mercredi 12 juillet 2017

Pauline Vincent
La femme de Berlin
Québec, Alire, coll. « Romans », 2017, 309 p., 15,95 $.

Victimes ou boucs-émissaire?

Pourquoi accorder de l’importance aux collections de livres en format de poche? Simplement parce que la tradition veut qu’on y réédite des ouvrages ayant marqué le lectorat, voire le milieu littéraire. Il en va ainsi du roman de Pauline Vincent, La femme de Berlin, lancé en 1999, un récit qui m’a échappé dans la cohue des parutions. Laissons-nous prendre par le réalisme de cette histoire fascinante.
La Saguenéenne Claire Grenier, mère de Lydia, a épousé le comte Hanz von Ems, un noble allemand, et le couple a eu un fils, Karl. Lydia est devenue une von Ems et a reçu l’éducation d’une jeune fille de son rang. Il en fut de même pour son demi-frère: à peine sorti de l’enfance, il est envoyé dans une grande école, loin des siens, ce qu’il n’a jamais accepté jusqu’à vouloir leur en faire payer le prix.




L’Allemagne de 1939 vit sous le régime nazi et les visées d’Hitler sont de plus en plus probantes. Le comte von Ems envoie sa femme et leur fille en Amérique pour les protéger d’une guerre imminente, alors qu’il est lui-même pris dans un tourbillon politique qu’il n’a pas choisi. Claire et Lydia sont à Montréal lorsque le conflit éclate et deviennent des victimes collatérales du nazisme, la GRC ayant sous sa loupe tous les Allemands installés au Canada.
Il y a une autre raison au départ précipité des femmes von Ems : Lydia était enceinte et son statut social interdisait une grossesse hors mariage. Elle avait aussi un secret : elle a été victime d’un viol commis par son demi-frère Karl et s’est refusé d’en parler.
La GRC croit que deux femmes et un poupon sont plus susceptibles d’espionner que n’importe qui d’autre. Les policiers débarquent un jour chez elles et c’est ainsi que débute un purgatoire sociopolitique qui, leur semble-t-il, ne finira jamais. Se succèdent alors des personnages qui auront entre les mains la destinée de Claire et Lydia.
Plus la trame se développe, plus l’auteure en accélère le rythme, multipliant les péripéties et les coups de théâtre, sans altérer le réalisme de l’histoire. Ainsi, Claire, Lydia et son jeune fils Pierre sont gardés en détention jusqu’à ce que la Comtesse soit victime d’un AVC et que les autorités poussent Lydia dans ses derniers retranchements, exigeant qu’elle se mette à leur service pour protéger sa mère et son fils. N’ayant pas d’autre choix, la jeune femme accepte que les deux personnes qu’elle aime le plus soient envoyées chez une sœur de Claire, au Saguenay, pendant qu’elle est cantonnée au camp X pour y recevoir une formation d’espionne.
Je ne raconte pas tout ici, mais, si comme moi vous vous laissez happer par l’histoire, vous serez vite captivés et votre attention sera retenue jusqu’à la chute de ce roman de genre, comme on dit des récits policiers ou d’aventures. Pauline Vincent a su créer des personnages crédibles au fur et à mesure des temps forts du récit, sans jamais égarer le lecteur dans des méandres trop tortueux. Je crois qu’elle a fait ses devoirs en appuyant sa fiction sur des faits méconnus de l’Histoire, comme ce camp de formation d’espions et la venue de sous-marins allemands dans le Saint-Laurent et dans le fjord du Saguenay.
Ce dernier événement permet une tournure des événements à couper le souffle, faisant alterner l’action de Lydia à Karl, de Karl à Lydia jusqu’à la chute du récit après un climax digne des grands films racontant la guerre 39-45. Et cela sans perdre un iota de son réalisme.

Les éditions Alire ont fait un choix judicieux en rééditant La femme de Berlin, et Pauline Vincent peut compter, sans aucun doute, sur une nouvelle génération de lecteurs qui découvriront son talent de romancière en apprenant quelques pages de notre histoire pas toujours reluisantes.

mercredi 5 juillet 2017

Anne-Marie Beaudoin-Bégin
La langue affranchie, se raccommoder avec l’évolution linguistique
Montréal, Somme toute, coll. « Identité », 2017, 128 p., 14,95 $.

La langue : un chaos glorieux

Qui sommes-nous, aujourd’hui, pour croire que l’état de la langue actuel est la perfection, et que tout changement ou toute simplification est nécessairement une dégradation?

Après La langue rapaillée : combattre l’insécurité linguistique des Québécois qui a fait jaser les geôliers de notre langue, la linguiste Anne-Marie Beaudoin-Bégin s’en prend à nouveau à une conception étroite du français dans La langue affranchie, se raccommoder avec l’évolution linguistique. S’il se trouve ici quelques redites, c’est pour mettre en perspective les éléments qui ont marqué l’évolution de sa réflexion sur la langue et les risques qu’elle a observés qu’elle s’enlise dans le non-dit.
Première constatation : la variation linguistique dépend de l’âge, du lieu, de la classe socio-économique, du moyen et de la situation de communication où une langue commune est utilisée. Ainsi, le français des Belges, des Français, des Haïtiens, des Québécois ou des autres territoires où il est parlé ne peut pas être exactement le même, car « language isn’t a formal system; language is a glorious chaos ».




L’auteure a observé, « au fil de ses études », que quatre facteurs « agissent sur l’évolution d’une langue : l’économie linguistique, les changements dans le milieu, les contacts sociaux et les interventions humaines. »
Le premier agent vise à dire « le plus de choses possible en déployant le moins d’effort possible ».
Le second est « souvent perceptible dans les variations générationnelles ».
Puis, les contacts sociaux soulignent que, dans les régions isolées de la mondialisation, divers aspects de la langue ont changé.
Enfin, il va de soi que les interventions humaines sont essentielles à son évolution, qu’elles soient extralinguistiques (lois ou autres mesures d’aménagement linguistique) ou intralinguistiques qui renvoient « aux arrêts des autorités langagières qui décident, consciemment, de créer de nouveaux mots pour remplacer d’autres jugés fautifs. »
Pour contextualiser son propos, la linguiste rappelle à grands traits l’origine du français — « François 1er, en 1539, a donc véritablement établi le français comme langue officielle»—et évoque diverses étapes de son évolution, dont celle où l’essentiel de ses règles a été dicté. On comprend alors que la langue parlée était soumise aux lois de la langue écrite, ce qui est toujours le cas, et que cela a entre autres effets d’encorseter son évolution.
« Une langue est en danger lorsque ses locuteurs arrêtent de la parler » parce qu’ils « sont tous morts » ou qu’ils « ne peuvent plus espérer être heureux dans cette langue. » L’anglais serait-il alors une véritable menace au français comme l’italien le fut jadis? Mais, de quel anglais parle-t-on, sinon d’une lingua franca, « une langue internationale, une langue véhiculaire » comme d’autres le furent à leur époque? Dire que l’anglais est plus facile que le français, c’est oublier qu’il peut être normal ou formal selon son usage, alors que le français est essentiellement une langue écrite, dogmatique.
Comment alors rendre la langue française attractive, attachante? L’auteure suggère « de libérer la langue française de ses entraves héritées des siècles passés. On pourrait délivrer la langue française de ses chaînes dorées qui l’empêchent d’évoluer. » Ne concluons pas trop vite qu’il s’agit de jeter aux orties les codes qui régissent l’usage du français, mais plutôt de les revoir en fonction du niveau de langue employé, lequel est fonction du type de discours requis par la situation. Par exemple, un pharmacien répondra différemment à une question si elle vient d’un collègue ou d’un client.

Anne-Marie Beaudoin-Bégin conclut que « la langue est avant tout un produit social, un magnifique monstre illogique et subjectif. Un chaos glorieux. » Comme l’éminent linguiste et lexicographe Alain Rey l’explique dans son remarquable essai historiographique L’amour du français (Points, 2009), elle est « contre les puristes et autres censeurs de la langue » qui pourraient en être les thuriféraires.