mercredi 27 décembre 2023

Serge Bergeron

Marcel Dubé : écrire pour être parlé

Montréal, Leméac, 2023, 424 p., 42,95 $.

La vie d’un classique

Alors que la société québécoise s’interrogeait sur le sens du mot « classique » en littérature paraissait, simultanément chez Leméac, Marcel Dubé : écrire pour être parlé, un récit biographique de Serge Bergeron, et Œuvres choisies, quatorze pièces de théâtre et une sélection de textes en prose de Marcel Dubé.

Pour les anciens dont je suis, l’expression classique littéraire renvoie aux maîtres du théâtre français, aux comédies de Molière, aux drames et aux tragédies de Racine ou de Corneille. Sans parler des poésies de Hugo, Chateaubriand, Verlaine ou Rimbaud. De tels modèles ne manquent pas, mais les comparaisons avec la littérature canadienne-française, puis québécoise sont bancales. Ce seront d’ailleurs aux poètes de s’installer les premiers au panthéon de notre culture littéraire.

En réfléchissant au sens à donner à la notion de classique en arts – littérature, musique, beaux-arts (arts plastiques et graphiques) –, je constate qu’à l’ère de l’éphémère où le succès dépend du nombre de « like » sur les réseaux sociaux, l’idée même de classique n’a plus cours parce qu’antithétique avec l’insaisissable air du temps. N’empêche, le théâtre québécois d’aujourd’hui est tributaire de la culture théâtrale des années 1950 aux années 1980, notamment grâce à la télédiffusion régulière de dramatiques sur les ondes de la radio et de la télévision nationale, aux téléséries écrites par des auteurs issus du milieu des lettres et même aux émissions d’affaires publiques qui font la place belle à la littérature. Je pense ici à l’éditorial d’André Laurendeau paru dans Le Devoir au lendemain de la télédiffusion d’Un simple soldat, en décembre 1957.

L’œuvre de Marcel Dubé répond à tous les critères de ce qu’est un classique de l’écriture dramatique d’une autre époque, celle préparant, puis participant activement à la Révolution tranquille. Dubé n’avait pas de véritables modèles de dramaturge québécois, hormis Gratien Gélinas qui fut aussi précurseur des humoristes dont les Cyniques et Yvon Deschamps furent les rejetons. Historiquement, le théâtre était le mal aimé de la culture, car il était considéré comme une distraction malfamée aux yeux du clergé dont les propos à son sujet étaient semblables à un anathème jeté sur les arts de la scène.

Dans Marcel Dubé : écrire pour être parlé, Serge Bergeron fait, pour ainsi dire, le verbatim de l’existence de l’écrivain, de sa vie familiale à ses derniers jours, en passant par ses études au Collège Sainte-Marie, sa passion du hockey, sa volonté d’écrire, sa longue et riche contribution à l’élaboration d’une dramaturgie québécoise, en passant par sa vie amoureuse, ses succès et ses échecs aussi retentissants les uns que les autres, jusqu’à la dure réalité de ses graves ennuis de santé et l’impossible obligation d’accepter l’oubli dans lequel son œuvre et lui-même sombrèrent.

Vouloir résumer la vie et l’œuvre de Marcel Dubé, je lui emprunterais le titre d’un texte paru dans Le Devoir du samedi 15 novembre 1958, La tragédie est un acte de foi. Évoquer le nom de Dubé, c’est faire la synthèse de la dramaturgie québécoise des années 1950 aux années 1980, à la radio, à la télévision, sur la scène. Mais, il y a plus, car, en jetant un regard horizontal sur son parcours artistique, on constate qu’il a été un écrivain polymorphe en créant des drames, des fictions narratives, de la poésie, des articles dans divers médias et divers documents propres aux nombreux mandats qui lui ont été confiés.

Serge Bergeron a écrit un récit biographique à l’américaine, c’est-à-dire sans omettre de détails, certains n’éclairant en rien son parcours ou son œuvre, mais fixant à jamais l’image d’un homme exprimant à travers ses textes, surtout ceux dans lesquels il a donné vie à des personnages fidèles à une certaine société d’une époque révolue, son propre drame d’un humain toujours en quête d’une existence heureuse quitte à l’inventer. La résilience dont il a fait preuve durant ses longs séjours en milieu hospitalier est incommensurable et, ce que peu de gens savent, c’est qu’il a alors connu une profonde solitude que seule l’arrivée d’une jeune infirmière, Francine Dubé – ce qui était son véritable patronyme –, réussira à combler.

Les diables de Marcel Dubé, dont son constant manque d’argent, sa tendance à procrastiner et ses abus d’alcool, auront-ils eu raison de sa détermination et de son engagement en usant prématurément sa vie et son talent? Cela a peu d’importance en regard de son héritage littéraire reflétant un temps passé qui fut une véritable rampe de lancement pour le Québec d’aujourd’hui. Rendons au dramaturge ce qui lui revient, une photo de famille comme on en faisait au temps jadis que signe Serge Bergeron.


Marcel Dubé : Œuvres choisies

Leméac, coll. « Corpus », 2023, 1176 p., 64,95 $.

Évoquer le nom de Dubé résume à lui seul la dramaturgie québécoise des années 1950 aux années 1980, à la radio, à la télévision, sur scène. La rétrospective de plus de cent pièces de théâtre peut laisser croire qu’il fut d’abord un écrivain en résidence à la SRC, mais surtout le père incontestable du théâtre québécois. Son œuvre témoigne du passage de la société canadienne-française, catholique et francophone, à la société québécoise laïque et joualisante. Cette période correspond à la fin du duplessisme et du pouvoir de l’Église, à l’éclosion de la Révolution tranquille. Il fut un écrivain polymorphe créant des drames, quelques fictions, de la poésie, des articles et divers documents propres aux mandats qui lui furent confiés. Les quatorze pièces – ses classiques – et les proses retenues ici illustrent l’ampleur et la richesse de son travail.


Marcel Dubé

Poèmes de sable

Bibliothèque québécoise, 2005, 236 p., 12,95 $.

D’abord paru en 1974, ce recueil de poésie a été revisité et augmenté. Il compte désormais trois parties: un livre dédié à Louise Marleau, un autre à Francine Dubé et un épilogue. Ses vers révèlent autant qu’ils résument tout le talent littéraire de l’auteur, celui dont les œuvres dramatiques sont d’une autre époque. Or, la poésie ne vieillit jamais, la preuve en est ce recueil dont les mots choisis minutieusement et les images qui en jaillissent d’une strophe à l’autre sont sans âge. La poésie et le théâtre sont des formes littéraires dont l’existence dépend de la parole des interprètes, ce que le regretté écrivain comprenait parfaitement. J’imagine aisément ses muses ou sa compagne dire l’un ou l’autre des poèmes en faisant ainsi éclore la plénitude du verbe et la musique qu’il évoque. C’est là le plus bel hommage à lui rendre.

mercredi 20 décembre 2023

Ying Chen

Ahimsa

Montréal, Leméac, 2023, 104 p., 14,95 $.

À la recherche d’un humanisme perdu

À ce jour, Ying Chen nous a entraînés dans des histoires de l’intime à travers les pages de son œuvre. Ainsi, dans Rayonnements (voir plus bas), nous nous retrouvions au sein de la famille Curie, Irène Joliot-Curie, l’aînée, racontant les hauts et les bas d’une famille dont les parents, puis elle-même et son époux, étaient auréolés de deux prix Nobel.

Avec Ahimsa, l’écrivaine nous amène dans un tout autre univers, celui de proches de Gandhi (1869-1948) après son assassinat. Le Mahatma, rappelons-le, « a été un pionnier et un théoricien du "satyāgraha" (attachement ferme à la vérité), de la résistance à l'oppression par la désobéissance civile de masse, cette théorisation était fondée sur l’ahiṃsā ("non-violence"), qui a contribué à conduire l’Inde à l’indépendance. »

Comment faire pour s’approprier un monde aussi particulier que celui de l’Inde d’une autre époque, sinon en passant par l’allégorie, cette figure de style « représentant une idée abstraite par une métaphore littéraire développée par un être animé doté d’attributs symboliques, comme dans les fables, où le monde animal personnifie la société humaine ».

Il s’agit ici de réincarner des individus dans un autre corps : un rat, une mouche et un serpent, ces animaux mal-aimés. À tour de rôle, ils racontent ce qu’ils étaient au moment de leur décès, en analysant et commentant leurs gestes qui furent déterminants pour eux-mêmes, pour leur famille, voire pour la nation tout entière.

La première voix à se faire entendre est celle du fils aîné du Maître Gandhi, réincarné sous la forme d’un rat. Pourquoi un tel désaveu, sinon pour se faire pardonner d’avoir été un fils impénitent à côté de son illustre père, un fils qui allait toujours en sens contraire de la voie tracée par lui. Agir ainsi, c’est s’opposer à ses convictions et à ses actions, de les discréditer à la satisfaction de ses détracteurs. Ce fils a ici des allures d’enfant prodigue revenant auprès de son père en énumérant les valeurs que ce dernier a promues. « Par modestie vous n’avez jamais manifesté l’ambition d’imposer vos valeurs à ceux qui n’en voulaient pas… vous avez vu que nous avions besoin de sel et des étoffes pour nous mettre debout d’abord. Debout en douceur. En résistance pacifique. En négociation. En refus sans violence. Debout dans la limite des lois, même faites par l’Autre. En respect, inclusion et acquittement. Avec la suprême Ahimsa. » Qu’a donc tant fait ce fils pour mériter d’être devenu un hideux rongeur, sinon d’avoir fait tout le contraire de son père, car, en agissant ainsi, il n’avait pas à supporter d’être comparé à celui-ci. Même le patronyme familial le détruisait petit à petit, ce que les abus de toutes sortes lui faisaient oublier.

« Je crois comprendre que, de mon vivant, j’ai été porté par une loi trop forte, une loi jusqu’ici invincible, durable, une loi futuriste : celle des désirs et de l’accumulation des choses… C’est moi qui me suis détourné de vous, père, comme un moderne qui se détourne de l’ancien. Je ne vous reproche rien. Au contraire, je crois qu’aucun autre parent n’aurait pu m’aimer mieux que vous. Je veux que ce soit clair pour vous. Et clair aussi pour ceux qui cherchent à vous diminuer en se servant de moi, de la ruine que je suis, comme on vise le point vulnérable d’un adversaire réel ou imaginaire. Clair pour ceux qui, afin de vous descendre, veulent s’armer contre vous de mon échec à moi. »

Après le fils repentant arrive une jeune femme réincarnée sous forme d’une mouche, cet insecte dont la mission sur terre est incomprise. « Je n’avais jamais fait attention aux mouches. C’était une espèce considérée inférieure… En réfléchissant bien, je trouve que naître mouche aujourd’hui est un excellent compromis dans le cadre de notre inébranlable destin. » (38) Le compromis évoqué se rapporte à l’environnement et aux changements climatiques, les mouches étant des vecteurs de la transformation essentielle de certaines matières. « Notre famille se trouvait au pied de la hiérarchie dans notre propre clan depuis toujours… Notre race… manquait de verve pour se révolter et pour attirer l’attention autrement qu’avec des armes, par exemple avec de la paisible résistance. »

Le père de la narratrice s’était mis au commerce pour sortir sa famille de la misère ancestrale, ce qui permit à la jeune femme d’aller à l’école et d’apprendre à lire. « Cette formation quoique brève suffisait pour que je puisse lire les paroles du Maître, les paroles de l’assassin [celui de Gandhi], et les nouvelles dans les journaux sur les déshonneurs compromettants du fils du Maître [le rat du précédent chapitre]. » L’éloignement de sa condition de miséreuse lui permit de travailler en usine, de faire partie d’une chaîne humaine accomplissant des gestes machinaux pour fabriquer des gants de travail du matin au soir. « À la fin, mes poumons ne fonctionnaient plus. Ce n’était pas tellement à cause de l’usine, on ne se rendait pas compte de ce qu’on respirait à l’intérieur. Par contre, à l’extérieur, je n’avais pas vu le soleil depuis longtemps. » Celle devenue une mouche représente, en quelque sorte, les pauvres et les miséreux que le Maître voulait sortir de leur condition en leur rendant la dignité qui ne leur avait jamais été permise.

Le troisième personnage, réincarnation de l’assassin du Maître, est un serpent. Il symbolise l’opposition à l’ahimsa que prône et défend ce dernier. « Je suis obligé de retrouver le Maître, pour l’empêcher de revenir en vie pour promouvoir son Ahimsa. C’est encore à moi de jouer le diable, de dissiper avec mes substances vénéneuses, le parfum du pacifisme et le charme de la négociation que le Maître aime nous vanter, parfum tout à fait fade qui ne peut qu’endormir notre peuple face aux adversaires réels ou potentiels. »

Le serpent est le plus volubile des personnages, car il adhère à la philosophie contraire à celle du Maître. Son propos met en perspective la quête de ce dernier et celle de ses opposants qui voient là un désastre dont l’État tout entier ne saurait se remettre. Pour lui, le diable se niche dans les détails, ceux-là auxquels il adhère et qui, d’une certaine façon, vont lui permettre d’assassiner le Maître.

Le quatrième chapitre, « Ensemble sans voix », commémore l’assassinat du Maître. « On se souvient bien, maintenant encore, de la scène où son corps solennellement descendait dans l’éclatement des bûches en flammes, lorsque s’élevait une prière monotone d’une compassion simpliste s’entendant à toutes les bêtes, rats, serpents et mouches, à tout le monde y compris aux tueurs, délinquants et traîtres. Et même à nous trois. Le chant détaché et impersonnel vite remplacé par le concert positif des oiseaux humains trop humains. »

Quelle image du Maître reste-t-il alors? « Cette quasi-statue moyenâgeuse, pieds nus, vêtue théâtralement de coton fabriqué maison, style pyjama, accompagné de son risible rouet, d’une lenteur démesurée, assis encore avec entêtement sur le sable d’une époque délaissée, sans électricité, d’un pays divisé, au milieu du tapage impatient de son peuple… Cet être antique, pour ne pas dire ce fantôme, avait essayé de ses maigres bras de repousser l’arrivée inévitable du temps moderne, de défier la puissance des machines en recourant aux paroles des aïeux… Quand on est serpent, rat ou mouche, on ne comprend plus rien à cela. »

« Chœur d’oiseau », dernier volet du roman, est une mise en abyme du récit dont les oiseaux observent la trame en concluant sous forme d’un poème : « Indispensables que nous sommes.  / La volonté du ciel nous transcende. / Nos voix comme fleurs et comme flèches. / Pour couronner et pour condamner. / Pour aimer et pour haïr / au besoin / pour transmettre / le jugement dernier. »

Ying Chen a choisi l’allégorie comme forme de son récit, sans en faire une fable moralisatrice, mais une métaphore du point de vue d’un personnage à l’autre, chacun évoquant de façon perspicace les pires velléités dont les êtres humains sont capables à l’égard de leurs semblables comme on le constate dans toutes les guerres fratricides ou les tragédies génocidaires.

Ying Chen

Rayonnements

Leméac, coll. « Nomades », 2023, 112 p., 10,95 $.

 

Irène Joliot-Curie raconte les dernières années de la vie de sa mère. Ce n’est pas une biographie familiale, les rayonnements du titre faisant référence aux recherches et aux découvertes du couple Curie, dont la radiation qui fait peser le poids de la responsabilité sociale sur les épaules de la nobélisée. À cette époque, mère et fille partagent les mêmes intérêts scientifiques, le même laboratoire et les mêmes valeurs humaines. La Marie Curie imaginée par Ying Chen est un personnage complexe. Ses regrets d’avoir quitté sa Pologne, sa constante quête de tout ce qui pouvait faire avancer ses recherches, son tourment de ne s’être jamais sentie Française, etc. Le roman est comme le legs imaginaire de la mémoire familiale, comme l’héritage des non-dits différents d’un membre du clan à l’autre. Les personnages imaginés semblent aussi grands que ceux qui les ont inspirés.

mercredi 13 décembre 2023

Frédérick Lavoie

Troubler les eaux

Saguenay, La Peuplade, coll. « Récit », 2023, 360 p., 30,95 $.

S’informer : un devoir citoyen

Frédérick Lavoie est un journaliste indépendant de haut niveau tant pour ce que les missions d’enquête qu’il s’impose lui apprennent que pour les actualités qu’il relate et ses analyses diffusées par les médias qui achètent ses reportages, sans oublier les récits qu’il en tire. Il y eut ainsi Allers simples : aventures journalistiques en Post-Soviétie (2012), Ukraine à fragmentation (2015) et Avant l’après : voyage à Cuba avec George Orwell (2018), tous parus à La Peuplade. Ces trois essais révèlent l’habitude de l’auteur de vivre dans l’univers dont il veut relater une situation sociopolitique pour mieux la comprendre.

Troubler les eaux semble, de prime abord, emprunte la même démarche. Je dis bien « de prime abord », car, après avoir identifié le sujet – les enjeux de l’eau au Bangladesh, tant les inondations récurrentes que le manque constant d’eau potable – il évoque le début du livre qu’il a tenté d’écrire sur ce vaste sujet, mais que, pour des raisons qu’il énonce sans ambages – on ne peut, à ce jour, lui reprocher d’avoir une langue de bois, mais une probité extrême – il n’eut d’autre choix que d’aller dans une direction où sa subjectivité de journaliste blanc de culture occidentale devait être mise de côté s’il voulait que son propos tienne la route.

Il revient à son propos initial en faisant le récit de ce qu’il a vu sur place, en compagnie de son fixeur et d’un traducteur – impossible de faire autrement puisqu’il y a tant de dialectes régionaux que même un fixeur aguerri ne peut suffire à la tâche – et qui le trouble de plus en plus.

Les inondations dictées par la mousson n’ont rien de comparable avec celles qu’on connaît chez nous. Or, le seul « véritable » référent pour le journaliste Lavoie n’est autre que l’inondation du Saguenay, sa région natale, et dont on a fait une image collective plus grande que nature. Les débordements qu’il constate au Bangladesh sont amplifiés par tous les travaux opérés par l’industrie à son seul profit et qui ont eu pour résultats de modifier le parcours de certains cours d’eau ou même de faire sauter des digues protégeant des terres agricoles. La résilience des gens qu’il rencontre est désarmante, comme s’ils entonnaient un « alea jacta est » pour toute explication.

Autre problème relatif aux eaux : la difficile, parfois impossible, disponibilité d’eau potable saine. Les pages du livre qui portent sur ce sujet font le récit d’une histoire d’horreur humanitaire dont les victimes ne mesurent pas vraiment l’étendue des conséquences. Certaines, certains ont perdu des proches ou sont eux-mêmes des victimes « consentantes » de ces eaux mortifères parce que les nappes phréatiques sont empoisonnées à l’arsenic ou d’autres matières que le sol a absorbés au fil du temps et des négligences humaines. Bref, l’abus des mieux nantis sur les plus pauvres.

Un imprévu à l’agenda du reporter survient lorsqu’il se retrouve face à des Rohingyas fuyant le Myanmar. C’est une histoire relatée par la presse internationale, un génocide qu’on ne veut ou ne peut pas nommer pour des raisons politiques de part et d’autre.

Devant tant de sujets d’information que peut ou que doit faire un journaliste indépendant qui se fait fort de respecter les pratiques journalistiques strictes, le récit objectif des faits et l’éthique dans leur compte rendu? Frédérick Lavoie est devant un mur qui l’oblige à remettre en question sa façon de faire, car, pour la première fois, il a profité d’une bourse de travail qui lui a permis de vivre modestement, mais de façon plus confortable que d’habitude. Il a aussi pu engager un fixeur expérimenté et même les services d’un traducteur.

La question que cette équipée a soulevée chez Lavoie est de savoir s’il doit choisir les informations parmi celles recueillies et qui doivent être rendues publiques, une situation qu’il ne rencontre jamais croyant que tous les renseignements doivent être connus. Or, il est cette fois conscient qu’il doit trier dans ce flot d’informations, certaines ayant peu ou pas d’impact sur le lectorat, certaines pouvant même nuire aux personnes qui ont naïvement témoigné de la situation.

Si la première moitié de Troubler les eaux se déroule sur le terrain, la seconde met en évidence l’analyse, la réflexion et les remises en question du journaliste sur ses pratiques. Je vous proposai récemment Pas de lapin dans le chapeau : coulisses éthiques et déontologiques du travail journalistique (Somme toute, 2023), un essai de Marie-Ève Martel qui discute du même sujet, mais dans un environnement de presse régionale ou nationale. Frédérick Lavoie traite le sujet du point de vue international, tel qu’un journaliste indépendant – ce qualificatif prend ici tout son sens, car il s’oppose au journaliste d’une grande agence ou d’un média national qui bénéficie d’une infrastructure corporative en soutient de son travail – peut se permettre compte tenu de ses moyens financiers limités. Dit de façon plus terre à terre : il est rémunéré après les recherches appropriées sur un sujet et la préparation d’un article ou d’un visuel, à condition qu’il puisse vendre son matériel à un diffuseur. Cette façon de faire altère, aux dires de Lavoie, sa perception et de là son objectivité, car il lui arrivera de faire un triage parmi un ensemble de données afin de « garantir » sa commercialisation.

L’auteur fait d’ailleurs une comparaison intéressante en parlant de la « mission » du journaliste et celle du scientifique. Tous deux travaillent sur la vérité d’un sujet dont, à priori, ils ignorent les tenants et les aboutissants. Souvent, ils ne réussissent qu’à mettre en lumière les premiers éléments d’un tout sans parvenir à le décrire complètement. La question est alors de savoir dans quelle mesure doivent-ils révéler leur découverte. Pensons ici aux scientifiques étudiant l’intelligence artificielle dont les recherches sont financées par des sociétés qui veulent obtenir rapidement des résultats et ainsi pouvoir continuer à subventionner les chercheurs. Belle quadrature du cercle!

En refermant Troubler les eaux, j’ai d’abord pensé aux communautés autochtones canadiennes dont les « réserves » n’ont toujours pas d’eau potable en 2023. Ce n’est guère mieux que la situation de certaines communautés bangladaises vivant dans un pays en voie de développement, ce qui n’est absolument pas le cas du Canada. J’ai aussi réfléchi aux pratiques journalistiques à l’ère des médias sociaux et des fausses nouvelles. Entre ces deux pratiques d’information, il y a tous ces billettistes qui commentent à qui mieux mieux tout et son contraire. Sont-ce des influenceurs patentés? Des maîtresses et des maîtres à penser comme des nouveaux gourous de l’information? Que faire alors du libre arbitre de chacune et chacun d’entre nous, sinon d’être plus attentives et attentifs que jamais dans le choix de nos sources d’information. Une même info internationale diffusée sur les ondes de R.-C. et sur celles de TV5, par exemple, sera exprimée selon des points de vue différents que nous pouvons observer à l’écran, puis soupeser avant de nous faire une opinion.

Entre-temps, la lecture de Troubler les eaux, le récit de Frédérick Lavoie, est un excellent exercice de remise en question de nos habitudes de consommateur de l’information en ce temps où nos canaux traditionnels sont mis à mal. L’ouvrage de Lavoie est ainsi d’un grand intérêt, aussi troublants que soient les faits et les analyses qu’il propose. N’est-ce pas d’ailleurs le rôle des journalistes?

mercredi 6 décembre 2023

Jacques Brault

À jamais, avec onze dessins de l’auteur, préface d’Emmanuelle Brault et Paul Bélanger

Montréal, Noroît, 2023, 104 p., 20,95 $ (papier), 15,99 $ (numérique).

Pour saluer Jacques Brault

Le 18 février 1976, je publiais une première chronique littéraire dans Le Richelieu, cet hebdo où Rina Lasnier avait timidement débuté sa carrière. Ce texte était consacré à Chemin faisant (La Presse, 1975; Boréal, 1995), un recueil d’essais brefs écrits par Jacques Brault (1933-2022) – écrivain et universitaire réputé – que j’allais rencontrer quelques mois plus tard dans le cadre d’une fête de la littérature se déroulant dans notre ville, Saint-Jean-sur-Richelieu.

Au fil des ans, je proposai la lecture d’une dizaine de recueils de poésie que Jacques Brault a fait paraître aux éditions du Noroît. Un an après son décès, la même maison d’édition publie À jamais, recueil posthume préparé par l’écrivain lui-même et accompagné de onze de ses dessins, ce médium qu’il a beaucoup pratiqué durant ses dernières années de vie : – « … crayons de couleur constitueront dorénavant ses outils de création ». Le recueil est préfacé par Emmanuelle Brault, fille du poète, et Paul Bélanger, poète et longtemps éditeur au Noroît.

Le prologue d’un livre est comme une barge nous amenant vers l’univers de l’écrivaine ou de l’écrivain. Les préfaciers sont ainsi des passeurs qui nous préparent à l’abordage d’une œuvre à laquelle ils ont été associés par l’auteur lui-même. L’avant-dire du Brault posthume se résume ici : « Ce petit livre n’ajoute-t-il pas à l’édifice des poèmes-témoins, convoquant amis, poètes et formes anciennes et aphoristiques? »

Un mot pour rappeler qu’Emmanuelle Brault – prénom qui n’est pas sans rappeler l’Emmanuelle de Gaston Miron dont Brault fut un des premiers défenseurs et à qui on doit "Miron le magnifique" – a publié Dans les pas de nulle part : parcours de l’œuvre de Jacques Brault (Leméac, 2019), un incontournable essai ne serait-ce que parce que l’autrice est si près de l’espace natal des écritures de son père, de ses forces et de ses failles en les exposant sans les juger.

Avant de lire À jamais, je suis revenu à la source de l’art poétique de Jacques Brault en lisant pour la nième fois Mémoire, son premier recueil paru en 1965 et repris dans Poèmes (Éditions du Noroît, coll. « Ovale », 2000), une rétrospective des livres parus de 1965 à 1975. Je notais alors que c’est d’abord en faisant connaître l’œuvre d’autres poètes, dont Saint-Denys-Garneau et Gaston Miron, qu’il gravit le sentier qui a conduit à la reconnaissance de sa propre œuvre de poète, de romancier, de dramaturge et d’essayiste. En relisant l’anthologie de l’an 2000, je me suis laissé encore séduire par la simplicité de mots auxquels le poète donne une fraîcheur nouvelle. J’y ai aussi noté un dépouillement semblable à celui d’Anne Hébert dans la plénitude de ses derniers ouvrages.

Ce même livre comporte une préface de l’écrivaine Louise Dupré intitulée « La fragilité de vivre ». J’ai eu la tentation de vous proposer l’entièreté de ce texte tellement il résume admirablement bien non seulement les recueils rassemblés dans ce livre, mais aussi les cinq poèmes d’À jamais comme si l’analyse et la réflexion de Louise Dupré étaient prémonitoires de ce que Brault allait écrire.

À jamais, dédié à Madeleine, son épouse en-allée, n’est pas sans rappeler que c’est « paradoxalement dans l’espace clos de la maison que se produit, dans les recueils de Jacques Brault, une ouverture à l’autre qui fait qu’on s’approche de soi. Pour le poète, l’amour n’est ni désir de fusion ni fantasme de retour au Paradis perdu. Celui qui dit "Je t’aime seul et déserté de moi-même" accepte qu’il soit séparé. L’amour n’apporte pas la rédemption; tout au plus agit-il comme révélateur de notre propre désert intérieur. »

L’amour, certes, mais se lovant au cœur de la poésie considérée comme un mode de vie. En entrevue à Jean Royer en 1979, Brault confie : « Pour moi, la poésie dépasse la littérature et la déborde. La place du poème dans la vie fondamentale, primordiale. Le poème peut prendre toutes sortes de formes, d’allées et de venue… Le poème peut être chant et célébration, mais il est aussi ce qui donne sens: un sens au moins fondateur. La fonction poétique est d’ordre primordial comme la fonction nutritive ou la fonction de reproduction. »

Cette façon d’appréhender la poésie est aussi présente dans Dans la nuit du poème (Noroît, 2011), un essai de Brault qui interroge : qui a peur de la poésie craint aussi ce que la littérature lui propose, car la poésie est l’alpha et l’oméga de toutes les formes d’écriture. Ce qui parfois nous égare, c’est qu’on laisse croire que tout discours est poétique. Les poèmes en prose de Baudelaire ont, entre autres, ouvert la route à un libre arbitre qui a parfois mené à un cul-de-sac au niveau des formes. Mais alors, où se terre la poésie? Quelle est sa matière? Doit-elle dire ou évoquer? Ce sont là quelques questions que l’écrivain Brault aborde en encourageant notre propre réflexion sur ce qu’est la matière et les formes de la poésie.

À jamais, l’ultime recueil, n’est-il pas la conclusion à la démarche poétique que Jacques Brault a engagée depuis ses tout premiers vers et même avant lorsqu’il se penchait sur l’œuvre d’autres poètes? Si les cinq suites et les onze dessins qui les accompagnent sont autant de regards intimes jetés sur le panorama de toute une vie, j’avoue avoir été particulièrement ému par « Clartés nocturnes », notamment par cette strophe : « Le sens poétique et la justesse (et la justice…) du poème. De sa langue offerte à tous, il insinue que le monde est autre à même son accessibilité courante. Ainsi l’ineffable concrétion de Paul-Marie Lapointe : "tu ne mourras pas un oiseau portera tes cendres." » Et je pourrais continuer jusqu’à la dernière ligne de ce dit.

À jamais parait simultanément avec l’intégrale de l’œuvre de Jacques Brault aux Presses de l’Université de Montréal dans la collection « Bibliothèque du Nouveau Monde », parfois appelé « La Pléiade » québécoise en référence à la collection des Éditions Gallimard. C’est là une indiscutable consécration de l’esthétique et de la sociabilité du grand homme demeuré fidèle à ses engagements, auprès des siens, de sa garde rapprochée à ses plus lointains collègues comme l’illustre si bien À jamais.

mercredi 29 novembre 2023

Abla Farhoud

Havre-Saint-Pierre

Montréal, VLB, 2023, 164 p., 22,95 $.

En hommage à Abla Farhoud 

Je ne remercie jamais assez les attachées de presse des maisons d’édition. L’occasion est belle au moment où je vous propose Havre-Saint-Pierre, roman posthume de l’écrivaine et dramaturge Abla Farhoud, car, sans Simone S., je serais passé à côté d’une autrice qui a mis en mots sa culture libanaise et mis en perspective les aléas de l’immigration. Merci madame Sauren de vos conseils littéraires qui s’arriment à ma curiosité, élargissent mes horizons et enrichissent ma culture.

Havre-Saint-Pierre, l’ultime récit d’Abla Farhoud décédée en décembre 2021, est un « road trip », un huis clos durant lequel les frères Karam et Farid sont en route pour Havre-Saint-Pierre, cette municipalité de la Côte-Nord où leur mère, leur sœur Salwa et Farid, le cadet de la fratrie, ont atterri contre toute logique de l’époque, alors que Karam, l’aîné, est demeuré au Liban.

La romancière a choisi de faire de ce récit une polyphonie où chacun des principaux personnages – Karam, Fadid et Salwa – va relater les événements marquants de leur existence et, ce faisant, en soulignant leur identité dans et sur la vie familiale dont la détermination de leur mère et le nomadisme de leur père sont les points d’ancrage.

Omar-Karam est un homme de peu de mots, mais riche d’une vie intérieure alimentée par les élans philosophiques que l’existence lui a imposés. Né dans le même village que les autres membres de la fratrie, son enfance et son adolescence n’ont rien à voir avec les leurs. L’aîné a vite appris à jouer son rôle d’aîné, leur père n’ayant de cesse de faire des allers-retours entre l’Amérique et le Liban, revenant le temps de faire un enfant. Il y a aussi que leur mère et lui ne faisaient pas bon ménage, car elle le houspillait à la moindre occasion.

L’histoire du couple que formaient les parents, éduqués dans des traditions millénaires, ne fut jamais un long fleuve tranquille. La mère n’avait d’autre choix que d’exercer une forme de matriarcat, sans les droits des hommes, mais avec des devoirs supplémentaires imposés par l’absence du père. L’aîné devenait ainsi son bouc émissaire de prédilection.

Au décès de l’époux, les contingences sociales donnaient peu de choix à l’épouse, sinon d’aller refaire sa vie et celle de ses enfants à ailleurs, loin des diktats des hommes. Un exemple de cette soumission est bien l’absence des savoirs basiques tels lire, écrire ou compter. Or, cette mère avait appris un mot et un chiffre à la fois, sans laisser paraître qu’elle outrepassait les lois sociales.

Le père disparu, l’équilibre fragile de l’univers de Karam, Fadid et Salwa est compromis. Avec leur mère, ils devaient rapidement quitter le village, mais ne pouvaient habiter dans une autre, question d’organisation sociale d’une région à une autre. Pire, il était impensable qu’elle dirige l’exploitation agricole même après l’avoir tenue à bout de bras en l’absence de son mari. Elle choisit donc l’Amérique où s’étaient installés d’autres membres de sa famille. Cette décision était cependant assortie du devoir d’assurer un éventuel retour au pays, c’est pourquoi elle obligea Karam à rester au Liban afin d’entretenir la propriété familiale.

C’est ce à quoi Karam réfléchit durant le voyage vers Havre-Saint-Pierre. Ce faisant, il tend la toile sur laquelle Fadid projettera ses propres souvenirs et sa vision de la vie de sa famille.

Si Karam regarde son passé comme s’il s’agissait d’un verre à demi vide, son cadet le considère comme à demi plein. Pessimiste et optimiste pourrait-on conclure, ce qui serait sans les nuances du caractère de chacun et sans tenir compte de leurs personnalités fort différentes.

Fadid a connu une enfance et une adolescence nettement plus facile que son aîné; il n’avait d’autres responsabilités que s’occuper de lui-même, encouragé par leur mère. Par exemple, à Havre-Saint-Pierre, il n’avait qu’à étudier, jouer avec ses amis et faire ce qui lui plaisait. Il faut dire qu’après leur arrivée au Québec, leur mère ne resta pas les bras croisés, mais, pour une raison inconnue, elle s’éloigna des autres membres de sa famille vivant ici. Elle ouvrit un magasin général et travailla sans cesse pour entretenir ses enfants, même Karam à qui elle envoyait régulièrement de l’argent pour qu’il puisse veiller sur la propriété familiale au Liban sans avoir de soucis financiers.

Fadid, lorsqu’il revenait sur la terre ancestrale, y était considéré comme un étranger puisqu’il parlait peu ou pas arabe. Au Québec, il n’a jamais connu une telle discrimination, son plus grand ami québécois l’ayant accueilli en lui demandant simplement de jouer avec lui. C’est lors d’un séjour au Liban qu’il connut celle qu’il allait épouser. Cette dernière est déjà une amie de l’épouse de Karam, les deux femmes ayant une image périphérique plus complète de l’histoire familiale de leur conjoint qu’eux-mêmes.

Fadid songe à la santé de plus en plus fragile de Salwa, leur sœur, et revoit le désarroi dans lequel cela plongeait leur mère. Cela justifie le télégramme que cette dernière adressa à Karam pour qu’il s’amène très rapidement au Québec avant que sa sœur ne décède. C’était il y a 50 ans et Karam n’est jamais retourné à Havre-Saint-Pierre. Pourquoi? Tous les personnages tentent de répondre sans y parvenir de façon satisfaisante.

La clé expliquant le fragile équilibre de cette fratrie se trouve dans le troisième volet du roman. Salwa exprime de l’au-delà son point de vue sur sa famille et révèle son ressenti personnel. Les onze brèves séquences émergent d’un non-dit existentiel, car la timidité de la jeune femme et son désir de ne pas déplaire, à sa mère d’abord, ont grandi dans son âme et conscience jusqu’à devenir un cancer du silence. Abla Farhoud a insufflé dans le personnage de Salwa une force vive qui bouillonne en elle comme un geyser jaillissant en son for intérieur, brûlant tout sur son passage.

Salwa répète d’une séquence à l’autre qu’elle est morte à maintes reprises : après les départs et retours de son père, après le décès de celui-ci, dans sa relation en dents de scie avec sa mère qu’elle en vient à admirer après lui avoir reproché d’avoir quitté Bir-Barra et d’y avoir laissé son frère Karam. À Havre-Saint-Pierre, elle développe petit à petit un respect affectueux envers celle qui a repris son nom de Wajiha El Wahid et dont elle connaît l’engagement pour gagner la place qu’elle méritait dans la société libanaise, puis québécoise, une féministe avant l’heure comme le fut la grand-mère Mélikah Abdelmoumen qui la raconte dans Les engagements ordinaires. (Atelier 10, 2023).

Salwa ira très brièvement à l’école, laissant son frère Fadid se scolariser comme le voulaient les traditions ancestrales, et ce même si sa mère l’incitait à étudier. Sans le dire, elle comprenait une des contradictions de sa mère, ce qui ne l’empêchait pas de s’instruire par elle-même tout en travaillant au commerce familial.

Sa santé s’altère, elle dépérit de jour en jour. Elle comprend la gravité de son état quand Karam, son frère aîné, arrive à son chevet, qu’elle décide de lâcher prise et de mourir dans ses bras.

Abla Farhoud laisse en héritage une fiction émouvante grâce à des personnages dont la personnalité emprunte à des archétypes socioculturels libanais qui, tout en s’intégrant sans difficulté majeure à la société québécoise, craignent malgré tout d’être assimilés. C’est pourquoi les deux frères sont retournés au Liban pour se marier, que pour l’un l’arable est demeuré sa première langue et le français sa langue seconde et l’inverse pour l’autre.

Havre-Saint-Pierre nous fait entrer au cœur du dilemme de l’immigration et de ses conséquences existentielles et culturelles, entre s’intégrer ou être assimilé. Il met notamment l’accent sur les différences de la condition féminine d’un pays à l’autre à travers la détermination d’une mère d’être ce qu’elle choisit d’être. Tout cela et plus encore dans une littérarité accomplie.

mercredi 22 novembre 2023

Marie-Ève Martel

Pas de lapin dans le chapeau : coulisses éthiques et déontologiques du travail journalistique

Montréal, Somme toute, 2023, 160 p., 21,95 $.

S’informer à l’ère des « fake news »

J’ai été fort étonné de la réaction des gouvernements et de plusieurs citoyens lorsque Meta cessa de diffuser les informations provenant de la presse nationale et régionale. Cette presse de proximité publie pourtant sur internet grâce à des sites accessibles à vil prix, sinon gratuitement.

Comment comprendre alors que les réseaux sociaux soient devenus la principale source d’information, la seule pour plusieurs? Les colonnes du temple média, mis à mal depuis plusieurs années sur plusieurs fronts – « fake news », « vérités alternatives », publicités en tout genre – étaient ébranlées et les journalistes accusés de tous les maux.

Le nouvel essai de Marie-Ève Martel, Pas de lapin dans le chapeau : coulisses éthiques et déontologiques du travail journalistique remet les pendules à l’heure en expliquant noir sur blanc les règles fondamentales de la pratique professionnelle du journalisme, tout en rappelant la probité de la vaste majorité de celles et ceux qui l’exercent.

Précédemment, l’autrice et journaliste a rappelé, dans Extinction de voix : plaidoyer pour la sauvegarde de l’information régionale (2018), que la presse subit sans cesse l’ire du public, alors que les médias sociaux relaient ses contenus sans en payer le prix. Les revenus publicitaires distribués aux plateformes de nouvelles sont les mêmes, mais elles se multiplient.

Dans Privé de sens : plaidoyer pour un meilleur accès à l’information au Québec (2021), Mme Martel se demande combien de fois entend-on qu’une nouvelle a été obtenue en vertu de la loi d’accès à l’information. Cette dernière, mise en place il y a 40 ans, « permet à toute personne qui le désire d’obtenir la plupart des documents produits par les organisations publiques. » Or, vouloir exercer ce droit, c’est la croix et la bannière pour un simple citoyen. C’est ce qu’explique cet essai, l’autrice définissant l’information comme « ce qui nous permet de prendre une décision. C’est ce qui nous fait peser le pour et le contre, ce qui nous fait douter, et ce qui nous pousse à aller chercher davantage de détails... En d’autres mots: l’information, c’est tout ce qui nous permet de prendre conscience de notre présent, de réfléchir sur notre passé, parfois à travers de nouveaux filtres, et d’anticiper. »

Avec Pas de lapin dans le chapeau : coulisses éthiques et déontologiques du travail journalistique, M.-È. Martel décortique et analyse en quoi consiste le journalisme professionnel, de la formation à la pratique, du travail de généraliste à celui de spécialiste, de l’objectivité professionnelle à la subjectivité individuelle. Il y a d’abord « les assises conceptuelles du journalisme, c’est-à-dire l’éthique et la déontologie journalistique ». Suivent « les grands principes de la déontologie journalistique, c’est-à-dire la recherche de vérité, l’équité, le respect de la vie privée et d’autres enjeux journalistiques. » Enfin, les recours bien réels du public à l’endroit des journalistes et de leur pratique.

Pour l’autrice, on ne s’invente pas journaliste du jour au lendemain pas plus qu’électricien ou notaire. Il y a d’excellentes écoles de journalisme au Québec, je pense entre autres à l’Université Laval de Québec où le regretté Yves Gagnon, longtemps propriétaire du Canada français, a enseigné – il fut d’ailleurs l’initiateur du premier code québécois de déontologie journalistique – tout comme Florien Sauvageau ou Dominique Payette.

Le premier rôle du journaliste est d’informer la population selon des règles éthiques et déontologiques et de faire en sorte que ces informations sont factuelles et décrites comme telles. M.-È. Martel illustre son propos d’exemples concrets, si bien qu’on passe de la théorie à la pratique tout au long de l’ouvrage. Elle nuance aussi la signification de quelques termes, notamment l’objectivité des journalistes. Il n’y a pas d’objectité absolue et même l’IA n’y parviendra peut-être jamais. Ce qu’on attend du journaliste, c’est qu’il décrive un événement le plus fidèlement possible. Décrire une collision entre deux véhicules est une chose, en expliquer la ou les causes est une autre. J’aime dire que l’objectivité journalistique est comme deux individus devant un verre d’eau, l’un dit qu’il est à moitié plein, l’autre à moitié vide; les deux ont raison, c’est une question de perspective.

Le propos de cet essai englobe toutes les plateformes sur lesquelles une ou un journaliste s’exprime. Ce faisant, il rappelle qu’avec la multiplication et la rapidité de diffuser l’information des médias actuels, la rigueur journalistique peut être mise à mal, car on rapporte certains événements sans avoir attaché toutes les ficelles. On observe quotidiennement des exemples de tels écueils, entre autres dans le domaine des déclarations des autorités politiques ou l’annonce de projets d’envergure.

Un champ de la pratique journalistique qui me semble implicite à l’analyse de l’essayiste, c’est celui des chroniqueurs et des billettistes. Les premiers sont généralement des gens spécialisés dans un domaine d’activité, l’économie ou les sports par exemple, qui impliquent un volet information et un volet analyse et commentaires. Les billettistes, pour leur part, présentent et discutent un sujet tiré de l’information ou de toute autre préoccupation sociétale; ici, il n’est pas question d’objectivité, mais du point de vue personnel du ou de la billettiste.

Un mot sur les chroniqueurs et critiques culturels. D’une part, ils informent des activités culturelles en général ou d’une spécialité précise. Les critiques présentent et analysent une réalisation d’une telle activité. Encore ici, on ne s’improvise pas chroniqueur ou critique, au mieux on fait du journalisme culturel de bon aloi; on peut apprendre à devenir chroniqueur ou critique de diverses façons, mais en ce domaine le temps fait son œuvre et permet des mises en perspectives essentielles à la compréhension de la société.

Concluons que dans « cet essai consacré au métier qui la passionne, Marie-Ève Martel nous fait pénétrer dans les coulisses du journalisme dans l’optique de faire de nous de meilleurs consommateurs d’information. S’attardant à la déontologie, à la protection des sources, à l’importance de se rétracter lorsqu’on se trompe et s’assurer de ne pas être manipulé, c’est un tour d’horizon complet de l’éthique journalistique que cet ouvrage offre aux lectrices et lecteurs de nouvelles, aux futurs journalistes, aux curieux et à tous les autres. »

mercredi 15 novembre 2023

Simone Chaput

Les mangeurs d’ortolans

Montréal, Leméac, 2023, 224 p., 25,95 $.

L’éphémère d’aujourd’hui vs le durable d’hier

D’aussi loin que je me souvienne, le mot ortolan me fascinait sans que j’en connaisse la signification. Si bien que Les mangeurs d’ortolans, un roman de Simone Chaput, m’a interpelé et que j’ai voulu savoir qui sont ces gens attirés par cette « variété de bruants à gorge jaune d’Europe méridionale, très estimée pour sa chair délicate » et qu’on appelle au Québec alouette cornue, une espèce menacée.

La romancière nous propose une histoire aussi délicate que le volatile, un récit familial polyphonique en six tableaux, chacun comptant plusieurs séquences animées consécutivement par les quatre membres de la famille Braudel – Raymond, Carmen, Marlène et Dérrick – ou, parfois, par une voix hors champ familière de l’univers propre à chacun des personnages et de leur entourage. De plus, chaque tableau se termine par un extrait d’une pièce de théâtre intitulée Les mangeurs d’ortolans qu’écrit Carmen et qu’elle envoie à Maxime Delaye, un critique dramatique aussi passionné de ce qu’elle écrit que d’elle-même.

L’exercice de style – oui, c’en est bien un – de faire évoluer la trame sur des voies parallèles tracées par les membres d’une même famille dont les intérêts, aussi distincts les uns des autres soient-ils, se croisent, se décroisent et s’entrecroisent.

Tout débute par le choix que font Carmen et Raymond de vivre littéralement hors de la civilisation, une sorte de minimalisme assumé auquel ils feront constamment référence, même après être revenus à un quotidien plus urbain, autant pour le mieux être de leur fils Dérrick que de leur fille Marlène, mais aussi pour permettre à Carmen d’embrasser sa carrière de comédienne, puis d’autrice dramatique.

Ce temps passé – celui de l’enfance de Marlène et de son frère ou des engagements professionnels de Carmen – est l’époque de référence à laquelle chaque personnage est relié par un cordon invisible alors que le temps présent, celui raconté, est en constante évolution, parfois en tourbillonnant.

Lorsque Raymond raconte, véritable pater familias dont l’autorité est plus philosophique que réelle, on comprend qu’il a une vision périphérique de tout ce qui se passe aussi bien à la maison qu’à l’étranger où ses enfants se sont un jour retrouvés. Sa fréquentation de la nature, il est garde-forestier, semble le rendre plus zen, si bien que, quels que soient les tracas auxquels il est confronté, il parvient à les résoudre avec une certaine sagesse, à l’exception de l’ultime malheur dont sa fille est victime. N’anticipons pas.

Parlant de Marlène, sa participation au chant choral relate un dialogue qu’elle entretient avec Docteure Cazenave, la psychiatre qui l’accompagne dans le processus de guérison d’un viol dont elle a été victime, tout en lui permettant de mettre en perspective les événements marquants précédents et suivants ce drame. La démarche de la thérapeute n’a pas toujours l’heur de plaire à Marlène, mais elle adhère petit à petit à ce protocole et à l’éclairage périphérique que la thérapie jette sur l’importance relative de certains détails de sa vie que Docteure Cazenave résume ainsi : « Les émotions fortes sont épuisantes. Elles nous mûrissent, nous aguerrissent, nous ouvrent tout grands les yeux. Elles nous secouent tant qu’elles changent en permanence notre vision du monde. » (140)

Malgré tout, c’est l’absence de son frère et leur connivence que Marlène regrette le plus. Ce vide est encore plus intense pour Dérrick qui a choisi une vie de nomade au loin sans que ses parents le sachent. Sa participation à la narration du roman est toujours sous la forme des pages d’un journal intime – avec date, nom de lieu, événement(s), rencontre(s), etc. – qu’il adresse à sa complice de sœur. Le jeune homme nous fait voyager en Amérique du Sud et rencontrer diverses gens qui l’accompagneront ou qu’il accompagnera dans des endroits qu’il découvre. Bien qu’il ait plusieurs amitiés éphémères, il ne parvient pas à trouver l’âme sœur, probablement parce que ce rôle est occupé par Marlène. Quand Dérrick rencontre Rafaël, lors d’un événement aussi fortuit que malheureux, le coup de foudre est aussi évident que la trahison à sa fidélité à l’endroit de sa sœur.

Revenons à cette dernière, à l’époque où elle fréquenta Rifqi dont elle eut un enfant. Ils se sont rencontrés dans un contexte professionnel, elle photographe, lui agent d’immeuble ayant recours à ses services. Il y a une très grande liberté et une vérité assumée dans leur relation. Ainsi, Marlène connaît l'état matrimonial de Rifqi, sachant que Tarini, son épouse, acceptera l’enfant qu’il lui a fait et l’accueillera comme si c’était le sien. C’est d’ailleurs à Singapour, ville d’origine de Rifqi et des siens, que Marlène terminera sa grossesse et accouchera.

Lorsqu’elle rentre chez ses parents avec compagnon et enfant, elle est accueillie à bras ouverts à un moment charnière pour les siens comme pour elle-même. Zahra, le poupon, devient le centre d’attraction de la cellule familiale. Cela permet à Marlène de joindre un groupe d’amies avec lesquelles elle a étudié la photo et qui se sont regroupées en une coopérative de création artistique. Auprès d’elles, elle prépare une exposition des nombreuses photos qu’elle a prises aussi bien à Vancouver que lors de ses voyages, notamment à Singapour, et de ses observations de la décadence de l’environnement. Un jour que son père Raymond la visite à l’atelier, il lui conseille de toujours barrer la porte d’entrée de l’édifice où elle travaille, la faune hétéroclite du quartier ne lui inspirant pas confiance.

Les engagements de Marlène, ceux de sa mère ou de son père nous guident vers une chute improbable accentuée par le retour de Dérrick avec ce compagnon de vie tant espéré et, bien évidemment, le terrible événement qui bouleverse la vie de Marlène et des siens.

Simone Chaput réussit à créer un univers complexe grâce à des personnages aux caractères fortement typés et aux interactions qu’ils favorisent dans un univers complexe. Si, d’entrée de jeu, il faut s’approprier la grille narrative de l’autrice en faisant confiance à l’élan initial, nous n’en sommes pas moins récompensés par une aventure littéraire originale qui nous sort des trames classiques. C’est là, à mon avis, une expérience qui mérite qu’on saisisse.

mercredi 8 novembre 2023

Michel Rabagliati

Rose à l’île

Montréal, La Pastèque, 2023, 256 p., 32,95 $.

De père en fille

Je connais peu la bande dessinée actuelle, comme la pratique Jimmy Beaulieu ou Michel Rabagliati, et le roman graphique. C’est grâce aux deux livres de mon fils Félix – Une peine d’amour et La panne d’amour de Félix (de la Grenouillère, 2018 et 2019) – que je me suis familiarisé avec cet art qui marie les mots et les images, un peu comme lorsque le cinéma s’approprie la fiction. Les derniers ouvrages de Dany Laferrière ont continué mon éducation sur l’art du roman graphique.

J’en reviens à Rabagliati, ce remarquable bédéiste classique dont les livres associent illustrations et phylactères en une même planche. « En général, une planche est de forme rectangulaire, elle comporte quatre marges sur son pourtour et des cases organisées souvent en bandes, l’espace entre les cases étant nommé gouttière. Une planche se retrouve souvent sur une page, parfois deux. La planche est organisée selon une composition, qui participe à la présentation et au récit. » (Wikipédia, 13-09-23) Parfois, on croit entendre la voix hors champ de l’artiste soulignant l’atmosphère désiré telle une didascalie dans une œuvre dramatique.

Voilà que l’auteur des Paul fait un pas de côté et propose Rose à l’île, un véritable roman graphique où la trame et les 225 illustrations se font écho sans être soudées l’une dans l’autre comme dans la forme classique de planches. Comme Rabagliati l’a mentionné en entrevue, cette forme et le format des pages lui ont permis de mieux exprimer ce que ce projet lui dictait, inspiré notamment de certains endroits de l’île et de ses paysages. Ce n’est pas tout : Paul, l’alter ego dessiné de l’artiste, échappe au titre qui emprunte celui de sa fille adulte. N’ayez crainte, Paul n’est pas disparu pour autant puisqu’il est le protagoniste privilégié de la trame, celui qui fait la narration de l’histoire. L’artiste a aussi invité un peintre animalier, le Père Henri Nouvel (1621-1702), missionnaire jésuite français qui « passa plusieurs années au Québec et dont la municipalité de Pointe-aux-Pères, près de Rimouski lui doit son nom. »; six dessins du Père introduisent chacune des séquences du récit, sans oublier qu’on l’aperçoit en train de dessiner à quelques endroits du récit.

Rose à l’île est aussi une histoire de famille, ce fonds de commerce de l’artiste qui semble inépuisable. Il met en scène une parenthèse dans la vie et la relation de Paul et de sa fille, la même qui s’envolait vers l’Europe dans Paul à la maison (voir plus bas), le précédent ouvrage de l’auteur. Cette île, jamais clairement identifiée sinon qu’elle se trouve dans le Saint-Laurent, mais que certains détails – la pierre tombale de Gilles Carles dans le cimetière, par exemple) – nous disent qu’il s’agit de l’île Verte, entre Cacouna et Trois-Pistoles. C’est aussi là que Paul, son épouse et leur fille ont jadis passé des vacances.

Tout a changé depuis dans la vie de chacun, ne serait-ce que le temps qui fait et défait les brins de l’existence comme un fil qui s’échappe d’un tricot. Rose a vingt-neuf ans et mène sa vie comme elle l’entend, selon les aléas du quotidien d’une jeune adulte dans le brouhaha des contingences contemporaines.

Paul comprend le climat dans lequel baigne la vie familiale d’aujourd’hui, si différente de celle qu’il a connue. C’est d’ailleurs en pensant à son propre père qu’il considère ne pas avoir été un bon père, le sien ayant été, à ses yeux du moins, un être d’exception qui l’a accompagné dans tous les moments clés de sa vie. Il veut donc profiter le plus possible de ces quelques jours loin des distractions quotidiennes de la vie urbaine – comprendre ici cellulaires, réseaux sociaux, etc. – pour passer du temps de qualité avec Rose, sans pour autant la cloîtrer dans l’espace d’un tête-à-tête imposé.

Le fruit espéré de cette retraite à ciel ouvert sert surtout à faire une mise à jour de l’agenda de chacun, une mise en phase de leurs préoccupations et de leurs façons respectives d’y répondre. Qui sait ce qu’ils trouveront sur cette île pouvant concilier l’intime et l’inconnu du chacun pour soi et de l’un pour l’autre.

Rose semble avoir moins de difficulté à s’assumer que Paul qui tente de réconcilier l’irréconciliable accumulé au fil des ans. Il donne l’impression de s’éparpiller dans ses réflexions comme dans ses gestes, du moins selon ce que les dessins proposent en exagérant des aspects anodins de la réalité – de l’« electric incinerating toilet » à l’appareil pour contrer l’apnée du sommeil que porte Paul la nuit – ou en laissant tout l’espace au quotidien sur l’île ou à son paysage, comme si ce livre était un album de photos de vacances dessinées.

Ce séjour est aussi l’occasion pour chacun de faire un bilan des dernières années, ce que Paul a entrepris dans Paul à la maison. Il y a eu le décès de ses parents dont il n’est pas parvenu à faire le deuil, pas plus que celui de sa rupture avec la mère de Rose. Il y a toujours une situation ou un événement qui les lui rappelle sans qu’il apprenne à les intégrer à son quotidien. Se complairait-il dans un magma de nostalgies? Chose certaine, il brouille les perspectives d’avenir de l’homme vieillissant qu’il devient.

La rencontre d’Hélène et les mots qu’ils échangent l’apaisent un peu, tout comme le geste de cette femme de cuire du pain pour les gens de l’île, laissant ses fournées sur la table de sa maison dont les portes sont ouvertes pour qu’ils se servent, laissant volontairement le prix qu’ils croient juste pour le pain et, parfois même, un mot gentil. C’est d’ailleurs grâce au dessin de Paul qu’elle apprit son métier.

Quant à Rose, c’est Jules, un jeune homme de Québec qui devient gardien estival du phare de l’île qu’il lui fait visiter tout en racontant l’histoire du lieu. Il lui fait aussi comprendre la qualité de vie sur l’île, une parenthèse au rythme trépidant du quotidien urbain, loin des distractions du cellulaire ou des réseaux sociaux.

L’ultime dépaysement pour Paul et Rose se produit lorsqu’ils vont chez Georges et Viviane, des amis de Paul installés sur un cap tout en hauteur qui permet d’avoir une vue imprenable sur le Saint-Laurent, les baleines, les phoques et même les bélugas. Ce qui surprend aussi les citadins, c’est qu’il n’y a aucune des facilités élémentaires telles que l’eau courante ou l’électricité. Cette rencontre, qui fait sourire, les oblige à mettre en perspective le confort auquel ils sont habitués.

Je pourrais écrire encore et encore sur les dessins qui, s’ils portent bel et bien la signature de Michel Rabagliati, nous permettent d’être encore plus attentif aux détails qui les composent, parfois jusqu’à poursuive le récit sans l’aide des mots. Je vous invite à faire plusieurs tours et retours sur chacune des 250 pages de Rose à l’île, d’abord pour partager la vie de Rose et de Paul sur l’île Verte, mais ensuite pour vous imprégnez de l’effet bénéfique que les lieux ont sur chacun d’eux comme sur les îliens qu’ils rencontrent. Une sorte de quiétude comme Paul espérait trouver en compagnie de Rose. Ce bien-être remplacera-t-il le spleen dans lequel il était plongé à son arrivée? C’est à suivre.


Michel Rabagliati

Paul à la maison

Montréal, La Pastèque, coll. « Paul » tome 9, 2019, 208 p., 31,95 $.

9ième bédé de la série des Paul, l’action se déroule en 2012. Paul, alter ego du créateur, est auteur de bande dessinée à temps plein. Il lance un nouvel ouvrage au Salon du livre de Montréal après trois ans de labeur éreintant, car dessiner des fragments d’histoire dans des cases de plus en plus petites a des exigences physiques de plus en plus difficiles à supporter. Entretemps, sa fille part travailler en Angleterre. Lucie, son ex et la mère de Rose, n’habite plus avec lui et s’occupe de sa mère qui ne va pas bien. Paul éprouve un spleen profond comme si tout de lui, de sa tête à ses bras, étaient dans un état de léthargie dont il ne réussissait pas à se sortir. Il ne parvient pas à faire son deuil du décès de ses parents et de sa rupture amoureuse.

mercredi 1 novembre 2023

Françoise Cliche

Cimetière avec vue

Montréal, Pleine lune, 2023, 244 p., 26,95 $.

« De remarquables oubliés »

Le titre du roman Cimetière avec vue m’a ramené au cimetière de Sète, sur le mont Saint-Clair, où reposent Jean Vilar et Georges Brassens « avec vue » sur la Méditerranée, cette mer de tous les mythes. Le roman de Françoise Cliche, je l’ai tiré des « remarquables oubliés » [merci Serge Bouchard], ces livres négligées au cours de la saison littéraire, mais qui n’en sont pas moins remarquables.

L’histoire que propose la romancière est tissée serrée et animée par des personnages à fortes personnalités, des êtres d’exception qui se complètent les uns les autres. Dire qu’il s’agit d’une histoire de famille est un euphémisme et la narratrice, Ève Leroy, est une anecdotière talentueuse. Nous sommes dans la ville de Québec où elle travaille dans un bureau de comptables où règne un esprit d’équipe, d’entraide et d’amitié; il faut dire que l’écrivaine a imaginé des collègues aux personnalités complémentaires – David, Marie-Hélène et Monique, la patronne – au travail comme dans les activités sociales qu’ils organisent selon un calendrier établi depuis longtemps.

Ève Leroy, comptable? C’est la question que son père Jacques, ingénieur en ponts et chaussées, s’est posée lorsqu’elle lui apprit jadis son choix de carrière. Fille unique, Ève a eu tout l’intérêt de ses parents; alors que sa mère pondérait les excès d’humour fallacieux de son époux, Ève joutait avec son père qui lui jouait les tours pendables en usant de son humour démesuré.

À preuve, la quête à laquelle il oblige sa fille, sujet du roman. Il suffit d’un appel de la Maison funéraire Le Souvenir pour qu’Ève apprenne que les cendres de son défunt père sont disponibles et lui demande quand elle en prendra livraison. Impossible, croit-elle, Jacques étant en Floride, photos à l’appui. D’ailleurs, comment se fait-il qu’il soit là-bas, lui qui a toujours détesté le mode de vie des villégiateurs floridiens? Après avoir confirmé auprès de Robert, membre du trio d’amis de Jacques avec Rémi et Charles, que ce dernier est bel et bien au soleil, elle se rend à l’appartement de son père où elle apprend qu’il n’y habite plus depuis un mois. De surprise en surprise, un appel de Maître Jérémie Savoie, notaire, l’informe du décès de son père, ce dernier l’ayant chargé de réaliser ses dernières volontés et qu’il doit la rencontrer dès que possible.

Jérémie Savoie, notaire et planchiste, a d’abord refusé les demandes testamentaires de Jacques Leroy, croyant qu’elles dépassaient ses compétences. Devant l’insistance de son client, il a cédé. « Maître Savoie [de lui dire Jacques], vous êtes le candidat idéal, celui que ma fille pourrait le moins détester. » Le notaire regrette le message de la Maison funéraire, car ce devait être à lui d’annoncer la triste nouvelle. Reprenant le scénario prévu, il tend une clé USB à Ève sur laquelle le défunt lui a adressé « une vidéo où il explique sa démarche ». Elle refuse d’écouter le message sur place et préfère revenir pour la suite des choses. Décidément, même « mort, mon père réussi à me mettre en colère », dit-elle.

Ève connaît « les trois règles de la philosophie paternelle depuis [son] enfance : 1. Il faut rire parce ce que ce n’est pas drôle; 2. Il ne faut pas pleurer parce que c’est encore plus triste; et 3. Si on mange une claque en pleine face, il faut rester debout pour être en mesure d’une retourner une solide. » C’est mieux qu’il en soit ainsi, car elle n’est pas au bout de ses surprises. Ainsi, le notaire lui remet les clés du dernier logement de Jacques, lui apprend qu’elle est la seule héritière des biens de son père qui lui lègue également son frère Émile, son « legs le plus précieux ». Jacques a rapatrié son demi-frère à Québec pour prendre soin de lui qui souffre d’une légère perte d’autonomie; il l’a installé à la Résidence Le Colibri où le personnel veille sur lui, notamment Sophie Bouchard, et Ginette Poulin mène l’établissement d’une main de fer.

Voilà l’essentiel des personnages que nous accompagnons dans les aléas du quotidien, selon ce qu’en raconte Ève Leroy, au gré de ses humeurs qui vont dans toutes les directions. Quand elle est à bout de souffle, elle se tourne vers les amis de son défunt père qui la connaissent par cœur, ou vers Marie, son amie d’enfance, ou ses collègues de bureau qui lui refilent alors des dossiers qu’elle seule sait manœuvrer.

Quelques autres personnages s’amènent en cours de route, notamment M. Martin le voisin de l’oncle Émile, Alice Fortin prétendue amoureuse éconduite de ce dernier, sans oublier Francis Cimon animateur psychosocial de la résidence. Tous ont en commun d’attiser la sensibilité d’Ève en provoquant des situations aussi réalistes que risibles, ou de l’amener à pousser ses réflexions sur le genre humain et les rapports qu’elle entretient avec ses semblables. Bref, on ne s’ennuie jamais avec cette diaspora bigarrée qui, sans le savoir, applique la règle de vie d’Ève : « … pour que la vie soit supportable, il faut que la somme des minutes agréables soit supérieure à celle des minutes désagréables. »

Françoise Cliche n’en est pas à son premier livre, certes, mais à lui seul Cimetière avec vue vaut qu’on découvre son talent d’écrivaine, la fertilité de son imaginaire braqué sur la diversité du genre humain et la chimie de la vie en société que son art d’écrire maîtrise avec brio. Vous aurez compris que je suis sorti enchanter de ma lecture qui m’a autant amusé – oui, les livres ont aussi ce talent – qu’il m’a fait réfléchir sur la vie des gens vieillissants dont je suis.

mercredi 25 octobre 2023

Élise Turcotte

Autoportrait d’une autre

Québec, Alto, 2023, 280 p., 26,95 $ (papier), 15,99 $ (numérique).

De l’autre à l’en-soi

L’écrivaine Élise Turcotte a une longue feuille de route si l’on considère l’ensemble de ses recueils de poésie, ses fictions et ses livres jeunesse parus depuis 1982. Nous arrive, à la rentrée littéraire automnale, Autoportrait d’une autre, son huitième roman.

Était-ce un roman au sens propre du terme ou l’amalgame d’un récit et d’un essai relatant la « fabrication » d’une histoire la plus vraie possible, dont font partie les longues et sinueuses recherches permettant de mieux connaître son sujet – la vie de sa tante Denise Brosseau –, d’en explorer tous les aspects et d’évaluer leur pertinence ou leur valeur dans l’économie de l’œuvre en devenir? Bref, il m’a semblé assister à la confection du récit que j’étais en train de lire comme si j’observais une dentelière exerçant son art. En refermant cette histoire, la chanson de Brel, La quête, m’est venue immédiatement à l’esprit : « Rêver un impossible rêve / Porter le chagrin des départs / Brûler d’une possible fièvre / Partir où personne ne part / Aimer jusqu’à la déchirure / Aimer, même trop, même mal… »

Qu’a donc cette femme de si remarquable pour que sa nièce, des années après le décès de la sœur de sa mère, veuille la ramener sur l’avant-scène de l’histoire culturelle québécoise des années 50 ou 60? Sans ambages, je dirais que l’écrivaine Turcotte fait l’autopsie d’une mort annoncée tellement la vie racontée est d’une intensité dramatique incommensurable.

Outre l’avant-propos en date de novembre 2018, nous suivons l’autrice d’abord à Paris, puis à Mexico, avant de rentrer à Montréal, des cités que sa tante, appelons-la D.B, a habitées à diverses époques de sa vie. Ces séjours s’échelonnent sur plusieurs années non consécutives; nous pouvons être à Paris, revenir au Québec, retourner dans la Métropole française avant de faire un saut à Mexico. La quête de reconnaissance de D.B. sert de fil conducteur, ainsi que la vie des hommes dans sa vie de déesse et les dérèglements soudains de son existence.

Ces hommes sont en lien direct avec le milieu artistique, théâtre, cinéma, télévision, poésie, etc. Gaston Miron est du nombre et la correspondance qu’ils ont continué d'entretenir après une relation de quelques années a joué un rôle important dans l’équilibre de D.B. et permis à l’écrivaine de retracer les activités de cette dernière sur plusieurs années jusqu’à ce que tous deux deviennent parents, elle un garçon et lui une fille.

Il y a ensuite Alan Glass avec qui elle a travaillé dans un bar à Paris; c’est grâce à lui qu’elle a rencontré quelques grands noms de Saint-Germain-des-Prés, dont André Breton (1957). Glass, qu’elle prénommait Alain, et D. B. restèrent des amis jusqu’à la fin de sa vie; il était attentif à ses préoccupations et l’encourageait dans ses projets.

Elle rencontra Alejandro Jodorowsky dans une classe de maître donnée par le mime Marceau. Elle épousa Jodorowsky et leur relation semble avoir été dictée par les humeurs de l’un et de l’autre, les influences de l’un sur l’autre, mais jamais un long fleuve tranquille.

Enfin, il y eut le peintre Fernando García Ponce qui devint son second époux et le père d’Esteban, le neveu de l’autrice. C’est ce dernier qui lui fournit toutes les informations dont il disposait sur sa mère. C’est aussi lui qui l’accompagna dans la cueillette d’informations, utiles, ou non, à la rédaction d’Autoportrait d’une autre, mais sans bien comprendre l’intérêt de l’écrivaine pour cette cousine.

Cette même question sera sûrement partagée par des lectrices et des lecteurs. De prime abord, c’est le mystère dont est nimbée Denise Brosseau dans sa propre famille qui suscite l’intérêt que l’écrivaine lui porte, à quoi s’ajoute une certaine ressemblance qu’on lui voit avec D.B. Il y a aussi, j’allais écrire surtout, le suicide de Denise Brosseau sous une rame du métro montréalais; l’autrice tente de comprendre ce geste, ce qui lui permettrait peut-être de faire un peu de lumière sur d’autres suicides de gens du milieu culturel comme si le choix de mettre fin à sa vie était une ultime prestation.

La préoccupation constante du thème de la mort dans l’œuvre d’Élise Turcotte n’est pas négligeable. L’accroche de son recueil Pourquoi faire une maison avec les morts (Leméac, 2007) me semble convenir à Autoportrait d’une autre : « Thème incontournable en littérature, la mort est présente dans l’écriture d’Élise Turcotte depuis ses premiers écrits. Cette fois, en sept récits réalistes, elle explore la nature du trépas, son odeur, ses visages, ses signes avant-coureurs, son passage dévastateur, son accompagnement, sa mémoire, sa présence dans les dix mille pas de la journée. Fine observatrice, elle veut en apprendre toujours plus sur le sommeil éternel, sur la migration des âmes, sur la transformation des corps. Comme si s’approcher de la mort lui permettait de déchiffrer l’énigme… »

Autoportrait d’une autre est une œuvre baroque dans sa forme définitive et son esthétique. Les lectrices et lecteurs assistent à la réalisation d’un projet d’envergure, de la recherche et au choix de données adéquates à la construction d’une structure narrative molle comme le sont les montres de Dali. Il ne peut en être autrement si l’on considère le titre du livre, cette autre étant l’en-soi de l’écrivaine elle-même. Bref, voilà un roman aussi excentrique que paradoxal.

mercredi 18 octobre 2023

Henri Dorion

L’autre Russie

Montréal, MultiMondes, 2023, 10 p, 24,95 $.

Au-delà des dictatures, un peuple

On s’interroge fréquemment sur la distinction à faire entre une œuvre et sa créatrice ou son créateur. Il en va de même des États et du pouvoir politique qui les dirige. L’autre Russie, un essai sociopolitique écrit par Henri Dorion, m’a rappelé qu’avant les dictatures, tsaristes et communistes, cet immense territoire est un haut lieu de culture.

L’auteur est un géographe au parcours remarquable. J’en prends pour preuve la notice biographique écrite par Valérie Borde à l’occasion de la remise du prix Léon-Gérin 2004, catégorie Prix scientifiques – https://prixduquebec.gouv.qc.ca/recipiendaires/henri-dorion/ –; on y lit entre autres l’origine de son intérêt pour la Russie qu’il a visitée à maintes reprises depuis 1958.

L’autre Russie trace une fresque de ce pays en onze tableaux, chacun explorant un aspect de sa géographie physique et humaine, tout en proposant diverses considérations sociopolitiques qui nous font entrer dans un univers que nous connaissons peu et mal. Par exemple, le lien entre le fleuve Volga et le Saint-Laurent, et l’importance de chacun de ces cours d’eau pour ses riverains. D’autres traits de ressemblance avec chez nous nous permettent de mettre en perspective les descriptions et les analyses de l’essayiste.

Le premier chapitre, "Une Russie en cache une autre", donne l’orientation du projet de l’auteur et permet de constater le déplacement historique de la capitale avant qu’elle ne s’établisse à Moscou passant par Kiev, aujourd’hui capitale de l’Ukraine. On apprend notamment que la Crimée fut offerte par la Russie à l’Ukraine pour sa contribution à la Seconde Guerre mondiale.

Le second chapitre, "D’arbres et de saisons", émeut : « Si les saisons russes rythment la vie artistique à Paris et à Montréal, les saisons de la nature rythment la vie des humains. Elles le font de façon unique en Russie. Chaque mois dispose de sa particularité, de sa dominante, parfois d’un surnom ou des dictons relatifs au climat et aux éventuelles récoltes. Le calendrier russe est une encyclopédie folklorique. »

"Noms et prénoms du monde" débute ainsi : « Chaque pays possède sa ou ses langues et chaque langue a sa manière de référer au pays, aux régions, aux villes du monde. Ces lieux ont donc souvent des noms différents selon les langues. C’est que, pour nommer un pays par exemple, on peut le regarder à travers les lunettes de l’histoire, de la géographie, de la linguistique ou quelque autre prisme qui colore la désignation des lieux de subjectivité. »

Toutes les leçons du livre sont d’une pédagogie fort imagée et le tableau de la page 135 fait la synthèse de cette somme d’informations en proposant sept époques de l’univers russe, du neuvième siècle aux années 2000.

"Un monde coloré" rappelle qu’une « couleur est commune à plusieurs pays par sa signification : c’est le rouge qui a été adopté comme symbole de la révolte contre la tyrannie royale. Cette couleur est dès lors devenue le symbole des partis de gauche, puis des mouvements communistes partout dans le monde. » Toujours une question de couleurs, la Russie « est baignée par la mer Blanche au Nord, par la mer Noire au sud. » Et l’essayiste de multiplier les exemples bien réels tirés de la toponymie russe et québécoise, parfois inspirée du climat ou de la végétation.

Dans "Manger, compter et saluer", M. Dorion interroge : « Que mange-t-on en Russie et comment? Voilà un thème qu’il nous faut résumer, car quoi que l’on dise d’une pseudoabsence de la gastronomie russe, 1 000 pages ne suffiraient pas pour couvrir convenablement le sujet, même si le célèbre auteur culinaire Jean-Anthelme Brillat-Savarin, dans sa "Physiologie du goût" (1838), n’a utilisé aucun qualificatif louangeur pour elle. »

Dans "Des mots pour dire la Russie", on croit entendre « une conversation entre deux Russes ou en feuilletant un journal russe, il arrive qu’un mot français vous saute à l’oreille ou à l’œil. Il ne faut pas se surprendre. Les mots russes qui sonnent tout à fait français ne sont pas rares. Le géographe globe-trotter Sylvain Tesson a répertorié des centaines de mots identiques dans les langues française et russe, et les a réunis en un petit livre amusant intitulé Katastrôf! »

"D’une religion à l’autre" ramène le patrimoine bâti des églises, cette fois du point de vue de l’architecture dont la cathédrale Saint-Basile « est aussi considérée comme la plus authentiquement russe, bien qu’il soit probable que des architectes étrangers aient participé à sa conception et à sa construction. » Orthodoxes ou catholiques, ces lieux de prière sont la fierté des populations qui, après la chute du communisme et « du démembrement de l’URSS en 1991 », cherchaient une identité qui leur soit propre. Une quête que les politiques ont vite rattrapée en formant la CEI, la Communauté des États dont « neuf des anciennes républiques de l’Union soviétique. »

"La Russie entre l’Est et l’Ouest" met en perspective le conflit russo-ukrainien. « À l’Ukraine, soutenue par la communauté occidentale, Vladimir Poutine reproche son manque de "slavitude" et entend en extirper le caractère nazi. » Ne perdons pas de vue la volonté du maître actuel de la Russie d’élargir le territoire de son état, entre autres si cette région est baignée par la mer Noire pour enfin en prendre le contrôle maritime.

En "Conclusion", Henri Dorion souligne que « le plus vaste pays au monde possède un fonds culturel inouï aux multiples liens avec d’autres sociétés nordiques comme le Québec. Cet héritage pourrait-il constituer les bases d’une réconciliation entre les nations? Encore faut-il le connaître. »

« Dans un style qui n’est pas sans rappeler le journal de voyage, Henri Dorion amalgame des anecdotes et des faits qui lui permettent d’établir des rapprochements aussi passionnants qu’inattendus entre la Russie et le Québec. » Un livre qui nous amène à réfléchir tant sur les modes de gouvernance sur la planète que sur les populations qui élisent leurs leaders entre la peur et la liberté la plus totale.