Étrennes 2020
Des livres et des bulles de toutes sortes
Je ne sais pas pour vous, mais
chez nous le temps des Fêtes sera en modèle réduit, le présent le mieux
approprié cette année est de préserver la santé de ceux qu’on aime. C’est dans
cet esprit que je vous propose six livres choisis tant pour leur qualité
matérielle que la littéralité propre à chacun. Ce sont des ouvrages que vous
voudrez laisser à la portée de la maisonnée pour les semaines, voire les mois à
venir. Puis, pourquoi ne pas jouer avec le mot « bulle » si populaire
en 2020. Il y a les bulles qui sont « des espaces personnels où on se sent
en sécurité », mais il y a aussi les bulles du champagne, du vin ou du cidre
mousseux, alcoolisé ou non, sans oublier les bulles papales, ces édits qui ont
souvent fait trembler les colonnes du temple aux temps jadis.
Tristan Demers
Tintin et le Québec :
Hergé au cœur de la Révolution tranquille, nouvelle édition revue et
augmentée
Montréal / Bruxelles,
Hurtubise / Éditions Moulinsart, 2020, 176 p., 34,95 $.
En haut de la courte liste de
suggestions, il y a Tintin et le Québec : Hergé au cœur de la
Révolution tranquille, nouvelle édition du livre de Tristan Demers paru en
2010. Le journaliste à la houppette blonde apparut en Belgique, en 1929. Ses
albums mirent du temps à traverser l’Atlantique et arrivèrent dans les années
1945-1950. Ce n’est pas que la bédé était absente de notre culture, car, bien
avant, les caricatures et les bédés des Québécois Albéric Bourgeois et Albert
Chartier ont fait dire à certains observateurs que leurs œuvres sont à
l’origine de la bédé.
L’ouvrage de Demers, lui-même
enfant prodige de la bédé québécoise, reçut un accueil chaleureux bien mérité. Le
Johannais François Cloutier, chroniqueur bédé à Lettres québécoises, concluait
que : « Tristan Demers nous présente une œuvre extrêmement fouillée,
abondamment illustrée, qui sait éviter le piège de la "surabondance
graphique". À travers la visite d’Hergé, c’est le fourmillement du Québec
des années soixante que Tristan Demers montre. »
Je partage pleinement ce point de
vue, car l’essai-album fait une véritable quête de la psyché québécoise relative
à ce héros d’une autre époque, devenu, en son temps, une légende au Québec. Non
seulement Hergé est-il venu chez nous en pleine Révolution tranquille (1965), mais
il a accepté qu’on en fasse le personnage principal d’un radioroman, une aventure
que l’essayiste Demers raconte avec force détails.
« Dans une maquette
entièrement revue, cette nouvelle édition est enrichie de textes, d’images et
de documents d’archives inédits qui retracent, à la manière d’un journal de
bord, le voyage d’Hergé dans la Belle Province. L’auteur y évoque en parallèle
le parcours de Tintin, un héros bien ancré dans l’imaginaire collectif des
Québécois. »
Sophie Imbeault
Une histoire de la télévision au Québec
Montréal, Fides, 2020, 536 p., 39,95 $.
Du radioroman de Tintin, passons
aux téléromans et autres téléséries québécoises telles que Sophie Imbeault les
a répertoriés, analysés et présentés de façon détaillée dans Une histoire de la télévision au Québec.
Ce livre, abondamment illustré, fera
revivre, je peux en témoigner, de nombreux souvenirs aux lectrices et lecteurs qui
ont plus de 20 ans. Comme le suggère la maison d’édition, le « scénario
est prêt, les décors sont en place. Entrez dans les coulisses d’un patrimoine
incomparable, la télévision, qui a connu des débuts remarqués au Québec le 6
septembre 1952. Le temps de quelques pages, revivez avec nostalgie la magie de
ces images qui se veulent éphémères mais qui ont pourtant fait date. »
Il faut rappeler que nous avons longtemps
entretenu un rapport intime avec ce médium, au point où, durant les 194
épisodes de La famille Plouffe, diffusées de novembre 1953 à mai 1957,
les rues de la métropole étaient désertes. Cet exemple peut étonner, mais il n’est
pas unique au roman de Roger Lemelin mis en images, car même les combats de lutte
du mercredi soir ou la soirée du hockey du samedi vidaient littéralement les
rues des villes.
La recherche exigée par le projet
de Sophie Imbeault est une immense entreprise dont les résultats sont probants.
Puisqu’il s’agit d’un livre d’Histoire – le H majuscule s’impose – il allait de
soi qu’elle le divise selon les périodes de temps couvertes. Il y a ainsi les
débuts de la télé, de 1952 à 1965; puis, elle s’intéresse à la télévision
québécoise pendant la Révolution tranquille, 1966-1979; vient le passe-temps
préféré des Québécois, de 1980 à 1994; avec l’arrivée des chaînes en continu, c’est
l’histoire qui se vit en continu, de 1995 à 2006; enfin, nous assistons aujourd’hui
à la dématérialisation de l’écoute de la télévision, de 2007 à 2020. Chacune
des sections s’intéresse à la télé comme objet et comme industrie, puis s’arrête
sur les productions de l’époque qui l’encadre.
« Dans ce livre, vous
retrouverez plusieurs des téléromans et téléséries préférés ou d’autres oubliés,
des téléthéâtres marquants, des émissions jeunesse qui ont fait rêver, des
comédies incontournables, sans oublier les principales émissions sportives,
culturelles, d’affaires publiques et de variétés, ainsi que des jeux et des
publicités. On rencontre aussi quelques-uns des artisans phare de la télévision
qui n’ont eu cesse d’avoir le public au cœur de leurs préoccupations, que ce
soient les scénaristes, réalisateurs, comédiens, animateurs, techniciens,
menuisiers, peintres, machinistes, décorateurs, illustrateurs, caméramans –
hommes et femmes – qui ont travaillé d’arrache-pied pour offrir des productions
de qualité. »
John Steinbeck et Rébecca Dautremer
Des souris et des hommes,
traduit de l’anglais par Maurice-Edgard Coindreau
Québec, Alto, 2020, 420 p.,
42,95 $.
Puisque tout est dans tout, en
lisant l’essai de Sophie Imbeault, je me suis rappelé du remarquable
téléthéâtre tiré de l’œuvre de John Steinbeck Des souris et des hommes dont Jacques Godin et Hubert Loiselle
présentèrent une inoubliable prestation de comédiens de cette œuvre, scénarisée
par Guy Dufresne et réalisée par Paul Blouin, en 1971. Or, les éditions Alto ont
récemment fait paraître une version illustrée de « l’œuvre phare de John
Steinbeck, récipiendaire du prix Nobel de littérature de 1962, [qui] trouve un nouveau
souffle et de nouvelles teintes sous le crayon et la gouache de Rébecca
Dautremer. La grande dessinatrice française fait revivre ce classique pour en
faire un roman graphique hors-norme et envoûtant.
Dans une Amérique plongée dans la
Grande Dépression, Georges et Lennie, deux ouvriers agricoles, voyagent à
travers la Californie en rêvant d’une vie meilleure. Leur destin se jouera en
quelques jours dans un ranch où se croisent les âmes solitaires et les
laissés-pour-compte. Il y a Slim, le roulier magnifique; Crooks, le palefrenier
noir; Candy, écrasé par une vie de labeur; Curley, le teigneux fils du patron,
et sa femme.
L’histoire de Lennie, le colosse
doux et simplet aux mains trop puissantes, et de George, son compagnon
débrouillard et taciturne, nous fait basculer du côté sombre du rêve américain
et a marqué des générations de lecteurs. »
Collectif
Fauna : un fascinant
voyage au cœur du monde animal
Montréal, MultiMondes, 2020, 336
p., 49,95 $.
Ma quatrième proposition est
celle d’un immense livre : Fauna : un fascinant voyage au cœur du
monde animal. Vous dire le nombre d’heures que j’ai consacrées à parcourir
ce vaste laboratoire visuel tout en m’attardant à ses nombreuses informations vous
surprendrait. « Comment expliquer l’innombrable variété des formes de vie
animale? Pourquoi les oiseaux ont-ils des ailes? Comment les antennes des
abeilles ont-elles pu se développer? Quel est le rôle des couleurs éclatantes
de certaines grenouilles? Pourquoi les loups, comme bien des mammifères,
ont-ils un pelage? Un beau livre qui saura satisfaire la curiosité de tous ceux
qui s’intéressent de près ou de loin aux animaux. Assorti de photographies
époustouflantes et riche de multiples anecdotes sur la communication, la
prédation, la migration ou la séduction, Fauna révèle la beauté sauvage d’un
monde animal incroyablement diversifié, des plus petits insectes aux majestueux
éléphants. »
Comme Chris Packham – naturaliste,
journaliste, auteur et photographe – l’écrit en préface «"La beauté est
séduisante, la vérité essentielle et l’art assurément la plus pure de réactions
de l’humanité face à ces idéaux. Mais qu’en est-il de ce trait profondément
humain lui aussi : la curiosité? Selon moi, la curiosité est le carburant de la
science, qui n’est autre que l’art de comprendre la vérité et la beauté. Ce
très beau livre présente une fusion parfaite de ces trois vertus. Il célèbre l’art,
révèle d’éclatantes vérités et attise la curiosité pour les sciences
naturelles."»
Dominique Fortier
Les villes de papier
Québec, Alto, coll. « Coda »,
2020, 192 p., 15,95 $.
Impossible de termine cette année
sans rappeler ce livre pour lequel l’écrivaine et traductrice Dominique Fortier
a reçu le prix Renaudot de l’essai 2020. Recensé ici lors de sa sortie en 2018,
l’ouvrage raconte un peu du personnage que fut l’écrivaine états-unienne, Emily
Dickinson. Qu’elle aurait été bien dans cette ère de confinement, elle qui
fuyait la vie et les gens hors de la propriété familiale! Comme dans Au
péril de la mer (Alto, 2015), l’autrice insère, dans la trame du récit, des
apartés racontant un séjour familial prolongé à Boston et sur la côte
Atlantique. Elle mentionne aussi ses recherches sur Dickinson et Gabrielle Roy
dont la proximité lui permet de mieux éclairer leurs œuvres. Ces détours dans
sa vie personnelle donnent aussi du poids à la réalité de son personnage et à
la vie qu’elle lui a inventée.
Zoé Lalonde, Dominique Fortier et
les illustrations d’Amélie Dubois
Violette et Fenouil ou La
véritable histoire de la princesse et de la grenouille
Montréal, La bagnole, 2020, 32
p., 24,95 $
Impossible de terminer ces suggestions sans dire un
mot de cet album fait de texte et d’images, le fruit d’une rencontre parents-enfants,
alors que des élèves de maternelle les ont invités à présenter leur profession
devant leur classe. « Comme je suis écrivaine [de raconter Dominique
Fortier], j’ai imaginé avec Zoé d’écrire une histoire à lire aux enfants puis
de leur distribuer le texte et de le leur faire illustrer ». Transformer de
la classe à un livre, il y a tout un monde que l’enfant et la mère ont vécu une
étape à la fois, l’illustratrice Amélie Dubois s’étant jointe à elles pour faire
vivre les personnages inventés par l’enfant. Le vieil homme que je suis a ressenti
grand plaisir à suivre la princesse Violette et Fenouil son prince grenouille. Enfin,
une œuvre de science-fiction qui me rejoint.