Rebecca Makonnen
Dans mon sang
Montréal, Libre expression, 2024,
232 p., 27,95 $.
De l’indifférence au tout-savoir / La vérité, toute la vérité : laquelle?
Trop d’informations banalisent les événements, en détournent la signification jusqu’à ce que celle-ci devienne inextricable. Ainsi, les chroniqueurs littéraires en viennent parfois à confondre l’imaginaire des fictions et la vérité du récit autobiographique. Arrive alors, inopinément, un livre qui les confond, les entraînant dans la spirale de son propos. Cela m’est arrivé en lisant le récit autobiographie de Rebecca Makonnen, Dans mon sang.
D’entrée de jeu, l’animatrice radio affirme haut et fort être la fille de la Québécoise Virginie Michaud, une rousse aux yeux bleus, et du médecin l’éthiopien Adunya Makonnen (né en 1932). Elle infirmière, lui médecin se sont rencontrés en milieu hospitalier montréalais. Le couple a eu une fille, Sophie, et Rebecca fut adoptée. La quête identitaire de cette dernière a mis du temps à émerger, car, à l’adolescence, elle a voulu se perdre dans la masse malgré la couleur de sa peau.
D’où vient alors son besoin,
urgent depuis le décès de sa mère, de remonter le fil du temps? Comment
effectuer ce voyage originel quand on ne dispose que d’informations éparses, très
fragmentaires? Le teint de l’auteure, semblable à celui de la journaliste Azeb
Wolde-Giorghis avec qui elle partage ses origines éthiopiennes, lui est souvent
reproché, mettant en doute sa véritable appartenance à la communauté noire.
Pour un personnage public,
évoluant dans un univers où l’appropriation culturelle est une faute grave, il
est impératif d’être plus vrai que vrai, avoir la certification « pure race »
inscrite dans son sang, ses gènes. En sommes-nous rendus à considérer l’animalité
des êtres plutôt que son humanité? Quelle bêtise, c’est le cas de le dire?
Malgré qu’il ne soit pas simple
de remonter à tâtons la nébuleuse du temps – époques et lieux –, c’est l’aventure
que Rebecca M. a entreprise et qu’elle partage avec nous d’une découverte à l’autre,
un pas en avant, un pas en arrière. La vérité, toute la vérité : laquelle?
jusqu’où mène-t-elle?
Enfant et adolescente, elle a entendu
sans grand intérêt ce que sa mère et sa sœur lui ont dit de ses origines. Depuis
le décès de sa mère décédée, il y a 10 ans, Makonnen dispose des souvenirs
qu’elle a laissés à ses deux filles. Ces boîtes sont de véritables coffres au
trésor, car elles recèlent un butin généalogique si éparpillé qu’une chatte y
perdrait ses chatons. Ne sont-elles pas aussi de véritables boîtes de Pandore
qu’il faut dépouiller avec beaucoup de circonspection? Ce qui manque à l’auteure,
c’est ce fil conducteur qu’elle croyait avoir trouvé jadis, mais qui s’avère
maintenant très fragmentaire.
D’abord, son père. « Ç’a
pourtant été facile de lui vouer un culte : je l’ai à peine connu, il est
mort quand j’avais deux ans. » Oublions Œdipe et son complexe, son père
est plutôt pour elle une idole élevée à son panthéon personnel, comme ceux que nous
nous créons parfois. « Je suppose que notre dynamique était celle d’un
père en proie à de nombreuses culpabilités : celle d’avoir trompé son
épouse, celle d’avoir engrossé une collègue, celle de laisser la première avec
l’enfant de la deuxième, celle de mourir d’un cancer du pancréas alors qu’il
était médecin, celle de négliger son aînée, devenue femme. »
Sophie, la sœur aînée de Rebecca,
est « la seule personne qui peut répondre à mes questions, c’est la seule
qui possède les morceaux manquants du casse-tête. » C’est ce qu’elle croit
au début de sa quête, ce que semblent lui confirmer les articles de journaux portant
sur son père que sa mère a légués. Cet homme est un être complexe dont la vie
est tout, sauf un long fleuve tranquille. Issu d’une famille miséreuse, son
propre père avait de l’ambition pour lui et, malgré tout, la médecine ne lui
était pas interdite. L’Éthiopie des Makonnen est celle de Hailé Sélassié, l’empereur
souhaite faire étudier les garçons les plus brillants et déterminés dans les
meilleures écoles de la planète. C’est pourquoi Adunya Makonnen va aux
États-Unis avant de passer par l’Université McGill, à Montréal. Obligé de
rentrer en terre natale, il y amène son amoureuse Virginie, non sans qu’ils se
soient épousés à Londres, d’autant plus qu’un enfant est en gestation dans le
ventre de la mariée.
Les choses se bousculent en
Éthiopie. La proximité du médecin et du chef d’État, alors que la révolution se
fomente, lui cause préjudice. Malgré cela, il ne veut qu’une chose : venir
en aide aux siens. On loue son dévouement et sa disponibilité en tous lieux et dans
toutes conditions. Malgré cet altruisme reconnu, à la maison, c’est un tout
autre homme, comme si sa bonté et sa bienveillance restaient au vestiaire.
Du côté de Virginie Michaud, la
mère de Sophie et de Rebecca, la vie n’est pas simple, car une union mixte n’est
toujours pas bien vue dans le pays de son époux. De nature indépendante, elle trouve
difficile d’être cantonnée dans le rôle d’épouse et de mère. Le climat
sociopolitique éthiopien n’aide en rien, au point où elle doit s’éloigner temporairement
du pays en laissant Sophie auprès de son père; c’est cette adolescente qui va
devoir prendre soin de l’enfant Rebecca, une enfant née de la relation adultérine
de son époux et d’une collaboratrice qu’elle a accepté d’accueillir, une enfant
prénommée Rebecca.
C’est-là l’essentiel de ce que
cette dernière connaît de ses parents. Poursuivant sa quête, elle apprend
d’autres détails, certains l’éclairant sur la vie des siens, d’autres dépassant
largement ce qu’elle pouvait imaginer. La piste sur laquelle elle s’engage désormais
doit la mener jusqu’à sa mère biologique, espère-t-elle. Sa sœur Sophie ne semble
pas pouvoir l’aider sur ce sujet, à moins qu’elle préfère protéger Rebecca contre
elle-même.
Traverser un ruisseau torrentueux
n’est jamais chose facile, s’y aventurer compte une part de risques : cette
image résume la recherche de sa mère biologique. Entre-temps, elle a ce qu’elle
croit être une idée de génie : faire analyser le sang de sa sœur et le
sien pour s’assurer d’avoir le même ADN paternel. Sophie hésite à accéder à cette
requête, incertaine de ce que le résultat de ce test lui apportera. Elle finit
par accepter et sa crainte s’avère juste : ce que Rebecca apprend est plus
déboussolant que tout ce qu’elle a imaginé. Cela se résume ironiquement par ce
passage de « Scandale dans la famille », une chanson française
intitulée de Sacha Distel (1966) : « Ton père n'est pas ton père / Et
ton père ne le sait pas ».
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