François Hébert, collages, et Jacques Brault, texte et lettrines
est-ce qu’on s’égare?
Laval-des-Rapides, Le temps volé,
coll. « à l’escale de l’escriptoire », 2020, 64 p., 50 $.
Livre d’art et art du livre
Il m’est arrivé, à de rares occasions, de rendre compte de la parution, récente ou non, de ce qu’il est convenu d’appeler un livre d’art. Ce sont généralement des ouvrages à très petit tirage et qui ont la particularité d’être fait à la main. Illustrés ou non, ces livres sont imprimés sur des presses aux techniques anciennes. Un peu comme Les signes d’identité, texte de l’allocution prononcée par Gaston Miron à l’occasion de la remise du prix Athanase-David en 1983, et publiée aux éditions du Silence en 1991, tirée à 350 exemplaires numérotés, dont 30 hors commerce.
Je vous parle aujourd’hui de Est-ce
qu’on s’égare?, un recueil de proses poétiques écrit par Jacques Brault et illustré
par les collages de François Hébert, paru aux éditions Le temps volé, éditeur d’art
créé et dirigé par Marc Desjardins en 1995.
L’exercice à laquelle les auteurs
se sont livrés, le troisième du genre paru à la même enseigne, n’est pas banal.
François Hébert, écrivain et prof retraité de littérature de l’UdeM, tout comme
Jacques Brault, a proposé à son vis-à-vis 26 collages faits de matériaux
recyclés. La tentation me fut grande de regarder par-dessus l’épaule de l’artiste
et de faire référence à pareilles œuvres réalisées par Roch Plante, alias
Réjean Ducharme, dans Tropoux (Lanctôt, 2004). Les techniques se
ressemblent, certes, mais les collages sont de tailles totalement différentes.
Surtout, Plante n’ajoute aucun texte autre que le titre de la pièce, lequel est
lui-même un collage.
Nous sommes donc ailleurs en ce
qui concerne Est-ce qu’on s’égare?. Nous sommes les témoins d’une joute
de création où les protagonistes déplacent leur attention de l’un à l’autre, l’un
étant Hébert et l’autre Brault. Ainsi, le créateur des 26 collages les a soumis
à l’écrivain, lequel en a fait une description intuitive, déductive ou discursive.
En lisant la prose poétique de Jacques Brault tout en portant attention au collage,
nous pouvons suivre le cheminement sensoriel et intellectuel qui l’a inspiré.
De plus, chacun des 26 textes se conclut par deux vers introduits par un
adverbe pour souligner le rapport entre eux et la prose précédente. Puisque
chaque adverbe est unique, le lien entre prose et vers est également unique, ce
qui ajoute une difficulté supplémentaire pour le poète.
Restons-en aux mots pour souligner
que l’ensemble des lettrines – « première lettre d’un chapitre ou d’un
paragraphe, généralement ornée et plus grosse que les autres » – correspond
aux 26 lettres de l’alphabet sans suivre l’ordre habituel. Ces lettrines ont été
créées par l’écrivain Brault qui leur a aussi donné une couleur qui, dans la plupart
des cas, est représentative de ce que le collage lui a inspiré.
Dernier détail : on retrouve,
à la fin du livre, une table des 26 collages, à laquelle s’ajoute celui de la couverture
avant et arrière, qui précise qu’il s’agit des « titres d’origine donnés
par François Hébert et inconnus de Jacques Brault au moment de la composition
de son abécédaire ».
Puisqu’une image vaut mille mots,
je vous propose le collage et le texte figurant aux pages 14 et 15. M’est d’avis
que vous pourrez ainsi comprendre la technique des collages d’objets recyclés
et le lien entre la création plastique et l’invention littéraire. N'oubliez pas
d’être attentif à la lettrine – ici le I du mot intégralement – qui
marque le passage d’une expression artistique à l’autre tout en évoquant l’idée
initiale du texte.
Je reconnais que le travail d’édition
de Marc Desjardins mérite d’être souligné. Surtout qu’il faut avoir un tempérament
d’iconoclaste pour exercer pareil métier dont l’essence même est d’être peu ou
pas reconnu. Sinon, quelques folles ou fous des livres autrement inutiles,
société presque secrète dont je suis. Et cette forme d’entrepreneuriat que
pratique l’artiste Desjardins, est-ce qu’on s’égare? de François Hébert
et Jacques Brault illustre très bien.
Pour un autre point de vue sur la
maison et son créateur-directeur, je vous suggère de lire l’article de Dominic
Tardif, « Le noble but de ne pas encombrer » (https://lettresquebecoises.qc.ca/fr/article-de-la-revue/le-noble-refus-dencombrer),
paru dans le numéro 170 de la revue Lettres québécoises.
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