mercredi 31 janvier 2024

Catherine Perrin et Pierre Thibault

Habiter la beauté : ces lieux qui nous font du bien

Montréal, La Presse, 2023, 272 p., 29,95 $.

Architecture et environnement : quelle fête!

Il m’arrive d’avoir besoin de m’éloigner de la fiction et de revenir dans les dimensions de la réalité. C’est ce qui s’est produit lors de l’arrivée d’Habiter la beauté : ces lieux qui nous font du bien, un essai de Catherine Perrin et Pierre Thibault, elle claveciniste, journaliste et écrivaine, lui architecte environnementaliste mondialement reconnu.

Aussi beau en dedans qu’en dehors, ce livre ressemble à un journal de voyage écrit par deux amis à l’occasion de pérégrinations dans divers lieux que l’architecte a conçus ou auxquels il a contribué. Il retrace, au bénéfice de sa compagne de route, les pourquoi et les comment de ces constructions ou de ces aménagements, tous s’inscrivant dans une forme d’osmose entre eux et l’endroit précis – surtout, ne pas oublier ce mot – où ils ont été érigés ou réalisés.

L’humanisme des conversations des protagonistes est à la dimension des sujets dont ils discutent que je résume ainsi : habiter la nature, non seulement dans la nature, mais en faisant en sorte qu’elle fasse partie du quotidien de celles et ceux qui y vivent, après tout c’est là leur demeure ou qu’ils ne font qu’y passer, comme dans un jardin, un musée ou une salle de concert.

Ils s’arrêtent d’abord sur le site de La Fondation Grantham pour l’art et l’environnement (Saint-Edmond-de-Grantham, Centre-du-Québec) – « résidence d’artiste et lieu d’exposition, perchée sur ses pilotis de métal » –, puis continuent vers les Jardins de Métis – « Pierre a proposé qu’on s’y retrouve, car ces jardins sont depuis longtemps un formidable terrain d’exploration et d’émerveillement pour lui. De manière informelle, il en est un peu devenu l’architecte en résidence, y réalisant plusieurs projets significatifs en plus d’y emmener régulièrement des groupes d’étudiants en architecture. Il poursuit un échange constant avec Alexander Reford, l’actuel directeur des Jardins, historien et arrière-petit-fils de la créatrice de ces lieux (Elsie Reford). » Sur ce site, il y a aussi la véranda, la résidence des stagiaires – « En longeant un petit pré qui sépare deux des jardins d’Elsie, on découvre soudain une création récente de Pierre, la Véranda, une structure de vois légère et diaphane qui doit son existence à la pandémie, justement : elle devait permettre de présenter temporairement des spectacles adaptés aux mesures sanitaires. Le lieu s’est avéré si inspirant qu’on a décidé de le préserver et d’en faire un nouveau pôle de programmation. ». Il faut aussi remarquer la Grande Halle (Bas-Saint-Laurent) – « … nous avons rendez-vous avec Alexander Reford pour explorer la Grande Halle, dont on achève une transformation complète. L’édifice côtoie un garage, un atelier et un modeste centre administratif, dans une zone de services adjacente aux Jardins de Métis. Une zone qu’Alexandre Reford compare à l’arrière-cour aux Jardins de Métis… [Pierre Thibault] … La Grande Halle est plus fonctionnelle, mais elle est très importante : elle va contribuer à améliorer la dynamique d’utilisation des Jardins toute l’année, à rendre la vie des lieux plus riche à long terme. »

Fait à noter, ces visites sont entrecoupées d’interludes, chacun soulignant le début d’une suite de haltes par une œuvre musicale identifiée par un vrai code-barre qui, saisi, mène à une pièce interprétée par un orchestre diffusée sur YouTube.

Le premier interlude propose l’écoute du Canon de Johann Pachelbel et nous amène sur l’autre rive du Saint-Laurent, au Pavillon du Saint-Laurent (Baie-Saint-Paul, Charlevoix) – [Catherine Perrin] « En route vers le Domaine Forget, à Saint-Irénée, je fais un arrêt à Baie-Saint-Paul, au Pavillon du Saint-Laurent, construit par l’atelier de Pierre Thibault tout près du vieux quai et de la plage. Conçu à la fois comme petit centre d’interprétation, point de rencontre et point de service quatre saisons pour les promeneurs, les sportifs, les groupes scolaires et les touristes de passage, le pavillon concilie tous ces rôles avec discrétion : c’est un édifice modeste à un seul étage, dont la silhouette élégante glisse dans le décor. »

Le chapitre « Patrimoine et modernité (Québec) » me semble un bon exemple d’intégration d’un certain classicisme aux allures surannées et d’une modernité non intrusive, d’une union symbiotique d’hier et d’aujourd’hui. Le modèle retenu pour illustrer cela, ce sont des bâtisses distinctes et précises de l’Université Laval où Mme Perrin et M. Thibault ont étudié à une autre époque et dont ils se souviennent, des facultés universitaires patrimoniales qui ont trouvé un nouveau lustre grâce aux travaux de l’architecte.

Je souligne avec insistance les nombreuses illustrations qui, dois-je l’avouer, m’ont incité à tourner lentement les pages pour scruter chacune d’elles, car la délicatesse ou même l’évanescence de ces aquarelles évoque l’atmosphère qui se dégage des propos de Perrin et Thibault, et du ton qu’ils emploient pour partager les multiples dimensions de ces lieux de création et de réflexion.

Le second interlude est une pièce de Caroline Shaw intitulée Partita for 8 voices, une œuvre évoquant un travail évolutif qui s’ouvre sur le grand marché – « Je voulais [P. T] créer un village. Chaque kiosque évoque l’idée d’une maison coiffée d’un toit en bois. Ça reproduit l’extérieur à l’intérieur de cette grande halle. Une allée plus large joue le rôle de rue principale… ».

Vous vous souvenez du projet de l’école Stadacona, une école repensée en fonction de notre siècle par Jérôme Lapierre, en collaboration avec le Lab-École – dont Pierre Thibault, Pierre Lavoie et Ricardo Larrivée sont les instigateurs? « Le monde a changé depuis cinquante ans, mais pas l’école. » – et ABCP architecture 2022 (Limoilou, région de la Capitale Nationale). Il y a aussi le Collège Sainte-Anne (Dorval, région de Montréal), « un réseau scolaire privé qui comprend cinq établissements, situés à Dorval et à Lachine` : deux primaires, deux secondaires et un au niveau collégial… L’établissement le plus récent du réseau est une école secondaire conçue par Pierre Thibault avec Architecture 49, ouverte à la rentrée 2022. »

L’interlude suivant, Petroushka d’Igor Stravinsky, annonce l’architecture chantée au Bois-de-Coulonge, « une collaboration avec le Chœur de l’Orchestre symphonique… [où] matin et après-midi, sur deux fins de semaine, les chanteurs ont créé des tableaux sonores. Un concert déambulatoire que le public suivait, d’un lieu à l’autre. »

Catherine Perrin nous amène ensuite sur la rue Resther (Plateau-Mont-Royal), non loin du métro Laurier, devant une maison signée Pierre Thibault dont la « façade de brique couleur beurre frais et son lattis de bois châtain : sans détonner dans son milieu, elle présente des lignes plus nettes et plus modernes que ce qui l’entoure. ». On reprend la route en direction de Frelighsburg, en Estrie, pour visiter le chantier de la maison multigénérationnelle conçue par Pierre Thibault et Mathieu Leclerc qu’habiteront l’écosociologue Laure Waridel, son conjoint l’avocat Bruce Johnston, leurs enfants et ses beaux-parents. Inutile de dire que les propriétaires exposent clairement leurs besoins d’une telle maison et leurs préoccupations environnementales dans sa conception et dans son érection.

Nous voilà en mai 2023 et la conversation de Catherine Perrin et Pierre Thibault s’envole vers Paris, « alors que la Galerie d’architecture, dans le Marais, présente une belle exposition sur le travail de ce dernier », mais aussi pour « analyser avec lui le succès d’un quartier récent et encore peu connu, Clichy-Batignolles. » Je n’en dis pas plus sur ce projet, car, passionné de la Ville lumière, je citerais l’entièreté des pages qui lui sont consacrées à ce projet, en insistant sur les illustrations qui les accompagnent.

Pour prolonger le séjour parisien, l’interlude donne à écouter le Marteau sans maître de Pierre Boulez alors que les protagonistes se dirigent vers l’atelier de Renzo Piano dans le Marais, mais doivent se mettre à l’abri de la pluie Place Beaubourg (Centre Pompidou). Même la justice peut habiter en beauté (Paris).

Toute bonne chose ayant une fin, nos guides proposent, en épilogue, une visite de l’écoquartier de Lachine-Est.

Habiter la beauté : ces lieux qui nous font du bien reste fidèle à son titre du début à la fin, des projets que nos hôtes nous font visiter tout en racontant les motifs de leur réalisation à leur intégration à la nature environnante. Pour accompagner leurs périples, ils ont agrémenté leur discours d’observations plus pratiques que théoriques, mais toujours justes. Ils nous amènent même à croire en tous ces possibles qu’architecture et aménagements peuvent réaliser pour une certaine plénitude de l’environnement et de ses habitants.

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