mercredi 8 septembre 2021

André Brochu

Clairs abimes

Montréal, Noroît, 2021, 120 p., 20 $ (papier), 14,99 $ (numérique).

 

André Brochu : le retour d’un grand

 

Je m’ennuyais de lire le grand André Brochu – professeur, poète, essayiste, romancier, critique et que sais-je d’autre d’innovant. Pour apaiser cette inquiétude, je relisais entre autres les poèmes d’élégies de lumière (Trois, 2005) ou son remarquable essai Anne Hébert : le secret de vie et de mort (PUO, 2000). J’ai déjà écrit que traiter d’un de ses livres était comme lever le voile sur un secret d’État tellement l’homme Brochu et son œuvre sont méconnus du grand public. Je croyais et crois toujours que Brochu a tout écrit avec succès et que, parfois, cela lui a valu des prix largement mérités.

Ce n’est pas pour rien que Micheline Cambron et Laurent Mailhot, deux éminents collègues de la faculté des Lettres de l’Université de Montréal, publièrent André Brochu, écrivain (Hurtubise, 2006). Cet essai « propose une lecture globale de [ses] ouvrages, offrant ainsi la première synthèse de cette œuvre marquante. » On y apprend beaucoup sur le parcours littéraire de Brochu, son talent de créateur et ses engagements littéraires et sociaux. On découvre aussi des aspects parfois insoupçonnés de ce qu’on appelle son « œuvre multiforme ».


Or, voilà que paraît Clairs abîmes, en cette rentrée littéraire automnale. Telle une composition musicale, les vers sont groupés en trois mouvements précédés d’un prélude qui donne le ton des variations qui suivent. « Oui… non… me voici rien de plus sans doute qu’un petit / moi tout juste acceptable… je deviens alors tout à coup capable d’aimer / de croire / de sourire / oui entre mes poings. » Et plus loin : « Triste humanité / semblable à ma chair / à mon âme à / tout ce qui supplie… »

Ai-je bien entendu dans ces vers l’évocation d’une « renaissance » comme d’une rémission après une longue, très longue convalescence? Chose certaine le poète a retrouvé le souffle de sa littérarité personnelle qui fait l’unicité de sa voix, de son œuvre.

Puis, voilà les trois mouvements de Clairs abîmes – "Quelques chapitres", "Socle du ciel" et "Rues de la terre" –chacun appelant des variations comme autant d’images, certaines très charnelles d’autres très pudiques, qui mettent en lumière les abîmes du titre.

"Quelques chapitres" est fait de dix modulations sur un même thème où « tout vibre tout gire dans la merveille où s’éberlue / le mirage de l’existence donnée à savourer / à l’ombre des dieux pâles et des sarcelles énamourées ». (13) Mais encore – « plus de moi, plus rien hors l’ingénue face de l’éternel autre lieu. » (14) – ou cette ultime interrogation – « que serons-nous parmi les décombres du temps. » (24)

"Socle du ciel", le plus long des trois mouvements, va de l’adagio à l’andante à l’allegro, avec des retours de l’un à l’autre selon le rythme dans lequel le poète engage le mouvement des émotions exprimées, comme s’il s’agissait du rythme du cœur révélant secrètement le ressenti vécu lors même de la plus petite agitation qui soit. Ou, comme l’a écrit Baudelaire dans "L’invitation au voyage", « tout n’est ordre et beauté, / Luxe, calme et volupté. » D’ailleurs, le poète ouvre ainsi ces mouvements : « Monde tu changes / au gré des songes // propres à contrefaire / l’éclat    boule de feu / dure // boule de nos misères ».

"Socle du ciel", dans son ensemble, a des allures d’une rétrospective des temps forts comme des plus fragiles, voire des plus ineptes d’une existence dont les vers magnifient les images comme sous la loupe ou, plus sévèrement, le microscope examinant l’hier à l’aujourd’hui d’une vie qui, désormais, compte plus de jours passés que de ceux à venir.

Le dernier mouvement de Clairs abîmes, "Rues de la terre", est composé de vingt-six poèmes dont quatre ont leur propre rythme. Nous sommes ici devant un ensemble de tableaux, de fresques qui fixent dans le temps et l’espace qui un personnage, qui une action, qui un engagement.

Impossible de rester impassible à lire "Adieu, ami" dédié au regrette Noël Audet ou "La fin et l’étincelle" écrit "À la mémoire de mon père". Je souligne que ces poèmes alors que les 24 autres sont tout aussi touchants, car chacun met l’accent sur un geste ou un engagement, achevé ou échappé.

La fulgurance du discours poétique d’André Brochu n’a rien perdu de la pertinence de son propos tant les thèmes, qui lui sont essentiels, ont toujours cette pertinence souvent applaudie. Clairs abîmes est un recueil synthèse d’une œuvre littéraire protéiforme dont il faut se rappeler, relire ou découvrir, car vient un jour où la littérature à laquelle ce livre appartient devient intemporelle.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire