mercredi 27 mars 2019

Olga Duhamel-Noyer
Mykonos
Montréal, Héliotrope, 2018, 122 p., 19,95 $.

La misère des riches

Dany Laferrière a écrit qu’il ne comprenait pas l’habitude de ses hôtes québécois d’écouter le bulletin de météo toutes les dix minutes le matin, jusqu’au jour où il a enlevé hâtivement tuque et foulard, la chaleur lui étant tombée sur le dos comme la misère sur celui des pauvres gens.
C’est une question de climat qui m’a poussé à lire Mykonos, le quatrième roman d’Olga Duhamel-Noyer, écrivaine et éditrice. C’est aussi que ce livre était un des dix ouvrages en présélection du Prix littéraire France-Québec 2019, dont j’ai déjà recensé quatre autres des romans retenus.




Mykonos est une des îles grecques les plus visitées par les touristes en quête du bleu de la mer et du blanc de ses maisonnettes. L’image de Mykonos est celle d’une carte postale idyllique qui a sûrement inspiré les quatre protagonistes du roman au moment de choisir l’endroit où voyager loin de chez eux.
Christopher, Sebastian, Jules et Pavel ne sont plus des enfants, mais des adultes dans la jeune vingtaine. Tout indique qu’ils ont des familles aisées pouvant leur permettre un tel voyage. Sur l’île, ils habitent la maison d’un oncle de Christopher et ils peuvent jouir des lieux comme bon leur semble.
Dès les premières pages, on commence à apprendre qui est chacun du groupe d’amis, en commençant par Christopher qui, d’une certaine façon, est leur hôte. C’est aussi lui qui exerce sur eux un leadership tranquille, entre autres en les guidant dans « le labyrinthe blanc des petites rues de Mykonos Town, la foule dense, la musique assourdissante et l’eau turquoise qui baigne l’abord des plages, tout autant que les côtes rocheuses de l’île grecque ».
L’état d’esprit du groupe est bien résumé en quelques phrases : « Ils sont libres désormais dans leur famille. C’est une liberté toute neuve. Mykonos l’amplifie. L’étau se desserre. Ils ne savent pas exactement que faire de cette liberté nouvelle, mais ils ont le temps d’apprend ce que veut dire prendre son temps. Pour l’instant, le temps, comme la mer, est infini. »
Choisir une plage, une buvette ou un bar, acheter des lunettes soleil ou d’autres attrape-touristes, regarder les filles et flirter avec elles, observer la drague homosexuelle: cela peut ressembler à apprendre le désœuvrement, ce qui n’est pas le cas de tous les quatre garçons.
Des couples se forment et se défont, le temps de quelques heures ou d’une nuit. Les uns préfèrent l’éphémère des amourettes, trop jeunes pour s’engager. Les autres choisissent de s’abstenir de toutes relations, même passagères, préférant profiter du paysage et d’un repos qui sera vite passé.
Mais, les « nuits sont longues à Mykonos. Dans ce roman solaire, elles peuvent également être périlleuses. » Même s’ils déambulent généralement tous ensemble, ils ne sont pas pour autant à l’abri des moqueries ou des ennuis que les touristes peuvent connaître ou provoquer, à tort ou à raison. Il suffira d’un faux pas pour que ces jours de farniente tournent au drame, brisant en mille morceaux cette espèce de bienêtre qui, tel un miroir déformant, a gagné la raison des vacanciers.
Quand cette désastreuse maladresse se produira, on aura compris le véritable jeu de rôle au sein du groupe, chacun, qu’il le veuille ou non, dépendant des autres. Ainsi, même l’individualisme exacerbé cède le pas à la solidarité obligée du moment. « Tous pour un, un pour tous », comme a dit Dumas.
Mykonos n’est peut-être pas un très grand roman, mais l’auteure a créé des personnages qu’on aime ou qu’on hait, un exercice littéraire qui n’est pas rien. Sans l’écrire tel quel, elle joue des contrastes entre la beauté naturelle du décor et la laideur derrière, entre la grandeur et la médiocrité d’humains laissés à eux-mêmes.

mercredi 20 mars 2019


Emily Andrewes
Déments à cheval
Montréal, Druide, coll. « Écarts », 2019, 160 p., 17,95 $.

S’envoler vers un monde parallèle

Écrire et faire paraître six romans en une quinzaine d’années n’est pas rien. Alors quand arrive une autre histoire, on est en droit de nourrir de grandes attentes. L’est-on vraiment, surtout quand une foule de jeunes auteurs, filles et garçons, se bousculent au portillon, piaffant que la rumeur populaire « Au suivant! » leur permette d’entrer dans un imaginaire plus grand que le leur.
J’imagine qu’Emilie Andrewes fut un jour dans ces rangs, Les mouches pauvres d’Ésope sous le bras, attendant qu’un éditeur s’y intéresse. C’était en 2004. La réception critique fut excellente au point où le livre fut en lice pour le prix Ringuet de l’Académie des lettres du Québec. Je me souviens avoir écrit : « Imaginative et inventive: telle est la prose d’Émilie Andrewes. Cela s’applique autant à ses personnages qu’aux péripéties dans lesquelles ils s’aventurent… J’aime qu’un écrivain m’étonne intelligemment, entre autres en réinventant un certain ordre littéraire, et Andrewes y est parvenue. »
En 2017, l’écrivaine opère un changement majeur, Normand de Bellefeuille devient son guide littéraire aux Éditions Druide. Un tel changement, plus fréquent qu’on le pense, permet parfois à l’auteur d’explorer et d’exploiter des avenues de son imaginaire, et de là de son art, inexplorées jusqu’alors. Ce renouveau est survenu avec La séparation des corps (Druide, 2017) et, ma foi, se poursuit plus manifestement encore dans les pages des Déments à cheval.



La première image globale qui m’est venue en cours de lecture, c’est qu’Emily Andrewes a inventé un voyage psychédélique sans autre drogue qu’une image furtive aperçue du coin de l’œil sur un écran de télé d’un bar, situé près de la demeure de Robinson LeBreton, le héros de l’histoire. Récemment veuf de Floriane, la femme de sa vie, le pauvre homme ne sait comment adoucir sa peine, sinon en cherchant par tous les moyens de s’emmurer dans cette solitude que l’absence de l’amoureuse comblera, du moins le croit-il.
Robinson, qu’on nomme parfois Robinet, a une habitude alimentaire pour le moins étonnante: il se repaît de lamproie, une sorte d’anguille peu appétissante qu’on ne lui envie pas.
C’est donc cet homme qui a ameuté son entourage qu’un tsunami allait bientôt balayer la côte du Saint-Laurent, détruisant tout sur son passage. Le bouche-à-oreille a fait le reste et la peur du désastre s’est emparée de la population de façon exponentielle. Pour bien marquer l’imaginaire des lecteurs, la romancière a à nouveau rythmé son récit en donnant un titre évocateur à chacun des seize chapitres le composant, situant ainsi où en est la quête de son héros. Ainsi, il y a « Le poissonnier », « Ma disparition », « Anubis du Québec », « Bon après-midi », « Le pont d’Overtoun », « Seul », « Effondrement des écluses », « Julia a little star », « Robinson! Robinson! », « 1136 », « Ovum », « La crue », « Léontine? », « Apyre et Aptère (Infusible et sans ailes) », « Dessiner la géante rouge », « Flancs dorés » et un épilogue intitulé « Les Harpies inventent la mort ».
La liste de ces intitulés peut sembler baroque de prime abord, mais il en va ainsi de l’univers des Déments à cheval qui nous fait voyager dans le temps – Robinson n’ayant d’yeux et d’entendement que pour les poèmes de Horace, le poète latin qui a chefd’œuvré des classiques de la littérature latine – et dans l’espace quand il se retrouve, par exemple, en France, au 12e siècle, à Ancenis, « village de mon grand-père et de tous ses ancêtres », sur une île en Basse-Loire. Si les vers de Horace semblent la seule poésie capable de bercer le spleen de LeBreton, les lieux vers lesquels ses rêves, éveillés ou non, le font voyager se multiplient d’un chapitre à l’autre, tant pour fuir la catastrophe annoncée que la peine de l’amour en-allée.
Puis, il y a Jean-Paul qui crie : « Les mouches! Les mouches!... Nous sommes envahis par des mouches monstrueuses. » C’est le même Jean-Paul qui en viendra à lui dire : « Il n’y aura pas de tsunami, Robinet. Tu es encore accroché là-dessus. J’ai l’impression que les gens vont revenir au hameau. Bientôt. Ça fait un cycle de trois mois depuis votre fabulation, les gens vont revenir. Sont pas cons. » Plus loin, Jean-Paul prend comme preuve de son optimisme : « Tu vois, les animaux ne sont pas tous partis. C’est signe que rien n’arrivera. Ils ont de l’instinct. S’ils sont restés, Robinet, nous sommes saufs. » C’est ainsi qu’il convainc son ami : « Pris en étau, je ne pouvais me résoudre à ignorer ce cri de la nature qui me disait de rester, de m’accrocher, mais pas pour mourir. »
Mais comment boucler la boucle d’un voyage aussi hallucinant qu’halluciné, sinon qu’en invitant à sa dernière tablée, en épilogue, une des Harpies, « divinités de la dévastation et de la vengeance divine. Plus rapides que le vent, invulnérables, caquetantes, elles dévorent tout sur leur passage, ne laissant que leurs excréments ». C’est cette déesse qui lui ordonnera de lâcher prise, car « Tu as visité tous tes regrets, tu as parlé à ton fils et touché son urne du plus délicat de tes gestes, tu as essuyé le sang de ton amour Floriane. Tu as nourri les lamproies, humains du futur. Tu ne regrettes plus. Tu lâches. Tu lâches la vie. »
Je suis d’avis qu’Emilie Andrewes est allée au-delà de l’onirisme rectiligne de l’imaginaire comme on le conçoit généralement, en allant jusqu’aux portes de la démesure telle une douce folie. L’écrivaine n’a pas pour autant abandonné son héros ni les lecteurs d’ailleurs, car elle a semé, tel le Petit Poucet du conte de Perrault, les pierres blanches d’une histoire qui ne demandent qu’à être ramassées doucement, tout doucement.

mercredi 13 mars 2019


Julie A. Lovegrove
Nutrition en 30 secondes
Montréal, Hurtubise, coll. « En 30 secondes », 2019, 160 p., 22,95 $.

Bien manger, mieux vivre

La parution du nouveau Guide alimentaire (https://guide-alimentaire.canada.ca/fr/) a fait jaser, car tout ce qui concerne l’alimentation excite les passions, tout en faisant naître de nouvelles religions, les carnivores devenant d’horribles monstres et les végétaliens, des écolos jardiniers. Je caricature, mais se nourrir est devenu une préoccupation sociétale des pays riches.
Comment se faire une idée sur ce que signifie « bien se nourrir » à partir de tout ce qui se dit et s’écrit à l’ère d’Internet? Je réfléchissais à cette épineuse question en ouvrant Nutrition en 30 secondes. Écrit sous la direction de Julie A. Lovegrove, nutritionniste et universitaire, l’ouvrage propose de répondre à 50 questions essentielles relatives à la nutrition, tout en les expliquant.



La matière est riche et quelques-unes des sections du livre demandent plus de temps à lire et à comprendre. C’est le cas des deux premières sections – « Les nutriments : les éléments essentiels à la vie » et « Les nutriments : consommation et métabolisme » – qui requièrent un minimum de connaissances en biologie et en chimie du corps humain. Ces notions, étudiées il y a plus de 50 ans, n’étaient pas fraîches dans ma mémoire, mais la pédagogie des textes m’a permis d’en comprendre un peu plus que l’essentiel.
Dès la deuxième section, les pages consacrées au « conseil de santé » et à « l’évaluation nutritionnelle » suggèrent des pistes de réflexion sur notre alimentation et sur des façons de l’encadrer. Il ne s’agit pas ici de partir en guerre contre la malbouffe, mais de bien comprendre les enjeux de santé reliés à ce que nous mangeons selon notre âge, nos activités physiques et intellectuelles, etc.
La section suivante, « aliments et santé », aborde des sujets plus près du quotidien : fruits, légumes, poissons, lait et produits laitiers, œufs, noix, grains et gluten, végétalisme et végétarisme, régime méditerranéen. Il n’est pas question de nous enrégimenter, mais de considérer de façon scientifique et mesurée l’apport de ces familles d’aliments à un équilibre qui convient à chacun.
La section traitant de « la nutrition au fil de la vie » traite de nos habitudes alimentaires – du nourrisson aux gens âgés –, de l’embonpoint, de l’obésité et de la malnutrition. Qu’en est-il des nouvelles habitudes alimentaires qu’on nous propose? N’oublions pas que certains aliments sont « à risque », c’est-à-dire que l’on connaît leurs effets néfastes lorsqu’ils sont consommés trop souvent, en trop grande quantité ou que notre organisme a des réactions néfastes, allergies et autres intolérances par exemple.
La sixième section, « Composés bioactifs potentiels et santé », lève le voile sur l’importance biochimique ou biologique de certains aliments ou de succédanés médicinaux qu’il est utile de connaître, leur consommation pouvant nous éviter des ennuis de santé en régularisant certains besoins incontournables.
Nutrition en 30 secondes discute enfin de la transformation des aliments et des systèmes de production alimentaires. En alimentation comme en toute autre discipline, il est impossible de bien se nourrir si nous ne prenons pas les moyens pour y arriver, jour après jour. Cela va de la lecture des composants sur les étiquettes – en évitant le plus possible les aliments préparés ou cuisinés – et à la provenance des produits. On se plaint du prix élevé des aliments frais, régionaux ou venus de petits producteurs; or, plus on les consommera plus ces derniers pourront ajuster leurs récoltes ou leur élevage à la demande.
Nutrition en 30 secondes n’est pas un livre simple, le sérieux du sujet l’exige. Cependant, les informations qu’il renferme s’adressent à celles et ceux qui sont soucieux de leur santé et donc qui considèrent leur alimentation importante.

mercredi 6 mars 2019


Amel Zaazaa et Christian Nadeau (dir.)
11 brefs essais contre le racisme : pour une lutte systémique
Montréal, Somme toute, 2019, 160 p., 18,95 $.

Quand les mots deviennent des maux

J’avais une dizaine d’années lorsque j’ai croisé un premier noir, portier d’un grand hôtel de la métropole, rue Sherbrooke. J’ignorais tout de la notion de race même à l’endroit des « Indiens » des séries états-uniennes. La montée du nationalisme québécois ne m’a jamais inspiré d’anglophobie, car j’avais des amis anglophones et que j’ai fait mes études en lettres françaises et québécoises à McGill. Comment alors le concept de racisme est-il apparu dans mon schéma de réflexion, sinon par son omniprésence des médias?
Alors qu’on discute encore des signes religieux dans l’espace public, m’arrive 11 brefs essais contre le racisme : pour une lutte systémique, un collectif dirigé par Amel Zaazaa et Christian Nadeau. Cet ouvrage a toutes les qualités requises pour alimenter une réflexion collective sur des sujets au cœur des débats, souvent plus émotifs que pondérés.




Qu’est-ce que le racisme? Ce sont des attitudes et des actions concrètes qui créent et entretiennent le racisme jusqu’à le rendre systémique, c’est-à-dire omniprésent dans l’ensemble de nos habitudes sociales et des lois qui les encadrent. Rappelons-nous Adrien Arcand, antisémite et partisan du nazisme, dont le discours trouvait jadis des oreilles attentives et dont certaines leçons sont hélas toujours à la mode.
Outre les communautés racisées – amérindiens, noires, hispanos, asiatiques ou autres –, les projecteurs du racisme visent aussi les individus pratiquant une religion – dont l’islam et le judaïsme. Le texte d’Idil Issa, « Islamophobie et racisme », est très éclairant sur ce sujet, rappelant les effets pervers des événements du 11-Septembre 2001 dont la stigmatisation de gens pratiquant l’islam, peu importe leur origine. Un facteur qui engendre et entretient le racisme systémique, c’est, à mon avis, la généralisation de cas particuliers, notamment de gens radicalisés.
Tourner les coins ronds donne parfois bonne conscience. Par exemple, cela nous permet d’oublier que nous pratiquons un racisme colonial à l’endroit des Amérindiens, un sujet abordé dans « Racisme et peuples autochtones. Décoloniser les esprits par l’éducation » par Widia Larivière. J’emploie l’expression de racisme colonial, car c’est la situation des populations dont les ancêtres sont arrivés sur un territoire en tant que colonisateurs et qui font perdurer un état l’esprit inacceptable, exacerbé en temps de vagues migratoires entre pays et entre continents comme celles que la planète connaît actuellement.
Il faut être aveugle ou insensible aux événements qui se produisent aux frontières ou, par exemple, aux traversées en Méditerranée pour refuser de croire qu’il y a une résurgence du racisme systémique et qu’il faut d’abord l’enrayer de nos habitudes individuelles, puis des us et coutumes de notre société. « Lutter contre le racisme systémique consiste donc à identifier et à combattre par tous les moyens les lignes de fracture raciste au sein de notre société », d’écrire Lucie Lamarche et Christian Nadeau dans « Antiracisme et interdépendance des droits ». Ils rappellent plus loin qu’« au Québec, ce sont les minorités racisées qui chaque jour sont poussées à la marge économique, sociale et culturelle ».
Comment prendre le temps d’écouter les individus racisés, sinon qu’en leur donnant accès à des plateformes sur lesquelles s’exprimer. C’est ce que fait Rodney Saint-Éloi et sa maison d’édition Mémoire d’encrier dont « la seule et unique mission [est] de donner forme aux voix fragiles, de donner corps aux corps invisibles, de laisser la place à l’imaginaire qui a fait de nous des femmes et des hommes dignes. »
Ne faisons pas les autruches : il y a un discours raciste planétaire dont il faut se dissocier même si son écho est répété ad nauseam dans les bulletins d’information, les réseaux sociaux n’étant que la pointe d’un iceberg. On crie haro sur certains signes religieux et on ferme les yeux sur d’autres dans une hypocrisie collective qui ressemble de plus en plus à de la mauvaise foi. Or, je crois que lire 11 brefs essais contre le racisme : pour une lutte systémique amène et nourrit une réflexion sur ce vaste sujet, puis à changer nos attitudes personnelles et sociales racistes, un jour à la fois. Cette préoccupation me semble aussi importante que celle de l’environnement, le racisme systémique étant un véritable pollueur social.