Guillaume Lavallée
Gaza avant le 7 : carnets
d’un siège
Montréal, Boréal, 2024, 240 p.,
24,95 $.
Une population kidnappée
Les changements climatiques brûlent la terre. Les haines ancestrales brûlent des populations à vif. Avant que nous mettions le feu à la planète et nourrissions les flammes pour nos seuls intérêts, avant que trop de nations alimentent leur colère, qui n’est pas celle de l’ensemble de leur population, il vaut mieux regarder la verdoyante nature et la paix fraternelle d’avant pour comprendre le désarroi dans lequel nous nous sommes plongés, une génération à la fois.
Je pense évidemment aux guerres
actuelles, particulièrement celle qui oppose Israël aux groupes armés qui,
dit-on, sont prêts à tout pour éliminer ce pays créé en 1948. Le premier
territoire dont la population est une victime collatérale de ces combats, ce
sont les Palestiniens habitant la bande de Gaza, près de la Méditerranée, à l’ouest
de la mer Morte. Or, Gaza a une histoire beaucoup plus longue et plus riche que
celle qu’on lui a imposée depuis le matin du 7 octobre 2023.
« Après seize ans de blocus
israélien, le Hamas a taillé une brèche dans la muraille qui la coupait du
monde pour attaquer Israël. Dans les heures qui ont suivi, l’armée israélienne
s’est lancée à l’assaut de Gaza pour y "anéantir" le Hamas. Depuis,
les morts se comptent en dizaines de milliers. Et demain, il ne restera plus
rien de Gaza comme on l’a connue.
Peut-on être nostalgique de ce
qui était intenable? »
Réglons une chose
immédiatement : l’essai de Lavallée ne fait pas l’apologie du terrorisme.
Il met en perspective ce qu’a été, des siècles avant, la population de cette
terre allant même jusqu’à l’époque lointaine où ses ancêtres se sont installés
sur ce territoire.
Un mot d’abord sur l’auteur.
« Né à Québec, Guillaume Lavallée est journaliste. Il a été correspondant
de l’Agence France-Presse (AFP) au Pakistan et en Afghanistan, chef des bureaux
de Khartoum et, plus récemment, de Jérusalem. Il est aussi cofondateur du Fonds
québécois en journalisme international (FQJI). Il a publié Dans le ventre du
Soudan (Mémoire d’encrier, 2013) et Drone de guerre (Boréal, 2017),
tous deux finalistes au prix Albert-Londres, ainsi que Voyages en Afghani
(Mémoire d’encrier, 2022). »
En professionnel de l’information,
Lavallée débute son ouvrage par une mise en situation en rappelant des
événements qui ont marqué Gaza et Israël de 1967 à 2023. J’en retiens deux.
D’abord, les accords d’Oslo (1993-1995), où Israël et l’Organisation de
libération de la Palestine (OLP) de Yasser Arafat se reconnaissent mutuellement
et signent une déclaration de principes portant sur une autonomie palestinienne
transitoire de cinq ans. Nombre de ces résolutions ne seront jamais appliquées
et la période transitoire ne mènera pas à la création d’un État
palestinien. » Puis, en 2007, après « avoir connu de vives tensions
avec le Fatah [Organisation politique et militaire palestinienne] de Mahmoud
Abbas, le Hamas prend le contrôle de la bande de Gaza à l’issue de combat qui
font plus de 150 morts. Le Parlement palestinien est suspendu. Israël impose un
blocus à la bande de Gaza sous contrôle du Hamas. »
Ces deux événements révèlent que
la population gazaouie a eu peu ou pas à dire sur la prise de pouvoir politique
et militaire du Hamas, leurs dirigeants élus ayant baissé les bras devant la
toute-puissance de l’organisation terroriste dont le but ultime n’est rien de
moins que l’anéantissement complet d’Israël et de sa population, les première
et deuxième intifadas (lutte menée à jets de pierre par les jeunes Palestiniens
contre les Israéliens) n’étant que les précurseurs d’actions plus destructrices,
l’événement tragique de 2023 étant, à ce jour, le point culminant.
Le journaliste Lavallée se
souvient d’une visite dans un hôpital de Gaza où, accompagné d’un photographe,
le nombre de blessés est ahurissant alors que le bruit des explosions à
proximité ressemble presque à un orage. Yamin, un enfant au bras tordu, seul
survivant de sa famille, lui crie de s’en aller, de le laisser en paix et de
cesser de photographier leur malheur. L’essayiste écrit à sa mère :
« ce que tu vois, ce que l’on montre, ce que l’on veut te montrer, est
déjà édulcoré, esthétisé, filtré. Tout ça pour te ménager. Pour que tu ne
détournes pas le regard. Ces jours de guerre à Gaza, je passais derrière
l’épaule de mes collègues photographes, étrangers comme palestiniens, pour
jauger le décalage entre ce que nous avions vu et ce qu’ils envoyaient à leur
rédaction. Il y avait des images crues, insoutenables, à ras le réel, qu’ils
gardaient pour eux, en eux. »
Le journaliste revoit plus tard
le garçon et sa famille adoptive. Cette dernière lui raconte les premiers mois
après que l’enfant s’est installé chez eux, les opérations de reconstruction de
son bras, mais surtout ces nuits à faire des cauchemars lui rappelant les
bombardements. « Mais une question me suivait toujours : comment se
fait-il qu’un enfant de huit ans rêve d’escalader un mur pour être libre? Mais
qu’est-ce que vivre en état de siège? Et de quoi Gaza était-elle vraiment le
nom? Était-ce une à ciel ouvert comme le veut le lieu commun? Un repaire de
terroristes menaçant l’existence même du seul État à majorité juive au monde?
Un Hamasland? Un no man’s land juridique? Un zoo humain? Un ghetto? Un canton?
Un point noir sur le visage du Moyen-Orient? Un laboratoire où l’armée
israélienne testait ses armes, ses technologies de contrôle et de surveillance
des corps et des âmes? Un État palestinien atrophié? Le plus grand camp de
réfugiés au monde? Un purgatoire? »
Bien téméraire quiconque répond à
ces questions, mais alors pourquoi ne pas s’intéresser à plus grand encore,
c’est-à-dire à l’Histoire même de Gaza, notamment celle de sa population à la riche
culture dont les découvertes archéologiques les plus récentes, celles d’avant
202, révélaient un monde plus grand que nature. Or, la guerre actuelle a
détruit les éléments architecturaux découverts visibles ou sur le point de
l’être, ainsi que divers objets révélant l’art de l’utilitaire magnifié.
Cet univers pouvant appartenir au
Patrimoine universel tel que l’UNESCO le définit, tant matériel qu’immatériel –
dessins ou sculptures par exemple – mais qui ont été détruits par les pluies de
projectiles sans cessent répéter.
Je termine cette recension exactement un an après les événements que l’on sait et l’acharnement à la répression que d’innocents Gazaouis et Libanais subissent depuis. Je ne mets pas en doute le droit d’Israël à se défendre, mais sa détermination à refuser à une population le droit de vivre en paix sur son propre territoire, afin de lui faire payer le prix des violences de groupes armés de sa communauté. J’ai l’impression que la pensée manichéiste de tous les partis dans un combat insoluble et sans issu ira jusqu’à créer un immense fossé dont le vide ne sera jamais rempli par des femmes et des hommes de bonne volonté.
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