Sophie Dubois et Louis Patrick Leroux (dir.)
Esti toastée des deux bords; Les formes populaires de l’oralité
chez Victor-Lévy Beaulieu
Montréal, PUM, coll. « Nouvelles études québécoises »,
2022, 312 p., 34,95 $.
La parole est-elle d’argent ou d’or?
On oublie souvent que les littératures furent d’abord parlées, notamment la littérature française qui mit du temps à se créer une orthographe et une grammaire communes à son seul territoire.
Je pense aux contes et légendes transmis
d’une fratrie à l’autre, parfois d’une communauté à une autre. Je pense aux
origines de "La chasse-galerie" et aux chansons folkloriques dont l’abbé
Charles-Émile Gadbois récolta l’essentiel et publia, paroles et musiques, dans
les cahiers de La bonne chanson.
Puis vinrent la radio et la télévision
généraliste qui furent et demeurent de grands diffuseurs de littérature orale à
travers les monologues et les dialogues de feuilletons, des histoires qui continuent
d’attirer les téléspectateurs sur diverses plateformes. Si les téléromans ou
les téléséries ne sont pas tous « littéraires », ceux écrits par Victor-Lévy
Beaulieu sont unanimement considérés comme en ayant les qualités.
Sophie Dubois et Louis Patrick Leroux, professeurs et membres de la Société d’études beaulieusiennes, ont dirigé la publication d’un recueil d’études brèves intitulé Esti toastée des deux bords. Les formes populaires de l’oralité chez Victor-Lévy Beaulieu, un titre qui rappelle le dicton du personnage de Junior dans L’Héritage.
Beaulieu rappelle aussi ses
romans et ses essais-récits consacrés à de grands écrivains – Hugo, Kerouac, Melville,
Ferron, Voltaire, Joyce, Nietzche ou Twain – pour y observer l’importance de la
langue parlée mise en bouche de ses personnages, réels ou fictifs.
Esti toastée des deux bords
est le travail d’un collectif d’écrivaines et d’écrivains, dont plusieurs membres
de la Société d’études beaulieusiennes et de professeurs, universitaires et
autres, découlant du colloque international tenu en avril 2017. En avant-propos,
Jacques Pelletier – fondateur de la Société d’études et, à mon avis, l’exégète le
plus avisé de l’œuvre du Pistolois – met en perspective l’oralité des textes de
l’écrivain protéiforme, balisant et éclairant l’entièreté des études qui suivent.
Pelletier rappelle que, dans son
essai Victor-Lévy Beaulieu. L’homme-écriture (Nota bene, 2012), il a « proposé
une sorte d’introduction générale et de synthèse de l’œuvre de cet auteur
considérée globalement. J’ai tenté de la replacer dans la trajectoire de l’auteur
et d’en dégager la signification comme représentation stylisée québécoise, dont
elle apparaît comme un univers parallèle. » (15)
L’introduction d’Esti toastée
des deux bords, intitulée "L’oralité et le populaire au cœur d’une œuvre
polygraphique", est signée de Sophie Dubois et Louis Patrick Leroux. Ils y
décrivent le projet dont les textes témoignent de l’intérêt des participants
ainsi que de différentes pistes d’analyse et de réflexion portant sur un aspect
spécifique de l’œuvre de Beaulieu.
J’en retiens ce passage qui, à
mon avis, résume bien l’esprit du colloque : « La langue orale chez
Victor-Lévy Beaulieu a d’abord la qualité d’être à la fois méritoire et
valable, truculente et jouissive, digne de Rabelais qui, comme le souligne
Bakthine, "a même recueilli la sagesse du courant populaire des vieux
patois, des dictons, des proverbes, des farces d’étudiants, dans la bouche des
simples et des fous". ». (27)
Il n’est pas simple de préférer un
essai bref parmi la quinzaine proposée, chacun faisant une étude pointue, presque
microscopique, d’un aspect précis des œuvres retenues pour leur caractère oral.
Voyez par vous-mêmes les six domaines d’études : contes populaires et
régionaux, téléphagie et téléoralité, conversation de coulisse, folie et
politique au théâtre, lectures-fictions en mode mineur, posts et statuts de l’auteur.
C’est pourquoi, outre l’avant-propos de Pelletier et l’introduction de Dubois
et Leroux, j’attire votre attention sur deux textes parmi les plus généraux.
D’abord, "Victor-Lévy Beaulieu
dans toute sa théâtralité", la transcription d’une table ronde animée par
P. Lefebvre réunissant Yves Desgagnés et Lorraine Pintal – on peut d’ailleurs écouter
l’intégrale audio de cette discussion sur le site de la BAnQ numérique. On se
souvient de Junior Galarneau du téléroman L’Héritage ou de Leonardo du
téléroman Montréal PQ, deux personnages qui ont marqué la carrière de l’acteur
qui raconte le rapport que VLB entretenait avec les comédiens et sa présence
sur les sites de tournages. Mme Pintal, directrice du TNM, fut un temps coréalisatrice
de Montréal PQ, un immense plateau pour une histoire d’époque dont il ne
fallait échapper aucun détail. De l’échange du comédien et de la metteure en scène,
je retiens surtout l’importance capitale des textes de Beaulieu impossibles de
trafiquer. Non seulement l’auteur était intransigeant sur ce point, mais surtout
parce qu’il y a une rythmique de la langue beaulieusienne dont on saisissait
rapidement la portée et la poésie.
À la question de Lefebvre, « qu’est-ce
qui caractérise pour vous la langue de Victor-Lévy Beaulieu? », Desgagnés
répond : « C’est une langue inventée. Oui. C’et la première chose qui
frappe, que c’est une langue inventée. » Pintal continue ainsi : « Un
peu comme la langue de Réjean Ducharme, j’allais dire, je ne sais pas si tu
serais d’accord avec moi mais, chez Victor-Lévy Beaulieu, il n’y a rien de
réaliste. Le sentiment humain, certes, est réel, mais son évocation à travers l’écriture
relève d’une vision très personnelle, onirique, surréaliste. » (156-157)
Je retiens également "Une
bio pop avec deux autobios intégrées. Twain selon Victor-Lévy Beaulieu, cabotinerie"
où Renald Bérubé s’intéresse au livre écrit à la demande de Roger Des Roches, poète
et graphiste ami de VLB. C’est l’occasion pour Dubé de jeter un regard
périphérique sur les « génériques biscornus » que le Pistolois donne
à certains ouvrages : outre cabotinerie et Twain, il y a l’essai-poulet et
Kerouac, lecture-fiction (et non litanie) et Melville, l’essai-hilare et Joyce,
la dithyrambe beublique et Nietzche. Renald Bérubé aurait pu continuer, car ce
ne sont pas les pistes de lecture qui manquent dans l’œuvre de VLB.
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