mercredi 12 juin 2019


François Gravel
À vos ordres, colonel Parkinson!
Montréal, Québec Amérique, 2019, 168 p., 19,95 $.

Mal et mystère

François Gravel n’a jamais hésité à puiser dans sa vie quand une expérience pouvait alimenter l’identité d’un personnage ou le réalisme d’une péripétie. Je pense à la difficulté d’élocution d’un ado ou au mal-être d’une mère incapable d’assurer sa parentalité. Son dernier roman, ou était-ce un essai narratif, a pour sujet la maladie de Parkinson, une maladie neurologique dégénérative dont le diagnostic lui est tombé dessus comme la misère sur le pauvre monde.



Le romancier, tant aimé de ses lecteurs de tout âge, fait ici œuvre utile. Ne prétendant pas être un expert, la maladie de Parkinson ne manquant pas de chercheurs penchés sur son cas, l’auteur rassemble sous forme d’un récit, toujours sérieux mais jamais plaintif, une foule d’informations sur le sujet glanées sur les sites spécialisés d’Internet aux portes, ainsi que parmi les observations sur sa propre situation.
La maladie de Parkinson, comme la sclérose en plaques ou l’Alzheimer, est du domaine de la neurologie. Certains des premiers symptômes, les examens et les observations cliniques sont tous semblables. Sur un ton badin, l’écrivain se dit devenu spécialiste du doigt sur le nez qui s’éloigne du visage, passe de gauche à droite, puis de bas en haut. Cette compétence transversale est acquise par celles et ceux atteints d’une maladie du système nerveux, car elle fait partie des tests standards de repérage.
Comment vivre avec ce mal incurable, sinon par un serment moqueur : À vos ordres, colonel Parkinson! Cela n’a rien à voir avec le déni ou la soumission, mais plutôt de reconnaître une situation avec laquelle il faut composer et qui exige une bonne dose de résilience.
C’est aussi s’adapter aux contingences que la maladie impose. L’auteur insiste sur le fait que, même s’il s’agit d’une maladie neurologique, c’est le physique qui est soumis à ses caprices : fatigabilité, lourdeur des pas, tremblement des mains, etc. Certaines activités banales perdent la spontanéité de leur exécution. Scientifiquement, tout est ici question de substance noire et de dopamine, comme F. Gravel le résume.
L’écrivain n’a rien perdu de l’ironie qu’on lui connaît. Ici, cela se manifeste en se moquant de lui-même comme s’il valait mieux en rire que d’en pleurer. Ainsi, comment diminuer le stress engendré par le ralentissement de certaines capacités motrices, quand écrire, par exemple, n’est plus normal. Pour un écrivain, c’est dramatique surtout qu’il a l’habitude de longues séances de dédicaces dans les écoles ou les salons du livre. Il se rappelle alors la chanson de Danielle Messia, Je t’écris de la main gauche, un expédient qui n’est pas miraculeux.
En lisant À vos ordres, colonel Parkinson!, je me suis revu à l’Hôtel Ibis, à Chartres, en juin 2004. Au resto, un couple. Elle est atteinte de la maladie de Parkinson et lui, devenue un aidant "surnaturel". En lisant François Gravel, cette image m’est revenue comme celle du tangage d’un être miné par une maladie dégénérative.
Le récit de François Gravel est un témoignage qui fait œuvre utile pour les parkinsoniens, mais aussi pour leur entourage et tous ceux que la maladie préoccupe. En lisant ses observations, on en vient à comprendre que la perte d’autonomie n’est pas chez lui le désastre appréhendé parce qu’il n’est pas devenu l’esclave du Parkinson. Il a plutôt adapté ses activités à sa présence et il reconnaît que son amoureuse lui simplifie la vie quand cela s’avère important. Car oui, les maladies dégénératives se vivent à deux.
Le romancier n’a rien perdu du sens de l’observation ni de l’ironie qu’on lui connaît. D’une certaine façon, je le redis, il fait œuvre utile en décrivant la maladie et en racontant la vie « normale » d’un parkinsonien.

mercredi 5 juin 2019


Valentine Thomas
À contre-courant : récits et recettes d’une aventure en mer
Montréal, Cardinal, 2019, 224 p., 29,95 $.

Dans les filets d’une passionnée

Les flots, une série animée par Pierre-Yves Lord et diffusée sur TV5 en 2017-2018, faisait « dans l’exploration du globe et de sa vie sous-marine. Chaque plongée [était] une occasion d’en apprendre davantage sur ce sport, les lieux à découvrir et la culture du pays visité. » L’animateur était accompagné d’un artiste québécois, dont Julie Le Breton et Sarah-Jeanne Labrosse. Valentine Thomas fut aussi son invitée.



Comme d’autres, j’ignorais qui était cette jeune et jolie femme qui donnait l’impression d’être une habituée des fonds marins, et des petits et grands vertébrés qu’on y croise. C’est maintenant qu’on en apprend plus sur elle dans un ouvrage intitulé À contre-courant : récits et recettes d’une aventurière des mers.
Montréalaise, elle est née et a grandi sur le Plateau Mont-Royal avant de poursuivre des études en droit et travailler dans le milieu des affaires. Décrit ainsi, le profil des années d’adolescence et de vie d’une jeune adulte est enthousiasmant. Pourtant, il lui a fallu chercher de l’aide pour sortir de sa trop grande timidité et de ses peurs qu’elle accumulait plus vite que neige en hiver. Grâce à sa famille et à ses quelques amis, Valentine apprit la confiance en soi et, travailleuse acharnée, elle réussit ses études devenues le refuge de sa solitude.
Ses études terminées, elle s’est retrouvée dans la City, à la bourse de Londres où son avenir était très prometteur. Sa vie de bobo a basculé le jour où elle séjournait sur un bateau au large de l’île de l’Ascension avec des amis. Ceux-ci s’adonnaient à la plongée sous-marine, mais la jeune femme n’a pas encore su maîtriser sa peur de l’eau ayant failli se noyer à 13 ans. Elle a cependant découvert le calme et la beauté des eaux. La paix intérieure ressentie l’a amenée à affronter ses démons des eaux, à se mettre à la plongée et, surtout, à la pêche sous-marine. Cela l’a obligé à reconsidérer ses choix de vie et à devenir une nomade des eaux, environnementaliste avant la lettre et travailleuse autonome.
Ce changement radical des conditions de vie va se transformer en mode de vie et en engagement social de plus en plus manifeste sur diverses tribunes s’intéressant à la condition des eaux ainsi que de la faune et la flore des mers et océans. La pêche sous-marine lui apprend l’importance d’une pratique respectueuse des flots dont les chalutiers sont en train de détruire toutes les conditions et une forme d’autarcie alimentaire qui se pratique toujours dans des communautés moins fortunées.
Valentine Thomas est aujourd’hui une trentenaire devenue l’égérie de plus de deux cent mille abonnés Instagram. Si ses photos dégagent un parfum d’érotisme qui attire les regards, elles n’en sont pas moins porteuses d’un message: pratiquer une pêche responsable et consommer le fruit de ses plongées en apnée. Le réseau social est une porte d’entrée que la plongeuse a choisie qui l’a fait connaître et permit d’être invitée à donner des conférences sur son expérience professionnelle et son engagement environnemental.
L’ouvrage qu’elle vient de publier fait le récit de sa démarche, résumée plus haut, et donne d’appétissantes recettes pour cuisiner une variété de poissons qu’elle-même pêche en apnée et avec un harpon. De l’Afrique du Sud aux Bahamas, de la Californie au  Cap-Vert , de la Floride à la France (découvre« l’éclade ou églade, une préparation typique de moules caractéristique de la cuisine charentaise »), de la Grèce aux Îles Marshal, de la Louisiane à New York, de la Nouvelle-Calédonie au Québec ou à Taïwan. Sans oublier les recettes de base pour des sauces et autres accompagnements, des trucs et astuces « pour bien choisir et bien préparer votre poisson et ne rien gaspille ». Ces prises sont aussi disponibles chez tous bons poissonniers, en s’assurant qu’elles sont issues d’une pêche écoresponsable.
Le livre, très inspirant, se termine par un résumé de l’équipement de plongée et en fournissant des informations importantes sur la pêche durable et éthique. Leçon de vie et de responsabilité environnementale, ce que Valentine Thomas raconte mérite d’être entendu.