Jean Soulard
Chef, oui chef!
Montréal, Flammarion Québec, 2020, 208 p., 28,95 $.
De l’art du détail et des saveurs
Expliquez-moi : il y a tant d’émissions traitant de cuisine, de produits alimentaires de toutes origines, de prêts-à-manger, de restaurants, etc., mais il est si peu question d’art culinaire. Je me posais ces questions en lisant Chef, oui chef!, les 23 brefs récits où Jean Soulard, longtemps aux fourneaux du Château Frontenac, raconte comment il est tombé dans la marmite de sa grand-mère dans laquelle fumait une potion magique dont les effluves ne l’ont jamais quitté.
Oubliez la déferlante cuisine,
car Jean Soulard nous amène ailleurs en partageant ce « festin de récits
bien assaisonnés ». De son enfance dans un village dans la région des Pays
de la Loire, non loin de la Sarthe, jusqu’au 11 mars 2020 à Pondichéry, dans le
sud de l’Inde, nous accompagnons le citoyen Soulard, né en 1952, dans un
monologue qui nous fait entrer aussi bien dans la cuisine de sa grand-mère bien
que dans la boulangerie de son père et nombre de cuisines étoilées où s’affairent
une cohorte de brigades.
Pour donner le ton des récits, l’auteur
qui donne la note : « Une recette est une liste d’ingrédients. Bien
dosés, cuisinés à point avec un soupçon d’originalité, une pointe de saveur personnelle,
ces ingrédients deviendront une délicieuse assiette. Mais un repas est bien
plus qu’une succession de plats succulents… Avec le temps, le menu entrera dans
l’oubli, mais ce moment qui a nourri une grande amitié restera gravé dans la mémoire…
La cuisine, c’est avant tout des contacts humains. »
Revenons à l’enfance alors qu’il
nous amène faire la chasse aux escargots avec son frère, la mise en quarantaine
de leur récolte pour que les mollusques déstressent de leur capture et prennent
un peu de poids avant que leur grand-mère les apprête avec de l’ail, des échalotes
et le « beurre ramolli de Mme Jousset, de la ferme d’à-côté » :
nous salivons. Ce réflexe sera d’ailleurs déclenché plus d’une fois, d’une
histoire à l’autre.
J’imagine mal Jean Soulard en
chef hurlant ses ordres, mais, à l’époque où il étudiait à l’école hôtelière
Saumur, il a 15 ans alors, il trouve un emploi d’été dans un bistrot, réputé
pour son anguille au beurre à l’ail et son brochet au beurre blanc. Règne sur l’établissement
un chef, celui du titre du livre, dont la voix fait vibrer les murs de la
cuisine et trembler le personnel. En l’absence de pédagogie du beuglant, il y a
Joséphine : « J’aime beaucoup Joséphine [écrit-il]. Il y a peut-être
un espoir avec des gens comme elle qui peuvent vous enseigner les rudiments du
métier dans le calme et la sérénité. » J’intuitionne, selon les mots du
narrateur, que l’affection et le respect que cette dame a des produits du
terroir local sont le secret de sa zénitude.
Allons ailleurs, alors que « Ton
cochon est soûl » raconte un événement aussi mémorable que drôle qui s’est
produit sur la ferme de son grand-père. Je ne gâcherai pas votre plaisir de la
surprise, mais sachez que l’histoire du cochon ivre est bien vraie et que la
vie à la campagne, du moins dans les années 1950-60, avait des us et coutumes s’appuyant
sur la solidarité et l’entraide.
S’inspirant du titre d’un film, Jean
Soulard raconte sa rencontre avec « L’homme qui murmure à l’oreille des
abeilles ». Cela est survenu en 2008-2009 quand un passionné d’apiculture,
Marc Lucas, est venu le rencontrer au Château Frontenac pour l’entretenir de sa
passion : les abeilles. Pas question de lui vendre quoi que ce soit, mais
de simplement vanter les mérites de ses amies les butineuses. Quand un passionné
rencontre un autre passionné, il arrive que cela engendre un petit miracle et cela
s’est produit : installer un rucher sur le toit de l’hôtel. La transmission
d’une passion trouve son écho dans les mots d’un des deux pôles de transfert, ici
Jean Soulard. Celui-ci d’ajouter les tribulations d’une visite journalistique et
de l’incident survenu près des ruches.
Impossible de ne pas dire un mot
de « Mon père boulanger ». Ce récit est l’un des plus révélateurs de
la personnalité de Jean Soulard et des valeurs humaines qui régissent sa vie. J’ai
avoir déjà raconté l’importance qu’une boulangerie située sur le chemin de mon
école a eue sur ma petite-enfance. Le lieu, le fourneau au bois à l’ancienne, l’allure
du boulanger, l’odeur si prégnante que juste à l’évoquer elle me revient, le sac
de papier brun fumant dans le froid hivernal : c’est exactement ce que le
récit de M. Soulard a éveillé chez moi.
« La pêche au marlin bleu »,
« Le chapeau de la reine » ou « Les croissants du samedi »
sont aussi des récits qui ont retenu plus particulièrement mon attention. La
distinction de chacun illustre encore la simplicité bonhomme de Jean Soulard,
tout comme son respect des produits à la base de l’art qu’il pratique. Qu’il
soit à bord du bateau d’un pêcheur, devant la reine Élisabeth II ou à la boulangerie
à deux pas de chez lui, il a toujours cette bonne humeur, cette joie de vivre
communicative.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire