mercredi 5 avril 2023

 Hélène de Billy

Riopelle et moi

Montréal, QA, coll. « Biographie », 2023, 462 p., 32,95 $.

Élaboration de la mythologie Riopelle

J’ai une relation singulière avec les biographies de contemporains, parce qu’elles racontent généralement l’histoire d’une vie qui vient à peine de débuter et qu’elles tiennent plus de l’hagiographie où les louanges éludent la réalité.

Il y les biographies « à l’américaine » qui, à contrario, veulent tout raconter jusqu’aux détails les plus intimes, incluant les squelettes dans le placard. Le problème, c’est qu’elles débordent de la vie publique à la vie privée, faisant d’inutiles victimes collatérales.

Riopelle et moi, nouvelle édition de la biographie écrite par la journaliste et écrivaine Hélène de Billy, est à la fois « à l’américaine » et, selon l’auteure, « non autorisée ». Lorsque Riopelle paru aux éditions Art global, en 1996, l’autrice avait mis quatre ans à effectuer des recherches et fait des entrevues selon les règles de l’art journalistique, qui sont aussi celle de la biographie à l’américaine. L’édition 2023 tient de la biographie non autorisée, son contenu ayant été révisé en tenant compte de nouvelles informations recueillies au fil des ans et de l’expression de son point de vue. Le titre seul, Riopelle et moi, identifie sans ambages l’orientation que Mme de Billy donne à son ouvrage.

Cet ouvrage n’est rien de moins que remarquable, à mon avis, Jean Paul Riopelle étant un homme devenu le personnage qu’il a imposé, à la fois conteur et mythomane qui a passé sa vie à construire sa propre mythologie, selon ses humeurs ou ses élans créatifs. En refermant le livre, je n’ai pu imaginer une autre existence aussi explosive que la sienne, sinon celle de très grandes ou très grands passionnés.

C’est une mission impossible de tenter de résumer le livre, cela ne rendrait pas justice à l’écrivaine et à la complexité de son sujet. Retenons cependant que Mme de Billy a organisé l’abondante documentation en attribuant une couleur à chacune des quatre parties de son ouvrage. « Blanc pour l’enfance traversée par la mort (du petit Pierre, cadet de Riopelle); rouge pour la révolte et le bouillonnement d’idées caractéristiques de Refus global; bleu pour l’empreinte laissée par Joan Mitchell sur Jean Paul; et or pour la feuille d’or, les couleurs en aérosol et tous les couchers de soleil que le peintre a pu admirer au cours de son existence. » (153)

Il y a la vie modeste de la famille Riopelle dominée par une mère castratrice, dont les femmes dans la vie de l’artiste paieront le prix, illustre où l’enfant Jean Paul a débuté pour devenir le Riopelle créateur. Puis, c’est son passage fortuit à l’École du meuble et la rencontre de celles et ceux qui, avec lui autour de Paul-Émile Borduas, signeront le manifeste Refus global, le cri du cœur d’artistes étouffés par le climat social duplessiste et clérical auquel on attribue, à tort ou à raison, l’origine de la Révolution tranquille. Arrive son départ pour la France, la relation entre l’automatisme québécois et le surréalisme français, ses rencontres avec l’écrivain André Breton et une pléiade d’artistes de tous les horizons, ses premières œuvres créées en sol français, sa vie de famille et ses premières maîtresses, l’instabilité ou la multiplicité de ses intérêts à la fois signe de sa créativité évolutive et de l’impossible unicité de ses passions. La rencontre déterminante de Joan Mitchell, les vingt ans auprès de celle avec qui il forme un couple « maudit » dont chacun donnera au domaine des beaux-arts d’une époque quelques-unes des plus grandes œuvres picturales. Enfin, il y a son ultime période de création marquée par son retour au Québec et la mutation de ses projets artistiques désormais plus orientés vers la nature, et réalisés sur des supports et avec des techniques novatrices.

Je comprends Hélène de Billy d’avoir récupéré ses droits sur son livre et d’en avoir fait une mise à jour en y incluant une trentaine de « Souvenirs de coulisses » et en ajoutant sa voix au propos après des années d’analyse et de réflexion entre autres alimentées par des entrevues relatives à Riopelle effectuées depuis 1996. Riopelle et moi est une œuvre de maturité, voire l’œuvre d’une vie, qui nous invite à rencontrer le grand artiste et l’être complexe qu’il fut.

Riopelle et moi apparaît dans le paysage artistique assez longtemps après le décès de Riopelle (1923-2002) et de la consécration québécoise de l’ensemble de son œuvre, pour nous permettre de mieux apprécier ou estimer la valeur historique de ce qu’Hélène de Billy raconte. Nul doute que ce livre est l’œuvre fondatrice de sa carrière de journaliste et d’écrivaine, mais aussi une mise en perspective de l’histoire des beaux-arts au Québec du siècle dernier dans l’ensemble universel.

Lise Gauvin

Chez Riopelle : visites d’atelier

Montréal, l’Hexagone, 2002

Lise Gauvin. L’écrivaine rend ici un hommage, sincère et amical, à un homme plus grand que nature, en racontant quatre visites qu’elle lui a rendues dans ses ateliers en France et au Québec. Je retiens la rencontre de février 1987, à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson, durant laquelle le peintre volubile raconte son amitié avec André Breton et son engagement dans Refus global. Puis, il y a la visite au même atelier, en 1993 cette fois, où Riopelle parle de pêche à la mouche, lui pour qui la peinture « est moins un art de peindre qu’un art de vivre. » Enfin, Lise Gauvin reprend Trois fois passera, un texte demandé par Riopelle pour accompagner son album Cap Tourmente et que publia la galerie Maeght-Lelong à Paris en 1983. Avec une rare économie de mots, ce livre est une remarquable synthèse des vingt dernières années de l’œuvre de Riopelle.

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