Michel Lord
Sortie 182 pour Trois-Rivières : récits de
disparitions, catastrophe et mille merveilles
Montréal, de la Grenouillère, coll. « Vécu »,
2020, 200 p., 28,95 $.
Voyage au-delà de soi
Après avoir passé la majeure partie de sa vie le nez dans les livres – à les enseigner, les recenser, collaborer à leur écriture, etc. – est-il normal qu’on veuille laisser une trace plus personnelle dans cet univers de papier et de mots? Cela ne va pas de soi, un grand lecteur n’étant pas nécessairement un bon auteur. Or, il arrive parfois que la trame d’une prose narrative profite de cette longue et riche expérience pour le plus grand plaisir des lecteurs.
Michel Lord est un professeur émérite
de littérature de l’Université de Toronto. Il est, entre autres, un expert du
roman gothique québécois (1837-1860), du discours fantastique et de la nouvelle
littéraire. Outre ses nombreux engagements universitaires, dont sa
collaboration à diverses publications, il a signé la chronique portant sur la
nouvelle littéraire dans Lettres québécoise pendant une quarantaine d’années;
il est adjoint de la revue University of Toronto Quarterly et
responsable de l’édition en langue française; et membre de l’équipe éditoriale
d’XYZ, la revue de la nouvelle. Notons qu’il a également collaboré à la
deuxième édition du remarquable dictionnaire<@Ri>The Oxford Companion to
Canadian Literature<@$p> (1997), hélas peu connu au Québec, et au récent <@Ri>Atlas
littéraire du Québec<@$p> (Fides, 2020).
Ce n’est donc pas un nouveau venu
du milieu littéraire dont les éditions de la Grenouillère publient, dans la
collection « Vécu », une quarantaine de récits autobiographiques intitulés
Sortie 182 pour Trois-Rivières : récits de disparitions, catastrophe et
mille merveilles.
Ces histoires nous apprennent à
connaître l’homme derrière cet impressionnant parcours. Nul doute qu’on y découvre
un être d’une grande spontanéité, capable de porter un regard critique sur la
société où il a évolué autant que sur lui-même. Ces arrêts sur des moments choisis,
de l’enfance à l’âge adulte, font un tour d’horizon de la vie d’un babyboomer
issu d’un milieu ouvrier qui gravit les marches d’un monde différent, à la
recherche d’un mieux vivre et d’un mieux-être, grâce et pour la littérature.
Comme il l’écrit : « ces tout petits fragments narratifs à travers
lesquels je rends compte à ma façon des beautés et des laideurs du monde qui a été
le mien et qui continue de l’être en ce siècle de misère. »
Nous ne sommes pas ici dans des
histoires surdimensionnées, l’auteur étant capable de donner l’heure juste sur
des réussites ou des échecs qui jalonnent sa vie comme la majorité d’entre nous.
J’ai envie d’écrire que Michel Lord déboulonne, à sa façon, le mythe de l’intellectuel
vivant sous une cloche de verre, ne s’intéressant pas aux contingences de la
vie quotidienne ou aux questions de société. Ainsi, les premiers événements
relatés illustrent l’époque où le jeune homme n’en finissait plus d’étouffer
dans son milieu de vie, tant familial que social. Le collégien découvrait le vaste
univers de la littérature et l’esprit de liberté qui s’en dégageait et qui l’inspirait.
Une question fondamentale surgit :
comment vivre son homosexualité avec une certaine sérénité, alors que, dans les
années 1960-1970, elle est considérée comme un mal guérissable ou, pire, une tare
irréparable? Pour contrer l’interdit, quoi de mieux que d’en user ou même d’en
abuser. C’est un peu la bohème du tout permis et de tous les abus – en sont-ils
vraiment? – que l’auteur raconte dans les pages consacrées aux années passées
dans la capitale nationale alors qu’il étudie à l’Université Laval et y
travaille. En deçà de cet esprit de carpe diem, il y a ses études et sa
rencontre avec Donald en 1974, celui qui deviendra son conjoint.
C’est à cette époque qu’il devient
professionnel de la recherche, travaillant auprès de professeurs réputés tels Jean
Marcel, Maurice Lemire, Aurélien Boivin, etc. L’auteur leur consacre plusieurs
brefs portraits ainsi qu’à des personnes qui ont marqué sa vie, une façon de
mettre en perspective sa personnalité et ses engagements à des moments précis
de son parcours et l’importance, parfois déterminante, de certaines rencontres.
Impossible de faire un tel bilan sans
qu’il soit question de ses parents. Dans une certaine mesure, ses parents correspondaient
au stéréotype des années 1950-1960 du milieu ouvrier. Mère à la maison, père au
travail. Une mère protectrice nourrissant de grandes ambitions pour ce fils lesquelles
passe impérativement par le cours classique, cet ultime rêve des parents de cette
époque qui voyaient là la voie royale pour se sortir de la misère socioculturelle
ancestrale. Un père muet, ne sachant que dire à son fils, mais néanmoins soucieux
de son éducation et de son développement. Michel Lord ne fait pas le procès des
siens, il les observe comme un adulte qui fait la part des choses. Les pages qu’il
consacre à son père sont particulièrement touchantes.
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