Alain Rey
L’amour du français :
contre les puristes et autres censeurs de la langue
Denoël, 2007
Points, coll. « Le goût des mots », 2009, 320 p.,
14,50 $
Au-delà des
frontières
Le 29 avril dernier, j’assistais
à une rencontre d’écrivains français et québécois ayant participé à l’aventure
d’Une incorrigible passion (Fide,
2016), un essai collectif mené de main de maître par Jo Ann Champagne.
L’événement s’est déroulé à la Libraire du Québec à Paris, au 30 Gay-Lussac,
non loin du Panthéon et des Jardins du Luxembourg. Les invités racontaient, à
tour de rôle, l’importance du livre dans leur vie personnelle et professionnelle,
résumant ainsi leur point de vue exprimé dans le collectif.
Parmi eux, il y avait Alain Rey –
prononcé Rè –, le père du dictionnaire Robert
contemporain, mais aussi d’un nombre impressionnant d’ouvrages traitant de la
langue française et d’autres sujets connexes. Né le 30 août 1928, l’honnête
homme n’a rien perdu de sa verve et son flot verbal est tout sauf ennuyant. Si
bien que je n’ai pu quitter la librairie sans me procurer L’amour du français : contre les puristes et autres censeurs de la
langue, histoire de mettre en contexte ses interventions aussi pertinentes
qu’à-propos et de pérenniser cette rencontre.
Comment résumer l’histoire de la
langue française, de ses origines à nos jours, présentée sous le regard acéré et
amusé de l’un des plus éminents linguistes et lexicographes du 20e siècle,
sinon qu’en retenant ce passage : « Il nous semble parfois que les
sociétés riches, industrielles, dramatisent à l’excès leurs problèmes, parlant
de "crise" ou prévoyant même la mort prochaine de la langue, alors
qu’il ne s’agit que d’un ajustement nécessaire, normal, évolutif et toujours à
reprendre. »
On comprend ainsi qu’il est
normal qu’une langue, ici le français, utilisée par un nombre relatif de
locuteurs soit en mouvement constant et surtout qu’elle soit capable de
s’adapter aux réalités vécues par ceux-ci. C’est quand ce mouvement cesse
qu’elle s’étiole, parfois jusqu’à ce que mort s’ensuive. Inquiétons-nous, par
exemple, de la réduction du pourcentage de citoyens dont le français n’est pas
la langue maternelle ou pour qui elle n’est pas la première source de
communication.
Or, la langue française a depuis
ses origines – très bien racontées par A. Rey dont on apprécie la vastitude de l’érudition
page après page – vit une véritable quadrature du cercle: être la même à l’oral
qu’à l’écrit. J’ajoute à ce dilemme : elle doit aussi être « identique »
partout sur la planète où se trouvent ses locuteurs. La difficulté n’est pas
tant le vocabulaire, les mots, mais leur organisation des locutions aux idiomes,
voire à la grammaire.
Lorsque le Richelieu créa
l’Académie française en 1634 sous Louis XIII, la langue française n’était pas
alors au même stade d’implantation sur tout le territoire français. C’est ce
qui a fait dire à Jean-Claude Germain que c’est au Québec que le français n’a
pas eu d’autre choix que de s’implanter avec l’arrivée des colons. Or,
l’Académie a évolué sans perdre de vue sa mission de «standardiser» l’usage de
la langue, entre autres par son dictionnaire, le premier paru en 1694 et le
neuvième étant en préparation depuis des lustres. Ne devrait-elle pas se
«moderniser» en tenant compte des réalités territoriales différentes d’un pays
à l’autre où le français est la langue maternelle, sinon officielle?
Cette lecture et ce que j’y ai
appris me fut une véritable épiphanie, une «prise de conscience soudaine et
lumineuse de la nature profonde» de la bien nommée langue maternelle et de l’importance
qu’elle a sur ma vie quotidienne, personnelle et professionnelle.
L’amour du français: contre les puristes et autres censeurs de la
langue, j’en conviens, n’est pas un livre de chevet, mais la rigueur de l’étude
ne doit pas rebuter ni freiner notre lecture. On peut poursuivre ce voyage
initiatique en parcourant À mots
découverts et Encore des mots à
découvrir, d’inspirantes capsules linguistiques tirées d’une émission radio
quotidienne tenue par Alain Rey au début des années 2000.
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