mercredi 27 décembre 2023

Serge Bergeron

Marcel Dubé : écrire pour être parlé

Montréal, Leméac, 2023, 424 p., 42,95 $.

La vie d’un classique

Alors que la société québécoise s’interrogeait sur le sens du mot « classique » en littérature paraissait, simultanément chez Leméac, Marcel Dubé : écrire pour être parlé, un récit biographique de Serge Bergeron, et Œuvres choisies, quatorze pièces de théâtre et une sélection de textes en prose de Marcel Dubé.

Pour les anciens dont je suis, l’expression classique littéraire renvoie aux maîtres du théâtre français, aux comédies de Molière, aux drames et aux tragédies de Racine ou de Corneille. Sans parler des poésies de Hugo, Chateaubriand, Verlaine ou Rimbaud. De tels modèles ne manquent pas, mais les comparaisons avec la littérature canadienne-française, puis québécoise sont bancales. Ce seront d’ailleurs aux poètes de s’installer les premiers au panthéon de notre culture littéraire.

En réfléchissant au sens à donner à la notion de classique en arts – littérature, musique, beaux-arts (arts plastiques et graphiques) –, je constate qu’à l’ère de l’éphémère où le succès dépend du nombre de « like » sur les réseaux sociaux, l’idée même de classique n’a plus cours parce qu’antithétique avec l’insaisissable air du temps. N’empêche, le théâtre québécois d’aujourd’hui est tributaire de la culture théâtrale des années 1950 aux années 1980, notamment grâce à la télédiffusion régulière de dramatiques sur les ondes de la radio et de la télévision nationale, aux téléséries écrites par des auteurs issus du milieu des lettres et même aux émissions d’affaires publiques qui font la place belle à la littérature. Je pense ici à l’éditorial d’André Laurendeau paru dans Le Devoir au lendemain de la télédiffusion d’Un simple soldat, en décembre 1957.

L’œuvre de Marcel Dubé répond à tous les critères de ce qu’est un classique de l’écriture dramatique d’une autre époque, celle préparant, puis participant activement à la Révolution tranquille. Dubé n’avait pas de véritables modèles de dramaturge québécois, hormis Gratien Gélinas qui fut aussi précurseur des humoristes dont les Cyniques et Yvon Deschamps furent les rejetons. Historiquement, le théâtre était le mal aimé de la culture, car il était considéré comme une distraction malfamée aux yeux du clergé dont les propos à son sujet étaient semblables à un anathème jeté sur les arts de la scène.

Dans Marcel Dubé : écrire pour être parlé, Serge Bergeron fait, pour ainsi dire, le verbatim de l’existence de l’écrivain, de sa vie familiale à ses derniers jours, en passant par ses études au Collège Sainte-Marie, sa passion du hockey, sa volonté d’écrire, sa longue et riche contribution à l’élaboration d’une dramaturgie québécoise, en passant par sa vie amoureuse, ses succès et ses échecs aussi retentissants les uns que les autres, jusqu’à la dure réalité de ses graves ennuis de santé et l’impossible obligation d’accepter l’oubli dans lequel son œuvre et lui-même sombrèrent.

Vouloir résumer la vie et l’œuvre de Marcel Dubé, je lui emprunterais le titre d’un texte paru dans Le Devoir du samedi 15 novembre 1958, La tragédie est un acte de foi. Évoquer le nom de Dubé, c’est faire la synthèse de la dramaturgie québécoise des années 1950 aux années 1980, à la radio, à la télévision, sur la scène. Mais, il y a plus, car, en jetant un regard horizontal sur son parcours artistique, on constate qu’il a été un écrivain polymorphe en créant des drames, des fictions narratives, de la poésie, des articles dans divers médias et divers documents propres aux nombreux mandats qui lui ont été confiés.

Serge Bergeron a écrit un récit biographique à l’américaine, c’est-à-dire sans omettre de détails, certains n’éclairant en rien son parcours ou son œuvre, mais fixant à jamais l’image d’un homme exprimant à travers ses textes, surtout ceux dans lesquels il a donné vie à des personnages fidèles à une certaine société d’une époque révolue, son propre drame d’un humain toujours en quête d’une existence heureuse quitte à l’inventer. La résilience dont il a fait preuve durant ses longs séjours en milieu hospitalier est incommensurable et, ce que peu de gens savent, c’est qu’il a alors connu une profonde solitude que seule l’arrivée d’une jeune infirmière, Francine Dubé – ce qui était son véritable patronyme –, réussira à combler.

Les diables de Marcel Dubé, dont son constant manque d’argent, sa tendance à procrastiner et ses abus d’alcool, auront-ils eu raison de sa détermination et de son engagement en usant prématurément sa vie et son talent? Cela a peu d’importance en regard de son héritage littéraire reflétant un temps passé qui fut une véritable rampe de lancement pour le Québec d’aujourd’hui. Rendons au dramaturge ce qui lui revient, une photo de famille comme on en faisait au temps jadis que signe Serge Bergeron.


Marcel Dubé : Œuvres choisies

Leméac, coll. « Corpus », 2023, 1176 p., 64,95 $.

Évoquer le nom de Dubé résume à lui seul la dramaturgie québécoise des années 1950 aux années 1980, à la radio, à la télévision, sur scène. La rétrospective de plus de cent pièces de théâtre peut laisser croire qu’il fut d’abord un écrivain en résidence à la SRC, mais surtout le père incontestable du théâtre québécois. Son œuvre témoigne du passage de la société canadienne-française, catholique et francophone, à la société québécoise laïque et joualisante. Cette période correspond à la fin du duplessisme et du pouvoir de l’Église, à l’éclosion de la Révolution tranquille. Il fut un écrivain polymorphe créant des drames, quelques fictions, de la poésie, des articles et divers documents propres aux mandats qui lui furent confiés. Les quatorze pièces – ses classiques – et les proses retenues ici illustrent l’ampleur et la richesse de son travail.


Marcel Dubé

Poèmes de sable

Bibliothèque québécoise, 2005, 236 p., 12,95 $.

D’abord paru en 1974, ce recueil de poésie a été revisité et augmenté. Il compte désormais trois parties: un livre dédié à Louise Marleau, un autre à Francine Dubé et un épilogue. Ses vers révèlent autant qu’ils résument tout le talent littéraire de l’auteur, celui dont les œuvres dramatiques sont d’une autre époque. Or, la poésie ne vieillit jamais, la preuve en est ce recueil dont les mots choisis minutieusement et les images qui en jaillissent d’une strophe à l’autre sont sans âge. La poésie et le théâtre sont des formes littéraires dont l’existence dépend de la parole des interprètes, ce que le regretté écrivain comprenait parfaitement. J’imagine aisément ses muses ou sa compagne dire l’un ou l’autre des poèmes en faisant ainsi éclore la plénitude du verbe et la musique qu’il évoque. C’est là le plus bel hommage à lui rendre.

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