François Hébert
Si affinités, postface de
Nathalie Watteyne
Montréal, l’Hexagone, 2023, 80
p., 17,95 $.
Pour saluer François Hébert (1946-2023)
Nous faisons de remarquables rencontres à tout âge. Jeune, nous n’en mesurons l’importance que par le temps compter en heures de jeu. Vieux, nous en percevons la dimension à l’instant même. Il en fut ainsi lorsque nos amis Célyne Fortin et René Bonenfant nous présentèrent François et Nathalie autour d’une table bien garnie pour des agapes joyeuses et animées. Il y eut quelques autres repas en leur compagnie toujours aussi joyeux et animés. François, c’était François Hébert, universitaire retraité et écrivain polymorphe. Nathalie, c’était Nathalie Watteyne, universitaire active et aussi écrivaine polymorphe.
Je me souvins avoir recensé certains
des livres de l’une et l’autre. Récemment, ce fut Frank va parler (Leméac,
2023), roman de François H. dont je disais que, bien que les premières pages m’aient
pris au dépourvu, je me suis laissé emporter par les eaux vives de la narration.
La suite fut une errance imaginaire dans des univers tantôt convergents, tantôt
divergents, mais toujours distrayants. Après tout, qu’est-ce que la littérature
sinon ce qu’en conclut l’écrivain : «… la littérature consistant à écrire
des mots, c’est-à-dire à parler sans parler de gens qui ne sont pas là à des gens
qui ne sont pas là. On peut comprendre qu’on se cherche.»
À peine quelques jours après la
parution de cet article, j’apprenais le décès du romancier, à peine plus âgé
que moi. J’en suis encore troublé, car, bien que le connaissant si peu, j’ai
découvert en lui un homme plein de contradictions et de cohérences assumées à
travers ses pratiques littéraires et artistiques, dont les collages illustrant
des livres d’artiste partagés avec Jacques Brault.
J’ignorais en ce jour de mai 2023 que F. H. allait publier Si affinités (L’Hexagone, 2023), un recueil réunissant 65 poèmes comme autant de collages faisant du sens pour quiconque se laisse prendre par l’agilité des mots composant chacun d’eux comme la fluidité d’une aquarelle. 65 poèmes illustrant parfaitement l’alpha et l’oméga de la littérature que sont les mots et les images qui en jaillissent en donnant du sens dans toutes les directions.
La majorité des poèmes sont des
miniatures dont la tessiture tient autant dans leur brièveté, une page parfois
deux, que dans l’éclat de leur évocation. Voyez cet exemple : « mais
si on m’interpelle / quand je ne demande rien / n’étant pas
moins mort / c’est la fin / de ce qui n’aura pas
commencé / en ce poème / qui n’admet au tourniquet de la
parole / personne / à proprement parlé ». (12)
D’un poème à l’autre, j’ai eu la sensation
d’épier dans la cour d’un voisin imaginaire qui faisait exprès pour attirer mon
attention sur une image ou une métaphore ludique afin de partager la
fluorescence de ses mots. « quand tu mourras Miron de mort un jour / puisqu’il
t’a inventé caracolant à son image / Dieu ne va pas voir à travers
ses larmes / ne pourra se regarder dans le miroir / va devenir
fou / (les cabalistes l’ont assuré / vous allez voir) ».
(30)
Parmi tous ces vers que j’aimerais
tant partager ceux de « L’exposé », le plus long poème de l’ensemble –
plus d’une quarantaine de strophes réparties sur sept pages – est un récit abracadabrant
comme aurait dit le Miron. Un étudiant discourt alors que « le professeur
lui avait donné vingt minutes / l’étudiant n’a toujours par terminé
son exposé ». (37) Je tais la chute qui fait sourire comme les fables d’autrefois.
Le poème le plus court va ainsi :
« "Bref poème" à Réjean Ducharme – monté au ciel / à
vélo ». C’est là une autre façon de mettre en mots le collage de François
Hébert qui illustre la couverture, « Ducharme à bicyclette ». Il
arrive parfois d’ailleurs que l’écrivain se serve des mots comme s’ils étaient
des objets fabriqués de bric et de broc passant du disparate ou de l’incongru à
une réelle vérité, celle des lectrices, celles des lecteurs, celles des autres
comme celles du poète.
« Pochade » est de ceux-là :
« si un jour je m’enfarge / dans les fleurs du tapis des
apparences / j’aurai une petite pensée pour les
lueurs / dans les pastels du vieil Horace Champagne / perdant
la lumière de ses yeux / devant les petites fleurs des
champs / de sa campagne ». (60) Ou encore dans « Secret
partagé avec Buster Keaton » : « la poésie est le sixième
sens / que les dieux magnanimes confèrent / aux parfaits
idiots ». (61)
Je parlais récemment d’À
jamais (Noroît, 2023), le recueil posthume de Jacques Brault. Or, François
Hébert était très près de ce dernier avec qui il a coécrit quelques livres-objets.
Il allait de soi qu’il remercie Brault « pour sa lecture généreuse et
méticuleuse du manuscrit » (91) de Si affinités en l’évoquant dans le
poème intitulé « Nous promenant dans le Bas du fleuve » : « marchons
sur la grève de Saint-Siméon / avec Jacques cherchant / (c’est
un trouvère) / des bois flottés pour ses sculptures… » (78)
Je soulignais au début de cette
chronique avoir rencontré F. H. et sa compagne Nathalie Watteyne. C’est à cette
dernière que l’éditeur a confié la postface du recueil. À la fois brève fresque
périphérique de l’œuvre globalisante de François Hébert et regard oblique sur le
recueil dont elle souligne la littérarité autant que les croisées d’horizons que
le poète y évoque, elle enchâsse dans son propos l’absence de l’homme Hébert :
« Trop vite, trop jeune, tu es parti, et ta présence nous manque terriblement,
mais tu demeures, aimant et aimé, avec ton sourire profond, étincelant, qui
sait si bien rendre ses couleurs au monde, éclairées par la musique d’un cœur. »
(102)
Qui a dit que la poésie est insaisissable
n’a jamais lu François Hébert et sa façon de prendre à brasse-corps l’univers, tous
les univers. Pour remédier à cette incurie, rien de mieux que d’ouvrir Si
affinités et d’en saisir les mots et les bouquets d’images comme un
arc-en-ciel au lendemain des orages de l’existence.
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