mercredi 27 novembre 2024

La poésie, mère de toutes les littératures

Je me lasse parfois de me faire raconter « une histoire fausse en faisant semblant qu’elle est véridique ». Je me tourne alors vers la mère de toutes les littératures, la poésie. Je vous invite à me suivre dans une visite guidée de quatre recueils récents d’écrivains au long cours.

Nous voilà devant Nuances de la saison (Écrits des forges, 2024) de Donald Alarie. Cet écrivain, aussi modeste que généreux de son art, a sous-titré son livre « octobre joliettain ». Cette déambulation dans quelques coins de la ville où j’ai grandi a piqué ma curiosité et, ma foi, je suis sorti ravi des observations du poète sur des parcs et des artères toujours vivants dans mes souvenirs. Surtout, c’est la finesse avec laquelle il dépeint ce qu’il voit et celle avec laquelle il communique l’émotion que cela soulève. Il a eu raison de mettre en exergue ces vers du regretté N. de Bellefeuille – « oui, la claire simplicité des choses / plutôt que l’entière férocité du monde » –, car ils représentent la toile sur laquelle il projette ses mots et ses images qui nous habitent du début à la fin. À relire les vers, la nostalgie de l’automne de l’existence émerge tout en couleur et son odeur de feuilles mortes.

Éloignons-nous en direction d’Au passage du fleuve (Noroît, 2024) où Paul Chanel Malenfant nous attend. Encore sous le coup des émotions vives de Trop d’enfants sur terre paru en 2022, j’avais hâte de retrouver le poète sur la rive de son Saint-Laurent à partager toute sa majesté trop souvent banalisée. Je saisis cinq strophes du poème "Fonds marins" qui nous incitent à poursuivre la lecture de tout ce recueil : « Des oasis de la rêverie aux caveaux de familles, l’éternité a traversé le fleuve. / De la soif à la foi, le temps irrépressible s’est épuisé. / Dans les sortilèges de l’enfance et la mélancolie requiem, j’ai cherché l’oxygène des phrases. / J’avance désormais au pas, trébuchant parmi les missiles, les barbelés, l’artillerie des fureurs planétaires, / À la faveur de "la détresse et l’enchantement" du monde, il m’arrive d’apercevoir, fugitifs, inespérés et venus de nulle part, de brefs coups d’éclat de la lumière. »

Restons en territoire connu, celui que Jean-Marc Desgent trace avec les images fortes de ses poèmes. Les vers des Chants nordiques et chants mystiques (Poètes de brousse, 2024) sont graves comme la poésie sans gants de velours. « Essaie d’imaginer que quelqu’un là-bas chante et brûle. Tu peux mourir, revivre à chaque trente secondes, m’ont-ils dit en fermant les yeux. Dans quelques jours, à la clinique improvisée des tout-contre-bêtes, on m’annoncera la date de mon assomption. Je serai une minuscule fée blanche assise sur ton épaule gauche. Prenez soin de moi, pédestres, fileuses et hommes de pierre vivant. » Desgent cristallise l’horreur sur nos rétines. « Je refuse d’exister pour vrai. Au contraire, j’existe refusé dans ce siècle ou au-delà, j’imagine mal la sainte nuit de paix, le plus talus de neige occulte de mon sur-animal, lui, l’autre qui sait lui, mois, c’est mon guérisseur infatigable. Voilà pour le quoi, voilà pour le comment de la thérapie. J’ignore qui me frappe le tambour médicinal. » 

Depuis quand la poésie s’habille-t-elle de réalisme cru? Depuis toujours, car elle est d’abord un mode de vie, de toutes les vies. Bertrand Laverdure suggère une épiphanie sous forme d’un Opéra de déconnexion (Mains libres, 2024) puisé dans la vastitude du chant lyrique. « Voilà. C’est au moyeu du vivant que l’opéra débute, dans les ruelles acceptables du chagrin. La déconnexion m’accapare. Le flux de ma pensée m’y contraint. Ne quittez pas ce livre trop tôt, je ne cherche qu’à retrouver l’épure dans le son de ma voix, le vertige conséquent derrière le mensonge cathartique. Je m’agite entre la section rythmique et les hautbois. » Ne serions-nous pas un peu le reflet du poète? « Je suis du matériel qui transite d’un entrepôt à l’autre. De leur île de jeunesse à leur port d’adulescence, mille pièces à conserver dans un puzzle cellulaire. L’obsolescence de mes parties distend mes contours, les râpes et les émousse. »

Nous voilà de retour à bon port prêts à rire de la tristesse de novembre, la poésie nous en protégeant de ses parfums interdits.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire