Philippe Lavalette
Petite Madeleine
Montréal, Marchand de feuilles, 2017, 168 p., 23,95 $.
Comment faire son
cinéma
Le cinéaste conçoit, scénarise,
puis réalise un récit en trois dimensions. Philippe Lavalette est cinéaste et,
en écrivant Petite Madeleine, il a
animé l’histoire d’une lignée de femmes au destin tragique et aux aventures teintées
des couleurs du temps passé.
Il y a d’abord Madeleine Fargeau,
modèle de Modigliani (1884-1920). Le 4 janvier 1909, une de ses amies accouche
d’une enfant qu’elle ne veut, ni ne peut garder. Madeleine conduit le
nouveau-né à l’Assistance publique qui lui attribue son nom à elle.
À peine sevrée, on place bébé
Fargeau chez les Tissier, jardiniers du château Devay. La vie chez ces gens est
acceptable, surtout que Madeleine doit fréquenter l’école jusqu’à l’âge de 13
ans. Survient la guerre 14-18. Des recruteurs à la recherche de main-d’œuvre
pour les bourgeois lui proposent de monter sur Paris. Elle refuse nette, préférant
travailler sur une autre ferme de la région.
Les choses sont différentes chez
les Denizieu où elle trouve Basile, un garçon de son âge dont la présence fait
émerger des émotions qu’elle ignorait. Il veut la marier et qu’ils aient des
enfants, ce qu’elle croit impossible. Arrive Roger Levasseur avec qui « elle
connaît le premier vertige amoureux ». Enceinte, elle doit quitter les
Denizieu et retourner chez les Tissier qui la reçoivent comme si elle était
leur propre fille.
Philippe Lavalette a inséré, dans
la trame, des lettres imaginaires adressées à Madeleine dans lesquelles il fait
le lien entre sa propre vie et ce qu’il sait d’elle. Ces passages ressemblent à
un monologue que l’écrivain dédie à sa grand-mère dont il a fini par retrouver
la trace à travers un dédale de non-dits et de secrets de famille.
Revenons aux Tissier. Vieillis,
ils n’ont plus l’énergie d’accompagner Madeleine, jeune maman. Survient le
décès d’Émilie Courot qui laisse dans le deuil Paul, son jeune mari. On les présente
et, les six mois de deuil passés, ils se marient, Paul reconnaissant Jeannine
l’enfant née hors mariage.
Le couple a deux autres filles,
Geneviève et Rolande. Jeannine « sera la seule à rompre sans équivoque le
pacte de loyauté transmis de mère en fille » en refusant d’avoir à son
tour un enfant de père inconnu. La guerre 39-45 arrive, Paul est envoyé dans
une usine de munitions qu’il fuit avant qu’une bombe lui barre la route.
Jeannine « travaille à une
chaîne de montage de téléphone noir à roulette », à Paris. Heureuse et libre,
elle fait partie d’un club de marche et, lors d’une sortie, elle rencontre
Jacques, tombe sous son charme et devient enceinte. Pas question d’être mère
célibataire à son tour, elle traîne son compagnon à la mairie où ils
s’épousent.
Rolande et Geneviève habitent toujours
la maison familiale. La lettre d’un notaire fait croire à Madeleine qu’un
bienfaiteur souhaite que Geneviève poursuive des études supérieures à ses frais.
La veuve accepte ignorant que des proxénètes ont repéré sa fille et qu’elle deviendra
vite la préférée des playboys de bonne famille. Quant à Rolande, aussi établie
à Paris, elle veut améliorer son sort et profite de ses jours de congé pour
suivre des cours de dactylographie. Après quoi « elle décroche sans
difficulté un poste de dactylo dans un cabinet d’ingénieurs ». C’est sa
façon de tourner le dos à son milieu, une décision qu’elle scelle en épousant
un de ses patrons sans inviter les siens.
L’histoire se termine au MoMA de
New York où la fille du romancier et son compagnon admirent Nu couché au coussin bleu, une toile de
Modigliani dont la vraie Madeleine Fargeau fut le modèle. La jeune femme, prise
d’un malaise soudain, comprend qu’elle est enceinte, continuant ainsi la
tradition familiale.
Un roman est une œuvre en deux
dimensions, celle de l’écrivain et celle du lecteur. Plus ces deux pôles se
rapprochent, plus la fiction rejoint la réalité. Cela se produit avec Petite Madeleine grâce à la
contextualisation du récit qu’apporte l’expérience cinématographique de
Philippe Lavalette. Son roman n’est pas un scénario, mais une histoire animée
par des techniques littéraires et d’autres, propres au cinéma.
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