mardi 21 septembre 2021

Gilles Archambault

Il se fait tard

Montréal, Boréal, 2021, 120 p., 18,95 $.

Mourir la belle affaire, mais vieillir…

Je ne crois pas à l’écriture comme étant une panacée pouvant guérir un spleen passager ou même perpétuel. J’admire cependant les écrivains capables de puiser dans leurs carnets de souvenirs les réminiscences qui circulent en eux et nourrissent leur imaginaire.

C’est, sans aucun doute, à cette source que s’abreuvent la plupart des livres de Gilles Archambault. Rien de triste ou de morose chez lui, sinon sublimé par l’ironie dont il est passé maître. Parfois, l’écrivain laisse poindre à l’horizon du moment raconté un peu de nostalgie, jamais toute rose jamais toute bleue. J’en prends à témoin Il se fait tard, ce nouvel opus composé de dix-sept récits comme autant de fragments d’un vitrail dont l’ensemble propose un panorama de plans choisis du temps présent inspirés par des fragments de jadis.

En lisant ce nouvel Archambault, une chanson de Brel s’est imposée, une mélodie s’est mise à tourner en boucle durant toute ma lecture : « mourir la belle affaire, mais vieillir… » Cette mélodie résume l’ensemble de ce que l’écrivain donne ici à lire.

La distance narrative de bon aloi, celle qui creuse un fossé entre celui qui écrit, l’auteur, et celui qui s’écrit, le personnage, est peu ou pas respectée ici. Je laisserai donc aux exégètes patentés ce travail d’analyse, ce dont Archambault l’écrivain n’a rien à faire de toute façon. Les événements qu’il relate sont pris et mis en perspective de ses 87 ans, âge auquel il les raconte. La majorité des faits se déroulent dans son appartement dont il sort peu pour cause de pandémie, mais aussi pour son âge qui se rappelle régulièrement à son bon vouloir. Chaque historiette illustre des gestes qu’il pose dans le cocon de son intimité – tantôt pour se convaincre qu’il a bien fait de se séparer d’objets accumulés, mais toujours signifiants, tantôt pour décider de briser le lien affectif entretenu avec tel livre d’un écrivain qui n’est plus lu ou tel disque, plus écouté – ou des actions menées auprès de gens qui réclament se présence et qu’il en est venu à accepter.

En filigrane de ces instantanés actuels, il y a les lueurs d’un bilan du passé, du présent ou même de l’avenir. Tôt ou tard dans son existence, l’être humain fait, volontairement ou non, une rétrospective de sa vie à ce moment-là. Parfois cet exercice en vaut la chandelle, parfois il est totalement inutile puisqu’on lui tourne le dos. Or, à l’âge avancé, qui n’est pas l’âge d’or qu’on veut nous vendre, le bilan peut n’être que réel, car on ne peut rien changer à l’avant et si peu à l’après, sinon cette « belle affaire » de Brel, c’est-à-dire mourir, dans la dignité de l’oubli.

Se disant un « fieffé nostalgique », ce qui sert aussi à mettre sa vie personnelle et littéraire en perspective, il n’est pas étonnant qu’il consacre, entièrement ou au passage, des récits ou des pages d’autres à sa carrière d’écrivain. « Pour ma part, je n’aurai ressenti tout au long de ma vie d’écriture qu’une seule exigence : celle de décrire mon inconfort de vivre… Mon mal de vivre était supportable puisque j’ai réussi à me pencher sur lui pendant tout ce temps… Pour exprimer ma désolation, je n’ai rien trouvé de mieux que l’écriture. » (90-91) Je suis d’avis que ces passages sont à inscrire parmi les faits retenus du bilan presque final d’une vie active.

Bien sûr, l’homme Archambault ne pouvait oublier Lise, son épouse en-allée, ses enfants et ses petits-enfants. Quelques amis, au féminin au masculin, morts ou vifs – la nécrologie des journaux étant certains jours la référence de l’âge avancé comme jadis celle des naissances – dont le souvenir s’impose parfois sans que l’on sache ou comprenne pourquoi. Ces squelettes terrés dans le placard d’une existence qui ressuscitent sans crier gare et nous tourmentent sans qu’on puisse les changer et encore moins les faire taire.

Je n’ai ressenti aucune tristesse à accompagner le personnage Archambault dans l’univers du vieil âge. Ni vraie compassion non plus, croyant que cela ne convenait pas à celui qui n’a rien demandé. Sinon d’être écouté plus qu’entendu, particulièrement dans « Mort à Venise », titre emprunté à la nouvelle de Thomas Mann : « À l’instant de ma mort, je souhaite être seul… Moi qui ne serais au mieux qu’un honnête homme artisan des mots, je souhaiterais au moment de mon entrée dans le néant revoir en un éclair des - gestes de femmes, les tiens, Lise, et entendre des voix d’enfants. Ce serait pour moi une mort presque convenable. Mais je serais seul. Ne pas me donner un spectacle. » (43-44)

Si j’étais un prédicateur d’autrefois – ou ceux d’aujourd’hui qu’on nomme influenceurs – je dirais à Gilles Archambault : « C’est la grâce que je vous souhaite. » Heureusement, je ne suis ni curé ni influenceur, et je demande à ce peintre des mots de puiser dans les eaux de son imaginaire, si près de sa propre existence, pour qu’on puisse le lire au-delà de la non-existence qui s’approche de lui.

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