Hélène de Billy
Riopelle et moi
Montréal, QA, coll. « Biographie », 2023, 462 p., 32,95 $.
Élaboration de la mythologie Riopelle
J’ai une relation singulière avec les biographies de contemporains, parce qu’elles racontent généralement l’histoire d’une vie qui vient à peine de débuter et qu’elles tiennent plus de l’hagiographie où les louanges éludent la réalité.
Il y les biographies « à l’américaine »
qui, à contrario, veulent tout raconter jusqu’aux détails les plus intimes, incluant
les squelettes dans le placard. Le problème, c’est qu’elles débordent de la vie
publique à la vie privée, faisant d’inutiles victimes collatérales.
Riopelle et moi, nouvelle édition de la biographie écrite par la journaliste et écrivaine Hélène de Billy, est à la fois « à l’américaine » et, selon l’auteure, « non autorisée ». Lorsque Riopelle paru aux éditions Art global, en 1996, l’autrice avait mis quatre ans à effectuer des recherches et fait des entrevues selon les règles de l’art journalistique, qui sont aussi celle de la biographie à l’américaine. L’édition 2023 tient de la biographie non autorisée, son contenu ayant été révisé en tenant compte de nouvelles informations recueillies au fil des ans et de l’expression de son point de vue. Le titre seul, Riopelle et moi, identifie sans ambages l’orientation que Mme de Billy donne à son ouvrage.
Cet ouvrage n’est rien de moins
que remarquable, à mon avis, Jean Paul Riopelle étant un homme devenu le personnage
qu’il a imposé, à la fois conteur et mythomane qui a passé sa vie à construire sa
propre mythologie, selon ses humeurs ou ses élans créatifs. En refermant le livre,
je n’ai pu imaginer une autre existence aussi explosive que la sienne, sinon
celle de très grandes ou très grands passionnés.
C’est une mission impossible de tenter
de résumer le livre, cela ne rendrait pas justice à l’écrivaine et à la
complexité de son sujet. Retenons cependant que Mme de Billy a organisé l’abondante
documentation en attribuant une couleur à chacune des quatre parties de son
ouvrage. « Blanc pour l’enfance traversée par la mort (du petit Pierre, cadet
de Riopelle); rouge pour la révolte et le bouillonnement d’idées caractéristiques
de Refus global; bleu pour l’empreinte laissée par Joan Mitchell sur
Jean Paul; et or pour la feuille d’or, les couleurs en aérosol et tous les
couchers de soleil que le peintre a pu admirer au cours de son existence. »
(153)
Il y a la vie modeste de la
famille Riopelle dominée par une mère castratrice, dont les femmes dans la vie
de l’artiste paieront le prix, illustre où l’enfant Jean Paul a débuté pour
devenir le Riopelle créateur. Puis, c’est son passage fortuit à l’École du
meuble et la rencontre de celles et ceux qui, avec lui autour de Paul-Émile
Borduas, signeront le manifeste Refus global, le cri du cœur d’artistes
étouffés par le climat social duplessiste et clérical auquel on attribue, à
tort ou à raison, l’origine de la Révolution tranquille. Arrive son départ pour
la France, la relation entre l’automatisme québécois et le surréalisme
français, ses rencontres avec l’écrivain André Breton et une pléiade d’artistes
de tous les horizons, ses premières œuvres créées en sol français, sa vie de
famille et ses premières maîtresses, l’instabilité ou la multiplicité de ses
intérêts à la fois signe de sa créativité évolutive et de l’impossible unicité
de ses passions. La rencontre déterminante de Joan Mitchell, les vingt ans
auprès de celle avec qui il forme un couple « maudit » dont chacun donnera
au domaine des beaux-arts d’une époque quelques-unes des plus grandes œuvres picturales.
Enfin, il y a son ultime période de création marquée par son retour au Québec
et la mutation de ses projets artistiques désormais plus orientés vers la
nature, et réalisés sur des supports et avec des techniques novatrices.
Je comprends Hélène de Billy d’avoir
récupéré ses droits sur son livre et d’en avoir fait une mise à jour en y
incluant une trentaine de « Souvenirs de coulisses » et en ajoutant
sa voix au propos après des années d’analyse et de réflexion entre autres
alimentées par des entrevues relatives à Riopelle effectuées depuis 1996. Riopelle
et moi est une œuvre de maturité, voire l’œuvre d’une vie, qui nous invite
à rencontrer le grand artiste et l’être complexe qu’il fut.
Riopelle et moi apparaît dans le paysage artistique assez longtemps après le décès de Riopelle (1923-2002) et de la consécration québécoise de l’ensemble de son œuvre, pour nous permettre de mieux apprécier ou estimer la valeur historique de ce qu’Hélène de Billy raconte. Nul doute que ce livre est l’œuvre fondatrice de sa carrière de journaliste et d’écrivaine, mais aussi une mise en perspective de l’histoire des beaux-arts au Québec du siècle dernier dans l’ensemble universel.
Lise Gauvin
Chez Riopelle : visites d’atelier
Montréal, l’Hexagone, 2002
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