mercredi 30 novembre 2022

Madeleine Monette

L’Amérique est aussi un roman québécois. Vues de l’intérieur

Montréal, Nota Bene, coll. « La ligne du risque », 2022, 252 p., 26,95 $.

Écrire à plein poumon

Je soulignais récemment qu’avant d’être écrite la littérature était affaire de paroles. Explorons aujourd’hui l’univers de l’écrivaine Madeleine Monette dans L’Amérique est aussi un roman québécois, un recueil de textes choisis parmi ceux qu’elle a consacrés à sa démarche littéraire à ce jour.

Elle y « trace un parcours d’écriture exemplaire depuis une quarantaine d’années. Dans son exil new-yorkais où elle vit sa condition particulière de migrante, elle habite et incarne de façon singulière la langue et la culture québécoises. Parmi les voix exilées de notre littérature, la génération d’Anne Hébert regardait le Québec depuis l’Europe, tandis que celle de Madeleine Monette fait corps avec une Amérique à la fois différente et semblable, surtout par son urbanité dont l’hybridité infinie la fascine. On connaît Madeleine Monette par ses romans et sa poésie, mais voici qu’on la découvre comme une essayiste de premier plan, tout en nuances, attentive à ces arrachements bénéfiques qui l’éloignent au quotidien de sa culture d’origine, pour mieux l’en rapprocher dans l’écriture. »

J’explorais, dans Lettres québécoises (no 133, printemps 2009), « une dizaine des essais qui jalonnent la carrière de Madeleine Monette et décrivent sa démarche créatrice. Ce sont comme des radiographies de son état d’esprit à des moments précis de sa pratique artistique. On y trouve, de l’un à l’autre, l’évidence de l’évolution de la femme et de l’écrivaine à travers chacun de ses nouveaux écrits. »

Parmi ces argumentaires, celui qu’elle a livré lors de son entrée à l’Académie des lettres du Québec, en 2007, me semblait déjà fort remarquable; je ne suis donc pas étonné de le relire ici, car il est d’actualité. « Liens et balises » est son credo littéraire québécois et porte sur sa façon de participer à notre littérature en tant qu’écrivaine. Un passage me semble incontournable : « Mais cette littérature effervescente et dépliée, plus ouverte que jamais sur le monde et encore peu connue pourtant, même de ses propres lecteurs québécois, n’occupe pas et n’arrive pas à réclamer avec assez de force, comme c’est le cas pour les littératures de bien d’autres petites nations, sa place dans l’histoire de la littérature mondiale. »

Madeleine Monette, qui souhaite ardemment que la littérature québécoise puisse s’y insérer, se plaît « à imaginer les œuvres littéraires de différents pays dans une vaste chambre d’échos, une chambre de réverbération espace-temps, où elles seraient lues dans la mémoire les unes des autres, appréciées ainsi à la loupe et par satellite ».

Quinze ans dans la vie d’une écrivaine ou d’un écrivain, ça peut être très court ou très long. Or, le temps littéraire de Madeleine Monette fut très rapide, car non seulement elle publia plusieurs ouvrages, mais elle s’intéressa aussi au travail périphérique de l’autrice qui va vers son lectorat et vers l’institution littéraire qui a elle-même ses exigences.

On la comprend lorsqu’elle écrit : « Dans mes romans où d’autres arts sont souvent représentés, l’attention aux efforts d’une peintre, d’une danseuse, d’une chanteuse, d’une comédienne, d’un petit poète anorexique, d’un jeune rappeur… m’a permis de me tenir à vue, d’écrire en interrogeant de près mon écriture, en la contextualisant. Ce double processus, je m’y suis prêtée également dans ma vie au fil des années, lorsque j’ai écrit des essais-témoignages. »

L’Amérique est aussi un roman québécois compte deux sections, celle des essais où on lit 14 textes et l’autre, 8 entretiens. Chaque texte s’intéresse à un aspect de son art d’écrire, nous suivons ainsi son cheminement et percevons les fragments de sa démarche artistique à travers sa vie de femme francophone vivant à New York, d’écrivaine en marche dans un monde où associée vie de femme et vie de créatrice a ses exigences en proposant de relever de nouveaux défis.

Les réflexions de Madeleine Monette nous font regarder par-dessus l’épaule de sa pratique de l’écriture, de la prose narrative à la poésie, sans oublier ses textes d’exposés oraux tel son discours d’accession à l’Académie des lettres du Québec. Il se dégage de cet ensemble une illustration de ses discours littéraires. À l’ère du prêt-à-manger culturel que proposent parfois les plateformes numériques, n’est-il pas raisonnable de nous tourner vers des créatrices et créateurs reconnus plutôt que vers des avatars virtuels dont on ne parviendra peut-être jamais à retrouver l’origine de leur démarche?

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