Romain Gary
Chien blanc
Paris Gallimard, coll. « Folio », 1970, 224 p.,
12,95 $.
Racisme primaire
Lire des auteurs qui en ont influencé d’autres est un programme, presque sans limites, qui nous amène à fréquenter des univers, parfois à mille lieues de ce qui nous y a conduits. Par exemple, Victor-Lévy Beaulieu m’a guidé à travers les pages de Kerouac, Melville, Joyce, Nietzche, sans oublier Jacques Ferron, Yves Thériault, Margaret Atwood, etc.
La chronique du 8 août dernier recensait
l’essai de Dany Laferrière, Petit traité sur le racisme, paru plus tôt
cette année. Une des 130 séquences du livre, intitulé Chien blanc, fait
référence à un roman de Romain Gary. J’ai voulu m’arrêter sur ce Gary, dont j’ai
recensé les derniers livres parus avant son décès en 1980, pour voir de près
comment l’écrivain y aborde la ségrégation.
Chien blanc a les allures d’une autofiction. En effet, l’action se déroule à San Francisco, au cours des années 1956-1960, alors que l’auteur est consul de France dans cette ville. À la même époque, il devient l’amoureux de l’actrice Jean Seberg.
Comme souvent dans son œuvre,
Romain Gary associe vie personnelle et vie imaginée. Ainsi, ce roman se déroule
dans la propriété de Beverly Hills qu’habite le couple Seberg-Gary et au chenil
de Jack où on fait l’élevage et le commerce d’animaux domestiques, mais aussi d’une
variété de serpents.
Je reviens à l’essai de Laferrière
et au tableau intitulé « Chien blanc ». L’Académicien note que « le
chien est toujours présent dans la vie du Noir en Amérique. On dressait des
chiens qu’on lançait à la poursuite de l’esclave en fuite. » De prime
abord, cela peut sembler barbare et on espère que cette pratique soit disparue
depuis l’abolition « officielle » de l’esclavage et de la ségrégation
raciale aux É-U. Hélas, ce n’est pas le cas.
Sandy, le chien blanc du roman,
était un fidèle compagnon dont la taille impressionnait les visiteurs, vite
rassurés par l’indifférence qu’il affichait après les avoir sentis. Arrive un
jour où, lors de l’une des nombreuses réunions d’intervenants défendant et promouvant
une nième cause à laquelle Jean Seberg a prêté son nom, un noir se présente et le
gentil chien lui saute à la gorge.
Gary, le personnage, amène l’animal
au chenil où il est confié à Keys. L’homme de confiance du proprio est un éleveur
de serpents qui sait comment extraire leur venin ensuite vendu à des
pharmaceutiques à fort prix pour la fabrication d’antidote.
Keys est un Noir. Il sait mieux
que quiconque qu’on pratique l’élevage de chiens pour tuer les Noirs dès qu’ils
entrent dans leur champ de vision. Ce n’est pas une fable, mais cette pratique
n’a jamais cessé. Le premier face à face du chien et du dresseur se déroule
très mal et Keys, blessé, doit se rétablir avant de revenir au chenil. Jack, son
patron, exige que Gary reprenne son chien immédiatement, car il ne peut se
priver longtemps de Keys, le seul à pouvoir « charmer » les serpents,
une activité fort lucrative.
Parallèlement à cette histoire,
il y a celles gravitant autour de Seberg et des ténors des causes auxquelles on
veut l’associer. Encore là, le romancier met en perspective ces bien-pensants de
l’humanitaire, ces « mendiants » des bonnes intentions.
Puisque Gary doit se déplacer
fréquemment à titre de Consul, il convainc Franck de garder Sandy dans un
enclos fermé. Une surprise l’attend un jour où il est de passage à San
Francisco et qu’il s’arrête voir l’état de santé de l’animal : Keys est de
retour et il a pris sur lui de dresser le chien « à rebours », c’est-à-
dire d’effacer sa colère inculquée contre les Noirs. Keys est motivé par la
seule idée de faire disparaître cette tare qu’on croit inaltérable. Son ultime
but : faire entrer son jeune garçon seul dans la cage avec le chien.
J’aimerais croire qu’il n’y a plus de « chien blanc » aux É.-U. ou ailleurs sur la planète, mais, après la lecture du roman de Romain Gary, je n’ai plus de doute : la bêtise humaine est plus grande que celle des animaux.
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