mercredi 22 novembre 2023

Marie-Ève Martel

Pas de lapin dans le chapeau : coulisses éthiques et déontologiques du travail journalistique

Montréal, Somme toute, 2023, 160 p., 21,95 $.

S’informer à l’ère des « fake news »

J’ai été fort étonné de la réaction des gouvernements et de plusieurs citoyens lorsque Meta cessa de diffuser les informations provenant de la presse nationale et régionale. Cette presse de proximité publie pourtant sur internet grâce à des sites accessibles à vil prix, sinon gratuitement.

Comment comprendre alors que les réseaux sociaux soient devenus la principale source d’information, la seule pour plusieurs? Les colonnes du temple média, mis à mal depuis plusieurs années sur plusieurs fronts – « fake news », « vérités alternatives », publicités en tout genre – étaient ébranlées et les journalistes accusés de tous les maux.

Le nouvel essai de Marie-Ève Martel, Pas de lapin dans le chapeau : coulisses éthiques et déontologiques du travail journalistique remet les pendules à l’heure en expliquant noir sur blanc les règles fondamentales de la pratique professionnelle du journalisme, tout en rappelant la probité de la vaste majorité de celles et ceux qui l’exercent.

Précédemment, l’autrice et journaliste a rappelé, dans Extinction de voix : plaidoyer pour la sauvegarde de l’information régionale (2018), que la presse subit sans cesse l’ire du public, alors que les médias sociaux relaient ses contenus sans en payer le prix. Les revenus publicitaires distribués aux plateformes de nouvelles sont les mêmes, mais elles se multiplient.

Dans Privé de sens : plaidoyer pour un meilleur accès à l’information au Québec (2021), Mme Martel se demande combien de fois entend-on qu’une nouvelle a été obtenue en vertu de la loi d’accès à l’information. Cette dernière, mise en place il y a 40 ans, « permet à toute personne qui le désire d’obtenir la plupart des documents produits par les organisations publiques. » Or, vouloir exercer ce droit, c’est la croix et la bannière pour un simple citoyen. C’est ce qu’explique cet essai, l’autrice définissant l’information comme « ce qui nous permet de prendre une décision. C’est ce qui nous fait peser le pour et le contre, ce qui nous fait douter, et ce qui nous pousse à aller chercher davantage de détails... En d’autres mots: l’information, c’est tout ce qui nous permet de prendre conscience de notre présent, de réfléchir sur notre passé, parfois à travers de nouveaux filtres, et d’anticiper. »

Avec Pas de lapin dans le chapeau : coulisses éthiques et déontologiques du travail journalistique, M.-È. Martel décortique et analyse en quoi consiste le journalisme professionnel, de la formation à la pratique, du travail de généraliste à celui de spécialiste, de l’objectivité professionnelle à la subjectivité individuelle. Il y a d’abord « les assises conceptuelles du journalisme, c’est-à-dire l’éthique et la déontologie journalistique ». Suivent « les grands principes de la déontologie journalistique, c’est-à-dire la recherche de vérité, l’équité, le respect de la vie privée et d’autres enjeux journalistiques. » Enfin, les recours bien réels du public à l’endroit des journalistes et de leur pratique.

Pour l’autrice, on ne s’invente pas journaliste du jour au lendemain pas plus qu’électricien ou notaire. Il y a d’excellentes écoles de journalisme au Québec, je pense entre autres à l’Université Laval de Québec où le regretté Yves Gagnon, longtemps propriétaire du Canada français, a enseigné – il fut d’ailleurs l’initiateur du premier code québécois de déontologie journalistique – tout comme Florien Sauvageau ou Dominique Payette.

Le premier rôle du journaliste est d’informer la population selon des règles éthiques et déontologiques et de faire en sorte que ces informations sont factuelles et décrites comme telles. M.-È. Martel illustre son propos d’exemples concrets, si bien qu’on passe de la théorie à la pratique tout au long de l’ouvrage. Elle nuance aussi la signification de quelques termes, notamment l’objectivité des journalistes. Il n’y a pas d’objectité absolue et même l’IA n’y parviendra peut-être jamais. Ce qu’on attend du journaliste, c’est qu’il décrive un événement le plus fidèlement possible. Décrire une collision entre deux véhicules est une chose, en expliquer la ou les causes est une autre. J’aime dire que l’objectivité journalistique est comme deux individus devant un verre d’eau, l’un dit qu’il est à moitié plein, l’autre à moitié vide; les deux ont raison, c’est une question de perspective.

Le propos de cet essai englobe toutes les plateformes sur lesquelles une ou un journaliste s’exprime. Ce faisant, il rappelle qu’avec la multiplication et la rapidité de diffuser l’information des médias actuels, la rigueur journalistique peut être mise à mal, car on rapporte certains événements sans avoir attaché toutes les ficelles. On observe quotidiennement des exemples de tels écueils, entre autres dans le domaine des déclarations des autorités politiques ou l’annonce de projets d’envergure.

Un champ de la pratique journalistique qui me semble implicite à l’analyse de l’essayiste, c’est celui des chroniqueurs et des billettistes. Les premiers sont généralement des gens spécialisés dans un domaine d’activité, l’économie ou les sports par exemple, qui impliquent un volet information et un volet analyse et commentaires. Les billettistes, pour leur part, présentent et discutent un sujet tiré de l’information ou de toute autre préoccupation sociétale; ici, il n’est pas question d’objectivité, mais du point de vue personnel du ou de la billettiste.

Un mot sur les chroniqueurs et critiques culturels. D’une part, ils informent des activités culturelles en général ou d’une spécialité précise. Les critiques présentent et analysent une réalisation d’une telle activité. Encore ici, on ne s’improvise pas chroniqueur ou critique, au mieux on fait du journalisme culturel de bon aloi; on peut apprendre à devenir chroniqueur ou critique de diverses façons, mais en ce domaine le temps fait son œuvre et permet des mises en perspectives essentielles à la compréhension de la société.

Concluons que dans « cet essai consacré au métier qui la passionne, Marie-Ève Martel nous fait pénétrer dans les coulisses du journalisme dans l’optique de faire de nous de meilleurs consommateurs d’information. S’attardant à la déontologie, à la protection des sources, à l’importance de se rétracter lorsqu’on se trompe et s’assurer de ne pas être manipulé, c’est un tour d’horizon complet de l’éthique journalistique que cet ouvrage offre aux lectrices et lecteurs de nouvelles, aux futurs journalistes, aux curieux et à tous les autres. »

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