mercredi 30 décembre 2020

Nathalie Leclerc

Le cri de ma mère

Montréal, Leméac, 2020, 168 p., 18,95 $.

Le courage d’être heureuse

La voix de mon père, paru chez Leméac en 2016, a fait connaître Nathalie Leclerc qui y met en perspective son héros à « voix de violoncelle », ce père qui a squatté sa vie, de la petite fille à la femme qu’elle est devenue. Après le 8-8-88, jour du décès du grand Félix, elle a mis des années pour se libérer d’une peine dont les pleurs embuaient son existence ou provoquaient des vagues difficiles à surfer.


Aujourd’hui, l’autrice se tourne vers sa maman, Gaétane Morin, pour faire entendre Le cri de ma mère. Plus près du journal intime que du récit des relations mère fille, ces 160 pages sont la traversée sur un fil de fer d’une époque à une autre, du plus loin qu’on se souvienne à ce jour d’avant la mort de celle qui nous a prêté la vie.

Nathalie Leclerc met sa propre vie en pause et part s’installer avec ses trois garçons à Suresnes, dans la banlieue ouest de Paris. Cet éloignement de l’Île d’Orléans pour revenir à quelques lieues de Boulogne-Billancourt où elle est née semble un passage obligé pour retrouver cette raison d’être native transmise d’une mère à son enfant. Elle sait que cela existe pour avoir elle-même aimé sans condition, ses trois fils malgré les hauts et les bas d’une parentalité assumée. Ce séjour de deux ans en sol français lui permet d’aller vers diverses rencontres, importantes ou secondaires, et d’ainsi rattraper ou niveler un certain passé.

C’est aussi l’occasion de s’écrire, la voie royale du cœur à l’esprit narratif menant à une rédemption de soi à soi. Elle se sait capable d’exprimer par les mots son trop-plein de vie, Jean Royer, un ami de son père, l’ayant encouragé et promis d’être son premier lecteur.

Le séjour à Suresnes, ses allers-retours à Paris, ses séjours ailleurs en France, en Suisse, en Angleterre pour retrouver des autrefois servent de toile de fond à cette quête intérieure. Parfois, ce qui peut éveiller les souvenirs a perdu le lustre d’antan. Parfois, des découvertes embellissent son univers renouvelé, comme cette visite de la propriété de Claude Monet à Giverny ou l’appartement et le petit jardin d’Eugène Delacroix, place Fürstenberg à Paris.

L’appropriation de ses nouveaux repères de femme et de mère se fait avec, en arrière-plan, cette mère de plus en plus mal en point. La fragilité de la fille est devenue celle de la mère, Nathalie devient la mère de Gaétane. Heureusement, dans un moment de lucidité extrême, cette maman vulnérable reconnaît ne pas avoir été à la hauteur de ce à quoi un enfant, une fille est en droit de s’attendre d’une mère. Mais qui possède toutes les qualités du mythe matriarcal semble se demander la narratrice, ses trois fils lui permettant de mettre cette responsabilité en perspective?

La fin annoncée est triste, mais néanmoins annonciatrice d’une sérénité intérieure jusque là inconnue permettant de vivre sans le poids d’un passé défini par d’autres, même aimés. Ses fils, un amoureux et le quotidien à inventer sont comme un nouveau « p’tit bonheur ». On ne peut qu’espérer que ces passages obligés derrière elle, Nathalie Leclerc fasse aussi voguer le bateau de la fiction littéraire dont elle a le talent, La voix de mon père et Le cri de ma mère en étant de bons exemples.

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