Henri Dorion
L’autre Russie
Montréal, MultiMondes, 2023, 10
p, 24,95 $.
Au-delà des dictatures, un peuple
On s’interroge fréquemment sur la distinction à faire entre une œuvre et sa créatrice ou son créateur. Il en va de même des États et du pouvoir politique qui les dirige. L’autre Russie, un essai sociopolitique écrit par Henri Dorion, m’a rappelé qu’avant les dictatures, tsaristes et communistes, cet immense territoire est un haut lieu de culture.
L’autre Russie trace une fresque
de ce pays en onze tableaux, chacun explorant un aspect de sa géographie physique
et humaine, tout en proposant diverses considérations sociopolitiques qui nous
font entrer dans un univers que nous connaissons peu et mal. Par exemple, le lien
entre le fleuve Volga et le Saint-Laurent, et l’importance de chacun de ces
cours d’eau pour ses riverains. D’autres traits de ressemblance avec chez nous nous
permettent de mettre en perspective les descriptions et les analyses de l’essayiste.
Le premier chapitre, "Une
Russie en cache une autre", donne l’orientation du projet de l’auteur et
permet de constater le déplacement historique de la capitale avant qu’elle ne s’établisse
à Moscou passant par Kiev, aujourd’hui capitale de l’Ukraine. On apprend notamment
que la Crimée fut offerte par la Russie à l’Ukraine pour sa contribution à la Seconde
Guerre mondiale.
Le second chapitre, "D’arbres
et de saisons", émeut : « Si les saisons russes rythment la vie
artistique à Paris et à Montréal, les saisons de la nature rythment la vie des
humains. Elles le font de façon unique en Russie. Chaque mois dispose de sa
particularité, de sa dominante, parfois d’un surnom ou des dictons relatifs au
climat et aux éventuelles récoltes. Le calendrier russe est une encyclopédie
folklorique. »
"Noms et prénoms du monde"
débute ainsi : « Chaque pays possède sa ou ses langues et chaque langue
a sa manière de référer au pays, aux régions, aux villes du monde. Ces lieux
ont donc souvent des noms différents selon les langues. C’est que, pour nommer
un pays par exemple, on peut le regarder à travers les lunettes de l’histoire,
de la géographie, de la linguistique ou quelque autre prisme qui colore la désignation
des lieux de subjectivité. »
Toutes les leçons du livre sont d’une
pédagogie fort imagée et le tableau de la page 135 fait la synthèse de cette
somme d’informations en proposant sept époques de l’univers russe, du neuvième
siècle aux années 2000.
"Un monde coloré" rappelle
qu’une « couleur est commune à plusieurs pays par sa signification :
c’est le rouge qui a été adopté comme symbole de la révolte contre la tyrannie
royale. Cette couleur est dès lors devenue le symbole des partis de gauche,
puis des mouvements communistes partout dans le monde. » Toujours une question
de couleurs, la Russie « est baignée par la mer Blanche au Nord, par la
mer Noire au sud. » Et l’essayiste de multiplier les exemples bien réels
tirés de la toponymie russe et québécoise, parfois inspirée du climat ou de la
végétation.
Dans "Manger, compter et saluer",
M. Dorion interroge : « Que mange-t-on en Russie et comment? Voilà un
thème qu’il nous faut résumer, car quoi que l’on dise d’une pseudoabsence de la
gastronomie russe, 1 000 pages ne suffiraient pas pour couvrir convenablement
le sujet, même si le célèbre auteur culinaire Jean-Anthelme Brillat-Savarin,
dans sa "Physiologie du goût" (1838), n’a utilisé aucun qualificatif
louangeur pour elle. »
Dans "Des mots pour dire la Russie",
on croit entendre « une conversation entre deux Russes ou en feuilletant
un journal russe, il arrive qu’un mot français vous saute à l’oreille ou à l’œil.
Il ne faut pas se surprendre. Les mots russes qui sonnent tout à fait français
ne sont pas rares. Le géographe globe-trotter Sylvain Tesson a répertorié des
centaines de mots identiques dans les langues française et russe, et les a réunis
en un petit livre amusant intitulé Katastrôf! »
"D’une religion à l’autre"
ramène le patrimoine bâti des églises, cette fois du point de vue de l’architecture
dont la cathédrale Saint-Basile « est aussi considérée comme la plus authentiquement
russe, bien qu’il soit probable que des architectes étrangers aient participé à
sa conception et à sa construction. » Orthodoxes ou catholiques, ces lieux
de prière sont la fierté des populations qui, après la chute du communisme et « du
démembrement de l’URSS en 1991 », cherchaient une identité qui leur soit
propre. Une quête que les politiques ont vite rattrapée en formant la CEI, la
Communauté des États dont « neuf des anciennes républiques de l’Union
soviétique. »
"La Russie entre l’Est et l’Ouest"
met en perspective le conflit russo-ukrainien. « À l’Ukraine, soutenue par
la communauté occidentale, Vladimir Poutine reproche son manque de "slavitude"
et entend en extirper le caractère nazi. » Ne perdons pas de vue la
volonté du maître actuel de la Russie d’élargir le territoire de son état, entre
autres si cette région est baignée par la mer Noire pour enfin en prendre le
contrôle maritime.
En "Conclusion", Henri Dorion
souligne que « le plus vaste pays au monde possède un fonds culturel inouï
aux multiples liens avec d’autres sociétés nordiques comme le Québec. Cet héritage
pourrait-il constituer les bases d’une réconciliation entre les nations? Encore
faut-il le connaître. »
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