mercredi 10 juillet 2024

Geneviève Blais

Une histoire dans une histoire dans une

Montréal, Poètes de brousse, coll. « Poètes de brousse », 2024, 104 p., 22,95 $.

La poésie n’a pas de frontières

S’il peut sembler plus simple d’observer l’évolution d’une œuvre picturale que littéraire, il n’en demeure pas moins que toute œuvre artistique profite généralement du passage des ans et d’une certaine maturité créatrice sans pour autant dénaturer son élan premier.

Cette réflexion m’est venue en ouvrant Une histoire dans une histoire dans une, le sixième recueil de Geneviève Blais. En exergue, une citation d’Elena Ferrante, femme de lettres italienne : « Le temps est un souffle, pensais-je, aujourd’hui c’est mon tour, dans un instant celui de ma fille, c’est arrivé à ma mère, à tous mes ancêtres, peut-être cela était-il encore en train d’arriver à elles comme à moi, simultanément, cela se pourrait. »

Ces mots appellent ceux de Blais qui se les approprie dans les vers de trois poèmes – « Vienna », « Vives-eaux » et « Veiller » – lesquels s’harmonisent en des images de femmes semblables dans leurs différences en se passant le témoin invisible de l’existence dans une course à relai infinie.

Cela m’a rappelé La danse du figuier (Mémoire d’encrier, 2021), premier recueil d’Emné Nasereddine, dont l’intensité poétique de l’image de trois femmes hissées en haut du mat des souvenirs faisant ainsi flotter les étendards de Téta, la grand-mère, de Fadwa, la mère, et d’Emné, « la fille qui dit la tendresse de celles qui l’ont précédé ».

La sororité des deux écrivaines se poursuit un peu ici dans un décor semblable :« Elle s’est Vienna, c’est la femme / qui connaît le sable et les tempêtes / qui pioche des tunnels jusqu’à vos rétines // Elle veille les vautours / qui tournent au-dessus de son corps. » Il en sera tout autrement de l’image des hommes : « Les hommes arrivent / ils érigent une charpente. // Ils agrippent Vienna la traînent / la soulèvent entourent son cou / la soulèvent les pieds sur le baril / la soulèvent tirent la corde / la soulèvent son corps à la verticale. // La laissent tomber. »

L’image forte de mère et de fille prend une autre dimension dans « Vives-eaux », le second poème du recueil. Lisez : « Des affiches sont placardées sur les murs d’un village, une mère et son enfant sont recherchées. Les rumeurs ne parlent que de ça : une marâtre, une damnée, une fascination. On dit que ça fait partie de son ADN. » Cette vindicte populaire ne semble pas convenir au personnage de la mère et de son enfant-fille, car l’aînée porte l’enfant dans une nage longue et périlleuse dans les eaux d’une mer inhospitalière jusqu’à une mangrove, tout aussi hostile. Leur survie compromise, que fera la mère? « Elle couche son enfant-fille sur le dos, lui caresse doucement la tête. Elle s’éloigne. Elle voudrait renoncer à son idée qui devient une obsession qui devient sangsue qui devient halètement. Elle tente de penser à autre chose. »

Le troisième et dernier poème s’intitule « Veiller », comme dans « prendre soin de ». La voix qui lit cette prose poétique est aussi celle d’une mère qui, cette fois, se préoccupe de son enfant-fille. « Ton enfance s’éloigne en même temps que tes mains des miennes. Les miennes, mes mains, elles tracent le contour de ta peau, grattent un peu aussi, traversent le derme. Et s’enfoncent. Jusqu’à cette odeur mammifère. » La tension du propos est soutenue, car d’autres dangers guettent l’enfant malgré la vigilance de la mère. Des dangers qu’abrite la forêt environnante qui appelle la fillette ou était-ce elle-même qui le fait. « Avant que tu ne portes les dizaines ou que ma main pende seule en traversant la rue, je récupère tout ce que je peux d’unités de toi. / Je m’en fais un habit, une beauté. »

En recensant L’incident se répète (Poètes de brousse, 2007), le premier recueil de Geneviève Blais, je concluais qu’il fallait y porter sérieusement attention à cette nouvelle venue. Cette remarque est cette fois amplifiée par le dramatique du thème des relations mère-fille et l’affinement de l’écriture de l’écrivaine. La réflexion féminine, sinon féministe, suggère une prise en charge des responsabilités matriarcales au sein d’une société qui s’adapte aux nouvelles exigences qu’elle impose elle-même à celles et ceux qui la composent.

mercredi 3 juillet 2024

Hugues Corriveau

Autour de l’enfance

Montréal, Mains libres, coll. « Nouvelles », 2024, 138 p., 23,95 $.

« Au fond, ça peut faire tout c’qu’on leur apprend »

Hugues Corriveau est poète, romancier, nouvelliste, essayiste et critique littéraire à l’impressionnante carrière, à l’œuvre généreuse. Certes, ce n’est pas au nombre d’ouvrages qu’on reconnaît un grand écrivain, mais à l’évolution de son style et de l’appropriation qu’il fait de l’appareil littéraire, ce qui se constitue la littérarité originale de son œuvre.

L’écrivain Corriveau propose aujourd’hui Autour de l’enfance, un recueil de 22 nouvelles regroupées en deux segments, « côté clair » et « côté sombre ». Chacune de ces histoires brèves rappelle ces films super-8 longtemps à la mode dans les familles modérément fortunées qui captait le moindre événement d’importance comme d’autres le faisaient grâce aux innombrables photos ou diapositives.

La narration est généralement assumée par une voix hors champ, omnisciente, dont le monologue décrit un événement précis, le titre de la nouvelle en évoquant le sujet. Par exemple, Thomas le lecteur, Jules le discret, la chatte et l’enfant, le deux dollars, le jour du père, l’enfant envasé, etc.

Il n’y a pas à proprement parler de « morale de l’histoire » comme dans les fables, mais un certain regard sur l’action décrite ou racontée qui guide la compréhension du lecteur là où l’écrivain veut l’amener. Il en est ainsi du « garçon sur la chaise » où le narrateur est aussi un des deux personnages en action. Cet enfant raconte cet autre assis dans un fauteuil roulant : « Nous restons là, lui prisonnier de son fauteuil, moi me tenant debout face à lui. Un grand silence nous protège du reste du monde, crée une bulle de tranquillité qui nous pénètre d’un bienfait sans nom. » Se dessine, en peu de mots, le rapprochement des protagonistes jusqu’au silence absolu qu’impose la disparition du plus faible, le narrateur ignorant la cause, mais supputant le décès.

« Jumeaux », un des plus longs textes du recueil, raconte Éloi et Élie, les jumeaux du titre, qui éprouvent une dépendance affective l’un envers l’autre, les déboires et les joies, que cette fusion émotionnelle leur fait vivre. La puissance de cette gémellité les fait basculer en dehors de toute réalité, la leur suffisant largement. « Ils sont pris dans un étau. Forcés de se replier sur eux-mêmes dans la trop pesante beauté de leur prénom, dans la fable qu’ils représentent, pipistrelle [chauve-souris] et polatouche dans la nuit quand ils se sauvent près de la falaise, si tentés de se jeter du haut du promontoire, saut dans l’effervescence de Dieu. » Cette nouvelle est une véritable symphonie d’euphonies, ces sons qui en cachent d’autres, comme ceux de leur prénom, Élie et Éloi, devenant « Et lis les lois ».

« L’espace clos » relate la rencontre de François et de Noah. « Quand, de force, on le [François] dehors, c’est pour le laisser tomber dans la solitude moite de l’été. Pour qu’il joue avec sa tristesse de petit garçon expulsé vers l’extérieur, vidangé au milieu des bruits des élytres. » C’est ainsi qu’apparaît Noah : « L’enfant noir se remet debout et marche sans prendre garde ni aux tiges, ni aux corolles, ni aux insectes coupeurs de chair. Il se rapproche de François assis… Ils admirent le désastre des fleurs écrasées par Noah et ils sourient. » Les garçons font des interdits des adultes un jeu dévastateur qui les mène au-delà de la palissade devenue l’inutile protectrice du jardin.

La dernière nouvelle du « côté clair » associe sept brefs récits comme autant d’arrêts sur image d’un instant fulgurant. Ainsi « Jouer avec le cochon » où l’amusement des sœurs Germaine et Caroline m’est apparu pour le moins déstabilisant. Je vous fais grâce du plaisir charnel de voir égorger l’animal, car on « ne peut pas soupçonner qu’il y a pire que d’assister à l’égorgement d’un cochon, je n’aurais jamais pu, jamais pu supposer pire que cette histoire. »

Dans l’ensemble du recueil, cette histoire annonce celles de la seconde et leur « côté sombre ». Encore là, onze nouvelles semblables à l’envers de l’endroit, au bien du mal. Nous sommes toujours dans le monde de l’enfance qui est sans frontières autres que celles qu’on leur impose et dont ils trouvent parfois une façon de contourner.

Je note au passage – « Il est un chasseur de dinosaures époufroyables. » –qualificatif qui rappelle le regretté Claude Gauvreau « surtout reconnu pour son langage exploréen, une glossolalie poétique et un travail sur la langue basé sur l’automatisme. » (Wikipédia, 14-05-24)

Ainsi, il y a petit Pierre, l’antihéros du texte intitulé « Le deux dollars » où il est victime de la violence perverse de ses camarades plus âgés de l’école primaire. Non seulement l’enfant est-il violenté verbalement et physiquement, mais ses peurs sont aussi alimentées par sa mère qui ignore cette violence, son fils ne se résolvant pas à le lui dire. Un jour pourtant, il « garde ses sous pour qu’il puisse vivre dans les livres et dans les dessins. »

La violence des enfants n’a rien d’infantile pour la victime et les bourreaux. Celle que subit « Lula, la belle » à cause de son surpoids est aussi difficile à supporter que celle de Pierre dans le précédent récit. Victime des railleries et des mauvais coups de ses camarades, madame Louise, son enseignante, ne sait comment réagir le jour où Raphaëlle plante « la pointe de son compas dans le dos de Lola afin de vérifier si elle ne va pas se dégonfler "comme une baudruche". « Elle est complètement dépassée. Elle ne veut pas d’ennui, la voici avec une blessée qui râle. Il lui faudrait comprendre pourquoi on imagine toujours les enfants sans méchanceté. »

Le titre, « L’Eulalie à son papa », annonce hélas! l’ignominie d’une relation incestueuse que l’écrivain aborde avec le plus de délicatesse possible en évoquant la situation et en décrivant le trouble physique et psychologique de la jeune fille. Le défi pour Hugues Corriveau consiste ici à écrire une page de littérature à partir d’une situation sur laquelle il n’y a que de l’ignoble à dire, et il y parvient en faisant le récit du côté de l’enfant et de l’ampleur de son émoi aussi vif que sa fin tragique.

En refermant Autour de l’enfance, je me suis souvenu de L’enfance (Noroît / Phi,1994), un recueil de Corriveau dont les « poèmes en prose baignent dans l’eau tantôt calme, tantôt trouble des évocations les plus sensibles de ce que l’enfance inspire » et qui, trente ans plus tard, sont devenus des récits tout aussi évocateurs. M’est aussi venue en mémoire une strophe d’une chanson de Paul Piché, « L’escalier », où il est dit : « Pis les enfants c’est pas vraiment vraiment méchant / Ça peut mal faire ou faire mal de temps en temps / Ça peut cracher, ça peut mentir, ça peut voler / Au fond, ça peut faire tout c’qu’on leur apprend ».

Hugues Corriveau, le critique redouté, est ici un redoutable prosateur dont les récits sont teintés d’une poésie sur laquelle se pose la trame, qu’elle soit délicate ou impertinente.

mercredi 26 juin 2024

Aki Shimazaki

Urushi

Arles, Actes Sud, 2024, 144 p., 29,95 $.

Au pays de l’adolescence de Suzuko

Aki Shimazaki, née au Japon et vivant à Montréal depuis 1991, a publié son premier roman, Tsubaki, en 1999 et n’a cessé depuis de faire paraître en continu une vingtaine de récits, regroupés en quatre suites – aussi appelées pentalogies – de cinq histoires indépendantes l’une de l’autre. Cela permet aux lectrices et lecteurs de choisir l’un ou l’autre de ces romans sans se préoccuper de ceux d’avant ou d’après. Celles et ceux qui aiment les romans-fleuves peuvent s’offrir une suite complète où ils retrouveront le même noyau de personnages, l’un d’eux devenant le narrateur d’un épisode.

Suzuran, paru en 2020, débutait la séquence intitulée « Une clochette sans battant », Anzu Niré, céramiste et mère célibataire, assurant la narratrice. Arrive en mai 2024, le dernier volet intitulé Urushi, ce qui signifie « laquier, arbre à laque, vernis du Japon, la laque elle-même » qui a pour usage de souder ou de coller deux ou plusieurs pièces d’un article en poterie ou en verre brisé.

La narratrice de cette histoire se nomme Suzuko Niré et elle est âgée de 16 ans. Elle fait partie de la famille Niré élargie puisque son père était le conjoint de Kyôko Niré, décédée à la naissance de Suzuko, qu’il a épousé Anzu, sœur de la défunte, et adopté son fils Tôru. Tous les quatre forment ainsi une famille reconstituée : « Nous étions tous les quatre des morceaux de familles brisées. »

La jeune narratrice ressent un grand amour pour Tôru, devenu son frère par la force des choses. Il y a un grand écart d’âge entre eux, si bien qu’il a souvent gardé Suzuko quand leurs parents s’absentaient. Qu’importe, elle cherche à lui avouer ses sentiments, ce qui la trouble profondément. Il faut savoir qu’au Japon le mariage entre cousins et cousines est permis, ce qui est le véritable lien entre elle et Tôru.

Il y a aussi ce moineau à l’aile brisée qu’elle a recueilli et dont elle prend soin tout en tentant de lui apprendre à dire quelques noms, dont le sien et celui de son frère. Que dire des études de Suzuko qui la préoccupe presque autant que son amour pour Tôru, car elle ignore dans quelle discipline poursuivre ses études universitaires, une décision qu’elle doit prendre bientôt. Elle aimerait bien aller dans une université sise dans la ville où habite Tôru, mais ce dernier et leurs parents lui conseillent de choisir une université de la ville où la famille habite, ce qui faciliterait son intégration à l’éducation supérieure.

Suzuko est solitaire et elle ne fréquente pas ses consœurs ou confrères en dehors de l’école. Il y a bien Yoshio Katô qui lui a laissé un message dans lequel il lui avoue son béguin, mais l’adolescente ne veut pas fréquenter un garçon de son âge et laisser naître un sentiment amoureux, réservant cet espoir à son propre frère.

Suzuko ne vit pas reclus pour autant. Outre sa vie familiale très active – ses parents étant très présents dans sa vie quotidienne, malgré le travail de chacun, et lui permettant généralement de s’inscrire aux activités parascolaires de son choix, voyant là des sources du développement de sa personnalité –, il y a ses cousines Miyoko et Namiko, les filles de Nobuki, le frère de sa défunte mère et d’Anzu, sa mère adoptive. Mais, il y a une ombre au tableau :Namiko rêve d’épouser Tôru, ce qui contrarie Suzuko.

Au début du roman, Tôru est en voyage à Hawaï et il doit passer quelques jours dans sa famille avant de rentrer chez lui à Nagoya. Suzuko croit que c’est le temps ou jamais de lui faire sa déclaration d’amour. Aki Shimazaki nous donne à nouveau l’occasion d’observer la dynamique d’une famille japonaise éduquée, financièrement à l’aise – le père, jamais nommé dans le texte, est chimiste pour une grande société et Anzu est une céramiste réputée – et dont les liens familiaux sont tissés serrer.

Toujours à la recherche de nouvelles activités parascolaires susceptibles de l’aider à choisir un métier ou une profession qui lui conviendrait, ses parents l’encouragent à suivre des cours de "kintsugi", la « réparation de céramiques avec la laque "urushi" et de la poudre d’or, un art japonais remontant à plus de quatre siècles aussi appelé art de la résilience. » Ils lui proposent même des objets auxquels ils tiennent et qui méritent d’être réparés, dont une clochette achetée lors d’un voyage important.

Au premier atelier, Suzuko se croit la plus jeune du groupe jusqu’à ce qu’un garçon de son âge arrive juste à temps pour le début de la leçon. Elle croit le reconnaître, mais préfère se concentrer sur ce qu’on lui apprend, car, perfectionniste, elle veut mener à bien les travaux qu’on lui a confiés. À la fin de l’atelier, Yoshio Katô lui confie qu’il est le dernier à s’être inscrit à l’atelier, surtout parce qu’on lui a dit qu’il ferait un bon compagnon pour la plus jeune inscrite, Suzuko. Or, c’est Yoshio qui lui a laissé une lettre d’amour à laquelle elle n’a pas donné suite, même si cela l’a troublé.

Tôru est rentré de voyage, son bref séjour chez les siens est fort occupé, au point où Suzuko ne parvient qu’in extremis à lui avouer son amour. La réaction de Tôru blesse l’adolescente, car, si son frère ressent un amour fraternel à son endroit, il ne deviendra jamais son époux. Dépitée, elle se promet bien de revenir à la charge. D’ici là, les activités de chacun, chacune se déroulent dans une atmosphère de quiétude familiale : sortie à la mer, visite du père d’Anzu – Tetsuo Niré –, travail des parents, études et ateliers de l’adolescente.

Cette dernière a enfin une nouvelle occasion pour relancer son frère et lui redire tout l’amour qu’elle a pour lui. Devant tant d’insistance, Tôru lui fait une confidence que même leurs parents ignorent : il a un amoureux depuis cinq ans. Inutile de dire que Suzuko est d’abord dépitée, mais elle en vient à comprendre que, si elle aime vraiment son frère, elle doit respecter son choix qui le rend heureux.

La vie de famille ne cesse pas pour autant, pas plus que la vie personnelle de chacune et chacun. Ainsi, Suzuko continue les ateliers de "kintsugi" et répare les pièces que ses parents lui ont confiées. Elle pense même approfondir ses connaissances et ses habiletés pour en faire carrière. Elle se rapproche aussi de son jeune prétendant et découvre chez lui des intérêts communs ou complémentaires à la personnalité de chacun d’eux. Bref, une histoire d’amour naît entre eux.

À nouveau, Aki Shimazaki a su imaginer des personnages attachants, les mettre dans des situations éprouvantes dont ils apprennent à se sortir ou à en tirer le meilleur, et mettre la famille à la croisée de toutes les routes que la trame narrative emprunte. En cette ère où règnent l’éphémère et les grands conflits, la quiétude qui se love au creux des différences des personnages de Urushi fait du bien à découvrir. J’allais oublier : Suzuko signifie « petite clochette ».

mercredi 19 juin 2024

Yves P. Pelletier

Me suivez-vous?

Montréal, VLB éditeur, 2024, 272 p., 24,95 $.

L’art de faire des choix, bons ou mauvais

Il y a d’abord eu, en 2022, Déboussolé, à la fois journal intime et récit de ses voyages, dans lequel Yves P Pelletier raconte les faits saillants de sa vie de jeune adulte, de 1981 à 1993. On y découvrait un personnage quasi insaisissable malgré l’image « d’adulescent » cabotin qu’il projetait dans l’espace public, héritée des divers personnages qu’il interpréta avec ses complices du groupe RBO.

S’il a continué d’écrire depuis – entre autres, les textes de Valentin, roman graphique illustré par Pascal Girard, et ceux du recueil Le pouvoir de l’amour illustré par Iris (La Pastèque) –, il a aussi participé à divers projets avec ses amis humoristes, réalisé des films de fictions remarqués et quelques documentaires saisissant, sans oublier qu’il a continué de voyager en Europe et en Asie. C’est ce qu’il raconte dans Me suivez-vous?, utilisant la même formule mixte de journal intime et de récit de ses voyages, se déroulant cette fois de mai 1993 à décembre 2004.

Lisons ce que son éditeur dit de ce nouvel opus : « Dans Déboussolé, on avait rencontré un jeune homme dégingandé et romantique qui s’apprêtait à quitter sa chambre d’ado attardé à Laval pour partir la découverte du monde, et de l’amour. Dans Me suivez-vous?, on retrouve un adulte au sommet de sa gloire au sein du groupe d’humour qui l’a fait connaître, toujours aussi voyageur, toujours aussi romantique. Toujours aussi… perdu?

Sans doute pas. Il a beaucoup travaillé sur lui-même : quand le rythme de travail de RBO ne lui convient plus, par exemple, il dit " non ", maintenant. Quand les attentions excessives d’une admiratrice commencent à vraiment le terrifier, il ravale sa fierté et prend le téléphone : " Bonjour… la police? ". Et quand la mélancolie de l’éternel retour de ses modèles amoureux devient trop étouffante, il prend le premier vol pour l’Himalaya. »

Yves P. Pelletier est un "ramasseux" : carnets, documents et, surtout, souvenirs, comme ceux, poétiques, de ses voisins sur la rue Pontiac, Gérald Godin et Pauline Julien, ou celui, poignant, d’un moment de complicité muette sur un terrain de golf avec son ami Guy, qui venait de vivre un drame terrible. L’humour est là, toujours, salutaire, tout comme cette insatiable curiosité qui lui fait se lier d’amitié aussi facilement avec un vénérable moine bouddhiste, aussi appelé lama, qu’avec une chorégraphe de Bollywood, un cinéaste expérimental parisien, ou trois disquaires népalaises expertes en marchandage. Sans parler du mystérieux Docteur U.

Tout cela reflète bien la personnalité du livre et ce que l’auteur y raconte avec une certaine pudeur – qui aime raconter publiquement, ou même auprès d’intimes, ses fautes si bénignes soient-elles? – qui parfois surprend. Baissant la tête, comme un repentant, il avoue ses maladresses, la fuite en avant – comprendre voyages à l’étranger – étant son ultime argument par-devers lui-même d’abord, mais, surtout, à l’égard d’une amoureuse ou d’un engagement professionnel qu’il ne se résout pas à quitter ou à refuser.

Ayant choisi la forme du journal plus personnel qu’intime, Pelletier aborde ce qu’il semble considérer comme les dix-sept moments clés de la dizaine d’années de son parcours. Puis, à l’intérieur de chacun de ces moments, on trouve des dates et des lieux précis qui modulent ses activités.

En parcourant ces aide-mémoires, on aperçoit à l’horizon de son quotidien une personnalité quasi à l’opposé de l’image qu’il projette devant un auditoire, quel qu’il soit. Il y a le facétieux, le faux ou le vrai timide, l’inquiet et le déterminé face aux projets qui lui tiennent à cœur. Par-dessus tout, il y a « l’adulescent » en constante bataille avec son besoin d’amour des femmes et sa détermination à ne pas s’embarquer dans une relation stable, contraintes normales incluses.

Relisant mes notes de lecture de Déboussolé, je m’interroge sur la certaine zénitude, cet équilibre entre le besoin de Yves P. Pelletier de liberté et son devoir de partager avec d’autres, qui y apparaissait et qui semble cette fois évaporées ou dissoutes. Était-ce parce que, à l’intérieur de chacune des dix-sept avenues explorées, il y a plusieurs ruptures spatiotemporelles nous amenant de la rue Pontiac et de ses voisins Julien-Godin à un séjour en France ou dans des pays d’Asie, notamment le Tibet, où il retrouve toujours des amies et des amis qui lui ouvrent les portes donnant directement accès à une société que les touristes ignorent en général.

Être si ouvert, intéressé ou même très généreux à l’égard d’autrui est tout à son honneur, mais néanmoins dichotomique à ses relations avec les femmes. Mais, rappelons-nous, ces récits relatent des événements vieux de plus de vingt ans et, comme il le souligne parfois, le temps fait son œuvre. À 63 ans en 2024, Yves P Pelletier peut avoir fait la paix avec ses démons affectifs. Chose certaine, il ne perdra probablement jamais cette naïveté bon enfant qui est, je crois, non seulement sa marque de commerce avec le public, mais surtout dans ses relations interpersonnelles ou peut-être même amoureuses.

« Guidé par des élans contradictoires, je suis difficile à suivre. Narcissique humaniste, solitaire grégaire, égoïste charitable, control freak épris de liberté, amoureux qui élude l’engagement, toujours ici et ailleurs en même temps », écrit-il, résumant sans le savoir l’entièreté du propos de son livre et tout l’intérêt que nous avons à le lire.

mercredi 12 juin 2024

Catherine Leroux

Peuple de verre, Québec

Alto, 2024, 288 p., 27,95 $ (papier), 16,99 $ (numérique).

Migrants dans leurs propres terres

En découvrant le nouveau roman de Catherine Leroux, Peuple de verre, j’ai immédiatement pensé aux gens souffrant d’une maladie rare nommée « os de verre » ou ostéogenèse imparfaite qui les condamne à une fragilité osseuse extrême. On découvre rapidement que l’image choisie pour intituler cette fiction est appropriée, car ce peuple de verre ce sont « les inlogés », celles et ceux qu’on a éjectés de leur domicile pour des raisons irraisonnables ou parce que leurs revenus ne parviennent plus à payer un loyer lui-même irraisonnable.

Dystopie, un mot à la mode pour décrire diverses situations sociopolitiques ayant présentement cours sur la planète, signifie un « récit de fiction pessimiste se déroulant dans une société terrifiante (par opposition à utopie) ». Dystopie peut-il résumer l’univers imaginé par la romancière Leroux où le peuple est mis à mal de façon extrême?

Chose certaine, ce roman a une architecture narrative très pragmatique laquelle convient tout à fait à l’hyper réalité que porte la trame du récit jusqu’à se demander si cette trop grande réalité ne se transforme pas en science-fiction. Mais où se situe le point de rupture entre les faits et leur incessante accumulation?

Il y a d’abord le préambule où nous rencontrons Sidonie, la narratrice et auteure de ce carnet, car oui le roman est d’abord un carnet ou un journal personnel que le narratrice écrit pour respecter la consigne recommandée par Régine, la travailleuse sociale chargée de la ramener dans de meilleures intentions. Déjà là, on se pose mille questions sur la possible déviance dont souffre Sidonie qui exige un suivi « thérapeutique ».

Suivent douze séquences qui se dérouleront ou dans la résidence à laquelle Sidonie a été assignée ou chez elle à l’époque où elle était journaliste de terrain, avait un amoureux, un appartement, etc. J’y reviendrai.

Enfin, la chute du roman est composée d’un journal personnel de l’autrice intitulé « Notes 2016-2023 ». Elle y raconte sans ambages le « making of » du livre ou, plus précisément, les événements personnels lui ayant inspiré Peuple de verre.

Le principal lieu où se déroule l’essentiel du récit est une des nombreuses résidences que l’État a fait ériger pour héberger tous ces gens qui ont perdu leur logement, généralement pour des raisons financières, la maigreur des leurs ou celles toujours plus gourmandes des propriétaires d’immeubles. Les « inlogés », néologisme idoine à leur statut social, vivent littéralement en prison à cause de cet état de fait. Nous en découvrons quelques-unes qui occupent le même dortoir que Sidonie : Jenie, Ruth, Elle ou Elvire, Maximilienne, Pollinia, etc. Les qualités et les défauts de chacune sont mis à profit dans l’évolution de la trame et, tout aussi important, dans leurs relations avec Sidonie qui deviendra la leader du groupe.

Du côté de la vie personnelle de Sidonie, il y a Cyrille, un cuisinier auquel elle a été mariée quelques années et qu’elle a encouragé à devenir le maître d’une cuisine recherchée ou enviée. Ce compagnon a un chat nommé Spaghatte qui est un peu comme son enfant. Un jour qu’elle rentre du travail plus tôt que d’habitude, Sidonie retrouve Marieke, sa meilleure amie de toujours, en flagrant délit d’adultère. Aussi dramatique que la scène puisse sembler, la description qu’en fait l’autrice soulève les rires plus que les pleurs.

Sa vie de journaliste de la presse écrite et de la radio est au cœur de son existence. La qualité et le respect presque maniaque de son travail sont reconnus de toutes et tous. C’est au cours d’une enquête sur les SDF que son attention est dirigée vers de possibles disparitions de telles gens, mais que personne des milieux d’aide ne parvient à expliquer. Sidonie met tout son talent et sa curiosité pour résoudre le mystère de ces disparitions; si toutes les apparences de ces événements sont observables sur le terrain, personne n’a vu où ils disparaissent et, encore moins, où on les amène.

Elle est certaine de n’avoir d’autre choix que de créer de toutes pièces un tel événement et elle choisit une certaine Iphigénie pour jouer le rôle de celle qu’on enlève et qui devient ainsi une disparue. Elle demande à Lucius, un photographe qu’elle connaît, d’illustrer de la façon la plus vraisemblable possible le rapt. L’histoire d’Iphigénie écrite et les photos en main, elle présente le tout au journal qui l’emploie, étant donné qu’elle parle constamment de cette situation sans jamais, jusqu’alors, pouvoir prouver ce que certains disaient être une rumeur urbaine.

Ce qui devait arriver arriva : Sidonie fut à son tour enlevée et amenée dans une de ces résidences pour les « inlogés ». Catherine Leroux a très bien dosé la part de réalité et d’imaginaire, si bien qu’aussi fragiles que puissent sembler certains aspects de cette geôle, la vraisemblance dans le contexte social actuel est respectée. On craint d’abord plus que l’on veuille y croire, puis la réalité de ce qui est raconté fait pencher la balance.

Il faut dire que plus les péripéties relatives à la vie personnelle de Sidonie à l’extérieur des murs de la résidence/prison et sa vie intramuros se rapprochent, plus on se laisse prendre au piège de la narration qui prend ici et là des allures de science-fiction ou même à une forme de complotisme étatique. On est alors en droit de se demander qui est le plus proche de l’autre : la réalité ou la fiction?

Ce sont les « notes » qui concluent le roman qui nous permettent de mettre en perspective la dimension dystopique du récit par rapport au réel manque de logement ou d’habitation à prix abordable, selon divers contextes ou scénarios de la vie des individus dans la société québécoise actuelle. C’est aussi ça le rôle de la fiction littéraire : nous faire réfléchir aux situations extrêmes qui nous arrivent ou pourraient nous arriver, parfois sans crier gare.

mercredi 5 juin 2024

Gatien Lapointe

Ode au Saint-Laurent précédé de J’appartiens à la terre, édition établie par Jacques Paquin

Montréal, PUM, coll. « Bibliothèque du nouveau monde », 2024, 248 p., 39,95 $.

Faire dos à l’Amérique? Jamais.

L’édition critique d’œuvres littéraires a des exigences de haut niveau, car elle s’adresse à un lectorat intéressé par la littérarité de certaines œuvres, telle l’évolution d’un livre ou de tous les textes constituant l’œuvre d’une ou d’un écrivain. Au Québec, c’est l’écrivain et universitaire Jean-Louis Major qui fondit la « Bibliothèque du Nouveau Monde » en 1986. Aujourd’hui la collection « bnm poursuit la mission de cette prestigieuse collection. Comme sa grande sœur, elle rassemble les textes fondamentaux de la littérature québécoise en des éditions critiques qui visent à assurer l'authenticité des œuvres et leur lisibilité. »

Parmi les ouvrages parus, je pense à l’intégrale des œuvres d’Anne Hébert – 5 volumes sous la direction de Nathalie Watteyne – et, récemment, celle de Jacques Brault – 4 volumes sous la direction de Jacques Brault et François Dumont.

Voilà que s’ajoute Ode au Saint-Laurent précédé de J’appartiens à la terre, un recueil de poésie de Gatien Lapointe dont l’édition a été établie par Jacques Paquin. Outre l’intérêt intrinsèque des poèmes de Lapointe et de l’appareil critique constitué par Paquin qui les accompagnent, il y a, pour la population de Saint-Jean-sur-Richelieu, le fait que Lapointe fut embauché comme professeur au Collège militaire royal du Canada à Saint-Jean-sur-Richelieu (1962-1969). Il se lia d’amitié avec Jean-Yves Théberge qui dirige alors la page « Arts et lettres » de l’hebdomadaire Le Canada français.

Laissons Jacques Paquin présenter son projet : « Gatien Lapointe (1931-1983) fait partie des grandes figures de la poésie au Québec. La parution du recueil Ode au Saint-Laurent, précédée de J’appartiens à la terre, en 1963, est un événement qui est resté marquant sur la scène littéraire. Non seulement le recueil a-t-il reçu tous les honneurs, mais la réception critique a été unanime sur les qualités de cette œuvre poétique qui s’inscrivait dans la thématique du pays, en particulier grâce au long poème qui célèbre le fleuve québécois. Le recueil est aussi remarquable parce qu’il fait partie des rares ouvrages à succès de la poésie québécoise, atteignant un tirage de plus de dix mille lors de sa dernière réimpression en 1969.

Les recherches qui ont abouti à cette édition critique remontent au début des années 2000. J’ai appris, de la part d’Armand Guilmette, ancien collègue et ami proche de Gatien Lapointe, que les héritiers avaient déposé les archives personnelles du poète au Musée québécois de culture populaire, à Trois-Rivières, dénommé aujourd’hui Musée Pop. C’est dans l’entrepôt du musée que j’ai pu découvrir la richesse des archives qui avaient été conservées. Mais ce n’est que plus tard, après avoir publié le journal intime – Gatien Lapointe : Journal 1950-1956 (PUL, 2020) – et une anthologie de poèmes de Lapointe – Poèmes retrouvés (Écrits des forges, 2016) Poèmes retrouvés (Écrits des forges, 2016), que j’ai commencé à déterminer l’ordre séquentiel des états rédactionnels du poème « Ode au Saint-Laurent ».

Deux ans plus tard, j’étais en mesure de partager les fruits de mon travail. Cette publication est l’aboutissement de recherches qui m’ont permis d’identifier les divers manuscrits de tous les poèmes du recueil. Le dépouillement des textes publiés dans les périodiques ainsi que dans les anthologies est venu compléter l’étude comparative dont les résultats sont consignés dans les notes et relevés des variantes, accessible gratuitement sur le site Internet des Presses de l’Université de Montréal.

Le cœur de cet ouvrage est la reproduction des poèmes de l’édition de 1966, qui sont accompagnés de notes visant divers objectifs : signaler la version d’un poème publiée dans un périodique, attirer l’attention sur un élément significatif de la poétique du recueil, sur une allusion littéraire ou artistique, fournir la référence des citations, enfin divulguer des informations sur l’identité des dédicataires. Pendant la période d’écriture de l’Ode, et même à l’aube des années 1970, Lapointe a rédigé des poèmes qui sont restés inédits ou qu’il n’a pas retenus pour les rendre publics. Il nourrissait également le projet de faire paraître des poèmes qu’il aurait regroupés sous le titre « L’homme en marche », et qu’on retrouvera placés après ceux de l’édition de 1966. À la suite, on pourra lire la série d’inédits qui sont restés à l’écart de l’Ode, mais qui offrent une évidente parenté avec les poèmes du recueil, soit parce qu’ils ont été écrits durant la même période, soit qu’ils partagent une poétique commune. Enfin, une dernière section rassemble trois témoignages précieux du poète sur le contexte de rédaction de son recueil.

Si Lapointe se livrait volontiers dans les entrevues qu’il accordait aux médias, une bonne partie de son parcours personnel et professionnel est néanmoins restée dans l’ombre. La consultation de sa correspondance, de son journal personnel ainsi que des curriculums vitae qu’il soumettait périodiquement à son université a permis d’éclairer plusieurs aspects méconnus de sa vie et dont rend compte la « Chronologie ».

Le milieu de la recherche, tout comme le lectorat curieux d’en apprendre davantage sur cette œuvre phare de Gatien Lapointe, pourra consulter avec profit la bibliographie exhaustive des poèmes, ainsi que des études dont le recueil a fait l’objet. Cet ouvrage s’adresse à un public qui souhaite lire un des grands recueils de la poésie québécoise dans sa version de référence tout en cherchant à répondre aux intérêts des spécialistes en histoire de la littérature et de l’édition québécoises, en poésie, en édition critique ainsi qu’en critique génétique. »

mercredi 29 mai 2024

Dany Laferrière

Un certain art de vivre

Montréal, Boréal, 2024, 144 p., 22,95 $.

La maison, l’école, la vie, et puis

Après une trentaine de romans nous faisant voyager au pays de l’enfance sous le règne Da, cette grand-mère adorée –prénommée comme d’autres aïeules de ce pays antillais –, Dany Laferrière a emprunté un chemin de traverse pour réfléchir sur quelques sujets qui lui sont essentiels, dont le racisme. Puis, troquant sa plume, son crayon ou son clavier – qui sait? – pour les outils du peintre, il en a surpris plus d’un en imposant un nouveau mode d’expression et de création : le dessin et les couleurs naïves comme ces artistes haïtiens qu’il aime tant.

Ce furent Autoportrait de Paris avec chat (2018), Vers d’autres rives (2019) et L’exil vaut le voyage (2020). Il y eut aussi Dans la splendeur de la nuit (2022) dont je terminais ainsi la recension : « Dany Laferrière nous surprend à nouveau en transformant son discours littéraire aussi bien que son discours pictural tout en couleur. Littérature d’expérimentation? Peut-il en être autrement quand on veut transcender son art en créant une œuvre et la pérenniser grâce à une atmosphère d’éternité. ». Que dire de l’incontournable Sur la route de Bashō (2022) fait de mots et de couleurs éparses, un univers unique parce qu’il est propre à l’Académicien et à personne d’autre?

Pour Un certain art de vivre, l’écrivain a remisé les feutres et les couleurs, et redonné aux mots des teintes nouvelles comme s’ils étaient des aquarelles flottant au-dessus de vingt façons, distinctes ou non, d’appréhender l’existence : l’art de vivre à l’horizontale, l’art du déclin, l’art des choses décousues, l’art de vivre à Bornéo, l’art de la répétition, l’art des couleurs, l’art de la chronique, l’art de s’angoisser, l’art de rebrousser chemin, l’art de se vendre en détail, l’art de partir en sifflotant, l’art de quitter la fête, l’art de vivre dans un monde oublié, l’art de nager dans l’encrier, l’art du retour, l’art de cuisiner pour soi, l’art d’être nu dans une baignoire rose, l’art de pisser parmi les fleurs, l’art d’être Borges et, il va de soi, l’art de vivre.

Chacun de ces arrêts sur image est fait de six pages, chacune comptant trois paragraphes dont certains à la façon haïku – cette forme japonaise de poésie, dont Bashō est considéré un des pères, mais à la façon « de poètes français [utilisant] parfois le terme pour désigner des poèmes qui se signalent par leur brièveté. Il y a [alors] peu de cas où la forme elle-même est respectée… » – ou façon prose évoquant plus que décrivant cet « art de », cette façon de faire ou de rêver. Bref, le qui, quand, comment, pourquoi de l’art de lire autant que d’écrire que pratique l’écrivain Laferrière.

Si on tient absolument à étiqueter Un certain art de vivre d’un génératif littéraire, je suggère celui de recueil d’aphorismes, ces « brèves maximes ou sentences qui expriment un précepte, résument une théorie ou font état d’une série d’observations », se rapportant aux thèmes de chacune des sections qui, lorsqu’on s’y arrête le moindrement, sont autant de façons de s’approprier un certain art de vivre.

Qu’en est-il de ces thèmes, sinon qu’ils sont des objets de l’esprit qu’un alchimiste au long parcours observe à l’aide d’un sextant, « cet instrument de navigation à réflexion, comprenant un dispositif de visée et un sixième de cercle gradué, dont on se sert pour mesurer la hauteur des astres », ce bel objet scrutant l’horizon des imaginaires, tous plus réels que fictifs. Mais, Laferrière n’est-il pas aussi un marin poussé hors de son île pour explorer l’univers du dire et du faire dire?

L’écrivain lance ainsi son navire-livre : « Enfant, lisant l’Odyssée, j’étais triste de voir Ulysse partir, mais toujours heureux de découvrir avec lui de nouvelles contrées, de nouvelles mythologies, de nouveaux visages. » (13) Il ignorait alors qu’il allait suivre cette voyagerie et qu’un jour il allait découvrir « sous forme de réflexions fulgurantes, de haïkus langoureux, de descriptions hâtives d’un lieu, d’une situation ou d’un état d’esprit ce qui s’était passé dans ma vie durant ce dernier demi-siècle. Lecteur horizontal, j’ai choisi de lire dans ma baignoire ou dans mon lit sans perdre espoir que Hoki frappe à ma porte. »

Qui est cette femme? Pour le savoir, il faut éveiller notre mémoire et l’amener dans les pages d’Eroshima (1987), le second roman de l’écrivain paru en 1987. Composé de seize séquences, où Hoki apparaît à la première intitulée « Le zoo kama soutra ». Une version révisée de cette même séquence est devenue Fête chez Hoki, « récit de la brève mais intense relation de l’écrivain-narrateur avec Hoki, une photographe de mode japonaise adepte du kamasoutra qui l’accueille chez elle, à New York. »

Revenons aux aphorismes. Je ne vais pas les citer tous, mais quelques-uns parmi ces maximes qui ont retenu mon attention, tantôt pour les liens qu’elle m’amenait à faire avec l’auteur et son œuvre, tantôt par pur plaisir de chroniqueur.

Pourquoi ne pas débuter ce florilège par ceux évoquant Da? « L’impression que la galerie / où se trouvait assise ma grand-mère / était suspendue dans l’espace. / Et que la cafetière, toujours à ses pieds / devenait cette lampe magique / d’où sortait le génie du conte tropical. » « L’image de cette grand-mère buvant avec à ses pieds son petit-fils observant les fourmis pourrait être l’une des plus durables d’une vie passée à barboter dans l’encrier. »

Puis, l’écrivain retrouve ici et là l’homme Laferrière. « Je suis du pays de mon lecteur. / Quand un Japonais me lit / je deviens japonais. / Et quand Hoki se maquille / je me glisse dans la baignoire / tout habillé avec un verre de vin rouge » interpelle directement la couverture du livre. « Je me rends compte que je n’ai pas écrit / ces livres pour décrire ce paysage / mais pour continuer à en faire partie. » « J’ai toujours pensé que c’était le livre / qui franchissait les siècles / pour parvenir à nous / jusqu’à ce que je comprenne que / c’est le lecteur qui fait le déplacement. » « Et c’est, à mon avis, le seul sens / à donner à sa vie / trouver son bonheur sans ajouter / à la douleur du monde. »

Vous croyez que Dany Laferrière a oublié le Québec depuis qu’il a un pied à terre et un peu de ses méninges à Paris? Nenni, il se souvient même de Miron, lui aussi un en-allé du Square Philips : « Prenez deux poèmes par jour / un le matin et un autre le soir. / Trouver un ver qui vous plaît / et ruminez- le jusqu’à ce qu’il / s’incruste dans votre chair. »

Et l’écrivain Dany L.? « Je n’ai jamais dissocié la lecture de l’écriture / car, si on lit pour quitter le lieu où on se / trouve, on fait de même en écrivant. / Si on ne quittait pas sa peau de temps en temps / on deviendrait fou d’être toujours le même. »

La tombée de rideau de ces "arts de" est ainsi faite : « Au début, je croyais que / mes livres venaient de moi / pour découvrir enfin / que je viens de mes livres. »

Que dire de plus, sinon qu’il y a à travers les apophtegmes d’Un certain art de vivre une sorte de bilan personnel et professionnel aussi intime que modeste, car n’en faut-il pas à un écrivain pour s’afficher devant un lectorat toujours avide du plus dire que du mieux dire? Aux impatientes et impatients de lire ce recueil, je suggère d’aller sur la toile et d’y trouver « L’art de relire » un texte que l’écrivain a lu à l’émission « Dessine-moi un matin » (IciPremière) du 30 mars dernier.

Toujours non rassasiés? Je vous suggère de vous offrir Autobiographie américaine qui propose pas moins de dix ouvrages de l’écrivain académicien et dont il est question un peu plus bas.

Dany Laferrière

Autobiographie américaine

Paris, Bouquins éditions, coll. « La collection », 2024, 1298 p., 49,95 $.

 « L’œuvre autobiographique de Dany Laferrière, rassemblée dans ce volume, montre qu’il personnifie une démarche singulière, qu’a déterminée son attitude envers la vie. Et c’est cette attitude qui fait que tant de lecteurs aiment mettre leurs pas dans les siens. "Un matin de février 1984, il y a quarante ans de cela, je me suis réveillé dans le grand froid montréalais, avec cette idée étrange qu’on ne devrait pas écrire plus d’un livre. Le manuscrit que j’avais fatigué toute la nuit dernière s’était assoupi près de la fenêtre de ma modeste chambre, au milieu des restes du repas de la veille. De mon lit, je l’observais avec un mélange de suspicion et de tendresse. J’attendais trop peut-être de ce premier roman écrit pourtant dans la misère et la liberté. D’abord qu’il me sorte de l’usine, ensuite qu’il me rende célèbre. Venant d’un pays qui a connu l’esclavage et la dictature, et ayant longuement vécu dans des villes comme Montréal, Miami ou New York, avant de parcourir São Paulo, Mexico, San Juan ou Buenos Aires, je me sentais comme un arbre qui marche dans sa forêt. J’ai fouillé dans l’histoire pour découvrir que cette Amérique continentale était le rêve de Bolívar dont la devise se résumait à "Un continent, un pays". Tant de cultures diverses que les écrivains de ce continent ou de ce pays allaient m’apprendre. J’ai donc décidé d’entreprendre une longue balade littéraire, en commençant par cette Caraïbe où j’ai pris naissance, et où je suis tombé, un jour de pluie, sur le recueil du poète haïtien René Philoctète Ces îles qui marchent. Je note dans mon calepin noir ce vers rimbaldien : "Je suis venu vers toi, nu, et sans bagages". C’est donc les mains libres et la tête légère que j’ai entrepris cet interminable voyage dans cette Amérique bigarrée et survoltée." D. L.

mercredi 22 mai 2024

Donald Alarie

Tous ces gens que l’on croise

Montréal, Pleine lune, coll. « Plume », 2024, 136 p., 21,95 $.

« Vivre n’est pas une science exacte »

Que de gens nous croisons dans une vie! Déjà, dans la plus tendre enfance, cette dame qui nous regarde, envieuse, en route vers son boulot, alors que notre tricycle nous mène à l’aventure. Ce monsieur en bleus de travail, portant fièrement sa boîte à lunch au bout du bras comme un trophée du travail accompli pour nourrir et faire étudier ses douze enfants avec qui tu joues dans l’insouciance de l’âge.

Parmi tous ces gens rencontrés, l’écrivain Donald Alarie nous en présente une trentaine, semblables à celles et ceux aperçus sans vraiment les voir. Cet aveuglement involontaire laisse parfois des traces qu’on découvrira, parfois de façon inopinée, comme cela survient dans certains récits de Tous ces gens que l’on croise, son nouveau recueil de nouvelles brèves.

 

Cette apparence d’indifférence à l’endroit de nos semblables est rarement le fait d’une quelconque misanthropie, mais du besoin d’un silence intérieur quand on parcourt les rues d’une ville de province, ici vraisemblablement Joliette où M. Alarie a enseigné et où j’ai moi-même grandi. Pourquoi une municipalité de cette dimension, sinon parce qu’elle n’a généralement pas perdu son fond d’humanisme comme c’est souvent le cas de plus grandes agglomérations.

Alors que la majorité des histoires courtes que l’auteur nous fait partager sont le lot de femmes et d’hommes plus âgés que jeunes, il n’est pas surprenant que certains détails les concernant, de leur physique à leur psychisme, aient un côté suranné, ce que j’ai d’ailleurs souligné pour un précédent ouvrage de l’auteur, Puis nous nous sommes perdus (Pleine lune, 2017).

Il y a aussi quelques personnages plus jeunes que la trame du récit fait vieillir en une ou deux pages, l’essentiel étant la différence de leur personnalité comme dans « Frère et sœur ». Cependant, la plupart des récits mettent en scène des aînés, certaines et certains des retraités qui meublent leur quotidien d’activités qui leur ont permis, au temps de la vie active, de ventiler leurs obligations personnelles ou professionnelles. Ces passions jadis essentielles sont désormais privilégiées à toute autre activité, comme si certains voulaient rattraper un temps perdu dont ils ignoraient l’existence.

Les lectures, les expositions, les concerts ou les voyages peuvent maintenant être planifiés à plus long terme et, parfois, préparés pour en tirer le meilleur profit qui soit, car, oui, ils peuvent être parmi les derniers qu’ils allaient faire.

Il y a aussi d’imprévisibles surprises comme de rencontrer une âme sœur avec qui partager ce que la vie leur a permis d’être. Cette femme distinguée croisée fréquemment qui semble parfois toute vive, parfois totalement absente, l’avocate réputée qu’elle fut perdant plus en plus le sens de la réalité, ce qui inquiète ses enfants.

Les gens de plus de soixante-cinq ans sont un terreau fertile pour Donald Alarie. Par exemple, dans « La liseuse », il y a cet homme qui depuis « près de cinquante ans, … ne se déplaçait jamais sans un livre dans sa poche, souvent deux… Sans une liasse de mots dans sa poche, il se serait senti démuni. » Un jour, ce lecteur boulimique fait l’acquisition d’une liseuse, ce support technologique permettant d’avoir à sa disposition presque autant de livres qu’on le souhaite, le poids en moins. Il présente son nouvel appareil à son entourage et les réactions que cela provoque illustrent la relation entre ces personnes âgées et les technologies. Quant à lui, « Il avait maintenant le sentiment de se déplacer avec un peu plus d’assurance, en sachant qu’il avait en poche une dizaine de livres, parfois plus. Il ne se sentirait plus jamais seul avec tous ces auteurs près de lui. C’était comme une famille! »

Une jeune poète est approchée par un photographe d’expérience qui lui demande d’écrire quelques vers pour accompagner chacune des photos qu’il a décidé d’exposer. S’il connaît bien l’écrivaine, il « ne savait pas qu’elle était, en quelque sorte, en panne depuis la parution de son dernier recueil quinze mois auparavant. » Hélas, au bout de six mois, la poète déclara forfait, au grand dam de son commanditaire. « Trouverait-il un autre écrivain qui aborderait la chose de manière différente? Il se dit que le temps lui apporterait une réponse. Les chemins de la création sont pleins de surprises, de joies et de déceptions. Il le savait pourtant depuis longtemps. »

J’ai mentionné et répété que des personnages racontés ont de l’âge. Il en va ainsi de Paul, au cœur de « Jusqu’à quand? ». La maladie l’a frappé et cela a brisé le rythme de vie qu’il s’était donné depuis qu’il vivait seul. Ne pouvant plus arpenter dans le quartier comme il en avait l’habitude, il lui reste la fenêtre d’où observer les allées et les venues du voisinage. « Voilà. C’est sa vie. Jusqu’à quand? C’est ce que Paul se demande souvent, assis devant la fenêtre de sa chambre. »

Un dernier récit qui a retenu mon attention : « Les enviait-on? » « Elle vivait seule depuis son divorce survenu dix ans plus tôt. Elle avait décidé qu’il n’y aurait plus d’homme dans sa vie… Lui, de son côté, vivait seul également, depuis la disparition de sa conjointe survenue douze ans auparavant… Et pour lui aussi, il n’était pas question de refaire sa vie, comme on dit. » Ils se sont croisés dans un café où ils avaient leurs habitudes. Un jour, l’endroit étant bondé, ils durent partager la seule table disponible. « Ils échangèrent un bref sourire. C’était le début de leur relation. » Trois semaines plus tard, il l’invite à prendre un café chez lui, ce qu’elle accepte non sans que cela la bouleverse. « Était-ce lors de la cinquième ou de la sixième rencontre chez lui qu’il eut l’audace de la prendre dans ses bras avant qu’elle ne le quitte?... Toujours est-il que par la suite, tout se précipita. Ils n’auraient jamais pensé vivre une telle passion amoureuse à leur âge. » La seule inquiétude qu’ils eurent fut cette question : « qui de nous deux partira le premier? »

Donald Alarie a ce talent, souvent démontré dans ses ouvrages, de créer des univers aussi intenses que minuscules, des univers qui permettent aux lectrices et aux lecteurs de voyager rapidement dans des mondes inconnus, d’en tirer l’image qui leur convient, l’expérience d’un geste, plus sérieux qu’anodin, ou même une réflexion originale. Tous ces gens que l’on croise ajoute de nouvelles dimensions à ces fictions-réalités pour notre plus grand plaisir.

mercredi 15 mai 2024

François Gravel

Prendre la mort comme elle vient

Montréal, Druide, coll. « Reliefs », 2024, 256 p., 24,95 $.

Rêveries d’un François en promeneur solitaire

Que d’intimité dans ce titre que je réserve à quelques écrivaines et écrivains dont je crois connaître les œuvres. François Gravel fait partie de cette courte liste, car j’ai recensé la majorité de son impressionnante bibliographie, de la littérature jeunesse à celle s’adressant à leurs aînés. C’est avec une certaine fébrilité que j’ai retrouvé sa plume semblable à ces crayons à la pointe si fine qu’ils peuvent construire un monde imaginaire en moins de deux. Oui, oui, ces artistes ont surtout le talent de transformer ces formes et ces couleurs en une œuvre artistique. C’est justement ce que fait l’écrivain Gravel dans les pages de Prendre la mort comme elle vient.

Ses deux précédents ouvrages – À vos ordres, colonel Parkinson (Québec Amérique, 2019) et Le deuxième verre (Druide, 2022) – tiraient leur essence d’expériences personnelles de l’auteur, en observant et en analysant les tremblements d’abord observés par le médecin anglais en 1817, ainsi que l’alcoolisme congénital.

Son nouvel opus est constitué de trente-six miniatures représentant autant de flashes mémoriels, tous gravitant autour de la date de péremption de l’être humain, sans l’anticiper plus qu’il ne faut, en économisant son énergie à des activités constructives ou ludiques.

C’est là une des qualités premières de Prendre la mort comme elle vient : être à la fois sérieux et divertissant, une pointe d’ironie s’échappant lorsque le propos anticipe trop en évoquant un futur improbable, à moins qu’il vive plus vieux que Mathusalem. Si on me demandait de mettre un chapeau littéraire au livre, j’écrirais qu’il est une miscellanée accueillant des histoires vraies, sinon probables. Je pourrais également utiliser le terme d’éphémérides – un ouvrage relatant des événements qui se sont produits le même jour de l’année à différentes époques – mais ce serait usurpé l’usage qu’en fait l’écrivain qui l’emploie comme titre d’un récit.

Pourquoi ai-je paraphrasé le titre d’un ouvrage de J.-J. Rousseau (1712-1778) en tête de cette chronique? L’écrivain Gravel souligne aimer marcher dans la nature, dans le secteur de l’Île où son amoureuse et lui séjournent l’été. Ces randonnées sont propices à la réflexion et laissent parfois s’agiter l’esprit de la création, loin de la domesticité et de ses obligations. De là, l’idée de rêveries dans la solitude comme un exercice d’hygiène de la pensée d’où jaillissent librement des associations de mots, de souvenirs épars ou d’images libres de droits.

La nature intrinsèque d’une miscellanée permet d’entrer directement dans le dire de l’auteur. Ainsi, l’écrivain se rappelle ce que son éducation judéo-chrétienne lui a appris de la mort, de l’inutilité du corps qui peut bien aller pourrir dans un cimetière ou brûlé dans un crematorium, alors que l’âme monte aux portes du ciel où le grand Saint-Pierre va la recevoir. On comprend que les services du saint homme sont toujours en grande demande et que, comme les services de santé au pays, il faut attendre. C’est pourquoi le narrateur Gravel préfère passer son tour cette fois et mourir plus tard.

J’exagère à peine le propos du premier tableau, "Le tunnel", qui amorce un périple tel le bilan d’une vie bien remplie qui n’est pas prête à fermer les livres en passant l’arme à gauche. Justement, au sujet des synonymes du mot mort, ils font l’objet de la 15e miniature, "Lexique". « Il est facile [écrit-il] d’éviter les répétitions quand on écrit à propos du sexe et de l’argent : on dispose alors d’un vaste choix de synonymes, d’euphémismes et d’expressions pittoresques. Il en va de même pour le verbe mourir… Il faut cependant savoir dans quel contexte les utiliser. »

Je ne peux pas retenir ici chacune des trente-six situations narratives. Je vais tout de même en retenir quelques autres. Que dire de "Dyschronie", un mot que l’auteur m’apprend qui définit « un trouble de la perception et du jugement temporels qui affecte la représentation de la chronologie et l'évaluation de la durée »; bref, « une difficulté à appréhender toute notion de temps. » Il arrive ainsi que le jeune enfant ne rentre pas dîner comme on lui a demandé parce que trop absorbé par le jeu auquel il s’adonne. Pour le narrateur, il lui arrive de faire un saut dans le temps et de s’imaginer à 10 ans, alors qu’il a six ou sept fois cet âge. Cette perspective lui fait revivre un bon ou même un mauvais moment d’autrefois ou même de rayer de sa mémoire son âge véritable. Ici cependant, ce jeu du hasard et du temps ramène à l’ultime instant où nous passons de la vie au trépas, ce moment que nous voulons bien retarder.

Deux des récits ont pour thème la chanson. "Dernières chansons" rappelle que « … contrairement aux livres, dont on ne fait habituellement qu’une seule lecture, on réécoute les chansons des dizaines de fois, jusqu’à s’en imprégner. » (79) Le palmarès de l’écrivain compte les Léo Ferré, Jacques Brel, Barbara et, surtout Brassens dont il dit : « Il aborde toujours le sujet avec un sourire en coin, ce qui est peut-être la seule façon d’en parler sérieusement. » Le sétois Brassens, enterré au cimetière de la ville situé sur le mont Saint-Clair à côté de Paul Valéry, voit la Méditerranée tout proche : « Vous envierez un peu l’éternel estivant / Qui fait du pédalo sur la vague en rêvant / Qui passe sa mort en vacances. »

L’autre référence à la chanson s’intitule "Last songs". Il allait de soi que l’écrivain fasse référence à Leonard Cohen, John Lennon et Kate McGarrigle, tous trois ayant écrit, composé et interprété une chanson prémonitoire. « You Want It Darker ». Note à l’auteur : Cohen n’a pas eu le choix de faire un dernier disque et une dernière tournée, car la gestionnaire de ses avoirs a vidé ses comptes – « (Just Like) Starting Over » et « Proserpina ».

Que dire des pages d’"Ostende 2.0", sinon qu’elles rappellent un ouvrage du romancier paru 1994 dont il fait brièvement revivre les personnages – Pierre-Paul, Jacques et Jean-François – en rappelant l’essentiel de leur périple dans le roman et en les faisant revivre maintenant, à 72 ans, autour d’un repas amical où la conversation s’anime « lorsqu’ils parlent enfin de leurs enfants et de leurs petits-enfants, qui, chacun à leur façon, essaient de changer le monde pour le rendre meilleur. »

Le rideau tombe sur Prendre la mort comme elle vient de façon originale. En effet, on y lit six citations d’écrivains différents, chacun évoquant la fin de la vie. Je retiens l’ironie du bédéiste belge Philippe Geluck : « Plus longtemps on est en vie et moins longtemps on sera mort. »

Malgré son titre, aucun des flashes mémoriels ne dégouline de tristesse. Au contraire, ils sont pleins de vie et ils font éclore mille souvenirs. En refermant ce recueil, ce sont les paroles du regretté Sylvain Lelièvre, lui aussi professeur de cégep, qui m’ont semblé résumer le mieux le propos : « Moi j’aime les choses inutiles / Les bonheurs tranquilles / Qui ne coûtent rien… / Tous ces petits riens / Qui rendent la vie moins futile / J’aime les choses inutiles / Qui nous font du bien ».

mercredi 8 mai 2024

Stéphane Garneau

Le choix de se taire : pour contrer le bruit incessant de la machine à opinions

Montréal, XYZ, coll. « Réparation », 2024, 112 p., 19,95 $.

« Le bruit de la machine à opinion » 

Deux sujets sont devenus autant d’excuses pour colmater les maux de la société : la pandémie et les médias sociaux. L’épidémie nous a rappelé sévèrement que nous ne sommes que des humains qui n’ont pas réponse à tout, toujours, rapidement. En tirera-t-on quelques leçons collectives? C’est à voir. Entretemps, il nous faut cesser d’en faire un prétexte pour tous les maux de la terre.

Il en va autrement des réseaux sociaux et de leurs avatars. Le journaliste Stéphane Garneau s’est penché sur ce sujet dans un essai intitulé Le choix de se taire : pour contrer le bruit incessant de la machine à opinion.

Son projet est clair : « À une époque où l’infoanxiété causée par la surabondance de nouvelles et d’opinions dans notre univers multiplateforme est de plus en plus manifeste, ne serait-il pas judicieux à l’occasion, pour préserver son hygiène mentale et surtout celle des autres, de réserver son opinion en se demandant si l’expression publique de ce qui pourrait être évoqué autour de la machine à café au bureau – ou pas du tout – contribue réellement à enrichir la conversation… Avec cet essai de réparation, j’aimerais revaloriser le dialogue intérieur, le recul, la réflexion et la discrétion au profit d’une conversation publique plus intelligible. »

Vaste programme, néanmoins incontournable si on veut ralentir – je n’ai pas l’imprudence d’écrire cesser – la pollution qui émerge de l’ensemble des informations, vraies ou fausses, et des opinions proposées par des néogourous sociétaux, appelés influenceurs/influenceuses.

Que dire de la contamination provoquée par les bruits ordinaires des villes ou même des campagnes du 21e siècle : véhicules en tout genre, musique montant de la rue ou des appartements, vociférations surgissant des piétons comme s’ils construisaient ou démolissaient un vide absolu.

« Pour parler du silence et du choix de se taire, je vais aussi m’intéresser au bruit. » Cela va de soi, surtout si on considère sa conclusion qui résume les grands axes de réflexion vers laquelle l’essayiste nous guide tout en nous suggérant des pistes pour qu’on puisse, à notre tour, remettre en question un certain verbiage inutile dans l’espace public. Pensons aux conversations téléphoniques d’un locuteur dans les allées d’un super marché hésitant entre tel produit et tel autre.

Du côté du silence, cette si rare denrée, l’auteur y consacre la première des trois sections de l’ouvrage. Il en étudie la complexité sous sept aspects, certains complémentaires. Que nous dit l’injonction « une minute de silence, s’il vous plaît »? N’est-ce pas là l’appel à un respect collectif face à un événement qui laisse peu ou pas d’autres choix? Se souvient-on du « silence pandémique », ce spectre qui a rôdé sur la planète en emmurant les humains et leurs animaux domestiques, tout en laissant à la nature et aux animaux sauvages une liberté qui leur était devenu si rare, sinon jamais? « Le travail à distance, l’amélioration du réseau de transports publics et la diminution du nombre de voitures sur les routes permettraient de réduire l’impact sur la biodiversité et notre empreinte carbone, et les entreprises pourraient économiser de l’argent. »

Le « silence est un luxe » que les biens nantis peuvent s’offrir. Néanmoins, le silence est une des conditions sine qua non du pouvoir de la créativité dont les activités peuvent difficilement se passer. Hemingway fait remarquer que « l’écriture, à son meilleur, est une activité solitaire… [L’écrivain] grandit en stature publique à mesure qu’il se débarrasse de sa solitude et souvent son travail se détériore. » Selon G. Hempton, spécialiste états-unien de la bioacoustique, « L’expérience d’espaces sans pollution sonore est aujourd’hui en voie de disparition, sans même qu’on s’en rende compte. »

Et « marcher en silence »? L’écrivain constate que dans « la marche, le malaise engendré par l’absence de stimulation extérieure cède généralement la place à une diminution du stress en phase avec l’attention que vous devez accorder à vos mouvements. » En prime, la marche silencieuse « favorise la réflexion et l’écriture », une pratique qui m’est familière entre la lecture d’un livre et le premier jet de sa recension.

Il y a aussi « le silence amoureux » qui, telle la communion du corps, des cœurs et des esprits, se développe petit à petit et devient la manifestation express de moments de plénitude amoureuse. C’est peut-être la forme la plus complexe du silence qui ne cache rien et dit plus que tout autre discours.

Quant au « silence salvateur », la psychanalyse considère que « le silence est une fonction cognitive, c’est l’environnement sonore dont nous avons besoin pour penser. Une fonction clinicienne : le silence soigne. Son absence a des effets délétères démontrés. Il y a un fardeau sonore qui cause des méfaits physiologiques, psychologiques, neurologiques, somatiques… Ceux qui bénéficient du silence ont moins de troubles comportementaux, de stress et d’anxiété. »

Le bruit! On comprend que jadis les chevaux se cabraient à la pétarade des premiers véhicules à moteur. C’est aussi la réaction de riverains à qui on impose les sons d’un concert lointain. Encore, faut-il distinguer vacarme, tapage, distorsion, cacophonie qui « sont des déclencheurs d’anxiété. » Garneau a raison d’écrire que « notre évaluation et notre tolérance au bruit dépendent du contexte. » La musique que l’on choisit nous fait du bien. « La musique nous permet également de voyager dans le temps. Elle réveille des souvenirs… on se retrouve instantanément ému par des images et des sensations, vestiges d’une autre époque. »

« Le son des villes, le bruit des champs » n’est pas un paradoxe, mais l’image sonore idyllique que certains urbains se font. Erreur! Chaque milieu où vivent des humains est ambivalent du côté des sons. Un voisin d’un complexe immobilier mal isolé écoutera tôt le matin ou tard le soir une musique qui lui plaît, mais qui n’est qu’agacement pour ses colocataires. De même que la paix campagnarde n’empêche pas la machinerie agricole comme l’odeur du purin.

Alors, « Ville ou campagne? Avantages et inconvénients ». L’essayiste suggère certaines précautions à prendre avant de choisir de devenir campagnard si on est citadin, et vice versa. « Selon les chiffres [récents] de la Banque mondiale, d’ici 30 ans, le nombre actuel de citadins aura doublé et pratiquement sept personnes sur dix dans le monde vivront en milieu urbain. » N’empêche, le bruit ou tout autre son qui peut y est associé a une influence directe sur notre santé physique et mentale. « Au Québec, on estime les coûts de cette surdose de bruit à 680 millions de dollars par année… On inclut dans ce calcul les coûts des soins de santé pour les personnes incommodées et la baisse de valeur foncière des maisons construites près d’un aéroport ou d’un parc industriel. »

Une dernière observation relative au bruit : « télétravail et concentration ». Le télétravail fut la grande découverte de la pandémie aux yeux de certains. Ils n’y ont vu que des aspects positifs : un peu de travail, une brassée de linge, mettre un plat à mijoter, un peu de travail, appel du bureau, un appel du conjoint… On a oublié que des « millions d’années d’évolution ont conditionné notre cerveau pour qu’il réponde aux bruits en augmentant notre rythme cardiaque et notre pression sanguine, concentrant de l’énergie dans nos organes vitaux et accroissant notre force musculaire. »

A-t-on « le choix de se taire » ou n’est-il pas mieux de tourner sa langue sept fois avant de s’exprimer? « À une époque où l’infoanxiété causée par la surabondance de nouvelles et d’opinions dans notre univers multiplateforme est un enjeu de santé publique, ne serait-il pas judicieux à l’occasion, pour préserver son hygiène mentale et surtout celles des autres, de réserver son opinion en se demandant si l’expression publique de ce qui pourrait être évoqué autour de la machine à café – ou pas du tout – contribue réellement à enrichir la conversation publique. »

Le propos du troisième chapitre de l’essai – « le choix de se taire » – doit être entendu, car nous traversons un véritable changement du climat du discours public qui dit tout et son contraire. Il y a un mélange de genre qui confond information et rumeur, cette dernière, grâce à la chambre à écho que sont les médias sociaux, tient alors lieu de vérité. Jadis, certains disaient : « C’est vrai, c’est écrit dans le journal. » On oublie alors l’esprit critique.

Stéphane Garneau met les réseaux sociaux en perspective et observe les dérives – des fausses nouvelles aux menaces directes – devenues coutumières. Il décrit sa manière d’être devant les facebooks de ce monde et ses habitudes quant à leur usage. Ces seules pages justifient de lire tout l’essai, car elles traduisent un mode d’emploi du discours public dans le contexte des pas si nouvelles technologies de l’information. Le choix de se taire devient alors une pratique salutaire.

En guise de conclusion, l’essayiste propose trois scénarios d’un discours public relatif. Le premier est tiré de « L’art de se taire, principalement en matière de religion », un livre de l’abbé Dinouart (1716-1786) qui dicte « 14 principes nécessaires pour se taire. » L’auteur a retenu neuf de ces règles, la première étant : « Il ne faut parler que si cela vaut mieux que le silence. » Le second scénario – « Les médias sociaux et les quais de la Seine au XIXe siècle – est une métaphore filée qui illustre l’attitude du réseauteur observateur actuel à l’image d’un personnage inventé se promenant jadis sur les quais de la Seine scrutant l’allure de ses semblables sans commenter, comme le font de nombreux usagers de Facebook, de X, etc. Enfin, « Plaidoyer pour la bienveillance » se résume ainsi : « Les crises politiques, climatiques et sanitaires, l’inflation, les guerres et les menaces aux libertés sont bien réelles. Mais la place que nous leur accordons est responsable d’un climat anxiogène qui nuit à l’esprit critique. »

Enfin, il faut être conscient que les algorithmes n’en ont pas fini avec celles et ceux qui jouent aux funambules avec ces « suites finies de règles et d’opérations élémentaires sur un nombre fini de données qui permet de résoudre une classe de problèmes » sur les applications tirées de l’IA. Même terrés au septième palier sous terre, ils nous rejoindront. Alors, pourquoi ne pas se taire – sauf pour la parentèle et quelques amis-es – et aiguiser notre esprit critique pour apprécier ce qui nous entoure.

mercredi 1 mai 2024

Mélissa Verreault

La nébuleuse de la Tarentule

XYZ, coll. « Devenirs », 2024, 400 p., 29,95 $.

Arborescence narrative

Je lis lentement, car j’en ai fini avec la rapidité exigée durant mes années d’études et d’enseignement. C’est ce que je me suis permis de faire récemment en choisissant La nébuleuse de la Tarentule, un roman signé Mélissa Verreault.

Le titre interpelle, la tarentule n’étant pas un animal de compagnie lové dans un vivarium, mais une araignée venimeuse à la morphologie répugnante. Associer un phénomène météorologique à un arachnide annonce une histoire telle une « toile constituée par un réseau de fils de soie » capable de capter et de retenir notre attention dans toutes les directions où le récit nous amènera.

L’élément nébuleuse est ce nuage interstellaire qui s’installe au-dessus de la trame, annonçant une éventuelle tempête. À ces deux images s’ajoute celle de l’arbre de vie de Mélisa Verreault – Mélisa avec un seul « s » –, personnage principal et narratrice du récit. Ici, la confusion entre l’écrivaine et son héroïne est volontaire, certains traits de caractères et d’habitudes quotidiennes sont semblables, du moins selon ce que la romancière affirme : « Les mensonges s’emboîtent les uns dans les autres, ils sont des poupées russes, à la seule différence qu’il devient impossible de dire lequel a engendré lequel. »

La trame est semblable au tronc d’un arbre dont nous découvrons de nouvelles branches – la famille immédiate de la narratrice –, mais aussi des racines ancrées d’aussi loin que la mémoire de cette dernière peut se souvenir. Dieu sait que la mémoire de cette femme est prodigieuse, à moins que ce soit cette dernière qui s’invente des souvenirs.

J’aurais pu intituler cette recension « La crise de la quarantaine » : une rencontre fortuite de Mélisa avec un béguin d’adolescence jamais avoué au camarade d’école secondaire, Francis Bouchard. Il ne sera pas le seul représentant de cette époque à ressurgir, ce qui permet à Mélisa de rappeler certaines frasques où elle s’est laissée emporter par les occasions du moment, dont cette relation sexuelle avec une amie.

Reprenons la métaphore de l’arbre en observant le tronc qui soutient l’ensemble de la trame du roman. Il s’agit du quotidien de Mélisa, de Franco son mari et de leurs triplées, Adèle, Léonie et Bénédicte. Mélisa est une écrivaine en rupture d’inspiration, croit-elle du moins, mais elle traverse surtout une période de spleen comme elle en a déjà connu. Cette fois, ce mal-être va se transformer en une nostalgie lancinante de moments marquants de son enfance jusqu’à ce jour. Ce que confirment sa rencontre et sa relation avec Francis, appuyée par ce face-à-face avec Anne-Julie Genest, cette camarade déloyale dont elle n’a pas oublié les prétentions qui l’ont blessée plus profondément qu’elle ne l’eut cru.

Parmi la myriade de questions qu’elle se pose dans un état presque second, celle-ci en illustre plusieurs : « Nos vies ne sont-elles que des fac-similés de celles de nos ancêtres? Le sillon qu’ils ont creusé est-il à ce point profond qu’il nous est impensable d’en remonter les combles, d’en enjamber les crêtes pour rejoindre d’autres tranchées? Ma vision de la loyauté n’est pas tout à fait la même que celle de ma mère, j’ai la fidélité un peu plus flexible, mais mon sentiment de culpabilité à l’égard de Franco n’en est pas moins poignant. Les valeurs qu’on se choisit ne parviennent jamais à effacer complètement celles inculquées dans l’enfance. » Cela s’avère dans les fréquents rappels que la narratrice fait de son enfance, de ses sœurs jumelles et de son frère dans l’univers de parents divorcés, mais toujours présents pour eux.

L’écrivaine a des lettres – par exemple cette scène où Francis est agenouillé au pied du lit et « contemple l’origine du monde » rappelant la célèbre toile de Gustave Courbet (1866) – et elle ne se gêne pas pour glisser ça et là d’autres références culturelles ou pour employer sciemment des figures de rhétoriques, ce que ses amies lui reprochaient jadis. Cela sans oublier tous les calembours à-propos dont ceux-ci venus tout droit de la mémoire de son enfance : « J’ai aussi su que notre voisin est affilié à une gang qui s’appelle les Elle Zengels et que son restaurant est juste une façade pour blanchir de l’argent. Je n’ai jamais vu de billets blancs. »

Au chapitre des souvenirs familiaux, ceux rappelant des moments précis de son enfance font généralement œuvre utile, car ils illustrent adéquatement ceux plus récents. C’est le cas de ses rapports actuels avec sa mère et son père, ce dernier lui occasionnant des soucis depuis qu’il s’est mis à parler allemand, une langue dont elle ignorait l’origine de son apprentissage, lequel vient du séjour de ses grands-parents paternels à Lahr en Allemagne où Réal a débuté sa scolarisation; Mélisa ira au bout de cette histoire comme pour se déculpabiliser de sa relation avec Francis.

Avec La nébuleuse de la Tarentule, Mélissa Verreault a démontré sans aucun doute son talent d’imaginer un univers complexe dont la trame, telle celle d’une vaste tapisserie qui raconte de façon détaillée une fresque historique, se ramifie en plusieurs mises en abyme selon les souvenirs qui émergent, certains mis en lumière par de véritables artéfacts d’époque pour lesquels on a réservé des pages du livre. L’essentiel pour les lectrices et les lecteurs que nous sommes n’est-il pas de passer de bons moments en les confiant à la plume d’une écrivaine ou d’un écrivain? C’est exactement ce que la romancière réussit.