Dominique Fortier
Notre-Dame de tous les
peut-être
Montréal, du passage, coll.
« Poésie », 92 p., 21,95 $.
La poésie, voie parallèle d’un récit
La romancière Dominique Fortier se fait poète le temps d’un recueil, y scrutant les profondeurs des mots, chacun ayant une histoire différente selon le contexte et l’usage qu’on en fait, sinon ce qu’ils évoquent. Ce recueil de poésie en prose, Notre-Dame de tous les peut-être, est né, de dire l’écrivaine, du même cycle d’imaginaire que La part de l’océan (Alto, 2024), sa poésie étant la voie parallèle du récit, l’un faisant écho à l’autre.
Cela m’a rappelé Les poèmes du traducteur, un ouvrage du regretté Michel Garneau dont les vers, aussi libres que l’écrivain lui-même, lui furent inspirés alors qu’il traduisait Book of Longing de son ami d’enfance Leonard Cohen, devenu Livre du constant désir.J’étais curieux d’observer l’incursion
que Mme Fortier allait faire au pays où le mot fait foi et loi de tout, un peu
à la façon dont j’ai observé Daniel Bélanger – auteur-compositeur-interprète –
empruntant la voie de la prose narrative pour moduler une histoire imaginée, Auto-stop
(Les Herbes rouges, 2024).
Le point de rencontre entre Notre-Dame
de tous les peut-être et La part de l’océan est l’absence du
dédicataire à qui les propos sont adressés. Pour Melville, c’est Hawthorne,
pour la romancière, c’est un personnage miroir qui l’accompagne dans son
processus de création. Simon, à qui elle s’adresse pour émerger de l’univers de
Melville, n’est jamais nommément identifié dans sa poésie, demeurant ce témoin
silencieux qui la rassure.
D’entrée de jeu, une image nous
amène à New York, en août 1974, alors que le « funambule Philippe Petit
est monté… sur le toit de l’une des tours du World Trade Center » (7). Après
avoir tendu un fil reliant l’une à l’autre, il s’y engage en suivant l’oscillation
des tours bercées par le vent, tel un danseur suivant le rythme de sa compagne
ou de son compagnon. C’eut été un exploit si Petit n’avait effectué qu’un
simple aller-retour, mais il a recommencé le même manège trois fois, faisant fi
du destin. Les mots du poème traduisent aussi bien le défi que le funambule s’est
imposé que la répétition du geste qui banalise sa propre part du risque.
Le même acrobate avait déjà fait
une semblable traversée en reliant les clochers de Notre-Dame-de-Paris – cette
cathédrale qui a inspiré Hugo bien avant qu’elle soit la proie des flammes. C’est
devant ce décor de grande blessée que la poétesse s’arrête, découvre
Shakespeare & Company, cette librairie mythique crée par Sylvia Beach en
1919, aujourd’hui sise au 37, de la Bûcherie, « kilomètre zéro » de
la Ville lumière. Surtout que c’est là que « Je suis arrivée au
commencement de cette histoire. »
Cette flânerie parisienne est l’occasion
de se lancer dans un monologue avec le dédicataire de sa poésie comme il le fut
de sa prose bien qu’ils soient « si étrangers encore qu’il faut franchir
un océan pour nous séparer. »
Dans le poème " Des
mots et des choses ", elle suggère qu’il y a, dans toutes les
langues, des phrases qui « ont le pouvoir de faire advenir ce qu’elles
énoncent, par le seul fait de l’énoncer… Ces phrases font ce qu’elles
disent. » Ultime exemple : « Je te mens… Voici comment on entend
habituellement le pacte à la base de tout roman, de toute poésie, de tout
ouvrage qui ne prétend pas dire "vrai"… Ce que l’écrivain devrait
annoncer, c’est : "Je te raconterai une histoire fausse en faisant
semblant qu’elle est véridique. Et tu me croiras pour vrai." »
Saviez-vous que les « livres
dorment en nous jusqu’à ce qu’un charme les réveille », du moins pour les
écrivaines et écrivains qui fusionnent rêves, réalités, souvenirs, imaginaires
et leur art d’écrire? Par exemple : « Un invalide y veille la femme
qu’il invente / en écrivant / les vraies tulipes qu’elle
lui offre / dans une boîte de poupée / leur parfum de
choses coupées / tous les vers qu’il n’écrit pas… »
L’écrivaine poursuit sa route en
puisant dans l’œuvre du Français Christian Bobin. Elle en retient que
« "C’est par incapacité de vivre que l’on écrit. C’est par nostalgie
d’un Dieu que l’on aime. Un livre, c’est un échec. Un amour, c’est une fuite… C’est
par incapacité de vivre que l’on écrit. C’est par amour d’une nostalgie que l’on
vénère. Un livre, c’est un amour. Un échec, d’est une fuite." »
Retour de l’ami témoin :
« Au début, il y avait ce livre que nous voulions faire ensemble, fantôme
avant que d’avoir existé… Aujourd’hui nous avançons vers ce livre qui n’existe
pas comme ces deux personnages de roman qui au plus fort de la tempête
"avaient convenu de traverser la ville en marchant l’un vers l’autre et de
se rencontrer au milieu". Sauf que nous n’habitons pas la même
ville… » « Quel est le mot qui te fera apparaître, dis-moi, ce n’est
pas ton nom, ni le mien. Et si nous changions, l’espace d’une journée? Le
silence aujourd’hui plus fort que l’océan, c’est le contraire d’un souhait, un
désaveu. » Remarquez l’opposition entre le vœu et son déni.
Le compagnon d’écriture revient à
divers moments de Notre-Dame de tous les peut-être, tel un refrain
rappelant le motif d’un poème ou d’une chanson. « Tu dis
peut-être / J’entends espoir // Tu dis suif / J’entends
/ cire // Tu dis je ne sais pas / Je n’entends plus
que ton souffle entre les mots, / la nuit entre les jours ».
Malgré cela, « Ces pages ne sont pas le livre que je voulais faire mais c’est
le seul que je puisse écrire, en une nuit j’ai perdu toutes les autres langues…
J’apprends à t’écrire comme on apprend à marcher, en trébuchant et en me
faisant mal. » Mais, « Nous ne nous connaissons pas. / J’ignore
jusqu’à la couleur de tes yeux – mais s’il fallait deviner, je dirais comme l’église :
pierre grise et silence, / Ce que je sais de toi, je l’ai lu dans tes
livres. Ou inventé, ce qui est presque – mais pas tout à fait – la même
chose. »
Pendant ce temps, la romancière
ne parvient pas à faire éclore ce livre qu’elle porte en elle. « Un autre
après-midi, j’ai marché le long de la Seine en écumant les kiosques des
bouquinistes sans savoir ce que je cherchais… J’attendais qu’un fil apparaisse
reliant l’endroit où je me trouvais à un autre lieu, une autre époque, un autre
cœur. Mon regard est tombé sur un recueil de nouvelles de cet auteur américain
du dix-neuvième siècle qui est l’un des personnages principaux du livre auquel
je travaille, une édition originale, parfaitement conservée. Mon roman m’avait
retrouvée. »
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