Jacques Ferron
Gaspé-Mattempa suivi de Correspondance entre
Jacques Ferron et Clément Marchand
Montréal, Bibliothèque québécoise, 2022, 100 p.,
10,95 $.
Le devoir de lire Ferron
Dans la chronique du 15 octobre 2008 parue dans Le Canada français, j’insistais sur le « devoir de lire » Jacques Ferron, un écrivain figurant au panthéon de la littérature québécoise. Alors que paraît Gaspé-Mattempa, un premier récit oublié, je me suis souvenu de deux événements historiques qui se sont déroulés dans le Haut-Richelieu auxquels le médecin-écrivain a participé.
Le premier s’est déroulé d’octobre
1944 à janvier 1945 alors que le jeune médecin terminait son passage dans l’armée
canadienne au camp de concentration 44 situé à l’Institut Feller, à Saint-Blaise.
L’établissement accueillait « tout au long de son histoire un total de 1 500
prisonniers, en majorité des officiers haut gradés de la marine allemande. »
Ferron y fait ainsi référence : « … sur les hauteurs de Saint-Blaise
où le compère Maski se trouvera partagé entre les prisonniers allemands et les
bons Old Vets qui les gardaient, ami des uns et des autres, nullement impliqué
par la guerre, neutre comme un brave Québécois… (20)
Le second se déroula le 28
décembre 1970, lorsque Jacques Ferron fut dépêché dans une maison de Saint-Luc
où se terraient les felquistes Rose et Simard pour de longues négociations qui
se terminèrent par leur reddition.
Revenons à Gaspé-Mattempa. Ce récit retient l’attention par son côté autobiographique rare chez Ferron et la mise en contexte de ses premières fictions littéraires, ces jongleries semblables à ses contes à venir. C’est le Trifluvien Clément Marchand, poète, éditeur aux Éditions du Bien public et ami de l’écrivain, qui devait faire paraître ce livre originalement, ce qu’il fit, plus tard, en 1980.
En témoigne la Correspondance
entre Jacques Ferron et Clément Marchand constituée de 18 lettres échangées
du 21 octobre 1968 au 19 janvier 1984. Trois poèmes sont joints à cette
dernière correspondance, deux d’Alfred DesRochers et un de Raymond Douville,
associé de Marchand au sein du Bien public. Ces correspondances rappellent la passion
de Ferron d’écrire des lettres, ce que reflète le fonds qui lui est consacré (www.écrivain.net/ferron).
De plus, les échanges entre Ferron et son vieil ami illustrent les liens qui
les unissent et l’intérêt que l’écrivain médecin portait au travail de ce
compagnon, lequel, entre autres, l’informait régulièrement de sujets
littéraires susceptibles de l’intéresser.
L’éditeur résume ainsi le livre :
« Pour plusieurs raisons, Gaspé-Mattempa est un texte un peu à part
dans l’œuvre de Jacques Ferron. D’abord parce qu’il est porté par une écriture
euphorique – et quasi fantastique, car ce Satan-Mattempa est une figure
allégorique – qui est partie liée au fait que l’écrivain y parle surtout de la
Gaspésie, cette région où il a été jeune médecin heureux (1946-1948) dans des
conditions difficiles. Ensuite parce que c’est l’un des derniers livres publiés
par Jacques Ferron lui-même, qui témoigne de la nouvelle impulsion que le
romancier voulait donner à son œuvre. Le fascinant récit qui en résulte – le narrateur
décrit sa relation avec une sorte d’alter ego nommé Maski, qui aurait été le
personnage central d’un livre jamais terminé, Le pas de Gamelin [publié
dans La conférence inachevée (Bq, 2020] – témoigne donc aussi, de façon
éloquente, des épreuves rencontrées par l’auteur. Le versant plus tourmenté de
la création ferronienne s’y trouve donc aussi représenté. »
La trame et les péripéties du
récit semblent inscrites dans la mémoire littéraire de l’œuvre de Ferron comme
étant un préalable à ce qu’il allait écrire par la suite. Quelque chose
cependant à retenir : Maski qui est le double imaginé de l’écrivain; les
différents lieux auxquels il est fait référence sont situés et expliqués à la
fin de l’ouvrage, certaines appellations semblant plus imaginaires que réelles.
Il est impossible de recenser Gaspé-Mattempa
sans insister sur l’originalité de son discours écrit, ce plaisir évident que
prend l’écrivain de déjà mettre la langue et les formes littéraires à son service,
quitte à surprendre d’éventuels lecteurs ou lectrices par leur truculence. Lisez
le passage suivant pour le constater :
« Nous prêtâmes le serment
du vieux Grec, de l’Hippocrate content à cheval sur la mort impérissable qui le
garde immortel depuis deux mille ans, et nous sommes devenus de facto, tout
aussitôt. Maki et moi, deux Docteurs avec la plus grande majuscule et une p’tite
licence de médecins compétents… Nous sommes deux bons garçons encore de lait, mais
rengorgés, d’une incroyable fatuité… »
Pierre Vadeboncœur écrit dans la
préface de La conférence inachevée. Le pas de Gamelin et autres récits
(Bq, 2020) : « Pour l’efficacité et le style, du moins, tout lui semblait
donné dès le départ. Il avait saisi d’emblée, par lui-même, ce que c’est que la
qualité littéraire, grâce à une divination et une sûreté étonnantes… Précoce
maîtrise. Il l’avait acquise en partie par ses lectures, sans doute, qui lui
permettaient de formuler aussi des jugements bien articulés sur la littérature
ou l’art, comme cedi, qui rappelle évidemment Valéry… » (9)
« Quant à la correspondance échangée entre Jacques Ferron et
Clément Marchand, son ami trifluvien, "elle révèle les circonstances et la
genèse de cette publication, tout en nous donnant un aperçu de l’attachement
qu’éprouvait Ferron pour un autre pays québécois, celui de son enfance, dont le
chef-lieu est justement Trois-Rivières. Les deux écrivains conversent ici en
toute liberté et évoquent, à bâtons rompus, des souvenirs heureux de leur coin
de pays mauricien." »
On me reproche parfois de
recenser des livres trop minces ou que personne ne lit, celui de Jacques Ferron
entre parfaitement, hélas, dans ces deux catégories. Or, je crois que le nombre
de pages d’une œuvre littéraire n’assure en rien ses qualités narratives et
stylistiques ou sa littérarité, l’art des grandes sagas n’étant pas donné à
toutes et tous. Quant au lectorat, je me fais un devoir de lui proposer autre chose
que du « prêt-à-lire », si bon soit-il, car, en lecture comme ailleurs,
varier les propositions est essentiel.
Marcel Olscamp
Le fils du notaire. Jacques Ferron : genèse intellectuelle
d’un écrivain
Montréal, Bibliothèque québécoise, 2021, 472 p.,
19,95 $.
Connaître et reconnaître Ferron
Le médecin-écrivain, né à Louiseville le 21 janvier 1921, est bel et bien fils de notaire et frère aîné de l’écrivaine Madeleine Ferron et de la peintre Marcelle Ferron. Son enfance et son adolescence n’ont rien de banal au point où elles jettent un regard prémonitoire sur l’avenir de l’adulte qu’il est devenu. L’ouvrage d’Olscamp se lit comme un roman, car il met en perspective le « parcours du jeune Ferron [qui] illustre le paradoxe d’un homme né dans une famille aisée, éduqué dans l’amour de la culture française, prédestiné à une carrière sans histoire et qui, un jour, se détourna de ce destin par conviction sociale… [Son] destin tout en ruptures, durant ses jeunes années, permet de jeter un regard original sur des aspects parfois mal connus de l’histoire du Québec au 20e siècle. »
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