mercredi 13 décembre 2017

Philippe Lavalette
Petite Madeleine
Montréal, Marchand de feuilles, 2017, 168 p., 23,95 $.

Comment faire son cinéma

Le cinéaste conçoit, scénarise, puis réalise un récit en trois dimensions. Philippe Lavalette est cinéaste et, en écrivant Petite Madeleine, il a animé l’histoire d’une lignée de femmes au destin tragique et aux aventures teintées des couleurs du temps passé.
Il y a d’abord Madeleine Fargeau, modèle de Modigliani (1884-1920). Le 4 janvier 1909, une de ses amies accouche d’une enfant qu’elle ne veut, ni ne peut garder. Madeleine conduit le nouveau-né à l’Assistance publique qui lui attribue son nom à elle.




À peine sevrée, on place bébé Fargeau chez les Tissier, jardiniers du château Devay. La vie chez ces gens est acceptable, surtout que Madeleine doit fréquenter l’école jusqu’à l’âge de 13 ans. Survient la guerre 14-18. Des recruteurs à la recherche de main-d’œuvre pour les bourgeois lui proposent de monter sur Paris. Elle refuse nette, préférant travailler sur une autre ferme de la région.
Les choses sont différentes chez les Denizieu où elle trouve Basile, un garçon de son âge dont la présence fait émerger des émotions qu’elle ignorait. Il veut la marier et qu’ils aient des enfants, ce qu’elle croit impossible. Arrive Roger Levasseur avec qui « elle connaît le premier vertige amoureux ». Enceinte, elle doit quitter les Denizieu et retourner chez les Tissier qui la reçoivent comme si elle était leur propre fille.
Philippe Lavalette a inséré, dans la trame, des lettres imaginaires adressées à Madeleine dans lesquelles il fait le lien entre sa propre vie et ce qu’il sait d’elle. Ces passages ressemblent à un monologue que l’écrivain dédie à sa grand-mère dont il a fini par retrouver la trace à travers un dédale de non-dits et de secrets de famille.
Revenons aux Tissier. Vieillis, ils n’ont plus l’énergie d’accompagner Madeleine, jeune maman. Survient le décès d’Émilie Courot qui laisse dans le deuil Paul, son jeune mari. On les présente et, les six mois de deuil passés, ils se marient, Paul reconnaissant Jeannine l’enfant née hors mariage.
Le couple a deux autres filles, Geneviève et Rolande. Jeannine « sera la seule à rompre sans équivoque le pacte de loyauté transmis de mère en fille » en refusant d’avoir à son tour un enfant de père inconnu. La guerre 39-45 arrive, Paul est envoyé dans une usine de munitions qu’il fuit avant qu’une bombe lui barre la route.
Jeannine « travaille à une chaîne de montage de téléphone noir à roulette », à Paris. Heureuse et libre, elle fait partie d’un club de marche et, lors d’une sortie, elle rencontre Jacques, tombe sous son charme et devient enceinte. Pas question d’être mère célibataire à son tour, elle traîne son compagnon à la mairie où ils s’épousent.
Rolande et Geneviève habitent toujours la maison familiale. La lettre d’un notaire fait croire à Madeleine qu’un bienfaiteur souhaite que Geneviève poursuive des études supérieures à ses frais. La veuve accepte ignorant que des proxénètes ont repéré sa fille et qu’elle deviendra vite la préférée des playboys de bonne famille. Quant à Rolande, aussi établie à Paris, elle veut améliorer son sort et profite de ses jours de congé pour suivre des cours de dactylographie. Après quoi « elle décroche sans difficulté un poste de dactylo dans un cabinet d’ingénieurs ». C’est sa façon de tourner le dos à son milieu, une décision qu’elle scelle en épousant un de ses patrons sans inviter les siens.
L’histoire se termine au MoMA de New York où la fille du romancier et son compagnon admirent Nu couché au coussin bleu, une toile de Modigliani dont la vraie Madeleine Fargeau fut le modèle. La jeune femme, prise d’un malaise soudain, comprend qu’elle est enceinte, continuant ainsi la tradition familiale.

Un roman est une œuvre en deux dimensions, celle de l’écrivain et celle du lecteur. Plus ces deux pôles se rapprochent, plus la fiction rejoint la réalité. Cela se produit avec Petite Madeleine grâce à la contextualisation du récit qu’apporte l’expérience cinématographique de Philippe Lavalette. Son roman n’est pas un scénario, mais une histoire animée par des techniques littéraires et d’autres, propres au cinéma.

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