Rafaëlle Germain
Forteresses et autres refuges
Montréal, Québec Amérique, coll. « Collection
III », 2023, 132 p., 21,95 $
« Un feu roulant de varnoussage »
L’émotion me gagne rapidement quand le propos d’une histoire fait vibrer la corde des souvenirs de ma lointaine enfance. Forteresses et autres refuges, le récent ouvrage de Rafaële Germain, à mi-chemin entre récit et essai, a eu chez moi de tels effets de ressac, car les sujets abordés et la bravoure de l’écriture m’ont souvent chaviré.
Il faut savoir que ce livre paraît
dans « Collection III » dont chacun des titres « renferme trois
récits inspirés de moments marquants dans la vie de l’autrice. Peut-être s’y
glisse-t-il une part d’invention. Peut-être pas. »
L’écrivaine n’avait pas prévu écrire
à nouveau sur ce sujet développé dans Un présent infini (Atelier 10,
2016). Dans ce livre, elle s’interroge sur le rôle de la mémoire et sa fonction
de se souvenir, alors que l’on confie inconsciemment nos souvenances à un
téléphone en oubliant que sa mémoire peut s’effacer en un clic. Le cancer du
cerveau et la maladie d’Alzheimer de son père, Georges-Hébert Germain
(1944-2015), sont à l’origine de ses réflexions en accord avec la réalité actuelle.
« J’ai déjà écrit sur le désagrément
intérieur de mon père et j’ai longtemps été très déterminée à ne pas écrire sur
celui de ma mère [écrit-elle]. Parce que j’avais un peu fait le tour, parce que
je ne voulais pas être la fille qui écrit tout le temps sur ses parents, parce
que j’en avais un peu plein mon casque, aussi, de ces parents qui avaient trop
longtemps pris une place démesurée dans ma vie. » (12)
Sa mère? C’est Francine Chaloult (1939-2022),
créatrice du métier d’attachée de presse et de relationniste culturelle au
Québec. Femme discrète sur sa vie personnelle, Mme Chaloult était un personnage
flamboyant lorsqu’il était question de mettre en valeur le travail de ses
protégés.
« Mais voilà que cette
occasion se présente : un récit construit autour de trois souvenirs. Or,
si mes souvenirs à moi ne semblent pas nécessairement transcendants, le fait
est que j’ai vécu durant huit ans parmi ceux qui s’étiolent et se fanent, des
champs de fin d’automne qu’aucun printemps ne fera renaître. J’ai assisté, deux
fois plutôt qu’une, au rétrécissement d’une mémoire, à l’agonie d’un écosystème
intérieur, à la mort lente de la perception qu’une personne a d’elle-même et du
monde. » (12)
L’avant-dire ressemble à un vaste
plan de travail sur lequel l’autrice a renversé de pleines boîtes de photographies,
de lettres anciennes, de babioles tenant lieu de souvenirs éphémères, de cartes
postales résumant des voyages, bref de tout ce qu’on accumule la vie durant et qui
sont d’une totale inutilité pour les autres.
Arrive le premier récit, « Les
legs », entièrement consacré à la mère de l’autrice. Imaginez deux vastes
contenants placés côte à côte, l’un rempli de lambeaux d’une existence en vrac,
l’autre recevant cette collection hétéroclite. L’exercice consiste à reconstruire
un passé indéfini, parce que fragmentaire et jugé tout à fait inutile face à l’infini
de l’avenir et de ses possibilités.
Raphaël Germain constate de ne pas
plus connaître sa mère qu’elle connaissait son père, même moins puisqu’elle était
constamment en mouvement, refusant toute forme d’arrêt jusqu’au déni de son irrémédiable
fin de vie. Comment alors se souvenir d’un passé qui, non seulement, ne nous
appartient pas, mais dont les souvenirs épars sont ceux des autres, des souvenirs
de seconde main qui nous ont été si souvent répétés qu’ils semblent les nôtres?
Ces autres, ce sont les sœurs et
les frères de la mère de l’autrice qui se souviennent de ce qu’ils ont vécu en
même temps qu’elle, mais qu’ils ont nécessairement perçus de façon différente. Quand
il s’agit d’un enfant unique, comme l’est d’une certaine façon RG – compte tenu
de sa différence d’âge avec ses deux sœurs –, il n’y a aucun point de référence
ou de différence entre l’événement lui-même et sa perception. Ne reste alors que
les ouï-dire de témoins d’occasion.
Rafaël German n’a ainsi d’autre
choix que de tisser elle-même une trame sur laquelle elle passera les fils lui
permettant de créer une toile représentant de façon approximative l’enfance de
sa mère, la vie de cette dernière auprès de sa famille à Chicoutimi jusqu’à ce
qu’elle quitte la maison familiale. Le récit qu’elle en tire est comme une
fresque des temps anciens où sont représentés des héros, sympathiques ou non, qui
mènent grande vie ou combat glorieux. Le grand-père est médecin. La grand-mère,
un temps infirmière, est femme à la maison, car il en était ainsi en cette
époque pas si lointaine. Femme à la maison, c’est aussi être mère, le plus
souvent possible selon les règles de l’Église, que ça lui plaise ou non. Cette grand-mère
n’affectionne pas son aînée, Francine, et elle ne lui laisse rien passer,
surtout que l’enfant n’en fait qu’à sa tête, sachant qu’elle trouvera grâce aux
yeux de son père. L’insouciance bon enfant de ce dernier face à ses enfants occasionne
un grand malheur – la benjamine Lucie avale de dangereux comprimés de nitroglycérine
et en meure – que toute la famille porte ensuite comme une tare indélébile.
Arrive l’âge où Francine C. est
pensionnaire chez les ursulines, « un lieu qu’elle habitera désormais plus
que sa propre maison », où « elle découvre et embrasse son immense
sociabilité… » et ses envies dont les souliers en cuir verni de ses consœurs
(les siens sont blancs à son grand dam), le teint mat et l’air mystérieux d’une
amie, qui la laisseront avec la conviction que les femmes séduisantes parlent
peu et ont l’air toujours vaguement souffrantes… ». (34-35) L’épithète "ravissant"
revient souvent à propos des tenues, des visages et des coiffures.
La vie de couventine, à cette
époque, est isolée de la vie extérieure et cela lui convient, car « … elle
éprouvera toute sa vie pour tout ce qui ne la touche pas directement un désintérêt
absolu, allant même jusqu’à soupçonner ceux qui en sont curieux de coquetterie
ou, insulte suprême à ses yeux, de "vouloir se rendre intéressants." »
Le grand-père de Rafaël G. décède
dans un grave accident d’automobile et le récit qui parvient à sa petite-fille a
quelque chose de fantasmagorique. Ce qui l’est moins, c’est que sa grand-mère se
retrouve, à 37 ans, mère de six enfants et que sa mère Francine perd son allier
indéfectible dont elle dira plus tard qu’il était le seul à l’aimer.
La mort du père est un moment fondateur
de la vie de Francine Chaloult : « C’est donc là qu’elle choisira de rester
toute sa vie, dans une adolescence mutine et boudeuse, furieusement sociable et
hédoniste, où la coquetterie se porte fièrement et la défiance est un réflexe.
Comme une ado, elle n’arrivera jamais à se lever avant dix heures du matin... »
(41) Peu après le décès, FC ressent ses premiers émois amoureux. « Ses
rêves sont encore ceux que peut se permettre une jeune fille de bonne famille
des années 50 : un mariage heureux, des enfants, une belle maison bien
tenue et surtout, dans son cas, un statut d’épouse modèle. » (43)
N’oublions pas que l’écrivaine
Germain décrit sa mère à partir des fragments de récits entendus et d’événements
auxquels elle a elle-même participé ou dont elle a été témoin. Il y a aussi ce
qu’elle a découvert en mettant de l’ordre dans le fatras des objets laissés
derrière. Ce qu’elle n’écrit pas, on la comprend, c’est que la femme qu’elle
tente de dépeindre est un modèle de narcissisme exacerbé au plus haut degré.
Pas étonnant alors que, partout
où elle passe, elle soit le soleil autour duquel gravite son univers. Par exemple,
quand FC s’inscrit à l’école des sciences domestiques de l’Université Laval, c’est
pour se préparer à devenir une épouse et une maîtresse de maison exemplaire, ce
qu’elle devient plus tôt que tard en épousant, à 18 ans, un étudiant en médecine.
« Le récit qu’elle fera plus tard de cette époque sera teinté d’humour et
de pitié pour la jeune fille qu’elle était, transie d’idéalisme et presque pétrifiée
par le désir de bien faire. » (52)
Or, « ce bonheur qu’elle
croyait avoir atteint n’est pas là, il ne l’attendait pas sous les nappes
empesées savamment, mais elle le cherche encore derrière les livres de sœur Berthe
et un budget familial bien tenu… Elle est amèrement déçue en fait ("moi qui
m’en faisais une fête…"), mais elle ne le sait pas. » (54) FC « tombe
enceinte, finalement, et accouche à tout juste vingt ans d’une petite fille
très blonde… » (54) Cette naissance la rapproche de sa propre mère au
point où, après la naissance d’une seconde fille, les deux femmes partent pour un
voyage au long cours, laissant les enfants au soin du père et de la bonne. Francine
C aurait-elle un même détachement envers ses enfants que sa mère envers elle?
Le retour de ce périple n’ajoute
rien d’enchanteur à sa vie de mère au foyer. Installé à Mégantic, son médecin d’époux
est plus souvent auprès de ses patients qu’à ses côtés. Loin de tout, elle « commence
à comprendre que le modèle [d’une vie de femme] qu’on lui a vendu n’est pas
fait pour elle. » (56)
Le récit que Rafaël Germain fait
de la vie sa mère, de sa petite enfance à son âge adulte où, devenue mère à son
tour, elle constate qu’elle ne survivra pas à une existence sans véritable
horizon, s’arrête là. Francine Chaloult n’a pas conservé d’éphémérides de sa remarquable
carrière, sinon le prix Félix Leclerc que l’ADISQ lui a remis en 2019 en
hommage à l’ensemble de sa carrière. Déjà malade, elle est certes contente, néanmoins
pour elle : « Dans la vie, y’a des gens qui sont dans la parade, puis
y’a des gens qui regardent passer la parade. Nous, on organise la parade. »
(59) Ou comme RG illustre en résumant la vie de sa mère : « C’est une
vie de grand fauve : prendre, exiger, concéder ses restes – et ne jamais,
jamais regarder derrière. »
« Noire-Suie », le
deuxième récit, a des allures d’autoportrait où Rafaël Germain se raconte sans détour
ni fausse pudeur. S’il m’est arrivé de reprocher à des enfants de faire le
procès de leurs parents sur la place publique, surtout si ces derniers ont eu
une existence loin des projecteurs, ce n’est le cas des parents de Rafaël
Germain dont de larges pans de leur existence furent publics : Francie
Chaloult a eu un impact direct sur le milieu culturel québécois par l’intermédiaire
des artistes dont elle a promu la carrière et Georges-Hébert Germain a eu une carrière
journalistique et littéraire reconnue.
C’est lui qui a imaginé le
personnage de Noire-Suie à l’intention de sa fille, une « Blanche-Neige dans
Upside Down, Blanche-Neige trash et bougon… elle est brouillonne, hirsute, et
espiègle, elle a de la répartie et de se faire marcher sur les pieds? Très peu
pour elle. » (65) Noire-Suie est devenue plus tard l’alter ego de l’écrivaine :
« Rendue là, c’est moi qui brode, évidemment, je complète la tapisserie
avec les fils dont je dispose : un peu d’imagination et de déduction, une
idée tout de même assez précise d’où ça s’en allait – bien sûr que Noire-Suie n’allait
pas finir par passer la moppe pour une bande de petits paresseux. » (66)
G.-H. G. invente d’autres
anti-héroïnes pour sa fille dont le petit chaperon rouge devenu noir qui « grommelle,
grommelle, grommelle et sa mauvaise humeur est telle qu’elle fait peur au loup
qui déguerpit, la queue entre les jambes. Un triomphe. » (68) Ces personnages
inventés sont au cœur de ce qu’elle retient de sa petite enfance. « Elles
sont là, je le sais, parce qu’elles ont été construites avec des mots. C’est
une réalité qui m’embête un peu parce qu’elle ressemble fâcheusement à une
entourloupette littéraire, une coquetterie d’auteure, mais le fait demeure :
ma mémoire a toujours choisi les mots avant tout, d’abord la parole, puis les
écrits… Je fais partie de cette cohorte qui ne garde presque aucun souvenir de mon
enfance. Vers neuf ans des contours se dessinent, des figures un peu plus
nettes sortent de la ouate, mais avant, presque rien – une impression d’étrangeté,
de vague aliénation, une salle d’attente? » (70-71)
On revient ici à la question fondamentale
des trois récits : la mémoire. « Qu’est-ce qui fait que certains [souvenirs]
se cristallisent alors que d’autres s’estompent ou se défont? J’aimerais bien
savoir comment se remplissent nos petites boîtes et pourquoi danse au fond de
la mienne une kyrielle de fillettes multicolores?... Et aujourd’hui, j’ai beau
fouiller le ciel vierge de mon enfance, force est d’avouer qu’il s’en trouve
peu. Ceux qui surnagent, ceux qui passent, sont presque toujours des
reconstructions recomposées à partir de photos (le chemin des babounes), ou
alors ils se rattachent à une histoire, quelque chose qui m’a été raconté – que
saurions-nous de nous-mêmes sans les récits qui nous entourent? » (71-72) Et
de conclure que « Toutes les familles couvent leurs légendes, en mettant
en lumière certains petits pans de vie qui semblent dignes de faire partie de l’histoire
et qui deviennent, par la force des choses, l’histoire tout entière. »
(73)
Naître de parents « riches
et célèbres », façon de parler, signifie qu’avant même de naître l’histoire
est commencée. C’est le cas de Rafaël Germain : « La twist : ma
mère avait trente-sept ans et un stérilet. La grossesse n’était pas un projet,
elle n’était même pas envisagée, mon père avait cinq ans de moins qu’elle et
était un "bum" – un mot qu’elle s’appliquait à prononcer avec beaucoup
de ressort, c’était presque un "bumb", et qu’elle disait toujours
avec une pointe de fierté dans le sourire : elle était la bourgeoise de
trente-sept ans au pied de laquelle les petits bumbs venaient échouer, vaincus
et trop heureux de rendre les armes. » (74)
Le récit de la relation de ses
parents, on s’en doute, est tout sauf un long fleuve tranquille. Pouvait-il en
être autrement quand on veut « filer tout droit vers un bonheur de chaque
instant, en pulvérisant tous les obstacles sur leur passage. » (77) Est-ce
que la naissance d’une fille fait obstacle? Chose certaine, ses parents l’aimaient
vraiment, mais leurs activités professionnelles respectives leur laissaient peu
de temps pour la domesticité et les soins d’une enfant. C’est donc la sœur de
son père qui « habitait avec nous pour pallier tous les aspects de la parentalité
que mes parents n’avaient pas le temps de prendre en charge (ils auront été
dupes jusqu’au bout : jamais, pas une seconde, n’ont-ils cru que par "temps"
ils voulaient dire "intérêt"), à savoir à peu près tout. » (81-82)
La description d’éléments
marquants de l’enfance de Rafaël Germain est un terreau fertile dont elle a
choisi les figures de style appropriées à chacun des événements : on ne
lit pas l’écrivaine, on vit avec elle, par écriture interposée, ce qui est sa
façon de vivre. Par exemple, quand elle raconte les colères royales de ses
parents, on croit les entendre au-delà de la mort.
Si la musique est l’air ambiant chez
les Chaloult-Germain et les interprètes québécois ou français des visiteurs réguliers,
les livres sont entrés plus tard dans l’univers que RG se créait petit à petit,
mais qui était déjà plein de petites fictions. « Nous évoluions dans un
univers magique où les gens aimaient passionnément leur métier et flottaient
béatement au-dessus de leurs privilèges, enveloppés de certitude et des atours
d’une bourgeoisie décomplexée. » (88)
S’il fallait retenir une photo
illustrant l’enfance de l’écrivaine, elle serait celle d’une fillette ou d’une
adolescente à la moue boudeuse : « Mon air bête : une des pierres
d’assise narratives de mon enfance… le seul vrai souvenir que j’en garde
personnellement est une répétition, une accumulation de moments dont il ne me
reste rien que la conclusion : ma mère me disait "Change d’air." »
(89)
Était-ce là l’expression d’une certaine
morosité qui semble se manifester chez cet enfant, un ennui chronique du trop
de ceci et pas assez de cela? La conclusion du deuxième récit me semble
répondre à cette interrogation : « Je suis Noire-Suie, seule au fond
des bois, et je suis ici chez moi. » (93)
Les forteresses du titre sont
aussi celles du troisième récit. J’y ajouterais le mot « évasions »,
car cette histoire fait le lien entre la mère et la fille, entre la forteresse
nommée Chaloult et les évasions, Rafaël Germain. Ce récit s’ouvre par une image
très forte qui rappelle que Rafaëlle Germain est une écrivaine talentueuse :
« Ma mère, durant sa dernière année : un naufrage, une ruine, une
révolte – un torrent. Une forteresse ravagée par une tempête dont les vents ne
sont jamais partis, préférant élire domicile en son enceinte et tourbillonner
contre ses remparts dépeuplés. »
La fin de vie d’un parent, quelle
que soit la relation qu’on a entretenue avec elle ou lui, est un moment qu’on n’aime
pas vivre, car il renvoie à notre propre fin. Ici, ce n’est pas la mort d’une
géante qui gêne, mais sa très lente agonie. Comment dire : Francine Chaloult
est décédée bien avant de mourir, car elle a eu de nombreux soubresauts de sa
vitalité légendaire, un chapelet de petits doigts d’honneur à l’inexorable fatalité
des humains.
Parmi les dernières projections d’images
d’autrefois, RG a choisi de mettre en parallèle des failles qui ont amené ses
amis à lui suggérer une thérapie, ce que sa mère refusait, imaginant qu’un « logue »
patenté allait inévitablement la pointer pour identifier le mal natal qui rongeait
sa fille. Ce désarroi, une forme de dépression chronique bien maquillée, sa
propre maternité l’oblige à le transformer en ion positif qui lui évite de reproduire
le modèle de maternité de sa mère ou même de sa grand-mère.
La dernière image que RG conserve
de sa mère, c’est la suivante : « Elle porte une chemise à carreaux
noirs et blancs et s’appuie du bras gauche sur le dossier d’une chaise. La main
droite sur la hanche, elle a les jambes croisées et la posture désinvolte; le
soleil se couche devant elle mais on ne la voit pas, on le devine. C’est cette
image que je choisirais, moi, mais elle ne l’aurait pas aimée : il ne se
passe rien, sur cette photo, ou plutôt ce qui s’y passe a lieu à l’intérieur, sous
la surface… C’est là que j’aimerais la retrouver, sur la véranda, au coucher de
soleil, en train de poser sur sa vie un regard apaisé. » (112-113)
La conclusion de ce récit et de l’ensemble
de cette trilogie, c'est ce qui reste à l’écrivaine des souvenirs et des empreintes
indélébiles qu’ils ont laissées sur la femme qu’elle est devenue. « C’est
que j’avais hérité d’une conception de la liberté qui était entièrement dirigée
vers l’extérieur, une liberté totale et ostentatoire, qui était d’abord et avant
tout affaire d’action… La vraie liberté est ailleurs, elle demandait à être vue
et à ce qu’on sorte de soi, petite geôle étriquée et sans charme… Dans les
histoires d’où je viens, on ne s’évade qu’en prenant le large… Je dérivais
toujours… Puis, j’ai eu une fille [Zaza], une enfant qui méritait l’entièreté
de mon être, une dévotion sans égale qu’on pourrait facilement mettre sur le
compte d’une rupture de filiation, des aréopages de psychologues pointant ma mère
du doigt, ça ne peut être que de sa faute si je vois la maternité comme un don
de soi absolument total… » (116-119)
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