mercredi 1 mars 2023

Jacques Ferron

Gaspé-Mattempa suivi de Correspondance entre Jacques Ferron et Clément Marchand

Montréal, Bibliothèque québécoise, 2022, 100 p., 10,95 $.

Le devoir de lire Ferron

Dans la chronique du 15 octobre 2008 parue dans Le Canada français, j’insistais sur le « devoir de lire » Jacques Ferron, un écrivain figurant au panthéon de la littérature québécoise. Alors que paraît Gaspé-Mattempa, un premier récit oublié, je me suis souvenu de deux événements historiques qui se sont déroulés dans le Haut-Richelieu auxquels le médecin-écrivain a participé.

Le premier s’est déroulé d’octobre 1944 à janvier 1945 alors que le jeune médecin terminait son passage dans l’armée canadienne au camp de concentration 44 situé à l’Institut Feller, à Saint-Blaise. L’établissement accueillait « tout au long de son histoire un total de 1 500 prisonniers, en majorité des officiers haut gradés de la marine allemande. » Ferron y fait ainsi référence : « … sur les hauteurs de Saint-Blaise où le compère Maski se trouvera partagé entre les prisonniers allemands et les bons Old Vets qui les gardaient, ami des uns et des autres, nullement impliqué par la guerre, neutre comme un brave Québécois… (20)

Le second se déroula le 28 décembre 1970, lorsque Jacques Ferron fut dépêché dans une maison de Saint-Luc où se terraient les felquistes Rose et Simard pour de longues négociations qui se terminèrent par leur reddition.

Revenons à Gaspé-Mattempa. Ce récit retient l’attention par son côté autobiographique rare chez Ferron et la mise en contexte de ses premières fictions littéraires, ces jongleries semblables à ses contes à venir. C’est le Trifluvien Clément Marchand, poète, éditeur aux Éditions du Bien public et ami de l’écrivain, qui devait faire paraître ce livre originalement, ce qu’il fit, plus tard, en 1980.

En témoigne la Correspondance entre Jacques Ferron et Clément Marchand constituée de 18 lettres échangées du 21 octobre 1968 au 19 janvier 1984. Trois poèmes sont joints à cette dernière correspondance, deux d’Alfred DesRochers et un de Raymond Douville, associé de Marchand au sein du Bien public. Ces correspondances rappellent la passion de Ferron d’écrire des lettres, ce que reflète le fonds qui lui est consacré (www.écrivain.net/ferron). De plus, les échanges entre Ferron et son vieil ami illustrent les liens qui les unissent et l’intérêt que l’écrivain médecin portait au travail de ce compagnon, lequel, entre autres, l’informait régulièrement de sujets littéraires susceptibles de l’intéresser.

L’éditeur résume ainsi le livre : « Pour plusieurs raisons, Gaspé-Mattempa est un texte un peu à part dans l’œuvre de Jacques Ferron. D’abord parce qu’il est porté par une écriture euphorique – et quasi fantastique, car ce Satan-Mattempa est une figure allégorique – qui est partie liée au fait que l’écrivain y parle surtout de la Gaspésie, cette région où il a été jeune médecin heureux (1946-1948) dans des conditions difficiles. Ensuite parce que c’est l’un des derniers livres publiés par Jacques Ferron lui-même, qui témoigne de la nouvelle impulsion que le romancier voulait donner à son œuvre. Le fascinant récit qui en résulte – le narrateur décrit sa relation avec une sorte d’alter ego nommé Maski, qui aurait été le personnage central d’un livre jamais terminé, Le pas de Gamelin [publié dans La conférence inachevée (Bq, 2020] – témoigne donc aussi, de façon éloquente, des épreuves rencontrées par l’auteur. Le versant plus tourmenté de la création ferronienne s’y trouve donc aussi représenté. »

La trame et les péripéties du récit semblent inscrites dans la mémoire littéraire de l’œuvre de Ferron comme étant un préalable à ce qu’il allait écrire par la suite. Quelque chose cependant à retenir : Maski qui est le double imaginé de l’écrivain; les différents lieux auxquels il est fait référence sont situés et expliqués à la fin de l’ouvrage, certaines appellations semblant plus imaginaires que réelles.

Il est impossible de recenser Gaspé-Mattempa sans insister sur l’originalité de son discours écrit, ce plaisir évident que prend l’écrivain de déjà mettre la langue et les formes littéraires à son service, quitte à surprendre d’éventuels lecteurs ou lectrices par leur truculence. Lisez le passage suivant pour le constater :

« Nous prêtâmes le serment du vieux Grec, de l’Hippocrate content à cheval sur la mort impérissable qui le garde immortel depuis deux mille ans, et nous sommes devenus de facto, tout aussitôt. Maki et moi, deux Docteurs avec la plus grande majuscule et une p’tite licence de médecins compétents… Nous sommes deux bons garçons encore de lait, mais rengorgés, d’une incroyable fatuité… »

Pierre Vadeboncœur écrit dans la préface de La conférence inachevée. Le pas de Gamelin et autres récits (Bq, 2020) : « Pour l’efficacité et le style, du moins, tout lui semblait donné dès le départ. Il avait saisi d’emblée, par lui-même, ce que c’est que la qualité littéraire, grâce à une divination et une sûreté étonnantes… Précoce maîtrise. Il l’avait acquise en partie par ses lectures, sans doute, qui lui permettaient de formuler aussi des jugements bien articulés sur la littérature ou l’art, comme cedi, qui rappelle évidemment Valéry… » (9)

« Quant à la correspondance échangée entre Jacques Ferron et Clément Marchand, son ami trifluvien, "elle révèle les circonstances et la genèse de cette publication, tout en nous donnant un aperçu de l’attachement qu’éprouvait Ferron pour un autre pays québécois, celui de son enfance, dont le chef-lieu est justement Trois-Rivières. Les deux écrivains conversent ici en toute liberté et évoquent, à bâtons rompus, des souvenirs heureux de leur coin de pays mauricien." »

On me reproche parfois de recenser des livres trop minces ou que personne ne lit, celui de Jacques Ferron entre parfaitement, hélas, dans ces deux catégories. Or, je crois que le nombre de pages d’une œuvre littéraire n’assure en rien ses qualités narratives et stylistiques ou sa littérarité, l’art des grandes sagas n’étant pas donné à toutes et tous. Quant au lectorat, je me fais un devoir de lui proposer autre chose que du « prêt-à-lire », si bon soit-il, car, en lecture comme ailleurs, varier les propositions est essentiel.


Marcel Olscamp

Le fils du notaire. Jacques Ferron : genèse intellectuelle d’un écrivain

Montréal, Bibliothèque québécoise, 2021, 472 p., 19,95 $.

Connaître et reconnaître Ferron

Le médecin-écrivain, né à Louiseville le 21 janvier 1921, est bel et bien fils de notaire et frère aîné de l’écrivaine Madeleine Ferron et de la peintre Marcelle Ferron. Son enfance et son adolescence n’ont rien de banal au point où elles jettent un regard prémonitoire sur l’avenir de l’adulte qu’il est devenu. L’ouvrage d’Olscamp se lit comme un roman, car il met en perspective le « parcours du jeune Ferron [qui] illustre le paradoxe d’un homme né dans une famille aisée, éduqué dans l’amour de la culture française, prédestiné à une carrière sans histoire et qui, un jour, se détourna de ce destin par conviction sociale… [Son] destin tout en ruptures, durant ses jeunes années, permet de jeter un regard original sur des aspects parfois mal connus de l’histoire du Québec au 20e siècle. »



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