mercredi 10 janvier 2024

Stanley Péan

Cartes postales d’outre-monde, illustrations de Jean-Michel Girard

Montréal, Mains libres, coll. « Nouvelles », 2023, 270 p., 34,95 $.

Des images et des mots : double plaisir

L’édition québécoise connaît, depuis quelques années, un renouveau, alors que l’imprimé est mis à mal. Les éditions Mains libres sont de cette nouvelle génération qui fait tourner les rotatives à vive allure. Depuis 2021, cette maison propose de la poésie – Stéphane Despatie son directeur littéraire ayant une solide expérience du domaine –, mais aussi des fictions, des essais et même des bandes dessinées. Près de quarante livres en peu de temps, c’est énorme, trop diront certains, mais la passion de ses dirigeants – outre S. Despatie, l’écrivaine Corinne Chevarier agit comme directrice administrative – n’a de cesse.

Stanley Péan, un auteur d’expérience, a publié à cette enseigne cinq ouvrages dont La plage des songes, un recueil de nouvelles d’abord paru en 1988 qui « révèle les fondations d’un univers sur lesquelles Stanley Péan a su construire une œuvre solide. Si l’écrivain a bien évidemment évolué au fil de ses trente-cinq ans d’écriture, soulignons qu’il écrivait déjà magnifiquement. »

Il a aussi collaboré avec Jean-Michel Girard, l’illustrateur de la bédé Fuites : Izabel Watson (tome 1, 2022). Lors de leurs rencontres de travail, Péan admira une suite d’illustrations de l’artiste lui rappelant l’illustrateur états-unien Norman Rockwell, le même qui éveilla, chez le jeune enfant que j’étais, l’intérêt pour les illustrations hyperréalistes.

Les illustrations de Girard méritaient d’être connues du grand public et l’écrivain Péan lui proposa de choisir 35 de ces œuvres autour desquelles il allait imaginer des histoires brèves, des nouvelles, ce genre qu’il pratique avec brio. Leur collaboration s’est concrétisée par la parution de Cartes postales d’outre-monde, un livre d’une remarquable qualité tant au niveau des illustrations, des histoires inventées que du travail d’édition et d’impression.

Le premier contact avec ce livre consiste à scruter attentivement, une à une, les illustrations afin de nous familiariser avec l’univers de Jean-Michel Girard et d’en apprécier pleinement son souci des détails hyperréalistes qui ont tous quelque chose de suranné en nous ramenant à une époque, pourtant pas si lointaine, où la femme était élevée au niveau d’un mythe sacré qu’on se devait d’admirer et de respecter en toutes situations, même fantasmées. Il en va ainsi des personnages imaginés par l’illustrateur qui sont magnifiés par les nouvelles écrites à l’aune des fictions classiques, fantastiques, de suspens ou relevant de science-fiction qu’ils ont inspirées à Stanley Péan.

À l’appui de cette harmonie, je retiens que les « illustrations originales de Jean-Michel Girard qui ont inspiré la majorité des fictions réunies ici (ainsi que les rares qui, à l’inverse, s’inspirent des textes de Stanley Péan) ne portent pas forcément le même titre que les nouvelles. » Dans ce cas, il s’agit d’une variation sur un même thème, rien à son opposé.

S’il est difficile de recenser et de rendre justice à un tel livre, notamment en raison de la variété des sujets abordés, il y a quand même des planches et des textes qui me semblent bien illustrés l’unisson de l’illustrateur et de l’écrivain. Il en va ainsi de « Londres sous la pluie » dont l’illustration représente un contrebassiste noir l’air dépité sous la pluie, ce qu’explique la prose du récit. Les indices du propos m’ont paru couler de source : un musicien de jazz, ce genre musical dont Péan est un aficionado comme Gilles Archambault ou le regretté Jean-Marie Poupart. Je n’ai pas fait fausse route, lisez : « Rares sont les mélomanes qui se souviennent de Spencer T. Johnson même si, au cours de sa brève carrière, le contrebassiste originaire du Kentucky s’est illustré aux côtés de plusieurs grands noms du jazz, du blues et du rhythm and blues… » (121)

Que dire de « Reviens en un morceau » dont l’illustration représente un soldat en train de lire une lettre d’Alex, son amoureuse, alors qu’il est en mission, en plein champ de bataille dans « les environs de Caen » (61), ville française à 14 km de l’Atlantique, et qu’il rêve de la rejoindre après la Seconde Guerre mondiale se terminer. Ce qu’il ignore, c’est qu’il servira de chair à canon pour l’avancée militaire des alliés que les Allemands repousseront.

L’illustration de la page couverture s’intitule « Je t’ai attendu des heures durant » et le récit qui l’accompagne, « Au-delà des montagnes ». Le nouvelliste y raconte l’histoire de Josie qui « ne pouvait distinguer que les Cascades, la chaîne de pics enneigés qui ceinturait Seattle » en attendant Adam Hille, son amoureux. Cela me semble un parfait exemple de la lecture que l’écrivain a faite du tableau de l’illustrateur, une compréhension qui va au-delà de ce que ce dernier a représenté.

Il y a parmi les trente-cinq planches certaines qui évoquent plus qu’elles ne représentent. C’est notamment le cas de cette chaise berçante défraîchie devenue « La "dodine" de maman ». Celle-ci représente l’habitude de Philibert de ramasser des « objets hétéroclites, de vieilleries disparates, pour la plupart dans un état lamentable » et qu’il accumule dans un chaos d’objets brinquebalants dans lequel, Nancy son amoureuse, peine à vivre. Mais la « dodeline », tirée de ce fatras, lui sera un jour une oasis que rien n’annonçait ou si peu.

Chaque fois que je tourne et retourne les pages de ce recueil, une image ou un paragraphe capte mon attention comme si je m’y attardais pour la première fois. Aussi bien dire que le travail conjugué de Péan et de Girard m’a charmé en me guidant dans des mondes singuliers malgré un contexte initial parfois banal. La complicité des deux créateurs que les images mis en mot ou les mots illustrés sont le résultat d’une lecture très personnelle comme lorsqu’une œuvre littéraire est portée au grand écran, le résultat ne peut être autre que la lecture qu’en fait le cinéaste.

1 commentaire:

  1. ''Lors de leurs rencontres de travail, Péan admira une suite d’illustrations de l’artiste...'' Je tiens à préciser que ces illustrations avaient au contraire été faites, et chacune d'entre elles, dans le seul but de servir de premier déclencheur à une nouvelle de Stanley Péan. Contrairement à ce qui se fait d'habitude, l'illustration d'abord. La nouvelle ensuite, qui s'en inspirait.

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