François Gravel
Prendre la mort comme elle
vient
Montréal, Druide, coll.
« Reliefs », 2024, 256 p., 24,95 $.
Rêveries d’un François en promeneur solitaire
Que d’intimité dans ce titre que je réserve à quelques écrivaines et écrivains dont je crois connaître les œuvres. François Gravel fait partie de cette courte liste, car j’ai recensé la majorité de son impressionnante bibliographie, de la littérature jeunesse à celle s’adressant à leurs aînés. C’est avec une certaine fébrilité que j’ai retrouvé sa plume semblable à ces crayons à la pointe si fine qu’ils peuvent construire un monde imaginaire en moins de deux. Oui, oui, ces artistes ont surtout le talent de transformer ces formes et ces couleurs en une œuvre artistique. C’est justement ce que fait l’écrivain Gravel dans les pages de Prendre la mort comme elle vient.
Son nouvel opus est constitué de
trente-six miniatures représentant autant de flashes mémoriels, tous gravitant
autour de la date de péremption de l’être humain, sans l’anticiper plus qu’il
ne faut, en économisant son énergie à des activités constructives ou ludiques.
C’est là une des qualités
premières de Prendre la mort comme elle vient : être à la fois
sérieux et divertissant, une pointe d’ironie s’échappant lorsque le propos anticipe
trop en évoquant un futur improbable, à moins qu’il vive plus vieux que
Mathusalem. Si on me demandait de mettre un chapeau littéraire au livre, j’écrirais
qu’il est une miscellanée accueillant des histoires vraies, sinon probables. Je
pourrais également utiliser le terme d’éphémérides – un ouvrage relatant des
événements qui se sont produits le même jour de l’année à différentes époques –
mais ce serait usurpé l’usage qu’en fait l’écrivain qui l’emploie comme titre
d’un récit.
Pourquoi ai-je paraphrasé le
titre d’un ouvrage de J.-J. Rousseau (1712-1778) en tête de cette chronique?
L’écrivain Gravel souligne aimer marcher dans la nature, dans le secteur de
l’Île où son amoureuse et lui séjournent l’été. Ces randonnées sont propices à
la réflexion et laissent parfois s’agiter l’esprit de la création, loin de la
domesticité et de ses obligations. De là, l’idée de rêveries dans la solitude
comme un exercice d’hygiène de la pensée d’où jaillissent librement des
associations de mots, de souvenirs épars ou d’images libres de droits.
La nature intrinsèque d’une miscellanée
permet d’entrer directement dans le dire de l’auteur. Ainsi, l’écrivain se
rappelle ce que son éducation judéo-chrétienne lui a appris de la mort, de
l’inutilité du corps qui peut bien aller pourrir dans un cimetière ou brûlé dans
un crematorium, alors que l’âme monte aux portes du ciel où le grand
Saint-Pierre va la recevoir. On comprend que les services du saint homme sont
toujours en grande demande et que, comme les services de santé au pays, il faut
attendre. C’est pourquoi le narrateur Gravel préfère passer son tour cette fois
et mourir plus tard.
J’exagère à peine le propos du
premier tableau, "Le tunnel", qui amorce un périple tel le bilan
d’une vie bien remplie qui n’est pas prête à fermer les livres en passant
l’arme à gauche. Justement, au sujet des synonymes du mot mort, ils font
l’objet de la 15e miniature, "Lexique". « Il est
facile [écrit-il] d’éviter les répétitions quand on écrit à propos du sexe et
de l’argent : on dispose alors d’un vaste choix de synonymes,
d’euphémismes et d’expressions pittoresques. Il en va de même pour le verbe
mourir… Il faut cependant savoir dans quel contexte les utiliser. »
Je ne peux pas retenir ici chacune
des trente-six situations narratives. Je vais tout de même en retenir quelques
autres. Que dire de "Dyschronie", un mot que l’auteur m’apprend qui définit
« un trouble de la perception et du jugement temporels qui affecte la
représentation de la chronologie et l'évaluation de la durée »; bref,
« une difficulté à appréhender toute notion de temps. » Il arrive
ainsi que le jeune enfant ne rentre pas dîner comme on lui a demandé parce que
trop absorbé par le jeu auquel il s’adonne. Pour le narrateur, il lui arrive de
faire un saut dans le temps et de s’imaginer à 10 ans, alors qu’il a six ou
sept fois cet âge. Cette perspective lui fait revivre un bon ou même un mauvais
moment d’autrefois ou même de rayer de sa mémoire son âge véritable. Ici
cependant, ce jeu du hasard et du temps ramène à l’ultime instant où nous passons
de la vie au trépas, ce moment que nous voulons bien retarder.
Deux des récits ont pour thème la
chanson. "Dernières chansons" rappelle que « … contrairement aux
livres, dont on ne fait habituellement qu’une seule lecture, on réécoute les
chansons des dizaines de fois, jusqu’à s’en imprégner. » (79) Le palmarès
de l’écrivain compte les Léo Ferré, Jacques Brel, Barbara et, surtout Brassens
dont il dit : « Il aborde toujours le sujet avec un sourire en coin,
ce qui est peut-être la seule façon d’en parler sérieusement. » Le sétois
Brassens, enterré au cimetière de la ville situé sur le mont Saint-Clair à côté
de Paul Valéry, voit la Méditerranée tout proche : « Vous envierez un
peu l’éternel estivant / Qui fait du pédalo sur la vague en
rêvant / Qui passe sa mort en vacances. »
L’autre référence à la chanson s’intitule
"Last songs". Il allait de soi que l’écrivain fasse référence à
Leonard Cohen, John Lennon et Kate McGarrigle, tous trois ayant écrit, composé
et interprété une chanson prémonitoire. « You Want It Darker ». Note
à l’auteur : Cohen n’a pas eu le choix de faire un dernier disque et une
dernière tournée, car la gestionnaire de ses avoirs a vidé ses comptes –
« (Just Like) Starting Over » et « Proserpina ».
Que dire des pages d’"Ostende
2.0", sinon qu’elles rappellent un ouvrage du romancier paru 1994 dont il
fait brièvement revivre les personnages – Pierre-Paul, Jacques et Jean-François
– en rappelant l’essentiel de leur périple dans le roman et en les faisant revivre
maintenant, à 72 ans, autour d’un repas amical où la conversation s’anime
« lorsqu’ils parlent enfin de leurs enfants et de leurs petits-enfants,
qui, chacun à leur façon, essaient de changer le monde pour le rendre
meilleur. »
Le rideau tombe sur Prendre la
mort comme elle vient de façon originale. En effet, on y lit six citations
d’écrivains différents, chacun évoquant la fin de la vie. Je retiens l’ironie du
bédéiste belge Philippe Geluck : « Plus longtemps on est en vie et
moins longtemps on sera mort. »
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