Gilles Archambault
Il se fait tard
Montréal, Boréal,
2021, 120 p., 18,95 $.
Mourir la belle affaire, mais vieillir…
Je ne crois pas à l’écriture comme étant une panacée pouvant guérir un spleen passager ou même perpétuel. J’admire cependant les écrivains capables de puiser dans leurs carnets de souvenirs les réminiscences qui circulent en eux et nourrissent leur imaginaire.
C’est, sans aucun doute, à cette
source que s’abreuvent la plupart des livres de Gilles Archambault. Rien de
triste ou de morose chez lui, sinon sublimé par l’ironie dont il est passé
maître. Parfois, l’écrivain laisse poindre à l’horizon du moment raconté un peu
de nostalgie, jamais toute rose jamais toute bleue. J’en prends à témoin Il se
fait tard, ce nouvel opus composé de dix-sept récits comme autant de
fragments d’un vitrail dont l’ensemble propose un panorama de plans choisis du temps
présent inspirés par des fragments de jadis.
En lisant ce nouvel Archambault, une chanson de Brel s’est imposée, une mélodie s’est mise à tourner en boucle durant toute ma lecture : « mourir la belle affaire, mais vieillir… » Cette mélodie résume l’ensemble de ce que l’écrivain donne ici à lire.
La distance narrative de bon
aloi, celle qui creuse un fossé entre celui qui écrit, l’auteur, et celui qui s’écrit,
le personnage, est peu ou pas respectée ici. Je laisserai donc aux exégètes
patentés ce travail d’analyse, ce dont Archambault l’écrivain n’a rien à faire
de toute façon. Les événements qu’il relate sont pris et mis en perspective de ses
87 ans, âge auquel il les raconte. La majorité des faits se déroulent dans son
appartement dont il sort peu pour cause de pandémie, mais aussi pour son âge
qui se rappelle régulièrement à son bon vouloir. Chaque historiette illustre
des gestes qu’il pose dans le cocon de son intimité – tantôt pour se convaincre
qu’il a bien fait de se séparer d’objets accumulés, mais toujours signifiants,
tantôt pour décider de briser le lien affectif entretenu avec tel livre d’un
écrivain qui n’est plus lu ou tel disque, plus écouté – ou des actions menées
auprès de gens qui réclament se présence et qu’il en est venu à accepter.
En filigrane de ces instantanés
actuels, il y a les lueurs d’un bilan du passé, du présent ou même de l’avenir.
Tôt ou tard dans son existence, l’être humain fait, volontairement ou non, une rétrospective
de sa vie à ce moment-là. Parfois cet exercice en vaut la chandelle, parfois il
est totalement inutile puisqu’on lui tourne le dos. Or, à l’âge avancé, qui n’est
pas l’âge d’or qu’on veut nous vendre, le bilan peut n’être que réel, car on ne
peut rien changer à l’avant et si peu à l’après, sinon cette « belle
affaire » de Brel, c’est-à-dire mourir, dans la dignité de l’oubli.
Se disant un « fieffé nostalgique »,
ce qui sert aussi à mettre sa vie personnelle et littéraire en perspective, il
n’est pas étonnant qu’il consacre, entièrement ou au passage, des récits ou des
pages d’autres à sa carrière d’écrivain. « Pour ma part, je n’aurai
ressenti tout au long de ma vie d’écriture qu’une seule exigence : celle de
décrire mon inconfort de vivre… Mon mal de vivre était supportable puisque j’ai
réussi à me pencher sur lui pendant tout ce temps… Pour exprimer ma désolation,
je n’ai rien trouvé de mieux que l’écriture. » (90-91) Je suis d’avis que ces
passages sont à inscrire parmi les faits retenus du bilan presque final d’une
vie active.
Bien sûr, l’homme Archambault ne
pouvait oublier Lise, son épouse en-allée, ses enfants et ses petits-enfants.
Quelques amis, au féminin au masculin, morts ou vifs – la nécrologie des journaux
étant certains jours la référence de l’âge avancé comme jadis celle des
naissances – dont le souvenir s’impose parfois sans que l’on sache ou comprenne
pourquoi. Ces squelettes terrés dans le placard d’une existence qui ressuscitent
sans crier gare et nous tourmentent sans qu’on puisse les changer et encore
moins les faire taire.
Je n’ai ressenti aucune tristesse
à accompagner le personnage Archambault dans l’univers du vieil âge. Ni vraie
compassion non plus, croyant que cela ne convenait pas à celui qui n’a rien
demandé. Sinon d’être écouté plus qu’entendu, particulièrement dans « Mort
à Venise », titre emprunté à la nouvelle de Thomas Mann : « À l’instant
de ma mort, je souhaite être seul… Moi qui ne serais au mieux qu’un honnête
homme artisan des mots, je souhaiterais au moment de mon entrée dans le néant
revoir en un éclair des - gestes de femmes, les tiens, Lise, et entendre des voix
d’enfants. Ce serait pour moi une mort presque convenable. Mais je serais seul.
Ne pas me donner un spectacle. » (43-44)
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