Stanley Péan
Cartes postales d’outre-monde,
illustrations de Jean-Michel Girard
Montréal, Mains libres, coll. « Nouvelles »,
2023, 270 p., 34,95 $.
Des images et des mots : double plaisir
L’édition québécoise connaît, depuis quelques années, un renouveau, alors que l’imprimé est mis à mal. Les éditions Mains libres sont de cette nouvelle génération qui fait tourner les rotatives à vive allure. Depuis 2021, cette maison propose de la poésie – Stéphane Despatie son directeur littéraire ayant une solide expérience du domaine –, mais aussi des fictions, des essais et même des bandes dessinées. Près de quarante livres en peu de temps, c’est énorme, trop diront certains, mais la passion de ses dirigeants – outre S. Despatie, l’écrivaine Corinne Chevarier agit comme directrice administrative – n’a de cesse.
Stanley Péan, un auteur d’expérience, a publié à cette enseigne cinq ouvrages dont La plage des songes, un recueil de nouvelles d’abord paru en 1988 qui « révèle les fondations d’un univers sur lesquelles Stanley Péan a su construire une œuvre solide. Si l’écrivain a bien évidemment évolué au fil de ses trente-cinq ans d’écriture, soulignons qu’il écrivait déjà magnifiquement. »
Il a aussi collaboré avec Jean-Michel
Girard, l’illustrateur de la bédé Fuites : Izabel Watson (tome 1,
2022). Lors de leurs rencontres de travail, Péan admira une suite d’illustrations
de l’artiste lui rappelant l’illustrateur états-unien Norman Rockwell, le même qui
éveilla, chez le jeune enfant que j’étais, l’intérêt pour les illustrations hyperréalistes.
Les illustrations de Girard méritaient d’être connues du grand public et l’écrivain Péan lui proposa de choisir 35 de ces œuvres autour desquelles il allait imaginer des histoires brèves, des nouvelles, ce genre qu’il pratique avec brio. Leur collaboration s’est concrétisée par la parution de Cartes postales d’outre-monde, un livre d’une remarquable qualité tant au niveau des illustrations, des histoires inventées que du travail d’édition et d’impression.
Le premier contact avec ce livre consiste
à scruter attentivement, une à une, les illustrations afin de nous familiariser
avec l’univers de Jean-Michel Girard et d’en apprécier pleinement son souci des
détails hyperréalistes qui ont tous quelque chose de suranné en nous ramenant à
une époque, pourtant pas si lointaine, où la femme était élevée au niveau d’un
mythe sacré qu’on se devait d’admirer et de respecter en toutes situations, même
fantasmées. Il en va ainsi des personnages imaginés par l’illustrateur qui sont
magnifiés par les nouvelles écrites à l’aune des fictions classiques,
fantastiques, de suspens ou relevant de science-fiction qu’ils ont inspirées à
Stanley Péan.
À l’appui de cette harmonie, je retiens
que les « illustrations originales de Jean-Michel Girard qui ont inspiré
la majorité des fictions réunies ici (ainsi que les rares qui, à l’inverse, s’inspirent
des textes de Stanley Péan) ne portent pas forcément le même titre que les
nouvelles. » Dans ce cas, il s’agit d’une variation sur un même thème, rien
à son opposé.
S’il est difficile de recenser et
de rendre justice à un tel livre, notamment en raison de la variété des sujets
abordés, il y a quand même des planches et des textes qui me semblent bien
illustrés l’unisson de l’illustrateur et de l’écrivain. Il en va ainsi de « Londres
sous la pluie » dont l’illustration représente un contrebassiste noir l’air
dépité sous la pluie, ce qu’explique la prose du récit. Les indices du propos m’ont
paru couler de source : un musicien de jazz, ce genre musical dont Péan est
un aficionado comme Gilles Archambault ou le regretté Jean-Marie Poupart. Je n’ai
pas fait fausse route, lisez : « Rares sont les mélomanes qui se souviennent
de Spencer T. Johnson même si, au cours de sa brève carrière, le contrebassiste
originaire du Kentucky s’est illustré aux côtés de plusieurs grands noms du
jazz, du blues et du rhythm and blues… » (121)
Que dire de « Reviens en un
morceau » dont l’illustration représente un soldat en train de lire une
lettre d’Alex, son amoureuse, alors qu’il est en mission, en plein champ de bataille
dans « les environs de Caen » (61), ville française à 14 km de l’Atlantique,
et qu’il rêve de la rejoindre après la Seconde Guerre mondiale se terminer. Ce
qu’il ignore, c’est qu’il servira de chair à canon pour l’avancée militaire des
alliés que les Allemands repousseront.
L’illustration de la page
couverture s’intitule « Je t’ai attendu des heures durant » et le
récit qui l’accompagne, « Au-delà des montagnes ». Le nouvelliste y
raconte l’histoire de Josie qui « ne pouvait distinguer que les Cascades,
la chaîne de pics enneigés qui ceinturait Seattle » en attendant Adam
Hille, son amoureux. Cela me semble un parfait exemple de la lecture que l’écrivain
a faite du tableau de l’illustrateur, une compréhension qui va au-delà de ce que
ce dernier a représenté.
Il y a parmi les trente-cinq
planches certaines qui évoquent plus qu’elles ne représentent. C’est notamment
le cas de cette chaise berçante défraîchie devenue « La "dodine"
de maman ». Celle-ci représente l’habitude de Philibert de ramasser des « objets
hétéroclites, de vieilleries disparates, pour la plupart dans un état lamentable »
et qu’il accumule dans un chaos d’objets brinquebalants dans lequel, Nancy son
amoureuse, peine à vivre. Mais la « dodeline », tirée de ce fatras, lui
sera un jour une oasis que rien n’annonçait ou si peu.
''Lors de leurs rencontres de travail, Péan admira une suite d’illustrations de l’artiste...'' Je tiens à préciser que ces illustrations avaient au contraire été faites, et chacune d'entre elles, dans le seul but de servir de premier déclencheur à une nouvelle de Stanley Péan. Contrairement à ce qui se fait d'habitude, l'illustration d'abord. La nouvelle ensuite, qui s'en inspirait.
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