mercredi 16 novembre 2022

Sophie Dubois et Louis Patrick Leroux (dir.)

Esti toastée des deux bords; Les formes populaires de l’oralité chez Victor-Lévy Beaulieu

Montréal, PUM, coll. « Nouvelles études québécoises », 2022, 312 p., 34,95 $.

La parole est-elle d’argent ou d’or?

On oublie souvent que les littératures furent d’abord parlées, notamment la littérature française qui mit du temps à se créer une orthographe et une grammaire communes à son seul territoire.

Je pense aux contes et légendes transmis d’une fratrie à l’autre, parfois d’une communauté à une autre. Je pense aux origines de "La chasse-galerie" et aux chansons folkloriques dont l’abbé Charles-Émile Gadbois récolta l’essentiel et publia, paroles et musiques, dans les cahiers de La bonne chanson.

Puis vinrent la radio et la télévision généraliste qui furent et demeurent de grands diffuseurs de littérature orale à travers les monologues et les dialogues de feuilletons, des histoires qui continuent d’attirer les téléspectateurs sur diverses plateformes. Si les téléromans ou les téléséries ne sont pas tous « littéraires », ceux écrits par Victor-Lévy Beaulieu sont unanimement considérés comme en ayant les qualités.

Sophie Dubois et Louis Patrick Leroux, professeurs et membres de la Société d’études beaulieusiennes, ont dirigé la publication d’un recueil d’études brèves intitulé Esti toastée des deux bords. Les formes populaires de l’oralité chez Victor-Lévy Beaulieu, un titre qui rappelle le dicton du personnage de Junior dans L’Héritage.

Rappelons que VLB a pratiqué tous les genres littéraires, dont celui de la dramaturgie scénique et télévisuelle. L’écrivain raconte d’ailleurs sa démarche d’écriture dans ces contextes dans l’essai Race de monde au Bleu du ciel (Trois-Pistoles, 2004). Il évoque, notamment, que sa seule véritable exigence à l’endroit des interprètes : respecter le texte dans son entièreté. Il souligne aussi qu’il a écrit pas moins de 35 000 pages de dialogues en une vingtaine d’années. Je laisse aux sceptiques la tâche de faire eux-mêmes le calcul.

Beaulieu rappelle aussi ses romans et ses essais-récits consacrés à de grands écrivains – Hugo, Kerouac, Melville, Ferron, Voltaire, Joyce, Nietzche ou Twain – pour y observer l’importance de la langue parlée mise en bouche de ses personnages, réels ou fictifs.

Esti toastée des deux bords est le travail d’un collectif d’écrivaines et d’écrivains, dont plusieurs membres de la Société d’études beaulieusiennes et de professeurs, universitaires et autres, découlant du colloque international tenu en avril 2017. En avant-propos, Jacques Pelletier – fondateur de la Société d’études et, à mon avis, l’exégète le plus avisé de l’œuvre du Pistolois – met en perspective l’oralité des textes de l’écrivain protéiforme, balisant et éclairant l’entièreté des études qui suivent.

Pelletier rappelle que, dans son essai Victor-Lévy Beaulieu. L’homme-écriture (Nota bene, 2012), il a « proposé une sorte d’introduction générale et de synthèse de l’œuvre de cet auteur considérée globalement. J’ai tenté de la replacer dans la trajectoire de l’auteur et d’en dégager la signification comme représentation stylisée québécoise, dont elle apparaît comme un univers parallèle. » (15)

L’introduction d’Esti toastée des deux bords, intitulée "L’oralité et le populaire au cœur d’une œuvre polygraphique", est signée de Sophie Dubois et Louis Patrick Leroux. Ils y décrivent le projet dont les textes témoignent de l’intérêt des participants ainsi que de différentes pistes d’analyse et de réflexion portant sur un aspect spécifique de l’œuvre de Beaulieu.

J’en retiens ce passage qui, à mon avis, résume bien l’esprit du colloque : « La langue orale chez Victor-Lévy Beaulieu a d’abord la qualité d’être à la fois méritoire et valable, truculente et jouissive, digne de Rabelais qui, comme le souligne Bakthine, "a même recueilli la sagesse du courant populaire des vieux patois, des dictons, des proverbes, des farces d’étudiants, dans la bouche des simples et des fous". ». (27)

Il n’est pas simple de préférer un essai bref parmi la quinzaine proposée, chacun faisant une étude pointue, presque microscopique, d’un aspect précis des œuvres retenues pour leur caractère oral. Voyez par vous-mêmes les six domaines d’études : contes populaires et régionaux, téléphagie et téléoralité, conversation de coulisse, folie et politique au théâtre, lectures-fictions en mode mineur, posts et statuts de l’auteur. C’est pourquoi, outre l’avant-propos de Pelletier et l’introduction de Dubois et Leroux, j’attire votre attention sur deux textes parmi les plus généraux.

D’abord, "Victor-Lévy Beaulieu dans toute sa théâtralité", la transcription d’une table ronde animée par P. Lefebvre réunissant Yves Desgagnés et Lorraine Pintal – on peut d’ailleurs écouter l’intégrale audio de cette discussion sur le site de la BAnQ numérique. On se souvient de Junior Galarneau du téléroman L’Héritage ou de Leonardo du téléroman Montréal PQ, deux personnages qui ont marqué la carrière de l’acteur qui raconte le rapport que VLB entretenait avec les comédiens et sa présence sur les sites de tournages. Mme Pintal, directrice du TNM, fut un temps coréalisatrice de Montréal PQ, un immense plateau pour une histoire d’époque dont il ne fallait échapper aucun détail. De l’échange du comédien et de la metteure en scène, je retiens surtout l’importance capitale des textes de Beaulieu impossibles de trafiquer. Non seulement l’auteur était intransigeant sur ce point, mais surtout parce qu’il y a une rythmique de la langue beaulieusienne dont on saisissait rapidement la portée et la poésie.

À la question de Lefebvre, « qu’est-ce qui caractérise pour vous la langue de Victor-Lévy Beaulieu? », Desgagnés répond : « C’est une langue inventée. Oui. C’et la première chose qui frappe, que c’est une langue inventée. » Pintal continue ainsi : « Un peu comme la langue de Réjean Ducharme, j’allais dire, je ne sais pas si tu serais d’accord avec moi mais, chez Victor-Lévy Beaulieu, il n’y a rien de réaliste. Le sentiment humain, certes, est réel, mais son évocation à travers l’écriture relève d’une vision très personnelle, onirique, surréaliste. » (156-157)

Je retiens également "Une bio pop avec deux autobios intégrées. Twain selon Victor-Lévy Beaulieu, cabotinerie" où Renald Bérubé s’intéresse au livre écrit à la demande de Roger Des Roches, poète et graphiste ami de VLB. C’est l’occasion pour Dubé de jeter un regard périphérique sur les « génériques biscornus » que le Pistolois donne à certains ouvrages : outre cabotinerie et Twain, il y a l’essai-poulet et Kerouac, lecture-fiction (et non litanie) et Melville, l’essai-hilare et Joyce, la dithyrambe beublique et Nietzche. Renald Bérubé aurait pu continuer, car ce ne sont pas les pistes de lecture qui manquent dans l’œuvre de VLB.

Je conseille à toutes et tous, aficionado ou non de l’écrivain d’être attentifs à ces études qui suggèrent divers points de vue permettant de mieux comprendre l’importance de l’oralité dans l’écriture de VLB qu’on découvre ou redécouvre à l’écoute des feuilletons, certains disponibles sur le site de la télévision d’État, ou en le lisant de vive voix pour en entendre toutes les évocations sonores et poétiques.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire