mercredi 11 décembre 2024

Rebecca Makonnen

Dans mon sang

Montréal, Libre expression, 2024, 232 p., 27,95 $.

De l’indifférence au tout-savoir / La vérité, toute la vérité : laquelle?

Trop d’informations banalisent les événements, en détournent la signification jusqu’à ce que celle-ci devienne inextricable. Ainsi, les chroniqueurs littéraires en viennent parfois à confondre l’imaginaire des fictions et la vérité du récit autobiographique. Arrive alors, inopinément, un livre qui les confond, les entraînant dans la spirale de son propos. Cela m’est arrivé en lisant le récit autobiographie de Rebecca Makonnen, Dans mon sang.


D’entrée de jeu, l’animatrice radio affirme haut et fort être la fille de la Québécoise Virginie Michaud, une rousse aux yeux bleus, et du médecin l’éthiopien Adunya Makonnen (né en 1932). Elle infirmière, lui médecin se sont rencontrés en milieu hospitalier montréalais. Le couple a eu une fille, Sophie, et Rebecca fut adoptée. La quête identitaire de cette dernière a mis du temps à émerger, car, à l’adolescence, elle a voulu se perdre dans la masse malgré la couleur de sa peau.

D’où vient alors son besoin, urgent depuis le décès de sa mère, de remonter le fil du temps? Comment effectuer ce voyage originel quand on ne dispose que d’informations éparses, très fragmentaires? Le teint de l’auteure, semblable à celui de la journaliste Azeb Wolde-Giorghis avec qui elle partage ses origines éthiopiennes, lui est souvent reproché, mettant en doute sa véritable appartenance à la communauté noire.

Pour un personnage public, évoluant dans un univers où l’appropriation culturelle est une faute grave, il est impératif d’être plus vrai que vrai, avoir la certification « pure race » inscrite dans son sang, ses gènes. En sommes-nous rendus à considérer l’animalité des êtres plutôt que son humanité? Quelle bêtise, c’est le cas de le dire?

Malgré qu’il ne soit pas simple de remonter à tâtons la nébuleuse du temps – époques et lieux –, c’est l’aventure que Rebecca M. a entreprise et qu’elle partage avec nous d’une découverte à l’autre, un pas en avant, un pas en arrière. La vérité, toute la vérité : laquelle? jusqu’où mène-t-elle?

Enfant et adolescente, elle a entendu sans grand intérêt ce que sa mère et sa sœur lui ont dit de ses origines. Depuis le décès de sa mère décédée, il y a 10 ans, Makonnen dispose des souvenirs qu’elle a laissés à ses deux filles. Ces boîtes sont de véritables coffres au trésor, car elles recèlent un butin généalogique si éparpillé qu’une chatte y perdrait ses chatons. Ne sont-elles pas aussi de véritables boîtes de Pandore qu’il faut dépouiller avec beaucoup de circonspection? Ce qui manque à l’auteure, c’est ce fil conducteur qu’elle croyait avoir trouvé jadis, mais qui s’avère maintenant très fragmentaire.

D’abord, son père. « Ç’a pourtant été facile de lui vouer un culte : je l’ai à peine connu, il est mort quand j’avais deux ans. » Oublions Œdipe et son complexe, son père est plutôt pour elle une idole élevée à son panthéon personnel, comme ceux que nous nous créons parfois. « Je suppose que notre dynamique était celle d’un père en proie à de nombreuses culpabilités : celle d’avoir trompé son épouse, celle d’avoir engrossé une collègue, celle de laisser la première avec l’enfant de la deuxième, celle de mourir d’un cancer du pancréas alors qu’il était médecin, celle de négliger son aînée, devenue femme. »

Sophie, la sœur aînée de Rebecca, est « la seule personne qui peut répondre à mes questions, c’est la seule qui possède les morceaux manquants du casse-tête. » C’est ce qu’elle croit au début de sa quête, ce que semblent lui confirmer les articles de journaux portant sur son père que sa mère a légués. Cet homme est un être complexe dont la vie est tout, sauf un long fleuve tranquille. Issu d’une famille miséreuse, son propre père avait de l’ambition pour lui et, malgré tout, la médecine ne lui était pas interdite. L’Éthiopie des Makonnen est celle de Hailé Sélassié, l’empereur souhaite faire étudier les garçons les plus brillants et déterminés dans les meilleures écoles de la planète. C’est pourquoi Adunya Makonnen va aux États-Unis avant de passer par l’Université McGill, à Montréal. Obligé de rentrer en terre natale, il y amène son amoureuse Virginie, non sans qu’ils se soient épousés à Londres, d’autant plus qu’un enfant est en gestation dans le ventre de la mariée.

Les choses se bousculent en Éthiopie. La proximité du médecin et du chef d’État, alors que la révolution se fomente, lui cause préjudice. Malgré cela, il ne veut qu’une chose : venir en aide aux siens. On loue son dévouement et sa disponibilité en tous lieux et dans toutes conditions. Malgré cet altruisme reconnu, à la maison, c’est un tout autre homme, comme si sa bonté et sa bienveillance restaient au vestiaire.

Du côté de Virginie Michaud, la mère de Sophie et de Rebecca, la vie n’est pas simple, car une union mixte n’est toujours pas bien vue dans le pays de son époux. De nature indépendante, elle trouve difficile d’être cantonnée dans le rôle d’épouse et de mère. Le climat sociopolitique éthiopien n’aide en rien, au point où elle doit s’éloigner temporairement du pays en laissant Sophie auprès de son père; c’est cette adolescente qui va devoir prendre soin de l’enfant Rebecca, une enfant née de la relation adultérine de son époux et d’une collaboratrice qu’elle a accepté d’accueillir, une enfant prénommée Rebecca.

C’est-là l’essentiel de ce que cette dernière connaît de ses parents. Poursuivant sa quête, elle apprend d’autres détails, certains l’éclairant sur la vie des siens, d’autres dépassant largement ce qu’elle pouvait imaginer. La piste sur laquelle elle s’engage désormais doit la mener jusqu’à sa mère biologique, espère-t-elle. Sa sœur Sophie ne semble pas pouvoir l’aider sur ce sujet, à moins qu’elle préfère protéger Rebecca contre elle-même.

Traverser un ruisseau torrentueux n’est jamais chose facile, s’y aventurer compte une part de risques : cette image résume la recherche de sa mère biologique. Entre-temps, elle a ce qu’elle croit être une idée de génie : faire analyser le sang de sa sœur et le sien pour s’assurer d’avoir le même ADN paternel. Sophie hésite à accéder à cette requête, incertaine de ce que le résultat de ce test lui apportera. Elle finit par accepter et sa crainte s’avère juste : ce que Rebecca apprend est plus déboussolant que tout ce qu’elle a imaginé. Cela se résume ironiquement par ce passage de « Scandale dans la famille », une chanson française intitulée de Sacha Distel (1966) : « Ton père n'est pas ton père / Et ton père ne le sait pas ».

Que retenir de ce voyage initiatique auquel Rebecca Makonnen nous convie avec générosité et une certaine naïveté, sinon que toute quête identitaire, aussi juste soit-elle, n’est pas sans risque. Des enfants adoptés sont souvent sortis blesser de la recherche ou de la découverte de leurs parents biologiques. Il faut donc s’assurer d’être prêt à relever des pierres qui cachent des secrets de famille pouvant être plus bouleversants que toutes attentes. Ne soyons pas que spectatrices ou spectateurs de la quête de la narratrice et retenons que toute recherche identitaire comporte des risques insoupçonnés.

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