Yan Hamel
Paris en miettes
Montréal, Boréal, coll. « Liberté
grande », 2023, 216 p., 25,95 $.
Déboulonner un mythe ou défoncer une porte ouverte
Paris, ville de tous les extrêmes, n’était pas une destination rêvée et, lorsque j’y suis débarqué en 1984, elle m’a terriblement effrayé en me rappelant la chanson de Jacques Dutronc, Paris s’éveille :
Je suis le dauphin de la place Dauphine
Et la place Blanche a mauvaise mine
Les camions sont pleins de lait
Les balayeurs sont pleins de balais
Il est cinq heures
Paris s'éveille
Paris s'éveille
La Ville lumière m’a-t-elle
apprivoisé? Chose certaine, d’une visite à l’autre, j’ai développé une
curiosité apaisée au point où Pair en est venue à me manquer.
Cette fois, Hamel déshabille le
concept même d’essai et prend tout l’espace que lui offre la collection « Liberté
grande » pour y rassembler une courtepointe composée autour de douze romans
québécois : La montagne secrète (1961), Gabrielle Roy; Une liaison parisienne (1975)
et Les nuits de l’Undeground (1978), Marie-Claire Blais; Des
nouvelles d’Édouard (1984), Michel Tremblay; L’enfant chargé de songes
(1992) et Est-ce que je dérange? (1998), Anne Hébert; Pas pire
(1998), France Daigle; My Paris (1999), Gail Scott; Les yeux bleus de
Mistassini (2002), Jacques Poulin; La concierge du Panthéon (2006),
Jacques Godbout; Bibi (2009), Victor-Lévy Beaulieu; Forêt contraire
(2014), Hélène Frédérick.
Je pourrais répéter l’esprit de mon précédent commentaire, car je retrouve ici la même anarchie brouillonne qui peut répulser les lecteurs plus avertis et qui manquent d’humour ou, même d’ironie. Je laisse l’auteur poser sous nos yeux le plan de son projet : « Paris en miettes est une œuvre au second degré, fruit du travail collectif où se mêlent les voix de Roy, Hébert et Blais, Poulin et Godbout, Tremblay et Beaulieu, Daigle, Scott et Frédérick. Foisonnant de styles, présentant une douzaine au moins de protagonistes, superposant les époques, les lieux parisiens, les points de vue masculins et féminins, ce texte choral n’en frappe pas davantage par sa cohérence. D’une œuvre à l’autre, de La Montagne secrète à Forêt contraire en passant par Les Nuits de l’Undeground, Pas pire et Bibi, dans les variations du rythme et de la tonalité, des situations présentées, des décors dressés, des personnages et de leurs sentiments, des actions (ou inactions) dépeintes, des évolutions (ou stagnations) relatées, s’établissent d’incessantes comparaisons, se dégagent des correspondances, par superpositions et mises en perspective. Un réseau d’interférences s’établit au fil d’une lecture qui décloisonne les histoires, d’un jeu interprétatif où le respect dû à chaque titre cède peu à peu le pas devant l’évidence des relations qui s’imposent. Lecture où les romans se récrivent en un essai, où le texte véritable commence avec la démultiplication du texte. » (39)
Cette dernière phrase définit avec
précision le projet de l’auteur d’utiliser les œuvres choisies comme les matériaux
lui permettant de réaliser sa quête, ce qui exige leur déconstruction qu’il effectue
et justifie ainsi : « L’imaginaire propre à chaque auteur, aussi foisonnant
et déconcertant soit-il, aussi neuf puisse-t-il paraître, est en fait un jeu de
Meccano où se déplacent, dans la mesure restreinte du possible, quelques
pièces, en nombre limité, et déjà articulées les unes les autres… Il y a donc un
Paris du roman québécois. On y trouve un héros qui n’est, chaque fois, ni tout
à fait le même, ni tout à fait un autre. Ce héros est jeté dans une ville
attendue qui s’ouvre, ou qui plus souvent se ferme à lui, en des circonstances
similaires, selon "logiques actantielles" qui ont toutes les allures
de l’inéluctabilité. Le récit de ce qui survient à ce héros dans cette ville
circonscrit l’étendue de nos ambitions et de nos capacités littéraires; il trace
les limites de nos pouvoirs romanesques en territoire universel. » (40)
Yan Hamel va plus loin : « Je
prends et je donne ce sampling pour ce qu’il est : une proposition
poétique. Un essai. Je récris à ma guise, en jazzant sur le canevas du songe
commun. Ces romans que j’ai ouverts, j’y suis entré pour les dynamiter, et remonter
ensuite quelques éclats de leurs débris. Ces miettes recyclées continuent à teinter
le rêve de Paris que je fais avec elles, et que vous faites maintenant avec
moi. » (43)
L’auteur est-il pour autant un plagiaire
des œuvres ainsi explosées? Je ne le crois pas dans la mesure où il a mis cartes
sur table dès le début et, surtout, qu’il ne réécrit pas un nouveau roman tiré
des douze dont il a tiré « la substantifique moelle », mais une sorte
de divertimento insoucieux d’une forme littéraire classique en voulant les
pratiquer toutes dans un même corpus.
J’avoue avoir parfois eu l’impression
que cet ouvrage fut écrit avec l’aide de ChatGPT tellement le livre va de tout bord
tout côté. Mais, le rusé Hamel parvient presque toujours à rattraper le lecteur
au moment où celui-ci va perdre pied. Je comprends d’ailleurs pourquoi il écrit :
« Ce Paris de l’onirisme en Québec, ce Paris en pièces ajointées pourra-t-il
intéresser hors de nos frontières? Il m’est permis d’en douter. » (45)
Il fut une époque où écrivaine ou
écrivain québécois priait les dieux de la montage Saint-Geneviève pour être reçu
dans les salons d’un éditeur de la Ville lumière ou dans n’importe quel autre situé
dans Saint-Germain-des-Prés. La reconnaissance bleu-blanc-rouge n’a plus la
même importance aujourd’hui, mais n’est pas pour autant négligeable. Je pense,
à titre d’exemple, à Gaston Miron et Jean Royer qui furent reçus comme des
égaux par une vaste communauté de poètes parisiens. Je pourrais en dire autant
de Lise Gauvin, une des plus remarquables voix critiques des littératures
francophones reconnues comme telles.
Je mets en perspective le Paris
en miettes de Yan Hamel et L’Amérique est aussi un roman québécois
(Nota bene, 2022), un essai dans lequel l’écrivaine Madeleine Monette suggère une
image forte de ce qui n’est pas un mythe, mais un fait trop souvent éludé que l’on
croit le fruit d’un atavisme culturel. Le Paris de l’un et le continent nord-américain
de l’autre ne s’opposent pas, mais ils illustrent la schizophrénie québécoise ne
sachant plus si nous émergeons de nos lointaines origines ou de notre voisinage
continental.
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