François Gravel
À vos ordres, colonel
Parkinson!
Montréal, Québec Amérique, 2019, 168 p., 19,95 $.
Mal et mystère
François Gravel n’a jamais hésité
à puiser dans sa vie quand une expérience pouvait alimenter l’identité d’un
personnage ou le réalisme d’une péripétie. Je pense à la difficulté d’élocution
d’un ado ou au mal-être d’une mère incapable d’assurer sa parentalité. Son
dernier roman, ou était-ce un essai narratif, a pour sujet la maladie de
Parkinson, une maladie neurologique dégénérative dont le diagnostic lui est tombé
dessus comme la misère sur le pauvre monde.
Le romancier, tant aimé de ses lecteurs
de tout âge, fait ici œuvre utile. Ne prétendant pas être un expert, la maladie
de Parkinson ne manquant pas de chercheurs penchés sur son cas, l’auteur rassemble
sous forme d’un récit, toujours sérieux mais jamais plaintif, une foule d’informations
sur le sujet glanées sur les sites spécialisés d’Internet aux portes, ainsi que
parmi les observations sur sa propre situation.
La maladie de Parkinson, comme la
sclérose en plaques ou l’Alzheimer, est du domaine de la neurologie. Certains des
premiers symptômes, les examens et les observations cliniques sont tous semblables.
Sur un ton badin, l’écrivain se dit devenu spécialiste du doigt sur le nez qui s’éloigne
du visage, passe de gauche à droite, puis de bas en haut. Cette compétence
transversale est acquise par celles et ceux atteints d’une maladie du système
nerveux, car elle fait partie des tests standards de repérage.
Comment vivre avec ce mal incurable,
sinon par un serment moqueur : À vos ordres, colonel Parkinson!
Cela n’a rien à voir avec le déni ou la soumission, mais plutôt de reconnaître
une situation avec laquelle il faut composer et qui exige une bonne dose de résilience.
C’est aussi s’adapter aux
contingences que la maladie impose. L’auteur insiste sur le fait que, même s’il
s’agit d’une maladie neurologique, c’est le physique qui est soumis à ses
caprices : fatigabilité, lourdeur des pas, tremblement des mains, etc. Certaines
activités banales perdent la spontanéité de leur exécution. Scientifiquement, tout
est ici question de substance noire et de dopamine, comme F. Gravel le résume.
L’écrivain n’a rien perdu de l’ironie
qu’on lui connaît. Ici, cela se manifeste en se moquant de lui-même comme s’il valait
mieux en rire que d’en pleurer. Ainsi, comment diminuer le stress engendré par
le ralentissement de certaines capacités motrices, quand écrire, par exemple, n’est
plus normal. Pour un écrivain, c’est dramatique surtout qu’il a l’habitude de
longues séances de dédicaces dans les écoles ou les salons du livre. Il se rappelle
alors la chanson de Danielle Messia, Je t’écris de la main gauche, un
expédient qui n’est pas miraculeux.
En lisant À vos ordres,
colonel Parkinson!, je me suis revu à l’Hôtel Ibis, à Chartres, en juin
2004. Au resto, un couple. Elle est atteinte de la maladie de Parkinson et lui,
devenue un aidant "surnaturel". En lisant François Gravel, cette
image m’est revenue comme celle du tangage d’un être miné par une maladie dégénérative.
Le récit de François Gravel est
un témoignage qui fait œuvre utile pour les parkinsoniens, mais aussi pour leur
entourage et tous ceux que la maladie préoccupe. En lisant ses observations, on
en vient à comprendre que la perte d’autonomie n’est pas chez lui le désastre
appréhendé parce qu’il n’est pas devenu l’esclave du Parkinson. Il a plutôt
adapté ses activités à sa présence et il reconnaît que son amoureuse lui
simplifie la vie quand cela s’avère important. Car oui, les maladies dégénératives
se vivent à deux.
Le romancier n’a rien perdu du
sens de l’observation ni de l’ironie qu’on lui connaît. D’une certaine façon, je
le redis, il fait œuvre utile en décrivant la maladie et en racontant la vie « normale »
d’un parkinsonien.