mercredi 23 décembre 2020

Michel Lord

Sortie 182 pour Trois-Rivières : récits de disparitions, catastrophe et mille merveilles

Montréal, de la Grenouillère, coll. « Vécu », 2020, 200 p., 28,95 $.

Voyage au-delà de soi

Après avoir passé la majeure partie de sa vie le nez dans les livres – à les enseigner, les recenser, collaborer à leur écriture, etc. – est-il normal qu’on veuille laisser une trace plus personnelle dans cet univers de papier et de mots? Cela ne va pas de soi, un grand lecteur n’étant pas nécessairement un bon auteur. Or, il arrive parfois que la trame d’une prose narrative profite de cette longue et riche expérience pour le plus grand plaisir des lecteurs.

Michel Lord est un professeur émérite de littérature de l’Université de Toronto. Il est, entre autres, un expert du roman gothique québécois (1837-1860), du discours fantastique et de la nouvelle littéraire. Outre ses nombreux engagements universitaires, dont sa collaboration à diverses publications, il a signé la chronique portant sur la nouvelle littéraire dans Lettres québécoise pendant une quarantaine d’années; il est adjoint de la revue University of Toronto Quarterly et responsable de l’édition en langue française; et membre de l’équipe éditoriale d’XYZ, la revue de la nouvelle. Notons qu’il a également collaboré à la deuxième édition du remarquable dictionnaire<@Ri>The Oxford Companion to Canadian Literature<@$p> (1997), hélas peu connu au Québec, et au récent <@Ri>Atlas littéraire du Québec<@$p> (Fides, 2020).

Ce n’est donc pas un nouveau venu du milieu littéraire dont les éditions de la Grenouillère publient, dans la collection « Vécu », une quarantaine de récits autobiographiques intitulés Sortie 182 pour Trois-Rivières : récits de disparitions, catastrophe et mille merveilles.


 

Ces histoires nous apprennent à connaître l’homme derrière cet impressionnant parcours. Nul doute qu’on y découvre un être d’une grande spontanéité, capable de porter un regard critique sur la société où il a évolué autant que sur lui-même. Ces arrêts sur des moments choisis, de l’enfance à l’âge adulte, font un tour d’horizon de la vie d’un babyboomer issu d’un milieu ouvrier qui gravit les marches d’un monde différent, à la recherche d’un mieux vivre et d’un mieux-être, grâce et pour la littérature. Comme il l’écrit : « ces tout petits fragments narratifs à travers lesquels je rends compte à ma façon des beautés et des laideurs du monde qui a été le mien et qui continue de l’être en ce siècle de misère. »

Nous ne sommes pas ici dans des histoires surdimensionnées, l’auteur étant capable de donner l’heure juste sur des réussites ou des échecs qui jalonnent sa vie comme la majorité d’entre nous. J’ai envie d’écrire que Michel Lord déboulonne, à sa façon, le mythe de l’intellectuel vivant sous une cloche de verre, ne s’intéressant pas aux contingences de la vie quotidienne ou aux questions de société. Ainsi, les premiers événements relatés illustrent l’époque où le jeune homme n’en finissait plus d’étouffer dans son milieu de vie, tant familial que social. Le collégien découvrait le vaste univers de la littérature et l’esprit de liberté qui s’en dégageait et qui l’inspirait.

Une question fondamentale surgit : comment vivre son homosexualité avec une certaine sérénité, alors que, dans les années 1960-1970, elle est considérée comme un mal guérissable ou, pire, une tare irréparable? Pour contrer l’interdit, quoi de mieux que d’en user ou même d’en abuser. C’est un peu la bohème du tout permis et de tous les abus – en sont-ils vraiment? – que l’auteur raconte dans les pages consacrées aux années passées dans la capitale nationale alors qu’il étudie à l’Université Laval et y travaille. En deçà de cet esprit de carpe diem, il y a ses études et sa rencontre avec Donald en 1974, celui qui deviendra son conjoint.

C’est à cette époque qu’il devient professionnel de la recherche, travaillant auprès de professeurs réputés tels Jean Marcel, Maurice Lemire, Aurélien Boivin, etc. L’auteur leur consacre plusieurs brefs portraits ainsi qu’à des personnes qui ont marqué sa vie, une façon de mettre en perspective sa personnalité et ses engagements à des moments précis de son parcours et l’importance, parfois déterminante, de certaines rencontres.

Impossible de faire un tel bilan sans qu’il soit question de ses parents. Dans une certaine mesure, ses parents correspondaient au stéréotype des années 1950-1960 du milieu ouvrier. Mère à la maison, père au travail. Une mère protectrice nourrissant de grandes ambitions pour ce fils lesquelles passe impérativement par le cours classique, cet ultime rêve des parents de cette époque qui voyaient là la voie royale pour se sortir de la misère socioculturelle ancestrale. Un père muet, ne sachant que dire à son fils, mais néanmoins soucieux de son éducation et de son développement. Michel Lord ne fait pas le procès des siens, il les observe comme un adulte qui fait la part des choses. Les pages qu’il consacre à son père sont particulièrement touchantes.

Sortie 182 pour Trois-Rivières raconte sans ambages « les disparitions, catastrophes et mille merveilles vécues » de la petite école Chapais du Cap-de-la-Madeleine à l’Uni­versité de Toronto, en passant par l’Université Laval et la ville de Québec. Je crois que la plus grande qualité de l’écrivain est de savoir rebondir devant l’adversité. Tout n’est jamais tout beau ou tout laid, car il semble toujours voir le faisceau du possible jaillir de ses lectures, de ses engagements professionnels et, bien entendu, de sa vie amoureuse. La vie quoi!, la sérénité en prime.

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