Stéphane Garneau
Le choix de se taire :
pour contrer le bruit incessant de la machine à opinions
Montréal, XYZ, coll.
« Réparation », 2024, 112 p., 19,95 $.
« Le bruit de la machine à opinion »
Deux sujets sont devenus autant
d’excuses pour colmater les maux de la société : la pandémie et les médias
sociaux. L’épidémie nous a rappelé sévèrement que nous ne sommes que des
humains qui n’ont pas réponse à tout, toujours, rapidement. En tirera-t-on
quelques leçons collectives? C’est à voir. Entretemps, il nous faut cesser d’en
faire un prétexte pour tous les maux de la terre.
Il en va autrement des réseaux
sociaux et de leurs avatars. Le journaliste Stéphane Garneau s’est penché sur
ce sujet dans un essai intitulé Le choix de se taire : pour contrer le
bruit incessant de la machine à opinion.
Son projet est clair : « À
une époque où l’infoanxiété causée par la surabondance de nouvelles et
d’opinions dans notre univers multiplateforme est de plus en plus manifeste, ne
serait-il pas judicieux à l’occasion, pour préserver son hygiène mentale et
surtout celle des autres, de réserver son opinion en se demandant si
l’expression publique de ce qui pourrait être évoqué autour de la machine à
café au bureau – ou pas du tout – contribue réellement à enrichir la
conversation… Avec cet essai de réparation, j’aimerais revaloriser le dialogue
intérieur, le recul, la réflexion et la discrétion au profit d’une conversation
publique plus intelligible. »
Vaste programme, néanmoins
incontournable si on veut ralentir – je n’ai pas l’imprudence d’écrire cesser –
la pollution qui émerge de l’ensemble des informations, vraies ou fausses, et des
opinions proposées par des néogourous sociétaux, appelés
influenceurs/influenceuses.
Que dire de la contamination provoquée
par les bruits ordinaires des villes ou même des campagnes du 21e siècle :
véhicules en tout genre, musique montant de la rue ou des appartements,
vociférations surgissant des piétons comme s’ils construisaient ou
démolissaient un vide absolu.
« Pour parler du silence et
du choix de se taire, je vais aussi m’intéresser au bruit. » Cela va de
soi, surtout si on considère sa conclusion qui résume les grands axes de
réflexion vers laquelle l’essayiste nous guide tout en nous suggérant des
pistes pour qu’on puisse, à notre tour, remettre en question un certain
verbiage inutile dans l’espace public. Pensons aux conversations téléphoniques d’un
locuteur dans les allées d’un super marché hésitant entre tel produit et tel
autre.
Du côté du silence, cette si rare
denrée, l’auteur y consacre la première des trois sections de l’ouvrage. Il en
étudie la complexité sous sept aspects, certains complémentaires. Que nous dit
l’injonction « une minute de silence, s’il vous plaît »? N’est-ce pas
là l’appel à un respect collectif face à un événement qui laisse peu ou pas
d’autres choix? Se souvient-on du « silence pandémique », ce spectre
qui a rôdé sur la planète en emmurant les humains et leurs animaux domestiques,
tout en laissant à la nature et aux animaux sauvages une liberté qui leur était
devenu si rare, sinon jamais? « Le travail à distance, l’amélioration du
réseau de transports publics et la diminution du nombre de voitures sur les
routes permettraient de réduire l’impact sur la biodiversité et notre empreinte
carbone, et les entreprises pourraient économiser de l’argent. »
Le « silence est un
luxe » que les biens nantis peuvent s’offrir. Néanmoins, le silence est
une des conditions sine qua non du pouvoir de la créativité dont les activités
peuvent difficilement se passer. Hemingway fait remarquer que « l’écriture,
à son meilleur, est une activité solitaire… [L’écrivain] grandit en stature
publique à mesure qu’il se débarrasse de sa solitude et souvent son travail se
détériore. » Selon G. Hempton, spécialiste états-unien de la bioacoustique,
« L’expérience d’espaces sans pollution sonore est aujourd’hui en voie de
disparition, sans même qu’on s’en rende compte. »
Et « marcher en silence »?
L’écrivain constate que dans « la marche, le malaise engendré par
l’absence de stimulation extérieure cède généralement la place à une diminution
du stress en phase avec l’attention que vous devez accorder à vos
mouvements. » En prime, la marche silencieuse « favorise la réflexion
et l’écriture », une pratique qui m’est familière entre la lecture d’un
livre et le premier jet de sa recension.
Il y a aussi « le silence
amoureux » qui, telle la communion du corps, des cœurs et des esprits, se
développe petit à petit et devient la manifestation express de moments de
plénitude amoureuse. C’est peut-être la forme la plus complexe du silence qui
ne cache rien et dit plus que tout autre discours.
Quant au « silence salvateur »,
la psychanalyse considère que « le silence est une fonction cognitive,
c’est l’environnement sonore dont nous avons besoin pour penser. Une fonction
clinicienne : le silence soigne. Son absence a des effets délétères
démontrés. Il y a un fardeau sonore qui cause des méfaits physiologiques,
psychologiques, neurologiques, somatiques… Ceux qui bénéficient du silence ont
moins de troubles comportementaux, de stress et d’anxiété. »
Le bruit! On comprend que jadis
les chevaux se cabraient à la pétarade des premiers véhicules à moteur. C’est
aussi la réaction de riverains à qui on impose les sons d’un concert lointain.
Encore, faut-il distinguer vacarme, tapage, distorsion, cacophonie qui
« sont des déclencheurs d’anxiété. » Garneau a raison d’écrire que
« notre évaluation et notre tolérance au bruit dépendent du contexte. »
La musique que l’on choisit nous fait du bien. « La musique nous permet
également de voyager dans le temps. Elle réveille des souvenirs… on se retrouve
instantanément ému par des images et des sensations, vestiges d’une autre
époque. »
« Le son des villes, le
bruit des champs » n’est pas un paradoxe, mais l’image sonore idyllique
que certains urbains se font. Erreur! Chaque milieu où vivent des humains est
ambivalent du côté des sons. Un voisin d’un complexe immobilier mal isolé
écoutera tôt le matin ou tard le soir une musique qui lui plaît, mais qui n’est
qu’agacement pour ses colocataires. De même que la paix campagnarde n’empêche
pas la machinerie agricole comme l’odeur du purin.
Alors, « Ville ou campagne?
Avantages et inconvénients ». L’essayiste suggère certaines précautions à
prendre avant de choisir de devenir campagnard si on est citadin, et vice
versa. « Selon les chiffres [récents] de la Banque mondiale, d’ici 30 ans,
le nombre actuel de citadins aura doublé et pratiquement sept personnes sur dix
dans le monde vivront en milieu urbain. » N’empêche, le bruit ou tout
autre son qui peut y est associé a une influence directe sur notre santé
physique et mentale. « Au Québec, on estime les coûts de cette surdose de
bruit à 680 millions de dollars par année… On inclut dans ce calcul les coûts
des soins de santé pour les personnes incommodées et la baisse de valeur
foncière des maisons construites près d’un aéroport ou d’un parc
industriel. »
Une dernière observation relative
au bruit : « télétravail et concentration ». Le télétravail fut
la grande découverte de la pandémie aux yeux de certains. Ils n’y ont vu que
des aspects positifs : un peu de travail, une brassée de linge, mettre un
plat à mijoter, un peu de travail, appel du bureau, un appel du conjoint… On a
oublié que des « millions d’années d’évolution ont conditionné notre
cerveau pour qu’il réponde aux bruits en augmentant notre rythme cardiaque et
notre pression sanguine, concentrant de l’énergie dans nos organes vitaux et
accroissant notre force musculaire. »
A-t-on « le choix de se
taire » ou n’est-il pas mieux de tourner sa langue sept fois avant de
s’exprimer? « À une époque où l’infoanxiété causée par la surabondance de
nouvelles et d’opinions dans notre univers multiplateforme est un enjeu de
santé publique, ne serait-il pas judicieux à l’occasion, pour préserver son
hygiène mentale et surtout celles des autres, de réserver son opinion en se
demandant si l’expression publique de ce qui pourrait être évoqué autour de la
machine à café – ou pas du tout – contribue réellement à enrichir la
conversation publique. »
Le propos du troisième chapitre
de l’essai – « le choix de se taire » – doit être entendu, car nous
traversons un véritable changement du climat du discours public qui dit tout et
son contraire. Il y a un mélange de genre qui confond information et rumeur,
cette dernière, grâce à la chambre à écho que sont les médias sociaux, tient
alors lieu de vérité. Jadis, certains disaient : « C’est vrai, c’est
écrit dans le journal. » On oublie alors l’esprit critique.
Stéphane Garneau met les réseaux
sociaux en perspective et observe les dérives – des fausses nouvelles aux
menaces directes – devenues coutumières. Il décrit sa manière d’être devant les
facebooks de ce monde et ses habitudes quant à leur usage. Ces seules pages
justifient de lire tout l’essai, car elles traduisent un mode d’emploi du
discours public dans le contexte des pas si nouvelles technologies de
l’information. Le choix de se taire devient alors une pratique salutaire.
En guise de conclusion,
l’essayiste propose trois scénarios d’un discours public relatif. Le premier
est tiré de « L’art de se taire, principalement en matière de
religion », un livre de l’abbé Dinouart (1716-1786) qui dicte « 14
principes nécessaires pour se taire. » L’auteur a retenu neuf de ces
règles, la première étant : « Il ne faut parler que si cela vaut
mieux que le silence. » Le second scénario – « Les médias sociaux et
les quais de la Seine au XIXe siècle – est une métaphore filée qui
illustre l’attitude du réseauteur observateur actuel à l’image d’un personnage
inventé se promenant jadis sur les quais de la Seine scrutant l’allure de ses
semblables sans commenter, comme le font de nombreux usagers de Facebook, de X,
etc. Enfin, « Plaidoyer pour la bienveillance » se résume
ainsi : « Les crises politiques, climatiques et sanitaires,
l’inflation, les guerres et les menaces aux libertés sont bien réelles. Mais la
place que nous leur accordons est responsable d’un climat anxiogène qui nuit à
l’esprit critique. »
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