Jacques Brault
À jamais, avec onze dessins de l’auteur, préface d’Emmanuelle Brault et Paul Bélanger
Montréal, Noroît, 2023, 104 p.,
20,95 $ (papier), 15,99 $ (numérique).
Pour saluer Jacques Brault
Le 18 février 1976, je publiais une première chronique littéraire dans Le Richelieu, cet hebdo où Rina Lasnier avait timidement débuté sa carrière. Ce texte était consacré à Chemin faisant (La Presse, 1975; Boréal, 1995), un recueil d’essais brefs écrits par Jacques Brault (1933-2022) – écrivain et universitaire réputé – que j’allais rencontrer quelques mois plus tard dans le cadre d’une fête de la littérature se déroulant dans notre ville, Saint-Jean-sur-Richelieu.
Au fil des ans, je proposai la lecture d’une dizaine de recueils de poésie que Jacques Brault a fait paraître aux éditions du Noroît. Un an après son décès, la même maison d’édition publie À jamais, recueil posthume préparé par l’écrivain lui-même et accompagné de onze de ses dessins, ce médium qu’il a beaucoup pratiqué durant ses dernières années de vie : – « … crayons de couleur constitueront dorénavant ses outils de création ». Le recueil est préfacé par Emmanuelle Brault, fille du poète, et Paul Bélanger, poète et longtemps éditeur au Noroît.
Le prologue d’un livre est comme
une barge nous amenant vers l’univers de l’écrivaine ou de l’écrivain. Les
préfaciers sont ainsi des passeurs qui nous préparent à l’abordage d’une œuvre à
laquelle ils ont été associés par l’auteur lui-même. L’avant-dire du Brault
posthume se résume ici : « Ce petit livre n’ajoute-t-il pas à l’édifice
des poèmes-témoins, convoquant amis, poètes et formes anciennes et aphoristiques? »
Un mot pour rappeler qu’Emmanuelle
Brault – prénom qui n’est pas sans rappeler l’Emmanuelle de Gaston Miron dont Brault
fut un des premiers défenseurs et à qui on doit "Miron le magnifique"
– a publié Dans les pas de nulle part : parcours de l’œuvre de Jacques
Brault (Leméac, 2019), un incontournable essai ne serait-ce que parce que l’autrice
est si près de l’espace natal des écritures de son père, de ses forces et de ses
failles en les exposant sans les juger.
Avant de lire À jamais, je
suis revenu à la source de l’art poétique de Jacques Brault en lisant pour la
nième fois Mémoire, son premier recueil paru en 1965 et repris dans Poèmes (Éditions du Noroît, coll. « Ovale », 2000), une
rétrospective des livres parus de 1965 à 1975. Je notais alors que c’est d’abord
en faisant connaître l’œuvre d’autres poètes, dont Saint-Denys-Garneau et Gaston
Miron, qu’il gravit le sentier qui a conduit à la reconnaissance de sa propre œuvre
de poète, de romancier, de dramaturge et d’essayiste. En relisant l’anthologie
de l’an 2000, je me suis laissé encore séduire par la simplicité de mots auxquels
le poète donne une fraîcheur nouvelle. J’y ai aussi noté un dépouillement
semblable à celui d’Anne Hébert dans la plénitude de ses derniers ouvrages.
Ce même livre comporte une
préface de l’écrivaine Louise Dupré intitulée « La fragilité de vivre ».
J’ai eu la tentation de vous proposer l’entièreté de ce texte tellement il
résume admirablement bien non seulement les recueils rassemblés dans ce livre,
mais aussi les cinq poèmes d’À
jamais comme si l’analyse et
la réflexion de Louise Dupré étaient prémonitoires de ce que Brault allait
écrire.
À jamais, dédié à Madeleine,
son épouse en-allée, n’est pas sans rappeler que c’est « paradoxalement
dans l’espace clos de la maison que se produit, dans les recueils de Jacques
Brault, une ouverture à l’autre qui fait qu’on s’approche de soi. Pour le
poète, l’amour n’est ni désir de fusion ni fantasme de retour au Paradis perdu.
Celui qui dit "Je t’aime seul et déserté de moi-même" accepte qu’il soit
séparé. L’amour n’apporte pas la rédemption; tout au plus agit-il comme
révélateur de notre propre désert intérieur. »
L’amour, certes, mais se lovant au
cœur de la poésie considérée comme un mode de vie. En entrevue à Jean Royer en
1979, Brault confie : « Pour moi, la poésie dépasse la littérature et
la déborde. La place du poème dans la vie fondamentale, primordiale. Le poème
peut prendre toutes sortes de formes, d’allées et de venue… Le poème peut être
chant et célébration, mais il est aussi ce qui donne sens: un sens au moins
fondateur. La fonction poétique est d’ordre primordial comme la fonction
nutritive ou la fonction de reproduction. »
Cette façon d’appréhender la
poésie est aussi présente dans Dans la nuit du poème (Noroît, 2011), un essai
de Brault qui interroge : qui a peur de la poésie craint aussi ce que la
littérature lui propose, car la poésie est l’alpha et l’oméga de toutes les
formes d’écriture. Ce qui parfois nous égare, c’est qu’on laisse croire que
tout discours est poétique. Les poèmes en prose de Baudelaire ont, entre
autres, ouvert la route à un libre arbitre qui a parfois mené à un cul-de-sac
au niveau des formes. Mais alors, où se terre la poésie? Quelle est sa matière?
Doit-elle dire ou évoquer? Ce sont là quelques questions que l’écrivain Brault
aborde en encourageant notre propre réflexion sur ce qu’est la matière et les
formes de la poésie.
À jamais, l’ultime recueil,
n’est-il pas la conclusion à la démarche poétique que Jacques Brault a engagée
depuis ses tout premiers vers et même avant lorsqu’il se penchait sur l’œuvre d’autres
poètes? Si les cinq suites et les onze dessins qui les accompagnent sont autant
de regards intimes jetés sur le panorama de toute une vie, j’avoue avoir été
particulièrement ému par « Clartés nocturnes », notamment par cette
strophe : « Le sens poétique et la justesse (et la justice…) du poème.
De sa langue offerte à tous, il insinue que le monde est autre à même son
accessibilité courante. Ainsi l’ineffable concrétion de Paul-Marie Lapointe :
"tu ne mourras pas un oiseau portera tes cendres." » Et je
pourrais continuer jusqu’à la dernière ligne de ce dit.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire