Mélissa Verreault
La nébuleuse de la Tarentule
XYZ, coll.
« Devenirs », 2024, 400 p., 29,95 $.
Arborescence narrative
Je lis lentement, car j’en ai fini avec la rapidité exigée durant mes années d’études et d’enseignement. C’est ce que je me suis permis de faire récemment en choisissant La nébuleuse de la Tarentule, un roman signé Mélissa Verreault.
Le titre interpelle, la tarentule
n’étant pas un animal de compagnie lové dans un vivarium, mais une araignée
venimeuse à la morphologie répugnante. Associer un phénomène météorologique à
un arachnide annonce une histoire telle une « toile constituée par un
réseau de fils de soie » capable de capter et de retenir notre attention dans
toutes les directions où le récit nous amènera.
L’élément nébuleuse est ce nuage
interstellaire qui s’installe au-dessus de la trame, annonçant une éventuelle
tempête. À ces deux images s’ajoute celle de l’arbre de vie de Mélisa Verreault
– Mélisa avec un seul « s » –, personnage principal et narratrice du
récit. Ici, la confusion entre l’écrivaine et son héroïne est volontaire, certains
traits de caractères et d’habitudes quotidiennes sont semblables, du moins
selon ce que la romancière affirme : « Les mensonges s’emboîtent les
uns dans les autres, ils sont des poupées russes, à la seule différence qu’il
devient impossible de dire lequel a engendré lequel. »
La trame est semblable au tronc d’un
arbre dont nous découvrons de nouvelles branches – la famille immédiate de la
narratrice –, mais aussi des racines ancrées d’aussi loin que la mémoire de cette
dernière peut se souvenir. Dieu sait que la mémoire de cette femme est
prodigieuse, à moins que ce soit cette dernière qui s’invente des souvenirs.
J’aurais pu intituler cette
recension « La crise de la quarantaine » : une rencontre
fortuite de Mélisa avec un béguin d’adolescence jamais avoué au camarade d’école
secondaire, Francis Bouchard. Il ne sera pas le seul représentant de cette
époque à ressurgir, ce qui permet à Mélisa de rappeler certaines frasques où
elle s’est laissée emporter par les occasions du moment, dont cette relation
sexuelle avec une amie.
Reprenons la métaphore de l’arbre
en observant le tronc qui soutient l’ensemble de la trame du roman. Il s’agit du
quotidien de Mélisa, de Franco son mari et de leurs triplées, Adèle, Léonie et Bénédicte.
Mélisa est une écrivaine en rupture d’inspiration, croit-elle du moins, mais
elle traverse surtout une période de spleen comme elle en a déjà connu. Cette
fois, ce mal-être va se transformer en une nostalgie lancinante de moments
marquants de son enfance jusqu’à ce jour. Ce que confirment sa rencontre et sa
relation avec Francis, appuyée par ce face-à-face avec Anne-Julie Genest, cette
camarade déloyale dont elle n’a pas oublié les prétentions qui l’ont blessée
plus profondément qu’elle ne l’eut cru.
Parmi la myriade de questions
qu’elle se pose dans un état presque second, celle-ci en illustre
plusieurs : « Nos vies ne sont-elles que des fac-similés de celles de
nos ancêtres? Le sillon qu’ils ont creusé est-il à ce point profond qu’il nous
est impensable d’en remonter les combles, d’en enjamber les crêtes pour
rejoindre d’autres tranchées? Ma vision de la loyauté n’est pas tout à fait la
même que celle de ma mère, j’ai la fidélité un peu plus flexible, mais mon
sentiment de culpabilité à l’égard de Franco n’en est pas moins poignant. Les
valeurs qu’on se choisit ne parviennent jamais à effacer complètement celles
inculquées dans l’enfance. » Cela s’avère dans les fréquents rappels que
la narratrice fait de son enfance, de ses sœurs jumelles et de son frère dans l’univers
de parents divorcés, mais toujours présents pour eux.
L’écrivaine a des lettres – par
exemple cette scène où Francis est agenouillé au pied du lit et « contemple
l’origine du monde » rappelant la célèbre toile de Gustave Courbet (1866)
– et elle ne se gêne pas pour glisser ça et là d’autres références culturelles
ou pour employer sciemment des figures de rhétoriques, ce que ses amies lui
reprochaient jadis. Cela sans oublier tous les calembours à-propos dont ceux-ci
venus tout droit de la mémoire de son enfance : « J’ai aussi su que
notre voisin est affilié à une gang qui s’appelle les Elle Zengels et que son
restaurant est juste une façade pour blanchir de l’argent. Je n’ai jamais vu de
billets blancs. »
Au chapitre des souvenirs
familiaux, ceux rappelant des moments précis de son enfance font généralement
œuvre utile, car ils illustrent adéquatement ceux plus récents. C’est le cas de
ses rapports actuels avec sa mère et son père, ce dernier lui occasionnant des
soucis depuis qu’il s’est mis à parler allemand, une langue dont elle ignorait
l’origine de son apprentissage, lequel vient du séjour de ses grands-parents
paternels à Lahr en Allemagne où Réal a débuté sa scolarisation; Mélisa ira au
bout de cette histoire comme pour se déculpabiliser de sa relation avec
Francis.
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