Donald Alarie
Tous ces gens que l’on croise
Montréal, Pleine lune, coll.
« Plume », 2024, 136 p., 21,95 $.
« Vivre n’est pas une science exacte »
Que de gens nous croisons dans une vie! Déjà, dans la plus tendre enfance, cette dame qui nous regarde, envieuse, en route vers son boulot, alors que notre tricycle nous mène à l’aventure. Ce monsieur en bleus de travail, portant fièrement sa boîte à lunch au bout du bras comme un trophée du travail accompli pour nourrir et faire étudier ses douze enfants avec qui tu joues dans l’insouciance de l’âge.
Parmi tous ces gens rencontrés, l’écrivain
Donald Alarie nous en présente une trentaine, semblables à celles et ceux aperçus
sans vraiment les voir. Cet aveuglement involontaire laisse parfois des traces
qu’on découvrira, parfois de façon inopinée, comme cela survient dans certains
récits de Tous ces gens que l’on croise, son nouveau recueil de
nouvelles brèves.
Cette apparence d’indifférence à
l’endroit de nos semblables est rarement le fait d’une quelconque misanthropie,
mais du besoin d’un silence intérieur quand on parcourt les rues d’une ville de
province, ici vraisemblablement Joliette où M. Alarie a enseigné et où j’ai
moi-même grandi. Pourquoi une municipalité de cette dimension, sinon parce
qu’elle n’a généralement pas perdu son fond d’humanisme comme c’est souvent le
cas de plus grandes agglomérations.
Alors que la majorité des
histoires courtes que l’auteur nous fait partager sont le lot de femmes et
d’hommes plus âgés que jeunes, il n’est pas surprenant que certains détails les
concernant, de leur physique à leur psychisme, aient un côté suranné, ce que
j’ai d’ailleurs souligné pour un précédent ouvrage de l’auteur, Puis nous
nous sommes perdus (Pleine lune, 2017).
Il y a aussi quelques personnages
plus jeunes que la trame du récit fait vieillir en une ou deux pages,
l’essentiel étant la différence de leur personnalité comme dans « Frère et
sœur ». Cependant, la plupart des récits mettent en scène des aînés,
certaines et certains des retraités qui meublent leur quotidien d’activités qui
leur ont permis, au temps de la vie active, de ventiler leurs obligations
personnelles ou professionnelles. Ces passions jadis essentielles sont
désormais privilégiées à toute autre activité, comme si certains voulaient
rattraper un temps perdu dont ils ignoraient l’existence.
Les lectures, les expositions,
les concerts ou les voyages peuvent maintenant être planifiés à plus long terme
et, parfois, préparés pour en tirer le meilleur profit qui soit, car, oui, ils
peuvent être parmi les derniers qu’ils allaient faire.
Il y a aussi d’imprévisibles
surprises comme de rencontrer une âme sœur avec qui partager ce que la vie leur
a permis d’être. Cette femme distinguée croisée fréquemment qui semble parfois
toute vive, parfois totalement absente, l’avocate réputée qu’elle fut perdant
plus en plus le sens de la réalité, ce qui inquiète ses enfants.
Les gens de plus de soixante-cinq
ans sont un terreau fertile pour Donald Alarie. Par exemple, dans « La
liseuse », il y a cet homme qui depuis « près de cinquante ans, … ne
se déplaçait jamais sans un livre dans sa poche, souvent deux… Sans une liasse
de mots dans sa poche, il se serait senti démuni. » Un jour, ce lecteur
boulimique fait l’acquisition d’une liseuse, ce support technologique
permettant d’avoir à sa disposition presque autant de livres qu’on le souhaite,
le poids en moins. Il présente son nouvel appareil à son entourage et les
réactions que cela provoque illustrent la relation entre ces personnes âgées et
les technologies. Quant à lui, « Il avait maintenant le sentiment de se
déplacer avec un peu plus d’assurance, en sachant qu’il avait en poche une
dizaine de livres, parfois plus. Il ne se sentirait plus jamais seul avec tous
ces auteurs près de lui. C’était comme une famille! »
Une jeune poète est approchée par
un photographe d’expérience qui lui demande d’écrire quelques vers pour
accompagner chacune des photos qu’il a décidé d’exposer. S’il connaît bien
l’écrivaine, il « ne savait pas qu’elle était, en quelque sorte, en panne
depuis la parution de son dernier recueil quinze mois auparavant. » Hélas,
au bout de six mois, la poète déclara forfait, au grand dam de son
commanditaire. « Trouverait-il un autre écrivain qui aborderait la chose
de manière différente? Il se dit que le temps lui apporterait une réponse. Les
chemins de la création sont pleins de surprises, de joies et de déceptions. Il
le savait pourtant depuis longtemps. »
J’ai mentionné et répété que des
personnages racontés ont de l’âge. Il en va ainsi de Paul, au cœur de
« Jusqu’à quand? ». La maladie l’a frappé et cela a brisé le rythme
de vie qu’il s’était donné depuis qu’il vivait seul. Ne pouvant plus arpenter
dans le quartier comme il en avait l’habitude, il lui reste la fenêtre d’où
observer les allées et les venues du voisinage. « Voilà. C’est sa vie.
Jusqu’à quand? C’est ce que Paul se demande souvent, assis devant la fenêtre de
sa chambre. »
Un dernier récit qui a retenu mon
attention : « Les enviait-on? » « Elle vivait seule depuis
son divorce survenu dix ans plus tôt. Elle avait décidé qu’il n’y aurait plus
d’homme dans sa vie… Lui, de son côté, vivait seul également, depuis la
disparition de sa conjointe survenue douze ans auparavant… Et pour lui aussi,
il n’était pas question de refaire sa vie, comme on dit. » Ils se sont
croisés dans un café où ils avaient leurs habitudes. Un jour, l’endroit étant
bondé, ils durent partager la seule table disponible. « Ils échangèrent un
bref sourire. C’était le début de leur relation. » Trois semaines plus
tard, il l’invite à prendre un café chez lui, ce qu’elle accepte non sans que
cela la bouleverse. « Était-ce lors de la cinquième ou de la sixième
rencontre chez lui qu’il eut l’audace de la prendre dans ses bras avant qu’elle
ne le quitte?... Toujours est-il que par la suite, tout se précipita. Ils
n’auraient jamais pensé vivre une telle passion amoureuse à leur âge. » La
seule inquiétude qu’ils eurent fut cette question : « qui de nous
deux partira le premier? »
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