André Brochu
Clairs abimes
Montréal, Noroît, 2021, 120 p., 20 $ (papier),
14,99 $ (numérique).
André Brochu : le retour d’un grand
Je m’ennuyais de lire le grand
André Brochu – professeur, poète, essayiste, romancier, critique et que sais-je
d’autre d’innovant. Pour apaiser cette inquiétude, je relisais entre autres les
poèmes d’élégies de lumière (Trois, 2005) ou son remarquable essai Anne Hébert : le secret de vie et de mort
(PUO, 2000). J’ai déjà écrit que traiter d’un de ses livres était comme lever
le voile sur un secret d’État tellement l’homme Brochu et son œuvre sont méconnus
du grand public. Je croyais et crois toujours que Brochu a tout écrit avec
succès et que, parfois, cela lui a valu des prix largement mérités.
Ce n’est pas pour rien que Micheline Cambron et Laurent Mailhot, deux éminents collègues de la faculté des Lettres de l’Université de Montréal, publièrent André Brochu, écrivain (Hurtubise, 2006). Cet essai « propose une lecture globale de [ses] ouvrages, offrant ainsi la première synthèse de cette œuvre marquante. » On y apprend beaucoup sur le parcours littéraire de Brochu, son talent de créateur et ses engagements littéraires et sociaux. On découvre aussi des aspects parfois insoupçonnés de ce qu’on appelle son « œuvre multiforme ».
Or, voilà que paraît Clairs abîmes, en cette rentrée littéraire automnale. Telle une composition musicale, les vers sont groupés en trois mouvements précédés d’un prélude qui donne le ton des variations qui suivent. « Oui… non… me voici rien de plus sans doute qu’un petit / moi tout juste acceptable… je deviens alors tout à coup capable d’aimer / de croire / de sourire / oui entre mes poings. » Et plus loin : « Triste humanité / semblable à ma chair / à mon âme à / tout ce qui supplie… »
Ai-je bien entendu dans ces vers l’évocation
d’une « renaissance » comme d’une rémission après une longue, très longue
convalescence? Chose certaine le poète a retrouvé le souffle de sa littérarité personnelle
qui fait l’unicité de sa voix, de son œuvre.
Puis, voilà les trois mouvements de
Clairs abîmes – "Quelques chapitres", "Socle du ciel"
et "Rues de la terre" –chacun appelant des variations comme autant d’images,
certaines très charnelles d’autres très pudiques, qui mettent en lumière les
abîmes du titre.
"Quelques chapitres" est
fait de dix modulations sur un même thème où « tout vibre tout gire dans la
merveille où s’éberlue / le mirage de l’existence donnée à
savourer / à l’ombre des dieux pâles et des sarcelles énamourées ».
(13) Mais encore – « plus de moi, plus rien hors l’ingénue face de l’éternel
autre lieu. » (14) – ou cette ultime interrogation – « que serons-nous
parmi les décombres du temps. » (24)
"Socle du ciel", le
plus long des trois mouvements, va de l’adagio à l’andante à l’allegro, avec
des retours de l’un à l’autre selon le rythme dans lequel le poète engage le
mouvement des émotions exprimées, comme s’il s’agissait du rythme du cœur révélant
secrètement le ressenti vécu lors même de la plus petite agitation qui soit.
Ou, comme l’a écrit Baudelaire dans "L’invitation au voyage", « tout
n’est ordre et beauté, / Luxe, calme et volupté. » D’ailleurs, le
poète ouvre ainsi ces mouvements : « Monde tu changes / au
gré des songes // propres à contrefaire / l’éclat boule
de feu / dure // boule de nos misères ».
"Socle du ciel", dans son
ensemble, a des allures d’une rétrospective des temps forts comme des plus
fragiles, voire des plus ineptes d’une existence dont les vers magnifient les
images comme sous la loupe ou, plus sévèrement, le microscope examinant l’hier
à l’aujourd’hui d’une vie qui, désormais, compte plus de jours passés que de
ceux à venir.
Le dernier mouvement de Clairs
abîmes, "Rues de la terre", est composé de vingt-six poèmes dont
quatre ont leur propre rythme. Nous sommes ici devant un ensemble de tableaux, de
fresques qui fixent dans le temps et l’espace qui un personnage, qui une action,
qui un engagement.
Impossible de rester impassible à
lire "Adieu, ami" dédié au regrette Noël Audet ou "La fin et l’étincelle"
écrit "À la mémoire de mon père". Je souligne que ces poèmes alors
que les 24 autres sont tout aussi touchants, car chacun met l’accent sur un geste
ou un engagement, achevé ou échappé.
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