Nathalie Petrowski
La vie de ma mère
Montréal, La Presse, 2023, 136 p.,
24,95 $.
Un désert émotif est-il possible?
Il en est passé de l’eau sous les ponts depuis que Nathalie Petrowski, journaliste dont la rentrée au Journal de Montréal en 1975, à l’âge de 21 ans, fut remarquée et, plus tard, qu’elle soit devenue « agitatrice » culturelle au sein de la Bande des six en compagnie de René Homier-Roy, Marie-France Bazzo, Georges-Hébert Germain et Dany Laferrière. Elle a aussi fait ses premiers pas sur la route sinueuse de la littérature en publiant Il restera toujours le Nebraska (1990). Puis, ce fut Maman Last Call (1995), une histoire qui sera portée à l’écran par François Bouvier où on « suit les tribulations d’une femme, issue du baby-boom, de celles qui ont tant contesté l’esclavage de la maternité. Cette femme raconte qu’elle a conçu – malgré elle – un enfant et dit pourquoi elle l’a gardé ».
Cette fiction place certaines des
pièces sur l’échiquier qui lui serviront à créer Un été à No Damn Good
(2016). Cet été à NDG, un coin de l’île de Montréal, Nora P., l’héroïne et la narratrice,
a 14 ans. Pour elle, tout est possible même si les parents limitent ses lancées
vers un univers où seuls les adultes semblent avoir des droits. Après sa petite
enfance en France, auprès de sa grand-mère, elle vécut à Ottawa avant d’arriver
rue Marcil, dans NDG. Elle s’y est fait des amies, Élise et Marie-T. Chevrier,
et leur famille est devenue un peu sa famille de substitution, ses propres parents
semblant être plus absents que présents.
Trois romans, trois histoires, un
premier mal accueilli dieu sais pourquoi, un même fil conducteur pour les deux
suivants, un fil qui emprunte largement, dit-on, à la vie de l’écrivaine, bref tout
ce qu’il faut pour squatter réellement sa vie personnelle dans un récit
intitulé La vie de ma mère.
Ne manque qu’une chose à ce portrait
de « femme de rêve » : l’esprit maternel.
C’est sur cette absence que
Nathalie Petrowski a bâti la trame de son récit qui raconte le trajet sinueux de
sa mère que le journaliste Étienne Paré résume ainsi : « Minou
Petrowski, ou Georgette Visda de son nom de baptistaire, est née à Nice, en
1931, de parents originaires d’Union soviétique, fort possiblement juifs, qui
la donneront en adoption. Durant l’Occupation en France, elle vécut avec la
peur d’être persécutée. Puis, elle connut toute la période de foisonnement
culturel et de libération sexuelle de l’après-guerre, avant d’immigrer au
Canada avec son mari, le réalisateur André Petrowski. » (Étienne Paré, Le
Devoir, 6 septembre 2023)
Décrit ainsi cela peut sembler presque
banal, car on a lu et vu tant d’images de la guerre 1939-1945 qu’on a l’impression
que ce film en noir en blanc s’est effacé. Ce n’est sûrement pas le cas de
Minou P. et, par une hérédité lourde à porter qui aurait pu devenir une tare, pour
celle de Nathalie P. et son frère Boris.
Le début du livre nous fait
comprendre le scénario tantôt réel, tantôt fictif dans lequel Minou P. a joué le
rôle qu’elle s’est donné, quitte à faire des victimes collatérales de ses
espiègleries, ses enfants d’abord.
L’exemple parfait de la non-existence
du sentiment maternel ce sont les cinq premières années de vie de l’écrivaine qui
se sont passées chez sa grand-mère paternelle à Nancy, en France, ce qu’elle a d’ailleurs
raconté dans Un été à No Damn Good.
Le voyage dans la vie de Minou P.
est une succession ininterrompue de fuites en avant dans toutes les directions
que lui inspire sa quête de liberté absolue, un fantasme que l’écrivaine résume
ainsi : « Pour ma mère la fiction a toujours été plus importante que
la réalité. Pour moi, sa fille, c’est exactement le contraire. »
Un des paradoxes – et dieu sait
qu’ils sont nombreux dans la vie de Minou P. – c’est son refus de vivre dans le
passé, alors qu’elle sait que, sans sa venue au Québec avec André P., son époux
et père de ses deux enfants, elle n’aurait jamais connu une vie professionnelle
comme la sienne et que ses fréquents retours sur la Côte d’Azur, notamment pour
le Festival du cinéma de Cannes, sont autant de symboles d’un retour en arrière
sur les côtes méditerranéennes.
Nathalie Petrowski sait bien que,
loin du discours public, la relation mère-fille peut souvent être acrimonieuse.
Celle entre elle et sa mère fut ainsi, ce que des gens qui ont fréquenté Minou
P. peuvent avoir de la difficulté à comprendre. Comme l’écrit le journaliste É.
Paré : « Sans être moraliste ou réactionnaire, La vie de ma mère
montre l’envers de la médaille de cette vie de bohème, de cet existentialisme
qui a fait voler en éclats les vieilles valeurs familiales dans les années 1960
et 1970 au Québec. Ce livre fait du même coup contrepoids à tout un discours
actuel, qui érige en modèle féministe les mères indignes, les cougars et autres
anticonformistes, comme Minou Petrowski. »
Le portrait que fait Nathalie P.
de sa mère n’est pas reluisant même si elle tente par tous les moyens d’être la
fille idéale d’une mère idéale. L’image qui m’est venue en tête maintes fois à
la lecture du récit, c’est celle d’une personne prise dans une bourrasque qui
tente, tant bien que mal, de garder le cap malgré toute l’énergie que cela lui
demande.
À quel moment de notre existence
peut-on lire un tel récit et bien le comprendre? Ado, on a peu ou pas d’autre référence
de mère que la sienne. Adulte, on en a trop ou trop peu. Âgé, on en a perdu le
compte. La vie de ma mère ajoute à ce dernier groupe une référence forte :
de mère indigne à fille qui brise le miroir où sa génitrice brillait. Car, oui,
Minou Petrowski a brillé de tous les feux du strass et des paillettes toute sa
vie d’adulte jusque dans sa fin de vie semblable à une tragicomédie.
Le récit que propose Nathalie
Petrowski et la forme donnée à sa prose donnent à penser que la trame est à
deux niveaux : le niveau périphérique évoque les réflexions de l’autrice
sur ce qu’elle écrit en relation avec son sujet et elle-même; le niveau central,
c’est la description détaillée de faits et gestes glanés au fil de ses
rapprochements et ses éloignements de cette « mère indigne ».
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