mercredi 25 octobre 2023

Élise Turcotte

Autoportrait d’une autre

Québec, Alto, 2023, 280 p., 26,95 $ (papier), 15,99 $ (numérique).

De l’autre à l’en-soi

L’écrivaine Élise Turcotte a une longue feuille de route si l’on considère l’ensemble de ses recueils de poésie, ses fictions et ses livres jeunesse parus depuis 1982. Nous arrive, à la rentrée littéraire automnale, Autoportrait d’une autre, son huitième roman.

Était-ce un roman au sens propre du terme ou l’amalgame d’un récit et d’un essai relatant la « fabrication » d’une histoire la plus vraie possible, dont font partie les longues et sinueuses recherches permettant de mieux connaître son sujet – la vie de sa tante Denise Brosseau –, d’en explorer tous les aspects et d’évaluer leur pertinence ou leur valeur dans l’économie de l’œuvre en devenir? Bref, il m’a semblé assister à la confection du récit que j’étais en train de lire comme si j’observais une dentelière exerçant son art. En refermant cette histoire, la chanson de Brel, La quête, m’est venue immédiatement à l’esprit : « Rêver un impossible rêve / Porter le chagrin des départs / Brûler d’une possible fièvre / Partir où personne ne part / Aimer jusqu’à la déchirure / Aimer, même trop, même mal… »

Qu’a donc cette femme de si remarquable pour que sa nièce, des années après le décès de la sœur de sa mère, veuille la ramener sur l’avant-scène de l’histoire culturelle québécoise des années 50 ou 60? Sans ambages, je dirais que l’écrivaine Turcotte fait l’autopsie d’une mort annoncée tellement la vie racontée est d’une intensité dramatique incommensurable.

Outre l’avant-propos en date de novembre 2018, nous suivons l’autrice d’abord à Paris, puis à Mexico, avant de rentrer à Montréal, des cités que sa tante, appelons-la D.B, a habitées à diverses époques de sa vie. Ces séjours s’échelonnent sur plusieurs années non consécutives; nous pouvons être à Paris, revenir au Québec, retourner dans la Métropole française avant de faire un saut à Mexico. La quête de reconnaissance de D.B. sert de fil conducteur, ainsi que la vie des hommes dans sa vie de déesse et les dérèglements soudains de son existence.

Ces hommes sont en lien direct avec le milieu artistique, théâtre, cinéma, télévision, poésie, etc. Gaston Miron est du nombre et la correspondance qu’ils ont continué d'entretenir après une relation de quelques années a joué un rôle important dans l’équilibre de D.B. et permis à l’écrivaine de retracer les activités de cette dernière sur plusieurs années jusqu’à ce que tous deux deviennent parents, elle un garçon et lui une fille.

Il y a ensuite Alan Glass avec qui elle a travaillé dans un bar à Paris; c’est grâce à lui qu’elle a rencontré quelques grands noms de Saint-Germain-des-Prés, dont André Breton (1957). Glass, qu’elle prénommait Alain, et D. B. restèrent des amis jusqu’à la fin de sa vie; il était attentif à ses préoccupations et l’encourageait dans ses projets.

Elle rencontra Alejandro Jodorowsky dans une classe de maître donnée par le mime Marceau. Elle épousa Jodorowsky et leur relation semble avoir été dictée par les humeurs de l’un et de l’autre, les influences de l’un sur l’autre, mais jamais un long fleuve tranquille.

Enfin, il y eut le peintre Fernando García Ponce qui devint son second époux et le père d’Esteban, le neveu de l’autrice. C’est ce dernier qui lui fournit toutes les informations dont il disposait sur sa mère. C’est aussi lui qui l’accompagna dans la cueillette d’informations, utiles, ou non, à la rédaction d’Autoportrait d’une autre, mais sans bien comprendre l’intérêt de l’écrivaine pour cette cousine.

Cette même question sera sûrement partagée par des lectrices et des lecteurs. De prime abord, c’est le mystère dont est nimbée Denise Brosseau dans sa propre famille qui suscite l’intérêt que l’écrivaine lui porte, à quoi s’ajoute une certaine ressemblance qu’on lui voit avec D.B. Il y a aussi, j’allais écrire surtout, le suicide de Denise Brosseau sous une rame du métro montréalais; l’autrice tente de comprendre ce geste, ce qui lui permettrait peut-être de faire un peu de lumière sur d’autres suicides de gens du milieu culturel comme si le choix de mettre fin à sa vie était une ultime prestation.

La préoccupation constante du thème de la mort dans l’œuvre d’Élise Turcotte n’est pas négligeable. L’accroche de son recueil Pourquoi faire une maison avec les morts (Leméac, 2007) me semble convenir à Autoportrait d’une autre : « Thème incontournable en littérature, la mort est présente dans l’écriture d’Élise Turcotte depuis ses premiers écrits. Cette fois, en sept récits réalistes, elle explore la nature du trépas, son odeur, ses visages, ses signes avant-coureurs, son passage dévastateur, son accompagnement, sa mémoire, sa présence dans les dix mille pas de la journée. Fine observatrice, elle veut en apprendre toujours plus sur le sommeil éternel, sur la migration des âmes, sur la transformation des corps. Comme si s’approcher de la mort lui permettait de déchiffrer l’énigme… »

Autoportrait d’une autre est une œuvre baroque dans sa forme définitive et son esthétique. Les lectrices et lecteurs assistent à la réalisation d’un projet d’envergure, de la recherche et au choix de données adéquates à la construction d’une structure narrative molle comme le sont les montres de Dali. Il ne peut en être autrement si l’on considère le titre du livre, cette autre étant l’en-soi de l’écrivaine elle-même. Bref, voilà un roman aussi excentrique que paradoxal.

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