Marie-Ève Martel
Pas de lapin dans le chapeau :
coulisses éthiques et déontologiques du travail journalistique
Montréal, Somme toute, 2023, 160 p.,
21,95 $.
S’informer à l’ère des « fake news »
J’ai été fort étonné de la réaction des gouvernements et de plusieurs citoyens lorsque Meta cessa de diffuser les informations provenant de la presse nationale et régionale. Cette presse de proximité publie pourtant sur internet grâce à des sites accessibles à vil prix, sinon gratuitement.
Comment comprendre alors que les
réseaux sociaux soient devenus la principale source d’information, la seule
pour plusieurs? Les colonnes du temple média, mis à mal depuis plusieurs années
sur plusieurs fronts – « fake news », « vérités alternatives »,
publicités en tout genre – étaient ébranlées et les journalistes accusés de
tous les maux.
Le nouvel essai de Marie-Ève Martel, Pas de lapin dans le chapeau : coulisses éthiques et déontologiques du travail journalistique remet les pendules à l’heure en expliquant noir sur blanc les règles fondamentales de la pratique professionnelle du journalisme, tout en rappelant la probité de la vaste majorité de celles et ceux qui l’exercent.
Précédemment, l’autrice et
journaliste a rappelé, dans Extinction de voix : plaidoyer pour la
sauvegarde de l’information régionale (2018), que la presse subit sans
cesse l’ire du public, alors que les médias sociaux relaient ses contenus sans
en payer le prix. Les revenus publicitaires distribués aux plateformes de
nouvelles sont les mêmes, mais elles se multiplient.
Dans Privé de sens :
plaidoyer pour un meilleur accès à l’information au Québec (2021), Mme Martel
se demande combien de fois entend-on qu’une nouvelle a été obtenue en vertu de
la loi d’accès à l’information. Cette dernière, mise en place il y a 40 ans, « permet
à toute personne qui le désire d’obtenir la plupart des documents produits par
les organisations publiques. » Or, vouloir exercer ce droit, c’est la
croix et la bannière pour un simple citoyen. C’est ce qu’explique cet essai, l’autrice
définissant l’information comme « ce qui nous permet de prendre une
décision. C’est ce qui nous fait peser le pour et le contre, ce qui nous fait
douter, et ce qui nous pousse à aller chercher davantage de détails... En d’autres
mots: l’information, c’est tout ce qui nous permet de prendre conscience de
notre présent, de réfléchir sur notre passé, parfois à travers de nouveaux
filtres, et d’anticiper. »
Avec Pas de lapin dans le
chapeau : coulisses éthiques et déontologiques du travail journalistique,
M.-È. Martel décortique et analyse en quoi consiste le journalisme
professionnel, de la formation à la pratique, du travail de généraliste à celui
de spécialiste, de l’objectivité professionnelle à la subjectivité individuelle.
Il y a d’abord « les assises conceptuelles du journalisme, c’est-à-dire l’éthique
et la déontologie journalistique ». Suivent « les grands principes de
la déontologie journalistique, c’est-à-dire la recherche de vérité, l’équité,
le respect de la vie privée et d’autres enjeux journalistiques. » Enfin,
les recours bien réels du public à l’endroit des journalistes et de leur
pratique.
Pour l’autrice, on ne s’invente
pas journaliste du jour au lendemain pas plus qu’électricien ou notaire. Il y a
d’excellentes écoles de journalisme au Québec, je pense entre autres à l’Université
Laval de Québec où le regretté Yves Gagnon, longtemps propriétaire du Canada
français, a enseigné – il fut d’ailleurs l’initiateur du premier code québécois
de déontologie journalistique – tout comme Florien Sauvageau ou Dominique
Payette.
Le premier rôle du journaliste
est d’informer la population selon des règles éthiques et déontologiques et de
faire en sorte que ces informations sont factuelles et décrites comme telles. M.-È.
Martel illustre son propos d’exemples concrets, si bien qu’on passe de la
théorie à la pratique tout au long de l’ouvrage. Elle nuance aussi la
signification de quelques termes, notamment l’objectivité des journalistes. Il
n’y a pas d’objectité absolue et même l’IA n’y parviendra peut-être jamais. Ce
qu’on attend du journaliste, c’est qu’il décrive un événement le plus fidèlement
possible. Décrire une collision entre deux véhicules est une chose, en
expliquer la ou les causes est une autre. J’aime dire que l’objectivité journalistique
est comme deux individus devant un verre d’eau, l’un dit qu’il est à moitié
plein, l’autre à moitié vide; les deux ont raison, c’est une question de perspective.
Le propos de cet essai englobe
toutes les plateformes sur lesquelles une ou un journaliste s’exprime. Ce faisant,
il rappelle qu’avec la multiplication et la rapidité de diffuser l’information des
médias actuels, la rigueur journalistique peut être mise à mal, car on rapporte
certains événements sans avoir attaché toutes les ficelles. On observe quotidiennement
des exemples de tels écueils, entre autres dans le domaine des déclarations des
autorités politiques ou l’annonce de projets d’envergure.
Un champ de la pratique journalistique
qui me semble implicite à l’analyse de l’essayiste, c’est celui des chroniqueurs
et des billettistes. Les premiers sont généralement des gens spécialisés dans
un domaine d’activité, l’économie ou les sports par exemple, qui impliquent un
volet information et un volet analyse et commentaires. Les billettistes, pour
leur part, présentent et discutent un sujet tiré de l’information ou de toute
autre préoccupation sociétale; ici, il n’est pas question d’objectivité, mais du
point de vue personnel du ou de la billettiste.
Un mot sur les chroniqueurs et
critiques culturels. D’une part, ils informent des activités culturelles en général
ou d’une spécialité précise. Les critiques présentent et analysent une réalisation
d’une telle activité. Encore ici, on ne s’improvise pas chroniqueur ou critique,
au mieux on fait du journalisme culturel de bon aloi; on peut apprendre à
devenir chroniqueur ou critique de diverses façons, mais en ce domaine le temps
fait son œuvre et permet des mises en perspectives essentielles à la compréhension
de la société.
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