mercredi 1 septembre 2021

Romain Gary

Chien blanc

Paris Gallimard, coll. « Folio », 1970, 224 p., 12,95 $.

Racisme primaire

Lire des auteurs qui en ont influencé d’autres est un programme, presque sans limites, qui nous amène à fréquenter des univers, parfois à mille lieues de ce qui nous y a conduits. Par exemple, Victor-Lévy Beaulieu m’a guidé à travers les pages de Kerouac, Melville, Joyce, Nietzche, sans oublier Jacques Ferron, Yves Thériault, Margaret Atwood, etc.

La chronique du 8 août dernier recensait l’essai de Dany Laferrière, Petit traité sur le racisme, paru plus tôt cette année. Une des 130 séquences du livre, intitulé Chien blanc, fait référence à un roman de Romain Gary. J’ai voulu m’arrêter sur ce Gary, dont j’ai recensé les derniers livres parus avant son décès en 1980, pour voir de près comment l’écrivain y aborde la ségrégation.


Chien blanc a les allures d’une autofiction. En effet, l’action se déroule à San Francisco, au cours des années 1956-1960, alors que l’auteur est consul de France dans cette ville. À la même époque, il devient l’amoureux de l’actrice Jean Seberg.

Comme souvent dans son œuvre, Romain Gary associe vie personnelle et vie imaginée. Ainsi, ce roman se déroule dans la propriété de Beverly Hills qu’habite le couple Seberg-Gary et au chenil de Jack où on fait l’élevage et le commerce d’animaux domestiques, mais aussi d’une variété de serpents.

Je reviens à l’essai de Laferrière et au tableau intitulé « Chien blanc ». L’Académicien note que « le chien est toujours présent dans la vie du Noir en Amérique. On dressait des chiens qu’on lançait à la poursuite de l’esclave en fuite. » De prime abord, cela peut sembler barbare et on espère que cette pratique soit disparue depuis l’abolition « officielle » de l’esclavage et de la ségrégation raciale aux É-U. Hélas, ce n’est pas le cas.

Sandy, le chien blanc du roman, était un fidèle compagnon dont la taille impressionnait les visiteurs, vite rassurés par l’indifférence qu’il affichait après les avoir sentis. Arrive un jour où, lors de l’une des nombreuses réunions d’intervenants défendant et promouvant une nième cause à laquelle Jean Seberg a prêté son nom, un noir se présente et le gentil chien lui saute à la gorge.

Gary, le personnage, amène l’animal au chenil où il est confié à Keys. L’homme de confiance du proprio est un éleveur de serpents qui sait comment extraire leur venin ensuite vendu à des pharmaceutiques à fort prix pour la fabrication d’antidote.

Keys est un Noir. Il sait mieux que quiconque qu’on pratique l’élevage de chiens pour tuer les Noirs dès qu’ils entrent dans leur champ de vision. Ce n’est pas une fable, mais cette pratique n’a jamais cessé. Le premier face à face du chien et du dresseur se déroule très mal et Keys, blessé, doit se rétablir avant de revenir au chenil. Jack, son patron, exige que Gary reprenne son chien immédiatement, car il ne peut se priver longtemps de Keys, le seul à pouvoir « charmer » les serpents, une activité fort lucrative.

Parallèlement à cette histoire, il y a celles gravitant autour de Seberg et des ténors des causes auxquelles on veut l’associer. Encore là, le romancier met en perspective ces bien-pensants de l’humanitaire, ces « mendiants » des bonnes intentions.

Puisque Gary doit se déplacer fréquemment à titre de Consul, il convainc Franck de garder Sandy dans un enclos fermé. Une surprise l’attend un jour où il est de passage à San Francisco et qu’il s’arrête voir l’état de santé de l’animal : Keys est de retour et il a pris sur lui de dresser le chien « à rebours », c’est-à- dire d’effacer sa colère inculquée contre les Noirs. Keys est motivé par la seule idée de faire disparaître cette tare qu’on croit inaltérable. Son ultime but : faire entrer son jeune garçon seul dans la cage avec le chien.

J’aimerais croire qu’il n’y a plus de « chien blanc » aux É.-U. ou ailleurs sur la planète, mais, après la lecture du roman de Romain Gary, je n’ai plus de doute : la bêtise humaine est plus grande que celle des animaux.

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