Marie Hélène Poitras
Galumpf
Québec, Alto, 2023, 192 p., 24,95 $ (papier), 14,99 $
(numérique)
Le grand laboratoire
Depuis Soudain le Minotaure, son premier ouvrage paru en 2002, jusqu’à La désidérata (Alto, 2021), Marie Hélène Poitras s’adonne à l’écolittérature, une littérature qui appelle à être créée dans un contexte de douceur, au rythme de l’inspiration et de l’affutage d’une littérarité qui lui soit propre, un style signé Poitras. À ce jour, l’écrivaine a fait paraître quatre fictions narratives, deux ouvrages jeunesse, dirigé un collectif et essaimé divers textes dans plusieurs publications. Et voilà qu’elle fait chanter, en ce printemps 2023, Galumpf, un recueil de douze nouvelles qui n’ont rien de brèves.
Aussi bien le dire daredare :
Galumpf m’a médusé! Chacune des douze nouvelles crée un univers avec en son
centre des personnages aussi réels que fantasmagoriques, ce genre d’individu qu’on
a peine à imaginer, car ils sont plus grands que nature grâce à une existence
démesurée. Je pense entre autres à la narratrice de « Depuis que les églises
ont des trous dans le ventre » qui raconte aussi « Fin de règne »,
ces deux récits nous faisant entrer dans l’univers aussi trash que poétique où elle
et Ti-Loup vécurent durant dix ans. Ce qui peut évoquer un trop de trop n’est
ici que la somme des tous et des riens dont les héros ont usé et abusé et dont
ils parviennent à peine d’émerger. Je sais que je ne vivrai jamais leurs
expériences autrement qu’en partageant les leurs, le lecteur n’étant qu’un
pique-assiette des imaginaires que M. H. Poitras lui propose sur un plateau d’argent.
Dans le même ordre d’idée, lire un
recueil de nouvelles permet de butiner d’un récit à l’autre dans le sens ou à contresens
des pages, chaque texte étant autonome indépendant les uns les autres. Nenni
pour Galumpf, car l’écrivaine a semé des grains d’une histoire à une
autre, selon qu’ils ont des thèmes analogues ou semblables créant ainsi un
effet de vases communicants. Par exemple, elle a puisé dans la sphère de l’autofiction
en associant écrire et monter un cheval.
M. H. Poitras, on le sait depuis La
mort de Mignonne et autres histoires (2005, 2017), est passionnée des
chevaux depuis qu’elle fut cavalière et caléchière. Elle partage à nouveau cette
passion dans « Chasseurs sauteurs », « La chute » et « Écrire,
monter ». J’y reviendrai, mais avant je m’arrête sur « Galumpf »,
la nouvelle éponyme qui raconte l’origine de son autre grande passion, les
mots. À quoi rime ce galumpf? Réponse courte : au Livre des mots de
Richard Scarry que sa mère Denise lui a jadis offert et que M. H. P. sauve d’un
« tri émotif de ses vieilleries et des artéfacts de toute une vie, vidant
à désencombrer son existence en encombrant mon sous-sol et celui de ma sœur. »
(135). Réponse longue : « Les animaux ont encore un mot à vous dire
avant d’aller se coucher… "Grouf", disait l’ours en empoignant son
ourson de peluche. "Couii", ajoutait la souris; "Miaou",
faisait le chat en jaquette jaune et ainsi de suite. Mais le morse avait encore
quelque chose à ajouter. C’est à lui que revenait le mot de la fin : "Galumpf,
galumpf, galumpf". Les derniers mots du grand Livre des mots. »
(147)
Cette même nouvelle m’a ému en
éveillant le souvenir d’une adolescente – 13 ou 14 ans – qui dépose La Presse
papier dans ma boîte aux lettres tous les matins, beau temps mauvais temps, « dans
cette ville où j’avais habité de onze à dix-huit ans. » (147) Ce que la nouvelliste
raconte ici me semble d’une telle intimité que j’ai parfois eu besoin de me
rappeler qu’aussi près de la réalité qu’elle soit, j’étais à lire une fiction,
que O ou C, son compagnon et sa fille, avaient traversé le tain du miroir.
Comme sa proclamation était conforme à ses projets littéraires : « Les
mots avaient un prix. Ils coûtaient beaucoup plus qu’on le croyait. Ils
coûtaient en temps, en sacrifices, en espace mental, en insécurité financière.
Ils jouaient sur mes nerfs et raccourcissaient mes nuits, mais me remplissaient
d’électricité et d’eux, je n’avais jamais envie de me plaindre. Ils régnaient sur
ma vie, fixaient mes souvenirs et mes rêves dans l’éternité. Les mots s’accumulaient
sans jamais m’encombrer. J’avais besoin d’eux pour appréhender le monde. »
(137)
Cette passion des mots est remarquablement
affirmée. Il en va d’une façon plus intense de sa passion des chevaux, ce qu’elle
illustre dans « Chasseurs sauteurs » et dans « La chute ». « Chasseurs
sauteurs » est, à mon avis, le texte le plus exaltant que M. H. P. a écrit
à ce jour. Elle nous y fait partager son expérience de cavalière dans ce que la
relation entretenue entre elle et le cheval a de plus charnel. On est au niveau
de l’instinct et des pulsions réunissant cavalière et monture. L’écrivaine ne
décrit pas ce qu’elle vit, elle le partage sans gêne en mettant les mots précis
de la relation physique et sensorielle que son personnage entretient avec l’étalon,
et, intuitivement, vice versa. J’ai même noté des lignes d’un érotisme fait du
jeu de la séduction mutuelle.
Le même jeu est au cœur de « La
chute ». Cette fois un étalon est mis en situation de choisir la nature de
sa relation avec l’entraîneur et la cavalière, puis entre les deux. Nous rencontrons
Christophe Leuzy, l’entraîneur français déjà présent dans « Chasseurs
sauteurs ». La cavalière est aussi sinon plus intransigeante que lui, car elle
ignore ce qu’il connaît des chevaux et de la compétition équestre. Elle l’apprend
grâce à Convento Poulichon de Muze, un étalon de grande valeur que Christophe et
elle ont pour mission d’amener à un très haut niveau de performance. « La
chute » est à la fois l’avant et l’après, voire la conclusion de « Chasseurs
sauteurs »; on y apprend qui est vraiment Christophe, les liens qui
unissent la cavalière et le cheval, ainsi que ce qui unit cette dernière et l’entraîneur.
Le tout dans une chorégraphie de gestes et de sensations intensément basiques relatant
des relations humaines dans leur animalité naturelle.
Si les douze nouvelles du recueil
méritent notre attention tant pour le plaisir intellectuel que chacune propose,
celles que j’ai retenues et partagées se fusionnent dans les pages de « Écrire,
monter ». Marie Hélène Poitras y fait la démonstration, presque chirurgicale,
de la nature des liens qu’elle entretient avec l’une et l’autre de ses passions,
l’équitation et l’écriture. La métaphore filée, écrire et monter, bien que
présente dans plusieurs textes du recueil, révèle son entièreté dans la nouvelle
de fin d’ouvrage. J’allais écrire dans toute sa magnificence, car la palette d’émotions
qui la soutient nous est donnée avec juste ce qu’il faut de détachement de l’autrice
pour qu’on la partage.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire