. En route, elle s’adresse à lui, curieuse de ses origines, puis la conversation s’engage sur Paul Auster et l’authenticité d’une œuvre traduite. Ils s’interrogent : « Une traduction est-elle identique à l’œuvre originale? Une traduction peut-elle y être fidèle? […] Quelqu’un n’ayant jamais lu l’original d’un ouvrage peut-il juger de la qualité de sa traduction? »
Cette rencontre se poursuit par un échange de courriels. Un jour, celui qui a habité Shenzhen lui envoie une toile représentant une jeune femme nue. Étonnée, la jeune femme constate qu’elle lui a servi de modèle. L’artiste explique, dans une lettre accompagnant l’œuvre, ce qui l’a poussé à faire cette toile qu’il intitule « Mon petit monde de rêve ». Il lui apprend aussi avoir reçu un diagnostic médical fatal, raison pour laquelle il ne peut aller à sa la rencontre.
Plusieurs des fictions du recueil se déroulent dans des univers clos, un microcosme où les acteurs terminent un cycle de leur vie qui, parfois, les propulse vers un état nouveau. «Le prodige», par exemple, nous fait côtoyer un jeune garçon talentueux encouragé par ses parents à suivre des leçons de piano. Un grand maître s’intéresse à lui et le prend pour élève. Tant que sa mère l’accompagne, ses aptitudes progressent, mais dès qu’il va seul à la leçon, les choses changent rapidement. L’enfant ne comprend pas l’intérêt soudain du professeur pour sa personne, les abus dont il devient la victime lui font détester le piano et son maître. Devenu un homme, il dira : « Treize ans ont passé et c’est la mort du diable qui rouvre toutes ces plaies. Je n’ai plus joué de piano. J’ai également abandonné la lecture, les échecs et tous mes autres passe-temps. Je suis devenu un enfant qui ne s’intéresse à rien. »
D’autres « petits malheurs » sont gravés dans la trame des autres récits du recueil Les gens de Shenzhen. Ainsi, « Le chauffeur de taxi » quitte son emploi, la ville lui étant devenue méconnaissable depuis le décès de son épouse et de leur fille. Que dire du drame que vivent les « deux sœurs », la grande et la petite, cette dernière affirmant à un homme de théâtre que si « notre vie est une pièce de théâtre, alors la nôtre est une tragédie ». Ce « dramaturge », au cœur de la nouvelle éponyme, s’est éloigné de la reconnaissance que son œuvre lui méritait afin de retrouver un amour maladroitement perdu.
Jamais ces personnages, aussi malmenés par les aléas de la vie, n’éprouvent de la rancœur. Ils font plutôt preuve de résilience face à l’adversité à laquelle ils ont été soumis bien malgré eux. Au point où on peut se demander si leur apparente sérénité n’est pas simplement une autre façon d’exprimer leurs émotions.
En refermant Les gens de Shenzhen, je me suis demandé, comme les personnages de « La fille de la campagne », si les nouvelles du recueil étaient comme Xue Yiwei les avait imaginées et écrites ou si elles étaient plutôt teintées des pratiques littéraires de Michèle Plomer, la traductrice. Sachant que l’auteur et la traductrice ont collaboré pour mener à bien le travail, j’aime croire que ce livre est bel et bien l’œuvre du premier, maintenant écrit sur la portée de la traductrice.